A ses bureaux logés à l’immeuble Symphonie au Plateau, le ministre des Droits de l’Homme et des Libertés publiques a accepté, ce jeudi 29 mars 2012, d’aborder un ensemble de questions brûlantes : dérives des Frci, conditions de détention des proches de l’ancien président, santé de Michel Gbagbo… Il parle sans faux-fuyant.
M. le Ministre, les exactions des Frci sur les populations sont des faits récurrents. Vous convenez avec nous que les efforts du gouvernement sur le chapitre des droits de l’Homme restent insuffisants ?
Gnénema Coulibaly : On peut vous concéder cette appréciation sauf qu’il faut édulcorer l’évaluation que vous faites des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire, parce que toutes proportions gardées, dix années de non respect des droits de l’Homme, ne peuvent pas être effacées en si peu de temps. Nous comprenons l’attente de la population en matière des droits de l’Homme parce qu’une seule violation est une violation de trop. Vous conviendrez cependant avec moi que les droits de l’Homme, à la différence d’autres préoccupations, sont des idées. Les choses se passent dans la tête des citoyens. Alors, lorsque pendant dix ans, des personnes ont pris un type d’attitude, il n’est pas facile de les effacer en peu de temps.
Nous faisons un bilan semestriel. Cela fait quasiment huit (8) mois que nous sommes à la tête de ce département. En 8 mois, nous avons essayé avec les maigres moyens qui sont les nôtres, les idées qui sont les nôtres de faire en sorte que de moins en moins nous assistions à des exactions pas seulement de la part des Frci mais de la part de quiconque.
C’est pourquoi, chaque fois que nous avons eu connaissance d’un cas d’exaction, nous l’avons dénoncé au nom du gouvernement et en notre nom personnel. Nous ne tolérerons ni ne couvrirons aucune exaction des droits de l’Homme d’où qu’elle vienne et de qui elle vienne. Il reste qu’il faut comprendre qu’au 11 avril 2011, la situation de l’Etat de Côte d’Ivoire était celle que nous connaissons : complètement déstructurée avec une absence totale de forces régaliennes. L’Etat a consenti d’énormes efforts afin que de plus en plus la sécurité soit l’œuvre des gendarmes et des policiers de sorte que de moins en moins les Frci sont présentes sur le terrain. Beaucoup ont été replacés dans des entités militaires. Aujourd’hui, ceux qui, malheureusement, sont encore dans les rues ne sont pas toujours ce que nous croyons qu’ils sont parce qu’il reste des personnes non affiliées à des entités qui ont encore des armes, des treillis et qui, sous le couvert des Frci, commettent quelques exactions. Mais le gouvernement a mis en place des mesures notamment la mise en place de l’Unité de lutte contre le racket, l’Unité de lutte contre les coupeurs de route…
Il y a eu ces derniers jours des évènements à Yopougon et à Bonoua impliquant des Frci. La liste des exactions s’allonge et les populations sont enclines à se poser des questions sur l’efficacité des mesures dont vous parlez. Que dites-vous ?
G. C. : Il faut voir la situation sous les deux faces. Aujourd’hui, il reste encore des personnes en Côte d’Ivoire qui ne conçoivent pas que les Frci soient les forces de défense nationales.
Quand on n’a pas compris cela, il est clair que le commerce avec les gens de cette entité peut être un peu difficile. On constate que presque partout où il y a ces accrochages, l’on parle de départ des Frci. Mais c’est à elles qu’il incombe la surveillance du territoire dans le sens de toutes possibilités d’agressions extérieures. A chacun sa mission. Il faut respecter l’élément qui a une mission et qui n’est pas forcément dans votre localité pour le plaisir mais dans l’accomplissement de sa tâche. Si vous respectez l’élément dans sa mission, je crois qu’il saura raison garder. Souvent, il y a de la provocation. Nous n’excusons ni ne justifions ces actes. Mais disons que chacun doit œuvrer dans l’esprit d’éviter la confrontation surtout que beaucoup savent que ce ne sont pas tous les éléments des Frci qui ont été formés à la chose. Vous avez des personnes qui ont intégré l’armée à la suite des évènements que nous savons et qui restent à former. Si vous vous mettez dans une situation de provocation, il peut avoir des situations déplorables. Nous invitons les populations à faire un effort pour respecter les forces militaires dans l’accomplissement de leurs missions. Nous invitons également les forces militaires à respecter les citoyens.
Intéressons-nous au dernier rapport d’Amnesty international. L’organisation dit qu’il est temps pour les autorités ivoiriennes de coopérer pleinement avec la Cour pénale internationale notamment sur le dossier des tueries de Duékoué. Comment expliquez-vous cette absence de « pleine coopération » ?
G.C. : Cela n’engage qu’Amnesty. Je voudrais ne pas rentrer dans des débats, à mon sens, injustifiés. Mais, comment peut-on s’asseoir pour décréter qu’il n’y a pas de coopération ? Quelles sont les obligations de l’Etat en matière de coopération avec la Cpi ? Les obligations de l’Etat, c’est la possibilité offerte à la Cpi de faire ses enquêtes et de poursuivre les personnes qu’il faut. La Cpi a-t-elle aujourd’hui indiqué qu’elle a achevé des investigations à Duékoué et qu’elle a indexé telle personnalité qu’elle veut poursuivre et que l’Etat s’y est opposé ? Pas du tout ! Donc, Amnesty est libre de penser que les choses ne vont pas à la vitesse qu’elle souhaite. Toujours est-il qu’il s’agit de deux parties en face : la Côte d’Ivoire et la Cpi. La première partie, quand bien même elle n’ait pas encore ratifié le traité de Rome, a admis la Cpi sur son territoire. Ce, depuis Juin 2011. Et la Cpi vient régulièrement en Côte d’Ivoire. Il n’y a pas un seul mois où les enquêteurs ne viennent pas. Mais il faut que les enquêteurs terminent leurs investigations, indexent des personnes avant qu’on ne parle d’absence de coopération. Je viens de Genève. Là-bas, l’exemplarité de la coopération de la Côte d’Ivoire avec toutes les institutions et les instances internationales a été unanimement saluée. Il y a eu après le rapport de l’expert des nations unies Doudou Diène, dix-sept (17) Etats qui sont intervenus. Tous ont félicité l’exemplarité de la coopération de la Côte d’Ivoire avec les instances internationales jusqu’à la Chine, aux Etats-Unis, aux Maldives. Je conçois qu’Amnesty trouve que les choses vont lentement, je conçois dans le même temps que Human Rights Watch trouve que les choses vont trop vite. Et dans cette affaire de quel côté voudriez-vous que l’Etat se range ? Nous ne pouvons pas poursuivre quelqu’un sur la base d’un rapport d’Amnesty.
