Le passage de témoin, hier, entre Jeannot Ahoussou Kouadio et son prédécesseur, Guillaume Soro, est loin d’être un fait banal. C’est, en effet, la troisième fois, dans l’histoire de la succession des Premiers ministres, que les locataires de la primature se passent les dossiers chauds de l’heure. La rareté des passations de charges entre chefs de gouvernement sortant et entrant, est liée au climat de tension dans lesquels sont intervenus les jeux de chaises musicales à la primature. En décembre 1993, c’est dans une ambiance délétère notamment marquée par une crise successorale qu’Henri Konan Bédié est arrivé au pouvoir. Quand il confia la charge de Premier ministre à Daniel Kablan Duncan, celui-ci n’aura donc pas l’occasion de se faire expliquer par Alassane Ouattara, les dossiers urgents qu’il devait attaquer. Quand vint son tour de partir de la primature, en décembre 1999, l’actuel chef de la diplomatie ivoirienne ne fera non plus de passation de charges avec son successeur, Seydou Elimane Diarra. L’équipe dirigeante en place à l’époque a été balayée par une junte militaire conduite par le général Robert Guéï. Comme un mauvais sort, Affi N’Guessan, le quatrième Premier ministre ivoirien, n’a pas eu droit aux conseils de son devancier. Le climat quasi-insurrection dans lequel Laurent Gbagbo a pris le pouvoir, a sans doute dissuadé le chef du gouvernement de Robert Guéi de pointer le nez à la primature. Mais, deux ans plus tard, Pascal Affi N’Guessan décide de rendre à M. Diarra, la monnaie de sa pièce. Nommé, pour la seconde fois, Premier ministre, cette fois pour former un gouvernement de sortie de crise, Seydou Diarra s’installe à la primature sans passage de témoin avec Affi N’Guessan. Fort heureusement, le Premier ministre de l’Accord de Linas-Marcoussis décide de rompre avec cette mauvaise habitude. Quand Laurent Gbagbo choisit de se séparer de lui, c’est sur un air de fair-play qu’il passe la main à Charles Konan Banny. Deux années plus tard, quand il est, à son tour, grillé, M. Konan Banny organise une passation de charges en bonne et due forme avec son successeur Guillaume Soro. Premier chef de gouvernement à partir, de lui-même, par la grande porte, Guillaume Soro ne pouvait pas déroger à cette bonne pratique. En toute responsabilité, il a donné rendez-vous à Jeannot Ahoussou Kouadio, pour lui remettre les dossiers importants de la République. Preuve, s’il en faut, que la Côte d’Ivoire est résolument entrée dans une ère d’apprentissage de la démocratie. La vitalité de cette démocratie se manifestera quand, au sommet de l’Etat, il y aura également passage de témoin entre le président sortant et son remplaçant.
Marc Dossa
Marc Dossa
