On peut légitimement affirmer sans risque de trahir la certitude des observateurs les plus sceptiques que depuis le 11 Avril 2011, date de mise en hibernation profonde du concept brumeux de la «refondation», un grand virage qualitatif est en train de s’opérer en Côte d’Ivoire. Virage qualitatif qui se justifie d’abord par le rêve désormais permis au peuple ivoirien de voir à l’horizon 2020, leur pays hissé au rang de nation émergente. Plus qu’un rêve, « Côte d’Ivoire 2020 » est une ambition à réalisation vérifiable, longuement nourrie par le Président Ouattara avant son accession au pouvoir. Et telle qu’elle est proclamée aujourd’hui, l’ambition d’Alassane Ouattara pour la Côte d’Ivoire sonne comme la promesse d’un homme qui, au tournant de son combat pour la liberté et l’égalité citoyenne, veut laisser de son passage à la tête de l’Etat, la marque de sa passion, pour notre pays, une passion raisonnée qu’il désire transmettre à l’ensemble de ses concitoyens. En affichant clairement sa volonté d’élever la Côte d’Ivoire au rang de nation émergente à l’horizon 2020, Alassane Ouattara fixe un cap, avec une visibilité suffisante sur le futur. Il sort ainsi de la vision instrumentale classique de l’action politique, faite souvent de mesures aux buts trop implicites qui ne favorisent pas leur ancrage dans la réalité sociale. En effet, pour la première fois en Côte d’Ivoire, on peut vivre et travailler en imaginant notre mieux être dans un horizon précis. Ce qui devrait déjà tenir lieu de source de motivation et de mobilisation pour l’ensemble des ivoiriens et plus particulièrement pour les partisans du Chef de l’Etat. Mais qu’en est-il exactement un an après l’annonce de ce grand défi ? Ici, la question est de savoir si la passion et la détermination affichées du Président Ouattara à elles seules suffiront pour atteindre l’objectif visé. Plus spécifiquement, il s’agit de comprendre dans quel esprit les ivoiriens ont pu d’abord appréhender le pari du Président de la République, et quelle sera ensuite leur part de sacrifice, c`est-à-dire leur capacité à se transcender pour traduire ce pari dans une réalité palpable et vécue ?
DES IVOIRIENS ENTRE SCEPTICISME, REJET ET IGNORANCE
Certains regards critiques pensent que l’ambition du Président Ouattara est certes noble, mais présente quelques insuffisances peut-être difficiles à surmonter. Ils trouvent, par exemple, que les acquis scientifiques et technologiques de notre pays, de même que ses potentialités économiques, sociales et culturelles sont d’un niveau trop faible pour permettre d’obtenir en si peu de temps, les résultats escomptés. Au plan psychologique, ils estiment que les contours de l’ambition du Président de la République ne sont pas encore bien cernés par les populations. De telle sorte qu’on n’arrive pas à mobiliser spontanément autour d’elle, les énergies capables de la porter vers sa réalisation pleine et entière. Sans doute ont-ils raison.
D’autres observateurs encore plus sceptiques, plutôt proches de l’ancien régime, se disent convaincus que le pari de Ouattara est une duperie. Ils croient, moins par lucidité intellectuelle que par haine viscérale pour l’homme Ouattara, que c’est un vœu pieu, un simple slogan de campagne sans lendemain, qui mourra de sa belle mort à l’épreuve du temps. Et pour qu’il en soit ainsi, ils sont visiblement prêts à tout tenter qui soit humainement possible pour empêcher l’enracinement du projet de leur pire ennemi. Car pour ces politicards à deux sous, l’exercice du pouvoir n’a d’autre but que de servir de source à l’enrichissement illicite et à l’ascension sociale de parents et amis. Ce qui explique leur grande propension à exclure systématiquement de la sphère politique et économique, tous ceux qui leur sont différents. Et pour faire vivre fortement cette conception rétrograde de la politique, leur seule et unique ambition, au cours des dix dernières années d’exercice du pouvoir, a été de surfer sur les illusions du sens commun pour mieux endormir les ivoiriens, faute d’en avoir tous pu faire des champions de la haine et de la xénophobie parmi les plus hideux de la planète. Alors quoi de plus normal pour ces « charlatans politiques » de rejeter toute entreprise rationnelle visant à sortir la Côte d’Ivoire des ténèbres où ils l’ont enfuie, au risque de voir leur avenir politique hypothéqué pour longtemps.