Dans son domaine, il semble qu’Amnesty est une grande organisation. Elle ne dit pas des choses en l’air…
G.C. : Les méthodes de travail des uns et des autres sont appréciées différemment. Ce sont des méthodes d’enquête qui restent contestables. Nous avons dit, à notre prise de fonction, que l’idéal est que les enquêtes soient menées dans la transparence. Vous ne pouvez pas venir en catimini dans un Etat, faire des investigations sans que les gens ne soient informés, sans quon n’ait la preuve des témoins que vous évoquez. Parce que vous savez, les témoins, ça se fabrique, ça se choisit. Est-ce que les identités qui sont dans les rapports d’Amnesty sont des identités avérées de personnes existantes capables de réaffirmer ce qu’elles ont dit ? C’est sur la base d’une juridiction interne, d’une instance interne avec les cartes d’identité des témoins, c’est sur cette base qu’on peut éventuellement faire des poursuites. Moi, je peux venir vous dire : « mon frère a été enterré dans un puits ». Est-ce que Amnesty, dans ce cas, aura eu la capacité d’aller déterrer des corps pour faire des expertises sur les causes de la mort, sur l’identité ? Comprenez que nous sommes dans un pays organisé avec des règles et que nous ne pouvons pas nous laisser émouvoir par des rapports d’organisations internationales qu’ils soient élogieux ou qu’ils soient défavorables.
L’un des principaux reproches qui vous sont faits, c’est que la plupart des arrestations, jusqu’ici, ont concerné des proches de l’ex-président Laurent Gbagbo. Comment vous l’expliquez ?
G.C. : Il y a bien des Frci qui ont été arrêtés. Allez-y à la Mama !
On ne parle pas des seconds couteaux. Des chefs militaires ont été cités dans les évènements de Duékoué par exemple…
G.C. : Ils ont été cités peut-être. Mais par des organisations internationales. C’est ce qui a fondé le gouvernement à mettre en place une Commission nationale d’enquête dont l’objectif est de mettre à la disposition des juridictions ivoiriennes les personnes qui auront été reconnues coupables de faits avérés. La Commission nationale d’enquête est train de travailler. Elle dit qu’elle rend son rapport d’ici à la fin mars. Une autre organisation internationale non moins sérieuse dit : c’est trop tôt. Il faut que vous continuiez les enquêtes alors que cette même organisation avait déjà mis en cause des personnes à un moment donné. Ce que j’essaie de vous faire comprendre, c’est que les organisations internationales ont des réactions qui divergent et qui ne sont pas forcément faciles à gérer par les dirigeants des Etats. Si on veut se plier à la volonté d’une Organisation, on se retrouve face à l’adversité d’une autre. Pour en revenir aux poursuites. Aucune autorité civile, aucune autorité militaire, d’aucun camp que ce soit, n’a été poursuivie pour des faits de violation des droits de l’Homme. L’option de la Côte d’Ivoire, à la fin de la crise, avait été de ne pas poursuivre les crimes de sang liés aux droits de l’Homme. Mais des militaires appartenant à un camp ont pu être arrêtés soit pour tentative de coup d’Etat, soit pour violations de consignes. On n’est pas encore dans les poursuites pour violations des droits de l’Homme quoique ce soient des conséquences de leurs attitudes. Les civils qui sont poursuivis ou qui font l’objet d’inculpation le sont dans le cadre d’atteinte à l’économie nationale. Ce ne sont pas des cas de violations des droits de l’Homme. Alors, ce dont il s’agit de la part des Ong et des organisations internationales, ce sont des cas de violations des droits de l’Homme. Or la Côte d’Ivoire dit : nous voulons poursuivre tout le monde quel que soit le bord. Mais nous souhaitons que ce soit des experts ivoiriens qui établissent les faits et les relient à des personnes. Cette instance, c’est la Commission nationale d’enquête. Cette Commission d’enquête n’ayant pas encore fourni son rapport, on ne saurait dire qu’il y a refus de poursuivre telle ou telle personne encore moins une volonté de ne pas poursuivre. Il faut le rapport.
Et quand est-ce que ce rapport sera disponible ?
G.C. : Personnellement, je l’ai souhaité le plus tôt possible. C’est pour cela que j’avais proposé au gouvernement un délai de six mois. Les six sont bientôt finis. Au moment où on se prépare, certains disent : c’est trop tôt. Nous ne travaillons pas suivant tout cela. Nous disons à la Commission : si vous avez fini le rapport, rendez-le. Le Président, en tant que chef suprême de la magistrature, en est le premier destinataire. Il pourra instruire le parquet, à travers le garde des sceaux, pour que les poursuites soient ouvertes contre tous ceux qui auront été identifiés comme auteurs.
Vous parlez là de justice nationale à travers la Commission d’enquête. Qu’adviendrait-il si des personnes notamment du camp Ouattara étaient inculpées par la Cpi ?
G.C. : Le Président (Alassane Ouattara) a toujours affiché sa volonté de ne protéger personne. Je ne suis pas le garde des sceaux. Mais, je ne crois pas que le Président qui a une sainte horreur de la violation des droits de l’Homme, s’il est avéré qu’une personne est auteur de faits criminels en matière de droits de l’Homme, puisse s’opposer à sa comparution. Il a déjà affirmé que quiconque sera indexé répondra devant la justice.
Seulement, la subsidiarité de la Cpi fait qu’il faut une absence de poursuite nationale. La Cpi n’est compétente que lorsqu’il y a une absence de volonté de l’Etat ou qu’il y a une incapacité de l’Etat, c’est-à-dire que les structures compétentes n’existent pas. Au moment où le premier transfèrement se faisait, il y avait une incapacité de l’Etat puisque le pays était déstructuré. Mais aujourd’hui, les juridictions sont opérationnelles et l’enquête est en train d’être achevée. Donc, l’intention existe. La capacité, également, existe. Maintenant, si la Cpi finit avant et émet des mandats, l’Etat de Côte d’Ivoire, en mon sens, devrait les exécuter.
La dernière position du chef de l’Etat sur ce sujet a été de dire qu’il préférait que pour les situations à venir, ce ne soit pas la Cpi mais les juridictions nationales qui fassent le travail.
Est-ce un rétropédalage ?
