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Économie Publié le mercredi 6 juin 2012 | Le Patriote

Reportage /Manque d’infrastructures, insécurité, analphabétisation : Kong, une cité en marge du développement

Kong est une sous-préfecture située à plus de 100 km de Ferkessédougou, chef-lieu de département. La ville natale du président de la République, Alassane Ouattara a été érigée en sous-préfecture depuis 1961. La ville, pour l’instant, n’a pas encore subi de véritables changements. Le patriote a fait une incursion dans cette ville historique de la Côte d’Ivoire. Reportage.

Le samedi 7 mai 2012. Il est exactement 8 h 30 lorsque nous mettons pied à Kong. Ce jour-là, le PNRRC (Programme national de réinsertion et de réhabilitation communautaire) procédait à la remise de kits d’installation à des ex-combattants. Ces derniers ayant choisi d’embrasser la profession de boucher, ils ont reçu de Daniel Kossomina Ouattara et de son équipe, du matériel moderne requis pour la boucherie moderne. Terre des ancêtres du président de la République, la cité de Kong a connu une ambiance de fête. Des moments de joie et de gaieté éphémères partagés avec faste par cette population à majorité paysanne qui attend des lendemains meilleurs depuis la présidentielle de novembre 2010. Une élection qui a vu l’accession au pouvoir d’Etat de son fils prodige. Malheureusement, Kong semble ne pas bénéficier de cet état de fait. Disons pour le moment. Car la ville détruite au XIXe siècle par Samory Touré avant son passage sous le contrôle colonial français en 1898 n’a pas changé. Mais Kong peut être fière de sa montée. Une ?uvre architecturale qui accueille le visiteur à bras ouvert.

La mosquée, fierté d’une cité

Il est vrai que la ville de Kong n’a pas enregistré de changement notable depuis belle lurette. Vaste de 11.000 km, Kong est de loin la plus vaste sous-préfecture de la Côte d’Ivoire depuis 1961. Avec ses 55.000 habitants, la terre des ancêtres du président de la République n’a jamais été au centre des préoccupations des différents tenants du pouvoir après la mort du père de la Nation, Félix Houphouët-Boigny. Cette cité qui se confond donc à Alassane Ouattara va être alors reléguée aux oubliettes, vouée aux gémonies tout simplement parce que son fils ambitionnait à juste titre d’ailleurs, de briguer la magistrature suprême de son pays. Mais qu’à cela ne tienne. Cette ville mythique peut être fière de sa mosquée. Cet édifice construit en 1800 et seul susceptible aujourd’hui d’attirer le visiteur dans cette localité enclavée. Bâtie sur un terrain qui abritait autrefois une forêt sacrée, la mosquée de Kong dont la paternité ne cesse d’alimenter des polémiques a aiguisé notre curiosité lors de notre passage. La construction de cette bâtisse a été attribuée à l'Almamy Samory Touré, fondateur de l’empire Wassoulou en 1878. «Faux!», rétorque avec fermeté Konaté Bafétégué Mory. Pour l’actuel gestionnaire du monument religieux et contrairement à ce qui a été dit et écrit dans les livres, la mosquée n’a pas été construite par Samory Touré. Au contraire, révèle-t-il, le Fama a plutôt détruit ce lieu saint. «Samory Touré n’a pas construit de mosquée à Kong. La mosquée de Kong a été construite 143 ans avant l’arrivée de Samory dans la vielle. Les gens parlent de ce qu’ils ne savent pas. Au contraire Samory est venu détruire la mosquée de Kong. Il n’a jamais séjourné à Kong. Comment peut-il construire la mosquée», s’interroge-t-il. Allant plus loin dans sa volonté de faire éclater la vérité, il affirme que la construction de la mosquée porte la marque de Konaté Bassinan Sarassina, son grand-père. «Allez-y dire partout que Samory n’a pas construit de mosquée à Kong. La mosquée a été construite par les Konaté. Demandez aux Ouattara qui sont les propriétaires de Kong, ils vous diront la même chose», insiste Konaté Bafétégué. Une assertion qui appelle une autre idée : celle de l’islamisation de Kong par Samory Touré. «Par le passé, si vous évoquiez le nom de Samory Touré, ici, à Kong, vous vous livrez à la vindicte populaire. Tout ce qui est écrit dans les livres sur Samory Touré à Kong peut être vrai sauf la construction de la mosquée. Nous pratiquions l’islam bien avant son arrivée», soutient le petit-fils de Konaté Bassinan. Véritable fierté de Kong, la mosquée a une autre particularité. Son accès n’est pas autorisé à tout le monde. Surtout aux enfants et aux personnes encore en âge d’enfanter. Son entretien est ainsi dévolu aux vieilles personnes. Raison évoquée par le gestionnaire, Konaté Mory: «C’est une mosquée qui n’est pas comme les autres. Les éléments qui sont à la grande mosquée de la Mecque où se font les pèlerinages sont également ici. Une femme ‘’indisposée’’ ne rentre pas dans cette mosquée. Pour éviter que des femmes enfreignent à cette mesure, l’accès est purement et simplement interdit aux femmes qui voient encore menstrues. Seules les femmes ménopausées y ont accès.»