Quant à la plus large partie de la population, toutes origines ethniques, toutes obédiences politiques, toutes classes sociales confondues, il est difficile de s’en faire une idée claire sur le degré de compréhension et d’appréciation du pari présidentiel. D’autant plus qu’on se trouve encore bien loin de la réalité matérielle de cette ambition dont l’esprit et la lettre tardent à gagner les tribunes politiques, les écoles, les quartiers, les marchés, les hameaux, etc.
LES PARTISANS D’ALASSANE OUATTARA A LA FOIS CONFIANTS ET PASSIFS
Mais nombreux sont ceux des ivoiriens qui, ayant depuis plusieurs années placé leur espoir dans l’opposant charismatique aujourd’hui devenu Président de la République, croient fermement dans les capacités intellectuelles et managériales d’Alassane Ouattara pour réaliser son ambition. En première ligne, les plus proches disciples du Chef de l’Etat, membres du Gouvernement, hauts fonctionnaires et cadres de l’administration. Parmi eux, beaucoup continuent paradoxalement de reproduire les mêmes réflexes détestables que leurs prédécesseurs de l’ancien régime. Au lieu de donner le bon exemple en se conformant aux obligations de sacrifice que commande le projet présidentiel sorti pourtant de leur propre laboratoire. Attribuant à leur mentor une omnipotence à toute épreuve, ils ne sont pas encore parvenus à prendre eux-mêmes la réelle mesure de l’immense tâche qui leur revient individuellement et collectivement. On pourrait penser qu’ils ne perçoivent pas encore très bien, tant pour leur propre avenir politique que pour le futur de la nation tout entière, l’enjeu de la promesse du Chef. Pourtant, et on ne le soulignera jamais assez, la tâche est immense. Elle requiert, en plus du gros volume de travail à abattre, une organisation méthodique qui soit en parfaite adéquation avec les objectifs fixés. Au second niveau se trouve la grande communauté des militants et sympathisants du RDR, fidèles partisans d’Alassane Ouattara. Jusqu’ici habitués, à l’instar des autres ivoiriens, aux tâtonnements et improvisations des gouvernants successifs de l’ère «post-houphouëtiste», ces militants de base dévoués, prêts pour le sacrifice suprême, ont besoin de comprendre. Ils attendent d’être encadrés et guidés au moyen d’une bonne pédagogie qui pourrait faire d’eux le maillon essentiel du succès attendu de ce qu’il faut désormais qualifier de Nouveau Pari Ivoirien.
LE CHALLENGE PRESIDENTIEL SOUFFRE D’UN DEFICIT PEDAGOGIQUE QUI FREINE SON ANCRAGE SOCIAL
Si aujourd’hui l’on peut se réjouir de savoir où l’on va et quand on doit y arriver, le plus dur c’est comment faire pour y arriver, c`est-à-dire avec quels moyens poursuivre et atteindre l’objectif affiché. Ce qui pose immédiatement le problème des ressources à mobiliser. Par ressources, il faut entendre d’abord les moyens financiers à mettre au service de cette ambition. Mais là n’est pas la difficulté. A ce niveau, il n’y a pas mieux outillé que le Président de la République lui-même. En ses qualités de grand économiste chevronné et ancien Directeur Général Adjoint du FMI, le Chef de l’Etat dispose en effet de leviers techniques et de réseaux relationnels qu’il peut, de façon ciblée, actionner à tout moment pour obtenir l’appui spécialisé d’investisseurs, afin de doter la Côte d’Ivoire des infrastructures de base nécessaires à la réalisation de son ambition. Et la mise en place, en début de processus, du PPU (Programme Présidentiel d’Urgence), dès les premières semaines d’exercice du pouvoir, obéit parfaitement à cette démarche. En revanche, l’obstacle majeur auquel l’on pourrait rapidement se trouver confronté est d’ordre culturel, au sens de la culture comportementale. La question à se poser est simple : comment faire évoluer les schémas mentaux observables, hérités de l’influence mal maitrisée de la culture occidentale sur nos traditions ancestrales pour les adapter aux exigences de cette modernité voulue? En termes plus clairs, quels principes et techniques faut-il injecter dans l’action publique pour faire germer dans le cœur et l’esprit des ivoiriens, le désir d’un meilleur avenir dont la construction repose essentiellement sur le comportement quotidien de chacun? Le caractère quotidien de l’effort individuel à fournir ne nous renvoie-t-il pas à la problématique du temps qui nous sépare de la date fatidique. A regarder de plus près le calendrier grégorien, nous ne sommes, à compter d’aujourd’hui, qu’à exactement 8 années de l’an 2020, soit seulement 90 mois. Ce qui équivaut à 360 semaines pour 2520 jours et donc plus précisément 60480 heures d’effort à consentir, d’abord pour combler le vide psychologique laissé depuis la restauration effective du pouvoir du nouveau Président élu. Là, il s’agira surtout, de toute urgence, de sensibiliser et d’exhorter les ivoiriens à beaucoup plus d’efforts au travail et au travail bien fait, de sorte à rattraper le retard considérable pris sur le temps.