G.C. : Cela dépend de comment on conçoit les choses. Je vous ai indiqué que les premières réactions étaient liées à l’absence de compétences. Mais vous imaginez que si l’ex-chef d’Etat demeurait à Korhogo jusqu’à aujourd’hui et si, en tant que malade, il lui arrive un bobo, vous imaginez dans quelle situation on serait aujourd’hui ? En plus, les juridictions n’étaient pas opérationnelles. Aujourd’hui, les juridictions sont opérationnelles. Les juges ont été affectés au mois de novembre partout sur le territoire. Nous allons progressivement vers la fonctionnalité de toutes les maisons d’arrêt. Aujourd’hui, l’Etat de Côte d’Ivoire est capable d’assumer son rôle régalien de justice. On ne se délaisse pas avec joie de son pouvoir. On ne le fait que lorsqu’on n’a pas le choix. Vous ne pouvez pas être Chef d’un Etat et déléguer à d’autres les prérogatives qui sont les vôtres. C’est un sentiment qui ne peut pas faire plaisir. Et comme je l’ai dit, la compétence n’échoit à la Cpi, selon le traité de Rome, que si l’Etat n’a pas la volonté de faire des poursuites ou s’il y a une incapacité. Ce qui n’est pas le cas de la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire, aujourd’hui, réunit les conditions de faire ses procès sur l’espace ivoirien.
Vous voulez dire qu’on ne doit pas s’attendre à ce qu’une autre personne soit transférée à la Cpi ?
G.C. : Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit. J’ai dit : si la Cpi intervient avant la Côte d’Ivoire, cela peut se comprendre. Mais si la Côte d’Ivoire intervient, la Cpi n’aura plus à intervenir.
Venons-en aux conditions de détention des personnalités proches de l’ex-chef d’Etat. Beaucoup de rumeurs circulent : Jean Jacques Béchio qui serait mort…Michel Gbagbo également. Ces rumeurs ne s’expliquent-elles pas par un déficit de communication de votre part ?
G.C. : Ecoutez, ces personnes dont vous parlez ont des avocats. Vous le savez. Il ne faudrait pas que les journalistes se fient à des rumeurs. Michel Gbagbo n’est pas mort.
Il serait très malade…
G.C. : La maladie est une chose humaine. Que vous soyez en prison ou non, vous pouvez tomber malade. Ce n’est pas le fait d’être détenu qui justifie que vous soyez malade. Je vous ai signifié avant cette interview que je ne suis pas présentement en très bonne santé. Voyez : je suis malade quoiqu’en liberté. Disons qu’il est clair que la situation de détention ne saurait être comparée à la situation de liberté. Vous ne pouvez pas rêver quelle que soit le camp, quelque soit la personne que vous êtes, quels que soient les faits à vous reprochés, vous ne pouvez pas rêver être en détention et avoir les privilèges de la liberté. Cela se voit partout ailleurs même dans les pays réputés les plus respectueux des droits de l’Homme. On sait à peu près l’état des prisons. C’est la position normale d’un détenu que de ne pas être à l’aise.
La première privation, c’est aller et venir. Ça déjà, ça vous casse. Quand bien même, on vous aura couvert de bonne nourriture, de bonnes boissons, vous supporterez difficilement l’univers carcéral.
Mais dans le cas de Michel Gbagbo, sa situation s’est dégradée au point où il aurait été évacué à la Pisam. Vous confirmez cette information ?
G.C. : Vous convenez avec moi que si le gouvernement ne le voulait pas, Michel Gbagbo n’aurait jamais pu être interné à la Pisam. Parce que pour partir d’une maison d’arrêt à un hôpital, il faut que les autorités autorisent le déplacement. Et si les autorités l’autorisent, c’est parce qu’il n’est dans l’intention d’aucun responsable ivoirien de porter préjudice à l’intégrité physique de Michel Gbagbo. Vous êtes-vous interrogé sur comment il est venu ? Il n’est pas arrivé par la route.
Les prisonniers ont aussi des droits y compris celui de pouvoir bénéficier de soins…
G.C. : Ce sont ces droits qui sont respectés. Lorsque vous vous sentez mal, l’Etat a le droit de vous transférer dans un centre médical pour que vous y subissiez les soins que requiert votre état de santé. C’est ce que le gouvernement de Côte d’Ivoire a fait. Entendons-nous bien. Le gouvernement n’est pas tenu responsable du résultat que vous soyez guéri. Il s’agit ici de l’action des médecins en rapport avec votre organisme. Nous ne pouvons pas avoir comme devoir que Michel Gbagbo retrouve la santé de sa période de liberté. Le gouvernement a mis à la disposition du détenu les moyens de se faire soigner. Il a été transféré dans l’un des plus grands centres de santé de la place. Si sa santé arrivait à se détériorer- nous ne le souhaitons pas- que voudriez-vous que le gouvernement fasse ? Il nous dit : je veux être envoyé en France. Mais, il faut que médicalement cela soit établi.
Maintenant, s’il œuvre dans l’esprit pour que cela soit établi, le risque est grand entre l’exécution de cette volonté et le trépas. C’est dans l’esprit que cela se passe avant tout.
Parce que s’il ne souhaite pas guérir en Côte d’Ivoire, il ne guérira point peu importe les soins qui lui seront apportés. S’il se dit qu’en allant en France : en tant que Français, j’aurais échappé à une certaine situation, c’est un autre enjeu.
Concrètement, vous n’êtes pas prêt à l’évacuer sur la France tant que médicalement, il n’est pas prouvé qu’il doit être transféré ?
G.C. : Je pense que c’est la réaction responsable de tout gouvernement : que ce soit un acte médical qui justifie que vous soyez transféré parce que vous serez hors des frontières. Un détenu hors des frontières, voyez que l’image est délicate. D’abord, aucun médecin, certainement, n’acceptera que vous soyez surveillé et privé de votre liberté d’aller et venir.
Vous voyez qu’une fois là-bas, vous pouvez disparaître du jour au lendemain, les complicités seront trouvées partout, à toutes les échelles. Vous voyez par ailleurs, qu’il faut des moyens pour transférer un malade jusque là bas. Il faut que l’Etat s’assure avant de dépenser l’argent du contribuable qu’il est indispensable de transférer une personne en France. Il faut que l’Etat s’assure que celui qui doit être transféré est dans une situation qui demande, d’un point de vue médical, qu’on le transfère. C’est une expertise médicale qui l’établit. Je pense, connaissant le Président de la République, connaissant l’esprit du gouvernement, que s’il est établi aujourd’hui que Michel Gbagbo doit être transféré en France pour suivre des soins, je ne vois pas qui de tous ceux que j’ai nommés s’opposerait à ce que cela soit.
A la Pisam, son état de santé se stabilise-t-il ?