Une ville sous forte influence islamique

On le sait, Kong est une ville islamique de référence en Côte d’ivoire. La pratique de la religion du prophète Mohamed a une incidence sur le taux de scolarisation. Les parents préfèrent envoyer leurs enfants à l’école coranique plutôt qu’à l’école française. Avec pour conséquence, un taux d’analphabétisme très élevé. Selon Issiaka Ouattara, le principal du collège Dominique Ouattara, le taux d’analphabétisme dans la sous-préfecture de Kong s’élève à 83 %. «Les parents ne mettent pas les enfants à l’école. Ils préfèrent plutôt les inscrire à l’école coranique», regrette-t-il. Malgré la sensibilisation, poursuit-il, le taux de scolarisation reste en deçà des résultats escomptés. Un record détenu par les filles (2 filles sur 10 sont inscrites à l’école) en dépit des multiples campagnes de sensibilisation en faveur de la scolarisation de la petite fille. Mais loin de baisser la garde, l’enseignant a semblé avoir trouvé la parade pour intéresser la jeune fille. Avec le concours de certains cadres notamment le député Ibrahim Ouattara, des actions incitatives sont envisagées dans le seul et unique but d’accroître le taux de scolarisation des filles dans la localité. «Nous allons, avec le concours du ministre des Affaires présidentielles Ibrahim Ouattara, organiser des campagnes pour inciter les parents à inscrire les filles à l’école», explique-t-il. Tout en reconnaissant la difficulté de sa mission, il croit fermement en une évolution avec l’implication des cadres et fils de la région. «Cela ne sera pas du tout facile de convaincre les parents à inscrire leurs enfants à l’école. Mais je pense qu’avec l’implication des cadres, les choses iront mieux», espère le principal du collège moderne Dominique Ouattara. Car, il faut l’avouer, le désintérêt pour l’école française a entraîner le phénomène des talibés issus de la prolifération des écoles coraniques. Aujourd’hui, il n’est pas rare de rencontrer à chaque coin de rue de la ville, ces élèves des écoles coraniques qui se livrent à la mendicité pour avoir la pitance quotidienne. Ils rodent généralement autour des lieux de restauration au grand dam du visiteur et de l’étranger. «Ils sont nombreux chez leur maître qui n’a pas la capacité financière d’assurer leur pitance quotidienne. Ils sont donc obligés de mendier pour manger», explique Bema Sanogo un gérant de kiosque à café. «Le phénomène des talibés est très développé ici à Kong. Il y a beaucoup d’écoles coraniques dans la ville avec pour conséquence, un nombre important d’enfants livrés à eux. Il errent dans la ville à la recherche de nourriture», renchérit un gendarme sous le couvert de l’anonymat. Le phénomène ne manque pas de surprendre le visiteur qui foule, pour la première fois, le sol de cette ville historique. «Il est temps de mettre fin à ce phénomène des talibés. Ils sont partout, ils vous abordent de partout. On ne peut même plus être à l’aise dans les lieux de restauration», dénonce une habitante de la ville. Mais en optant pour une alphabétisation accrue des enfants et surtout de la frange féminine, la ville pourrait amorcer un début de développement et de modernisation. Car dire que Kong est en marge du développement est un euphémisme.