Plus de quatre cents (400) jours après la prise de fonction du Gouvernement d’après crise, il y a en effet lieu de s’interroger sur l’impact réel de l’engagement du Chef de l’Etat sur les attitudes et comportements de ses concitoyens. Combien d’Ivoiriens sont-ils en mesure de déclarer avoir bien saisi les enjeux du pari d’une Côte d’Ivoire émergente à l’horizon 2020 ? Combien sont-ils les intellectuels, les universitaires (spécialistes des sciences humaines), les chefs d’entreprises, les hommes de droit, les hommes d’affaires, etc. qui, par comparaison avec des pays émergents comme l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde.., essaient de se faire une idée précise de leurs rôles respectifs et de remplir convenablement ces rôles dans l’optique de construction de cette nouvelle Côte d’Ivoire ? Réponse, très peu.
Au total, en dehors des réformes sectorielles engagées çà et là par le Gouvernement dans le cadre du Plan National de Développement (PND), et mis à part la proclamation publique du slogan consacré, « Côte d’Ivoire pays émergent à l’horizon 2020 », aucun signe physique, tangible ne s’est encore fait jour, qui montre une réelle prise de conscience collective susceptible de mobiliser l’ensemble des ivoiriens pour soutenir et accompagner le Gouvernement dans la réalisation de cette grande ambition.
Ainsi, au niveau de l’administration publique sensée porter prioritairement le projet présidentiel, rien ne semble bouger pour le moment. Les fonctionnaires et autres agents de l’Etat continuent d’être des acteurs passifs, sans grande conscience de l’état futur de leur pays, avec un penchant de plus en plus prononcé pour le gain facile, et ce, dans un climat de corruption à haute intensité, ponctuée par le non respect du bien public et un absentéisme chronique.
Dans les milieux politiques, entre les différents partis alliés ou opposés, c’est la même rengaine, comme si l’on n’a tiré aucune leçon du passé récent, douloureux dont on peine à sortir. Les mêmes « querelles de chiffonniers » continuent de faire rage, souvent loin du bon sens, en dehors de toute considération idéologique et au mépris des principes et valeurs démocratiques. A ce stade de l’évolution des choses, il faut surtout déplorer l’incapacité de la coalition des partis, le RHDP actuellement au pouvoir, à créer les conditions d’une appropriation collective interne du pari présidentiel, en vue de sa propagation et son élargissement à l’échelle nationale pour un ancrage réelle dans la vie quotidienne des ivoiriens.
Que dire enfin des faiseurs de liens que sont les médias, ce quatrième vrai faux pouvoir qui paradoxalement observe un silence assourdissant sur le sujet. Plutôt que d’attendre des Gouvernants l’initiative de la promotion du projet, les hommes des médias, sans exclusive, devraient, par réflexe professionnel, aller à la recherche d’éléments constitutifs de l’information de base nécessaire à la compréhension de masse. En principe, leur rôle premier devrait consister à amplifier la flamme de l’espoir née de l’annonce officielle de ce challenge. A parcourir les quotidiens, à observer rigoureusement le contenu des programmes radio et télévision diffusés à longueur de journée, on ne perçoit pas la moindre stratégie des médias visant à susciter chez l’ivoirien, ce besoin d’une transformation individuelle qui l’élèverait progressivement au niveau du citoyen modèle, digne du pays émergent recherché.