G.C. : Je ne lui ai pas rendu visite. J’arrive de Genève.
Vous comptez lui rendre visite ?
G.C. : Dès lors qu’il me sera donné la possibilité, j’irai le visiter comme je l’ai fait à Bouna.
M. le Ministre, vous démentez toutes les rumeurs de mauvais traitements sur l’ensemble des détenus pro-Gbagbo ?
G.C. : Moi, peut-être. Mais l’expert indépendant des nations unies, lui-même, l’a inscrit dans son rapport. Il les a visités. Ils sont bien traités. Ils reçoivent les visites de leurs parents.
Vous savez, la politique, c’est aussi cela. L’intox, le fait de colporter des informations erronées. C’est un combat permanent. Toutes ces personnes en détention provisoire ont des parents. Leurs parents connaissent les voies légales pour se faire entendre. Jusqu’à ce jour, personne ne m’a écrit pour me dire : mon parent détenu à tel endroit, sur la base de tel rapport médical, est dans tel état.
Vous avez rendu visite aux détenus de Bouna à la mi-juillet 2011. Depuis, vous n’êtes plus retourné dans le Nord ?
G.C. : Vous savez, on ne peut pas visiter toutes les prisons. Aux heures chaudes, je l’ai fait. Je vous indique que beaucoup ont été libérés, il n’y a pas autant de personnes que vous croyez. Tant à Odienné qu’à Boundiali. Seuls quelques-uns y sont. Il est clair qu’après six, sept mois d’absence de liberté, ces personnes, quand on sait les moyens, les possibilités qu’elles avaient, le luxe dans lequel elles se trouvaient, il est clair que le moral prend un coup, l’organisme également. Je souhaite s’il y a des problèmes ponctuels que nous en soyons informés pour que nous demandions au responsable des maisons d’arrêt institutionnel qui est le garde des sceaux, de faire en sorte que les choses se passent bien. Nous sommes prêts à aller constater avec l’Onuci, le Cicr, leurs conditions auxquelles les gens font allusion.
Je vous rappelle qu’il y avait une vidéo qui circulait sur les personnes détenues à Bouna. J’y suis allé. Ils m’ont dit : « ces choses, peut-être, ont pu se faire les premiers jours. Mais, nous ici, nous sommes bien. On a un bon commerce avec les gens qui nous gardent. On n’a pas de souci. C’est vrai, qu’on aurait aimé être en liberté ». Je les ai vus physiquement. Aucune trace de maltraitance. J’ai échangé avec Affi. J’ai échangé avec Michel Gbagbo qui m’a même dit que si c’était à recommencer, il recommencerait parce qu’il est bien le fils de Gbagbo. Il me dit : « je sais que vous avez peut-être raison de nous garder parce que certains ont été détenus ici, à notre temps. Mais vraiment, nous, on veut être libre ». Je les ai écoutés. Vous comprenez que faire toutes ces tournées régulièrement n’est pas chose évidente. Aller à Bouna, pour un membre du gouvernement, ce n’est pas évident. Il y a une longue distance à parcourir. Si je pars d’Abidjan un lundi, j’ai toutes les chances de ne pas assister aux deux conseils. Je ne serai là que vendredi. Vu l’état de la route, vu la distance.
Si on met un hélico de l’Onuci à ma disposition, je le fais en un jour. L’Etat n’a pas tous ces moyens. Mais l’Etat fait des efforts. Ils sont tous autant qu’ils sont visités par des médecins requis par le ministère de la Justice.
Laurent Gbagbo, lors de sa première comparution, le 5 décembre se disait satisfait des conditions de détention à La Haye. Il disait qu’elles étaient normales comparativement à Korhogo. N’était-ce pas déjà à l’époque un désaveu pour les autorités ivoiriennes ?
G.C. : Comme je le dis, les conditions de détention ne sauraient être le rêve d’une personne éprise de liberté. Je suis heureux que Laurent Gbagbo se sente plus à l’aise à la Cpi qu’à Korhogo. Parce que l’intention du gouvernement, ce n’était pas de nuire à Gbagbo. C’est de le faire juger. Si on peut le juger dans les conditions où il se sent lui-même à l’aise, c’est tant mieux ! On reconnaît que le gouvernement aurait pu dire : tu ne vas pas à la Cpi, tu restes à Korhogo. S’il lui arrivait quelque chose à Korhogo, ça aurait été dommageable : il a été chef d’Etat, président de ce pays. Je pense qu’il a le droit de s’exprimer sur les faits qu’on lui reproche. Je suis pour que quiconque est mis au ban des accusés ait la possibilité de se défendre. La présomption d’innocence est très importante, surtout pour nous les magistrats.
Il est important que Gbagbo ait la possibilité de dire ce qu’il a à dire par rapport à ce qu’on lui reproche. Qu’il se sente mieux à la Cpi, cela ne veut pas dire qu’à Korhogo, c’était le goulag.
Cela veut dire qu’à Korhogo, c’était moins bien. A La Haye, il se retrouve dans une prison construite pour de hautes personnalités à qui on reproche un certain nombre de crimes. Je suis heureux que Gbagbo soit dans de bonnes conditions. Il pourra préparer sa défense. Je pense que s’il n’a rien fait, il doit être reconnu non coupable. Ce ne sont que des présomptions ou des idées qui nous animent que de croire qu’il est le responsable de ce qui est arrivé.
Vous voyez un Laurent Gbagbo libre demain ?
G.C. : La condition, c’est qu’il soit établi que Laurent Gbagbo n’a rien fait. Ce n’est pas parce que je suis resté enfermé au Golf pendant des mois que je voudrais qu’il soit enfermé à vie à la Cpi. Ce sont des conjonctures de la vie. S’il est inscrit que vous devez passer par ici pour atteindre tel endroit, tant que vous ne prenez pas ce passage, vous n’arriverez pas. S’il n’a rien fait, je suis pour qu’il rentre en Côte d’Ivoire, qu’il vienne continuer d’animer la scène politique, et si les Ivoiriens lui refont confiance, il pourrait redevenir président. Je n’y vois pas d’inconvénient. Si les juges ne le reconnaissent pas coupable, je ne vois pas d’objection à ce qu’il soit remis en liberté et qu’on recherche alors, la personne qui serait coupable. Parce qu’il y en a forcément une.
Est-il exact que la Cpi vient d’émettre un mandat d’arrêt contre son épouse, Simone Gbagbo ?
G.C. : Je n’ai pas cette information. Je ne suis pas l’entité gouvernementale chargée de l’exécution des mandats d’arrêt. Mon souci est de savoir si Simone Gbagbo est bien traitée à Odienné.