Un manque criard
d’infrastructures

Elles sont de tous genres. Kong n’a rien de cité présidentielle. Accéder à cette localité relève d’un véritable parcours du combattant. Ne dit-on pas que la route précède le développement ? Kong est en effet le vrai reflet de cette assertion. Enclavée à souhait, la ville est difficile d’accès. Les routes où que dis-je, les pistes reliant Kong aux autres localités du département sont quasiment impraticables. L’agriculture, principale culture de rente, en pâtit énormément. Les paysans éprouvent d’énormes difficultés à écouler les différentes récoltes. La cité est peu fréquentée. Les habitants s’en plaignent. «Notre véritable problème demeure la route. On est enclavé. Si le président de la République peut régler ce problème le plutôt possible, on sera très heureux», avance Ouattara Ladji, étudiant de son état. La preuve patente est le tronçon Ferké-Kong. Long d’une centaine de kilomètres, on y passe aisément trois heures d’horloge. «Entre Ferké et Kong, on met plus de 3 heures de temps pour seulement une distance de 100 km. Pour une distance qui ne vaut même pas Abidjan-Bouaké, on met autant d’heures. C’est difficile à supporter», regrette Koné Aly, fonctionnaire en poste dans la région. Ce dernier explique qu’ils sont nombreux, les fonctionnaires qui, affectés à Kong, se montrent parfois réticents. «Dès que vous arrivez ici, vous êtes dépaysés pendant longtemps. Il n’y a rien dans la ville. Il n’y a pas de boulangerie. Le pain nous vient de Ferké. Certains fonctionnaires, par manque de commodités, prient Dieu pour ne pas être affectés ici», ajoute-t-il. Une situation déplorable qui affecte énormément l’activité économique. A côté du manque d’infrastructures, il faut également noter l’insuffisance de structures sanitaires. Le seul centre de santé urbain de la ville ne répond plus aux normes.

Une insécurité
imposée par les
ex-combattants

La capacité d’accueil est minime par rapport au nombre de malades. Pis, il fonctionne au ralenti avec un seul médecin chef. Ce qui n’est pas sans incident pour les malades. Ces derniers qui pensent trouver un lieu et des remèdes à leurs maux sont désabusés. D’où le souhait émis par les Kongas de voir ce centre urbain érigé en hôpital général avec tout ce que cela comporte. «Mon souhait le plus ardent, c’est l’érection du centre de santé en hôpital général avec tous les services. Nous ne sommes pas en mesure de travailler comme il se doit faute de matériel adéquat», précise Kouadio Augustin, Directeur départemental de la Santé de Ferké. Pour sa part, le médecin du centre urbain de Kong fait à un plaidoyer. «Ce n’est pas facile de faire fonctionner un centre de santé urbain avec un seul médecin. On doit étoffer le personnel soignant pour plus d’efficacité», souhaite Docteur Diabaté Drissa. Par ailleurs, le praticien évoque le manque d’équipement et de médicaments dans le centre. Sans oublier la seule ambulance, actuellement sur cale.
A l’instar des autres localités du Nord, Kong est confronté à un sérieux problème d’insécurité. Les coupeurs de route et autres malfrats y règnent en maîtres. Il ne se passe de jour sans que des attaques ne soient signalées sur les routes et les pistes villageoises. Des coupeurs de route n’hésitent à pas à opérer en pleine journée avec des armes de guerre. Semant ainsi la terreur au sein d’une population essentiellement paysanne. Ce qui fait dire à bon nombre de personnes que les malfrats sont pour la plupart des jeunes ex-combattants, originaires de la région. Une assertion que confirme, d’ailleurs, Vassiriki Traoré, le préfet de département de Ferké. «80% des coupeurs de routes sont des ex-combattants. Ce sont des jeunes de la région. Nous avons plus de 400 jeunes démobilisés non encore réinsérés», révèle l’administrateur. Ce dernier estime que, seule «leur réinsertion» mettra fin à l’insécurité dans la zone. «Il faut très vite réinsérer ces jeunes gens pendant qu’il est encore temps. Des gens qui se sont familiarisés au maniement des armes, après les avoir démobilisés, il faut aussitôt les occuper», prévient-il. Une position partagée par Daniel Ouattara, Coordonnateur national du PNRRC, structure en charge de la réinsertion des ex-combattants. Il explique que sa structure est freinée dans sa mission par le manque de moyens financiers. «Nous avons un nombre important de jeunes encore à réinsérer, mais nous n’avons pas les moyens conséquents pour accomplir cette tâche. La réinsertion ne doit pas trainer car seule une réinsertion réussie va ramener une sécurité totale sur toute l’étendue du territoire», ajoute-t-il. Pour lui, il faut mettre fin au discours et passer aux actes: «C’est sur le terrain que ça se passe. Nous au PNRRC, c’est ce que nous faisons. Nous sommes sur le terrain au péril de notre vie pour accomplir notre mission.» Mais en attendant que l’Etat décaisse les fonds nécessaires à l’exécution de cette mission si capitale en cette période post-crise, les ex-combattants reconvertis en bandits de grand chemin font la loi. Sous le regard impuissant des forces républicaines, déployées dans la région et dépourvues de moyens adéquats pour jouer leur rôle régalien. «Souvent, quand ils vous braquent, ils vous disent d’aller dire au président de la République de leur donner leur argent si on veut être en paix», relate un gendarme sous le couvert de l’anonymat.
Zana Coulibaly

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