LA NECESSITE DE BIEN COMMUNIQUER POUR CREER LES CONDITIONS DE LA MOTIVATION, DE L’ENGAGEMENT ET DE L’IMPLICATION DES CITOYENS
Ce qu’il faut retenir en définitive, c’est que les questions relatives à l’avenir de la Côte d’Ivoire et les choix stratégiques à faire pour construire cet avenir doivent être placés de la façon la plus visible et la plus audible possible au cœur de l’action publique, avec une certaine dose de pédagogie et d’éthique de la responsabilité. Il faut partir du fait que les crises successives qu’a connues le pays ont certes été un désastre pour la mémoire collective, mais elles peuvent être vécues comme une clé utile pour reconstruire, d’ici 2020, une vraie nation émergente qui, prenant appui sur les ruptures actuelles, doit tirer sa substance dans un nouveau type de développement. Un développement axé sur une économie forte, la compétence avérée des hommes et une éducation de qualité. Mais à une condition : le tout doit être sous-tendu par une politique de communication hautement stratégique, destinée à bien informer, sans omettre de forger les esprits à des comportements nouveaux, tirés d’un système de valeurs, consciemment acquises et librement appliquées.
Dans cette perspective, l’une des premières étapes à franchir c’est d’inventer une nouvelle catégorie d’hommes des médias. Il est de nécessité impérieuse que les hommes des médias soient transformés en véritables médiateurs et en pédagogues accomplis, devant apparaitre aux yeux du public comme des informateurs qui incarnent la figure de citoyens modèles, cultivés, critiques et auteurs d’énoncés à la fois descriptifs et normatifs. Les hommes des médias ivoiriens, à l’heure de la quête effrénée de la réconciliation, devraient être en mesure, par leur implication dans le débat sur l’avenir de notre pays, et en interpellant les acteurs sur leurs rôles et responsabilités respectifs, éclairer et sensibiliser l’opinion sur les véritables enjeux du pari d’Alassane Ouattara. Car la finalité pour eux et plus singulièrement pour les animateurs des médias publics, c’est de procéder à une sorte de traitement synchronique de l’information, en s’appuyant sur les expériences et savoirs spécifiques des personnes et institutions dont les fonctions constituent la base même de la transformation sociale en devenir. Le tout c’est, en respectant les règles de la bonne communication, de susciter chez les ivoiriens la conscience et la fierté d’appartenir à une nation qui a pris ostensiblement le pari de s’affranchir du statut de pays sous développé pour entrer dans la catégorie des nations avancées, avec ce que cela peut comporter de sacrifices, en termes de travail et de solidarité sociale. La transformation de la Côte d’Ivoire actuelle en pays émergent à l’horizon 2020, c’est possible. Mais elle passe d’abord par la volonté individuelle des ivoiriens à s’investir en connaissance de cause, selon leurs intérêts immédiats ou futurs.
Une politique de l’émergence, avec sa pédagogie et une bonne stratégie de communication est donc nécessaire pour permettre à notre pays de progresser de façon harmonieuse dans une logique de motivation, d’engagement et d’implication conformes à des intérêts particuliers immédiats, eux-mêmes étroitement liés aux avantages que l’on pourra tirer collectivement au terme de nos efforts individuels.
Félicien Yédé N’Guessan.
Expert en communication politique et sociale et en stratégies pour le changement des comportements
Adresse mail : yedenne @yahoo.fr
DES IVOIRIENS ENTRE SCEPTICISME, REJET ET IGNORANCE
Certains regards critiques pensent que l’ambition du Président Ouattara est certes noble, mais présente quelques insuffisances peut-être difficiles à surmonter. Ils trouvent, par exemple, que les acquis scientifiques et technologiques de notre pays, de même que ses potentialités économiques, sociales et culturelles sont d’un niveau trop faible pour permettre d’obtenir en si peu de temps, les résultats escomptés. Au plan psychologique, ils estiment que les contours de l’ambition du Président de la République ne sont pas encore bien cernés par les populations. De telle sorte qu’on n’arrive pas à mobiliser spontanément autour d’elle, les énergies capables de la porter vers sa réalisation pleine et entière. Sans doute ont-ils raison.