Et elle est bien traitée ?
G.C. : En tout cas, aux dernières nouvelles, elle est bien traitée.
Réalisé par Kisselminan COULIBALY
M. le Ministre, les exactions des Frci sur les populations sont des faits récurrents. Vous convenez avec nous que les efforts du gouvernement sur le chapitre des droits de l’Homme restent insuffisants ?
Gnénema Coulibaly : On peut vous concéder cette appréciation sauf qu’il faut édulcorer l’évaluation que vous faites des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire, parce que toutes proportions gardées, dix années de non respect des droits de l’Homme, ne peuvent pas être effacées en si peu de temps. Nous comprenons l’attente de la population en matière des droits de l’Homme parce qu’une seule violation est une violation de trop. Vous conviendrez cependant avec moi que les droits de l’Homme, à la différence d’autres préoccupations, sont des idées. Les choses se passent dans la tête des citoyens. Alors, lorsque pendant dix ans, des personnes ont pris un type d’attitude, il n’est pas facile de les effacer en peu de temps.
Nous faisons un bilan semestriel. Cela fait quasiment huit (8) mois que nous sommes à la tête de ce département. En 8 mois, nous avons essayé avec les maigres moyens qui sont les nôtres, les idées qui sont les nôtres de faire en sorte que de moins en moins nous assistions à des exactions pas seulement de la part des Frci mais de la part de quiconque.
C’est pourquoi, chaque fois que nous avons eu connaissance d’un cas d’exaction, nous l’avons dénoncé au nom du gouvernement et en notre nom personnel. Nous ne tolérerons ni ne couvrirons aucune exaction des droits de l’Homme d’où qu’elle vienne et de qui elle vienne. Il reste qu’il faut comprendre qu’au 11 avril 2011, la situation de l’Etat de Côte d’Ivoire était celle que nous connaissons : complètement déstructurée avec une absence totale de forces régaliennes. L’Etat a consenti d’énormes efforts afin que de plus en plus la sécurité soit l’œuvre des gendarmes et des policiers de sorte que de moins en moins les Frci sont présentes sur le terrain. Beaucoup ont été replacés dans des entités militaires. Aujourd’hui, ceux qui, malheureusement, sont encore dans les rues ne sont pas toujours ce que nous croyons qu’ils sont parce qu’il reste des personnes non affiliées à des entités qui ont encore des armes, des treillis et qui, sous le couvert des Frci, commettent quelques exactions. Mais le gouvernement a mis en place des mesures notamment la mise en place de l’Unité de lutte contre le racket, l’Unité de lutte contre les coupeurs de route…
Il y a eu ces derniers jours des évènements à Yopougon et à Bonoua impliquant des Frci. La liste des exactions s’allonge et les populations sont enclines à se poser des questions sur l’efficacité des mesures dont vous parlez. Que dites-vous ?
G. C. : Il faut voir la situation sous les deux faces. Aujourd’hui, il reste encore des personnes en Côte d’Ivoire qui ne conçoivent pas que les Frci soient les forces de défense nationales.
Quand on n’a pas compris cela, il est clair que le commerce avec les gens de cette entité peut être un peu difficile. On constate que presque partout où il y a ces accrochages, l’on parle de départ des Frci. Mais c’est à elles qu’il incombe la surveillance du territoire dans le sens de toutes possibilités d’agressions extérieures. A chacun sa mission. Il faut respecter l’élément qui a une mission et qui n’est pas forcément dans votre localité pour le plaisir mais dans l’accomplissement de sa tâche. Si vous respectez l’élément dans sa mission, je crois qu’il saura raison garder. Souvent, il y a de la provocation. Nous n’excusons ni ne justifions ces actes. Mais disons que chacun doit œuvrer dans l’esprit d’éviter la confrontation surtout que beaucoup savent que ce ne sont pas tous les éléments des Frci qui ont été formés à la chose. Vous avez des personnes qui ont intégré l’armée à la suite des évènements que nous savons et qui restent à former. Si vous vous mettez dans une situation de provocation, il peut avoir des situations déplorables. Nous invitons les populations à faire un effort pour respecter les forces militaires dans l’accomplissement de leurs missions. Nous invitons également les forces militaires à respecter les citoyens.
Intéressons-nous au dernier rapport d’Amnesty international. L’organisation dit qu’il est temps pour les autorités ivoiriennes de coopérer pleinement avec la Cour pénale internationale notamment sur le dossier des tueries de Duékoué. Comment expliquez-vous cette absence de « pleine coopération » ?
G.C. : Cela n’engage qu’Amnesty. Je voudrais ne pas rentrer dans des débats, à mon sens, injustifiés. Mais, comment peut-on s’asseoir pour décréter qu’il n’y a pas de coopération ? Quelles sont les obligations de l’Etat en matière de coopération avec la Cpi ? Les obligations de l’Etat, c’est la possibilité offerte à la Cpi de faire ses enquêtes et de poursuivre les personnes qu’il faut. La Cpi a-t-elle aujourd’hui indiqué qu’elle a achevé des investigations à Duékoué et qu’elle a indexé telle personnalité qu’elle veut poursuivre et que l’Etat s’y est opposé ? Pas du tout ! Donc, Amnesty est libre de penser que les choses ne vont pas à la vitesse qu’elle souhaite. Toujours est-il qu’il s’agit de deux parties en face : la Côte d’Ivoire et la Cpi. La première partie, quand bien même elle n’ait pas encore ratifié le traité de Rome, a admis la Cpi sur son territoire. Ce, depuis Juin 2011. Et la Cpi vient régulièrement en Côte d’Ivoire. Il n’y a pas un seul mois où les enquêteurs ne viennent pas. Mais il faut que les enquêteurs terminent leurs investigations, indexent des personnes avant qu’on ne parle d’absence de coopération. Je viens de Genève. Là-bas, l’exemplarité de la coopération de la Côte d’Ivoire avec toutes les institutions et les instances internationales a été unanimement saluée. Il y a eu après le rapport de l’expert des nations unies Doudou Diène, dix-sept (17) Etats qui sont intervenus. Tous ont félicité l’exemplarité de la coopération de la Côte d’Ivoire avec les instances internationales jusqu’à la Chine, aux Etats-Unis, aux Maldives. Je conçois qu’Amnesty trouve que les choses vont lentement, je conçois dans le même temps que Human Rights Watch trouve que les choses vont trop vite. Et dans cette affaire de quel côté voudriez-vous que l’Etat se range ? Nous ne pouvons pas poursuivre quelqu’un sur la base d’un rapport d’Amnesty.
Dans son domaine, il semble qu’Amnesty est une grande organisation. Elle ne dit pas des choses en l’air…
G.C. : Les méthodes de travail des uns et des autres sont appréciées différemment. Ce sont des méthodes d’enquête qui restent contestables. Nous avons dit, à notre prise de fonction, que l’idéal est que les enquêtes soient menées dans la transparence. Vous ne pouvez pas venir en catimini dans un Etat, faire des investigations sans que les gens ne soient informés, sans quon n’ait la preuve des témoins que vous évoquez. Parce que vous savez, les témoins, ça se fabrique, ça se choisit. Est-ce que les identités qui sont dans les rapports d’Amnesty sont des identités avérées de personnes existantes capables de réaffirmer ce qu’elles ont dit ? C’est sur la base d’une juridiction interne, d’une instance interne avec les cartes d’identité des témoins, c’est sur cette base qu’on peut éventuellement faire des poursuites. Moi, je peux venir vous dire : « mon frère a été enterré dans un puits ». Est-ce que Amnesty, dans ce cas, aura eu la capacité d’aller déterrer des corps pour faire des expertises sur les causes de la mort, sur l’identité ? Comprenez que nous sommes dans un pays organisé avec des règles et que nous ne pouvons pas nous laisser émouvoir par des rapports d’organisations internationales qu’ils soient élogieux ou qu’ils soient défavorables.
L’un des principaux reproches qui vous sont faits, c’est que la plupart des arrestations, jusqu’ici, ont concerné des proches de l’ex-président Laurent Gbagbo. Comment vous l’expliquez ?
G.C. : Il y a bien des Frci qui ont été arrêtés. Allez-y à la Mama !
On ne parle pas des seconds couteaux. Des chefs militaires ont été cités dans les évènements de Duékoué par exemple…
G.C. : Ils ont été cités peut-être. Mais par des organisations internationales. C’est ce qui a fondé le gouvernement à mettre en place une Commission nationale d’enquête dont l’objectif est de mettre à la disposition des juridictions ivoiriennes les personnes qui auront été reconnues coupables de faits avérés. La Commission nationale d’enquête est train de travailler. Elle dit qu’elle rend son rapport d’ici à la fin mars. Une autre organisation internationale non moins sérieuse dit : c’est trop tôt. Il faut que vous continuiez les enquêtes alors que cette même organisation avait déjà mis en cause des personnes à un moment donné. Ce que j’essaie de vous faire comprendre, c’est que les organisations internationales ont des réactions qui divergent et qui ne sont pas forcément faciles à gérer par les dirigeants des Etats. Si on veut se plier à la volonté d’une Organisation, on se retrouve face à l’adversité d’une autre. Pour en revenir aux poursuites. Aucune autorité civile, aucune autorité militaire, d’aucun camp que ce soit, n’a été poursuivie pour des faits de violation des droits de l’Homme. L’option de la Côte d’Ivoire, à la fin de la crise, avait été de ne pas poursuivre les crimes de sang liés aux droits de l’Homme. Mais des militaires appartenant à un camp ont pu être arrêtés soit pour tentative de coup d’Etat, soit pour violations de consignes. On n’est pas encore dans les poursuites pour violations des droits de l’Homme quoique ce soient des conséquences de leurs attitudes. Les civils qui sont poursuivis ou qui font l’objet d’inculpation le sont dans le cadre d’atteinte à l’économie nationale. Ce ne sont pas des cas de violations des droits de l’Homme. Alors, ce dont il s’agit de la part des Ong et des organisations internationales, ce sont des cas de violations des droits de l’Homme. Or la Côte d’Ivoire dit : nous voulons poursuivre tout le monde quel que soit le bord. Mais nous souhaitons que ce soit des experts ivoiriens qui établissent les faits et les relient à des personnes. Cette instance, c’est la Commission nationale d’enquête. Cette Commission d’enquête n’ayant pas encore fourni son rapport, on ne saurait dire qu’il y a refus de poursuivre telle ou telle personne encore moins une volonté de ne pas poursuivre. Il faut le rapport.
Et quand est-ce que ce rapport sera disponible ?
G.C. : Personnellement, je l’ai souhaité le plus tôt possible. C’est pour cela que j’avais proposé au gouvernement un délai de six mois. Les six sont bientôt finis. Au moment où on se prépare, certains disent : c’est trop tôt. Nous ne travaillons pas suivant tout cela. Nous disons à la Commission : si vous avez fini le rapport, rendez-le. Le Président, en tant que chef suprême de la magistrature, en est le premier destinataire. Il pourra instruire le parquet, à travers le garde des sceaux, pour que les poursuites soient ouvertes contre tous ceux qui auront été identifiés comme auteurs.
Vous parlez là de justice nationale à travers la Commission d’enquête. Qu’adviendrait-il si des personnes notamment du camp Ouattara étaient inculpées par la Cpi ?
G.C. : Le Président (Alassane Ouattara) a toujours affiché sa volonté de ne protéger personne. Je ne suis pas le garde des sceaux. Mais, je ne crois pas que le Président qui a une sainte horreur de la violation des droits de l’Homme, s’il est avéré qu’une personne est auteur de faits criminels en matière de droits de l’Homme, puisse s’opposer à sa comparution. Il a déjà affirmé que quiconque sera indexé répondra devant la justice.
Seulement, la subsidiarité de la Cpi fait qu’il faut une absence de poursuite nationale. La Cpi n’est compétente que lorsqu’il y a une absence de volonté de l’Etat ou qu’il y a une incapacité de l’Etat, c’est-à-dire que les structures compétentes n’existent pas. Au moment où le premier transfèrement se faisait, il y avait une incapacité de l’Etat puisque le pays était déstructuré. Mais aujourd’hui, les juridictions sont opérationnelles et l’enquête est en train d’être achevée. Donc, l’intention existe. La capacité, également, existe. Maintenant, si la Cpi finit avant et émet des mandats, l’Etat de Côte d’Ivoire, en mon sens, devrait les exécuter.
La dernière position du chef de l’Etat sur ce sujet a été de dire qu’il préférait que pour les situations à venir, ce ne soit pas la Cpi mais les juridictions nationales qui fassent le travail.
Est-ce un rétropédalage ?