D’autres observateurs encore plus sceptiques, plutôt proches de l’ancien régime, se disent convaincus que le pari de Ouattara est une duperie. Ils croient, moins par lucidité intellectuelle que par haine viscérale pour l’homme Ouattara, que c’est un vœu pieu, un simple slogan de campagne sans lendemain, qui mourra de sa belle mort à l’épreuve du temps. Et pour qu’il en soit ainsi, ils sont visiblement prêts à tout tenter qui soit humainement possible pour empêcher l’enracinement du projet de leur pire ennemi. Car pour ces politicards à deux sous, l’exercice du pouvoir n’a d’autre but que de servir de source à l’enrichissement illicite et à l’ascension sociale de parents et amis. Ce qui explique leur grande propension à exclure systématiquement de la sphère politique et économique, tous ceux qui leur sont différents. Et pour faire vivre fortement cette conception rétrograde de la politique, leur seule et unique ambition, au cours des dix dernières années d’exercice du pouvoir, a été de surfer sur les illusions du sens commun pour mieux endormir les ivoiriens, faute d’en avoir tous pu faire des champions de la haine et de la xénophobie parmi les plus hideux de la planète. Alors quoi de plus normal pour ces « charlatans politiques » de rejeter toute entreprise rationnelle visant à sortir la Côte d’Ivoire des ténèbres où ils l’ont enfuie, au risque de voir leur avenir politique hypothéqué pour longtemps.
Quant à la plus large partie de la population, toutes origines ethniques, toutes obédiences politiques, toutes classes sociales confondues, il est difficile de s’en faire une idée claire sur le degré de compréhension et d’appréciation du pari présidentiel. D’autant plus qu’on se trouve encore bien loin de la réalité matérielle de cette ambition dont l’esprit et la lettre tardent à gagner les tribunes politiques, les écoles, les quartiers, les marchés, les hameaux, etc.
LES PARTISANS D’ALASSANE OUATTARA A LA FOIS CONFIANTS ET PASSIFS
Mais nombreux sont ceux des ivoiriens qui, ayant depuis plusieurs années placé leur espoir dans l’opposant charismatique aujourd’hui devenu Président de la République, croient fermement dans les capacités intellectuelles et managériales d’Alassane Ouattara pour réaliser son ambition. En première ligne, les plus proches disciples du Chef de l’Etat, membres du Gouvernement, hauts fonctionnaires et cadres de l’administration. Parmi eux, beaucoup continuent paradoxalement de reproduire les mêmes réflexes détestables que leurs prédécesseurs de l’ancien régime. Au lieu de donner le bon exemple en se conformant aux obligations de sacrifice que commande le projet présidentiel sorti pourtant de leur propre laboratoire. Attribuant à leur mentor une omnipotence à toute épreuve, ils ne sont pas encore parvenus à prendre eux-mêmes la réelle mesure de l’immense tâche qui leur revient individuellement et collectivement. On pourrait penser qu’ils ne perçoivent pas encore très bien, tant pour leur propre avenir politique que pour le futur de la nation tout entière, l’enjeu de la promesse du Chef. Pourtant, et on ne le soulignera jamais assez, la tâche est immense. Elle requiert, en plus du gros volume de travail à abattre, une organisation méthodique qui soit en parfaite adéquation avec les objectifs fixés. Au second niveau se trouve la grande communauté des militants et sympathisants du RDR, fidèles partisans d’Alassane Ouattara. Jusqu’ici habitués, à l’instar des autres ivoiriens, aux tâtonnements et improvisations des gouvernants successifs de l’ère «post-houphouëtiste», ces militants de base dévoués, prêts pour le sacrifice suprême, ont besoin de comprendre. Ils attendent d’être encadrés et guidés au moyen d’une bonne pédagogie qui pourrait faire d’eux le maillon essentiel du succès attendu de ce qu’il faut désormais qualifier de Nouveau Pari Ivoirien.