G.C. : Cela dépend de comment on conçoit les choses. Je vous ai indiqué que les premières réactions étaient liées à l’absence de compétences. Mais vous imaginez que si l’ex-chef d’Etat demeurait à Korhogo jusqu’à aujourd’hui et si, en tant que malade, il lui arrive un bobo, vous imaginez dans quelle situation on serait aujourd’hui ? En plus, les juridictions n’étaient pas opérationnelles. Aujourd’hui, les juridictions sont opérationnelles. Les juges ont été affectés au mois de novembre partout sur le territoire. Nous allons progressivement vers la fonctionnalité de toutes les maisons d’arrêt. Aujourd’hui, l’Etat de Côte d’Ivoire est capable d’assumer son rôle régalien de justice. On ne se délaisse pas avec joie de son pouvoir. On ne le fait que lorsqu’on n’a pas le choix. Vous ne pouvez pas être Chef d’un Etat et déléguer à d’autres les prérogatives qui sont les vôtres. C’est un sentiment qui ne peut pas faire plaisir. Et comme je l’ai dit, la compétence n’échoit à la Cpi, selon le traité de Rome, que si l’Etat n’a pas la volonté de faire des poursuites ou s’il y a une incapacité. Ce qui n’est pas le cas de la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire, aujourd’hui, réunit les conditions de faire ses procès sur l’espace ivoirien.
Vous voulez dire qu’on ne doit pas s’attendre à ce qu’une autre personne soit transférée à la Cpi ?
G.C. : Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit. J’ai dit : si la Cpi intervient avant la Côte d’Ivoire, cela peut se comprendre. Mais si la Côte d’Ivoire intervient, la Cpi n’aura plus à intervenir.
Venons-en aux conditions de détention des personnalités proches de l’ex-chef d’Etat. Beaucoup de rumeurs circulent : Jean Jacques Béchio qui serait mort…Michel Gbagbo également. Ces rumeurs ne s’expliquent-elles pas par un déficit de communication de votre part ?
G.C. : Ecoutez, ces personnes dont vous parlez ont des avocats. Vous le savez. Il ne faudrait pas que les journalistes se fient à des rumeurs. Michel Gbagbo n’est pas mort.
Il serait très malade…
G.C. : La maladie est une chose humaine. Que vous soyez en prison ou non, vous pouvez tomber malade. Ce n’est pas le fait d’être détenu qui justifie que vous soyez malade. Je vous ai signifié avant cette interview que je ne suis pas présentement en très bonne santé. Voyez : je suis malade quoiqu’en liberté. Disons qu’il est clair que la situation de détention ne saurait être comparée à la situation de liberté. Vous ne pouvez pas rêver quelle que soit le camp, quelque soit la personne que vous êtes, quels que soient les faits à vous reprochés, vous ne pouvez pas rêver être en détention et avoir les privilèges de la liberté. Cela se voit partout ailleurs même dans les pays réputés les plus respectueux des droits de l’Homme. On sait à peu près l’état des prisons. C’est la position normale d’un détenu que de ne pas être à l’aise.
La première privation, c’est aller et venir. Ça déjà, ça vous casse. Quand bien même, on vous aura couvert de bonne nourriture, de bonnes boissons, vous supporterez difficilement l’univers carcéral.
Mais dans le cas de Michel Gbagbo, sa situation s’est dégradée au point où il aurait été évacué à la Pisam. Vous confirmez cette information ?
G.C. : Vous convenez avec moi que si le gouvernement ne le voulait pas, Michel Gbagbo n’aurait jamais pu être interné à la Pisam. Parce que pour partir d’une maison d’arrêt à un hôpital, il faut que les autorités autorisent le déplacement. Et si les autorités l’autorisent, c’est parce qu’il n’est dans l’intention d’aucun responsable ivoirien de porter préjudice à l’intégrité physique de Michel Gbagbo. Vous êtes-vous interrogé sur comment il est venu ? Il n’est pas arrivé par la route.
Les prisonniers ont aussi des droits y compris celui de pouvoir bénéficier de soins…
G.C. : Ce sont ces droits qui sont respectés. Lorsque vous vous sentez mal, l’Etat a le droit de vous transférer dans un centre médical pour que vous y subissiez les soins que requiert votre état de santé. C’est ce que le gouvernement de Côte d’Ivoire a fait. Entendons-nous bien. Le gouvernement n’est pas tenu responsable du résultat que vous soyez guéri. Il s’agit ici de l’action des médecins en rapport avec votre organisme. Nous ne pouvons pas avoir comme devoir que Michel Gbagbo retrouve la santé de sa période de liberté. Le gouvernement a mis à la disposition du détenu les moyens de se faire soigner. Il a été transféré dans l’un des plus grands centres de santé de la place. Si sa santé arrivait à se détériorer- nous ne le souhaitons pas- que voudriez-vous que le gouvernement fasse ? Il nous dit : je veux être envoyé en France. Mais, il faut que médicalement cela soit établi.
Maintenant, s’il œuvre dans l’esprit pour que cela soit établi, le risque est grand entre l’exécution de cette volonté et le trépas. C’est dans l’esprit que cela se passe avant tout.
Parce que s’il ne souhaite pas guérir en Côte d’Ivoire, il ne guérira point peu importe les soins qui lui seront apportés. S’il se dit qu’en allant en France : en tant que Français, j’aurais échappé à une certaine situation, c’est un autre enjeu.
Concrètement, vous n’êtes pas prêt à l’évacuer sur la France tant que médicalement, il n’est pas prouvé qu’il doit être transféré ?
G.C. : Je pense que c’est la réaction responsable de tout gouvernement : que ce soit un acte médical qui justifie que vous soyez transféré parce que vous serez hors des frontières. Un détenu hors des frontières, voyez que l’image est délicate. D’abord, aucun médecin, certainement, n’acceptera que vous soyez surveillé et privé de votre liberté d’aller et venir.
Vous voyez qu’une fois là-bas, vous pouvez disparaître du jour au lendemain, les complicités seront trouvées partout, à toutes les échelles. Vous voyez par ailleurs, qu’il faut des moyens pour transférer un malade jusque là bas. Il faut que l’Etat s’assure avant de dépenser l’argent du contribuable qu’il est indispensable de transférer une personne en France. Il faut que l’Etat s’assure que celui qui doit être transféré est dans une situation qui demande, d’un point de vue médical, qu’on le transfère. C’est une expertise médicale qui l’établit. Je pense, connaissant le Président de la République, connaissant l’esprit du gouvernement, que s’il est établi aujourd’hui que Michel Gbagbo doit être transféré en France pour suivre des soins, je ne vois pas qui de tous ceux que j’ai nommés s’opposerait à ce que cela soit.
A la Pisam, son état de santé se stabilise-t-il ?
G.C. : Je ne lui ai pas rendu visite. J’arrive de Genève.
Vous comptez lui rendre visite ?
G.C. : Dès lors qu’il me sera donné la possibilité, j’irai le visiter comme je l’ai fait à Bouna.
M. le Ministre, vous démentez toutes les rumeurs de mauvais traitements sur l’ensemble des détenus pro-Gbagbo ?
G.C. : Moi, peut-être. Mais l’expert indépendant des nations unies, lui-même, l’a inscrit dans son rapport. Il les a visités. Ils sont bien traités. Ils reçoivent les visites de leurs parents.
Vous savez, la politique, c’est aussi cela. L’intox, le fait de colporter des informations erronées. C’est un combat permanent. Toutes ces personnes en détention provisoire ont des parents. Leurs parents connaissent les voies légales pour se faire entendre. Jusqu’à ce jour, personne ne m’a écrit pour me dire : mon parent détenu à tel endroit, sur la base de tel rapport médical, est dans tel état.
Vous avez rendu visite aux détenus de Bouna à la mi-juillet 2011. Depuis, vous n’êtes plus retourné dans le Nord ?
G.C. : Vous savez, on ne peut pas visiter toutes les prisons. Aux heures chaudes, je l’ai fait. Je vous indique que beaucoup ont été libérés, il n’y a pas autant de personnes que vous croyez. Tant à Odienné qu’à Boundiali. Seuls quelques-uns y sont. Il est clair qu’après six, sept mois d’absence de liberté, ces personnes, quand on sait les moyens, les possibilités qu’elles avaient, le luxe dans lequel elles se trouvaient, il est clair que le moral prend un coup, l’organisme également. Je souhaite s’il y a des problèmes ponctuels que nous en soyons informés pour que nous demandions au responsable des maisons d’arrêt institutionnel qui est le garde des sceaux, de faire en sorte que les choses se passent bien. Nous sommes prêts à aller constater avec l’Onuci, le Cicr, leurs conditions auxquelles les gens font allusion.
Je vous rappelle qu’il y avait une vidéo qui circulait sur les personnes détenues à Bouna. J’y suis allé. Ils m’ont dit : « ces choses, peut-être, ont pu se faire les premiers jours. Mais, nous ici, nous sommes bien. On a un bon commerce avec les gens qui nous gardent. On n’a pas de souci. C’est vrai, qu’on aurait aimé être en liberté ». Je les ai vus physiquement. Aucune trace de maltraitance. J’ai échangé avec Affi. J’ai échangé avec Michel Gbagbo qui m’a même dit que si c’était à recommencer, il recommencerait parce qu’il est bien le fils de Gbagbo. Il me dit : « je sais que vous avez peut-être raison de nous garder parce que certains ont été détenus ici, à notre temps. Mais vraiment, nous, on veut être libre ». Je les ai écoutés. Vous comprenez que faire toutes ces tournées régulièrement n’est pas chose évidente. Aller à Bouna, pour un membre du gouvernement, ce n’est pas évident. Il y a une longue distance à parcourir. Si je pars d’Abidjan un lundi, j’ai toutes les chances de ne pas assister aux deux conseils. Je ne serai là que vendredi. Vu l’état de la route, vu la distance.
Si on met un hélico de l’Onuci à ma disposition, je le fais en un jour. L’Etat n’a pas tous ces moyens. Mais l’Etat fait des efforts. Ils sont tous autant qu’ils sont visités par des médecins requis par le ministère de la Justice.
Laurent Gbagbo, lors de sa première comparution, le 5 décembre se disait satisfait des conditions de détention à La Haye. Il disait qu’elles étaient normales comparativement à Korhogo. N’était-ce pas déjà à l’époque un désaveu pour les autorités ivoiriennes ?
G.C. : Comme je le dis, les conditions de détention ne sauraient être le rêve d’une personne éprise de liberté. Je suis heureux que Laurent Gbagbo se sente plus à l’aise à la Cpi qu’à Korhogo. Parce que l’intention du gouvernement, ce n’était pas de nuire à Gbagbo. C’est de le faire juger. Si on peut le juger dans les conditions où il se sent lui-même à l’aise, c’est tant mieux ! On reconnaît que le gouvernement aurait pu dire : tu ne vas pas à la Cpi, tu restes à Korhogo. S’il lui arrivait quelque chose à Korhogo, ça aurait été dommageable : il a été chef d’Etat, président de ce pays. Je pense qu’il a le droit de s’exprimer sur les faits qu’on lui reproche. Je suis pour que quiconque est mis au ban des accusés ait la possibilité de se défendre. La présomption d’innocence est très importante, surtout pour nous les magistrats.
Il est important que Gbagbo ait la possibilité de dire ce qu’il a à dire par rapport à ce qu’on lui reproche. Qu’il se sente mieux à la Cpi, cela ne veut pas dire qu’à Korhogo, c’était le goulag.
Cela veut dire qu’à Korhogo, c’était moins bien. A La Haye, il se retrouve dans une prison construite pour de hautes personnalités à qui on reproche un certain nombre de crimes. Je suis heureux que Gbagbo soit dans de bonnes conditions. Il pourra préparer sa défense. Je pense que s’il n’a rien fait, il doit être reconnu non coupable. Ce ne sont que des présomptions ou des idées qui nous animent que de croire qu’il est le responsable de ce qui est arrivé.
Vous voyez un Laurent Gbagbo libre demain ?
G.C. : La condition, c’est qu’il soit établi que Laurent Gbagbo n’a rien fait. Ce n’est pas parce que je suis resté enfermé au Golf pendant des mois que je voudrais qu’il soit enfermé à vie à la Cpi. Ce sont des conjonctures de la vie. S’il est inscrit que vous devez passer par ici pour atteindre tel endroit, tant que vous ne prenez pas ce passage, vous n’arriverez pas. S’il n’a rien fait, je suis pour qu’il rentre en Côte d’Ivoire, qu’il vienne continuer d’animer la scène politique, et si les Ivoiriens lui refont confiance, il pourrait redevenir président. Je n’y vois pas d’inconvénient. Si les juges ne le reconnaissent pas coupable, je ne vois pas d’objection à ce qu’il soit remis en liberté et qu’on recherche alors, la personne qui serait coupable. Parce qu’il y en a forcément une.
Est-il exact que la Cpi vient d’émettre un mandat d’arrêt contre son épouse, Simone Gbagbo ?
G.C. : Je n’ai pas cette information. Je ne suis pas l’entité gouvernementale chargée de l’exécution des mandats d’arrêt. Mon souci est de savoir si Simone Gbagbo est bien traitée à Odienné.
Et elle est bien traitée ?
G.C. : En tout cas, aux dernières nouvelles, elle est bien traitée.
Réalisé par Kisselminan COULIBALY