LE CHALLENGE PRESIDENTIEL SOUFFRE D’UN DEFICIT PEDAGOGIQUE QUI FREINE SON ANCRAGE SOCIAL
Si aujourd’hui l’on peut se réjouir de savoir où l’on va et quand on doit y arriver, le plus dur c’est comment faire pour y arriver, c`est-à-dire avec quels moyens poursuivre et atteindre l’objectif affiché. Ce qui pose immédiatement le problème des ressources à mobiliser. Par ressources, il faut entendre d’abord les moyens financiers à mettre au service de cette ambition. Mais là n’est pas la difficulté. A ce niveau, il n’y a pas mieux outillé que le Président de la République lui-même. En ses qualités de grand économiste chevronné et ancien Directeur Général Adjoint du FMI, le Chef de l’Etat dispose en effet de leviers techniques et de réseaux relationnels qu’il peut, de façon ciblée, actionner à tout moment pour obtenir l’appui spécialisé d’investisseurs, afin de doter la Côte d’Ivoire des infrastructures de base nécessaires à la réalisation de son ambition. Et la mise en place, en début de processus, du PPU (Programme Présidentiel d’Urgence), dès les premières semaines d’exercice du pouvoir, obéit parfaitement à cette démarche. En revanche, l’obstacle majeur auquel l’on pourrait rapidement se trouver confronté est d’ordre culturel, au sens de la culture comportementale. La question à se poser est simple : comment faire évoluer les schémas mentaux observables, hérités de l’influence mal maitrisée de la culture occidentale sur nos traditions ancestrales pour les adapter aux exigences de cette modernité voulue? En termes plus clairs, quels principes et techniques faut-il injecter dans l’action publique pour faire germer dans le cœur et l’esprit des ivoiriens, le désir d’un meilleur avenir dont la construction repose essentiellement sur le comportement quotidien de chacun? Le caractère quotidien de l’effort individuel à fournir ne nous renvoie-t-il pas à la problématique du temps qui nous sépare de la date fatidique. A regarder de plus près le calendrier grégorien, nous ne sommes, à compter d’aujourd’hui, qu’à exactement 8 années de l’an 2020, soit seulement 90 mois. Ce qui équivaut à 360 semaines pour 2520 jours et donc plus précisément 60480 heures d’effort à consentir, d’abord pour combler le vide psychologique laissé depuis la restauration effective du pouvoir du nouveau Président élu. Là, il s’agira surtout, de toute urgence, de sensibiliser et d’exhorter les ivoiriens à beaucoup plus d’efforts au travail et au travail bien fait, de sorte à rattraper le retard considérable pris sur le temps.
Plus de quatre cents (400) jours après la prise de fonction du Gouvernement d’après crise, il y a en effet lieu de s’interroger sur l’impact réel de l’engagement du Chef de l’Etat sur les attitudes et comportements de ses concitoyens. Combien d’Ivoiriens sont-ils en mesure de déclarer avoir bien saisi les enjeux du pari d’une Côte d’Ivoire émergente à l’horizon 2020 ? Combien sont-ils les intellectuels, les universitaires (spécialistes des sciences humaines), les chefs d’entreprises, les hommes de droit, les hommes d’affaires, etc. qui, par comparaison avec des pays émergents comme l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde.., essaient de se faire une idée précise de leurs rôles respectifs et de remplir convenablement ces rôles dans l’optique de construction de cette nouvelle Côte d’Ivoire ? Réponse, très peu.
Au total, en dehors des réformes sectorielles engagées çà et là par le Gouvernement dans le cadre du Plan National de Développement (PND), et mis à part la proclamation publique du slogan consacré, « Côte d’Ivoire pays émergent à l’horizon 2020 », aucun signe physique, tangible ne s’est encore fait jour, qui montre une réelle prise de conscience collective susceptible de mobiliser l’ensemble des ivoiriens pour soutenir et accompagner le Gouvernement dans la réalisation de cette grande ambition.
Ainsi, au niveau de l’administration publique sensée porter prioritairement le projet présidentiel, rien ne semble bouger pour le moment. Les fonctionnaires et autres agents de l’Etat continuent d’être des acteurs passifs, sans grande conscience de l’état futur de leur pays, avec un penchant de plus en plus prononcé pour le gain facile, et ce, dans un climat de corruption à haute intensité, ponctuée par le non respect du bien public et un absentéisme chronique.
Dans les milieux politiques, entre les différents partis alliés ou opposés, c’est la même rengaine, comme si l’on n’a tiré aucune leçon du passé récent, douloureux dont on peine à sortir. Les mêmes « querelles de chiffonniers » continuent de faire rage, souvent loin du bon sens, en dehors de toute considération idéologique et au mépris des principes et valeurs démocratiques. A ce stade de l’évolution des choses, il faut surtout déplorer l’incapacité de la coalition des partis, le RHDP actuellement au pouvoir, à créer les conditions d’une appropriation collective interne du pari présidentiel, en vue de sa propagation et son élargissement à l’échelle nationale pour un ancrage réelle dans la vie quotidienne des ivoiriens.
Que dire enfin des faiseurs de liens que sont les médias, ce quatrième vrai faux pouvoir qui paradoxalement observe un silence assourdissant sur le sujet. Plutôt que d’attendre des Gouvernants l’initiative de la promotion du projet, les hommes des médias, sans exclusive, devraient, par réflexe professionnel, aller à la recherche d’éléments constitutifs de l’information de base nécessaire à la compréhension de masse. En principe, leur rôle premier devrait consister à amplifier la flamme de l’espoir née de l’annonce officielle de ce challenge. A parcourir les quotidiens, à observer rigoureusement le contenu des programmes radio et télévision diffusés à longueur de journée, on ne perçoit pas la moindre stratégie des médias visant à susciter chez l’ivoirien, ce besoin d’une transformation individuelle qui l’élèverait progressivement au niveau du citoyen modèle, digne du pays émergent recherché.
LA NECESSITE DE BIEN COMMUNIQUER POUR CREER LES CONDITIONS DE LA MOTIVATION, DE L’ENGAGEMENT ET DE L’IMPLICATION DES CITOYENS
Ce qu’il faut retenir en définitive, c’est que les questions relatives à l’avenir de la Côte d’Ivoire et les choix stratégiques à faire pour construire cet avenir doivent être placés de la façon la plus visible et la plus audible possible au cœur de l’action publique, avec une certaine dose de pédagogie et d’éthique de la responsabilité. Il faut partir du fait que les crises successives qu’a connues le pays ont certes été un désastre pour la mémoire collective, mais elles peuvent être vécues comme une clé utile pour reconstruire, d’ici 2020, une vraie nation émergente qui, prenant appui sur les ruptures actuelles, doit tirer sa substance dans un nouveau type de développement. Un développement axé sur une économie forte, la compétence avérée des hommes et une éducation de qualité. Mais à une condition : le tout doit être sous-tendu par une politique de communication hautement stratégique, destinée à bien informer, sans omettre de forger les esprits à des comportements nouveaux, tirés d’un système de valeurs, consciemment acquises et librement appliquées.
Dans cette perspective, l’une des premières étapes à franchir c’est d’inventer une nouvelle catégorie d’hommes des médias. Il est de nécessité impérieuse que les hommes des médias soient transformés en véritables médiateurs et en pédagogues accomplis, devant apparaitre aux yeux du public comme des informateurs qui incarnent la figure de citoyens modèles, cultivés, critiques et auteurs d’énoncés à la fois descriptifs et normatifs. Les hommes des médias ivoiriens, à l’heure de la quête effrénée de la réconciliation, devraient être en mesure, par leur implication dans le débat sur l’avenir de notre pays, et en interpellant les acteurs sur leurs rôles et responsabilités respectifs, éclairer et sensibiliser l’opinion sur les véritables enjeux du pari d’Alassane Ouattara. Car la finalité pour eux et plus singulièrement pour les animateurs des médias publics, c’est de procéder à une sorte de traitement synchronique de l’information, en s’appuyant sur les expériences et savoirs spécifiques des personnes et institutions dont les fonctions constituent la base même de la transformation sociale en devenir. Le tout c’est, en respectant les règles de la bonne communication, de susciter chez les ivoiriens la conscience et la fierté d’appartenir à une nation qui a pris ostensiblement le pari de s’affranchir du statut de pays sous développé pour entrer dans la catégorie des nations avancées, avec ce que cela peut comporter de sacrifices, en termes de travail et de solidarité sociale. La transformation de la Côte d’Ivoire actuelle en pays émergent à l’horizon 2020, c’est possible. Mais elle passe d’abord par la volonté individuelle des ivoiriens à s’investir en connaissance de cause, selon leurs intérêts immédiats ou futurs.
Une politique de l’émergence, avec sa pédagogie et une bonne stratégie de communication est donc nécessaire pour permettre à notre pays de progresser de façon harmonieuse dans une logique de motivation, d’engagement et d’implication conformes à des intérêts particuliers immédiats, eux-mêmes étroitement liés aux avantages que l’on pourra tirer collectivement au terme de nos efforts individuels.
Félicien Yédé N’Guessan.
Expert en communication politique et sociale et en stratégies pour le changement des comportements
Adresse mail : yedenne @yahoo.fr