Situé à 20 kilomètres de Ouagadougou, sur l’axe qui mène à Bobo-Dioulasso, deuxième ville du Burkina Faso, Bazoulé est une bourgade assez singulière, où humains et crocodiles vivent en bonne intelligence. Incroyable…mais vrai !
Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Il est 10h30, le ciel est assez clément, en ce mercredi 4 juillet 2012. Pas de soleil strident, ou encore moins de chaleur étouffante, que tout visiteur redoute. Un vent frais souffle sur la ville. Normal, c’est la saison des pluies. Sur le parvis du Ran Hôtel Somketa, situé en plein coeur de cette cité qui bouillonne d’engins à deux roues, nous embarquons à bord d’un minicar, en compagnie d’autres personnes, essentiellement les invités du Festival de films sur les droits humains et la liberté d’expression, Ciné Droit Libre.
Le véhicule prend la direction de Bobo-Dioulasso. Une trentaine de minutes plus tard, voilà Bazoulé, à quelques encablures de la voie express. Une petite bourgade distante de 20 km de Ouagadougou, forte de plus 4000 âmes. Le décor rappelle n’importe quel village du continent : des habitations essaimées ici et là, des cases, des maisons en dur, des animaux domestiques qui déambulent un peu partout, des femmes qui exécutent des tâches ménagères… Mais, la comparaison s’arrête là. Car, Bazoulé n’est pas un village comme les autres.
Là-bas, contrairement aux autres villages de la région, la vie n’est pas que rythmée par les travaux champêtres et domestiques ou encore l’élevage (de moutons, boeufs et porcs). Le village est surtout un attrait touristique, à cause de ses … crocodiles.
Quelques minutes de marche dans le village, et les regards sont titillés par une énorme statue en pierre de crocodile, qui trône sur le sol, au pied d’une pancarte. Sur laquelle, peut-on lire cette inscription : « Bienvenue au complexe touristique de Bazoulé ». Dès qu’on franchit cette « porte», on est dans l’univers des crocodiles qui pullulent dans ce village.
Mais, à Bazoulé, ces redoutables reptiles d’ordinaire voraces, que tout être humain rechigne à approcher, de peur de se faire croquer littéralement, sont sacrés. Quelques pas plus loin, on découvre la fameuse « Mare aux crocodiles sacrés », de Bazoulé. Elle est constituée d’un évasement naturel occupant une surface d’à peu près 3ha, et alimentée par trois marigots prenant leur source dans les villages environnants. On y aperçoit quelques crocodiles dans l’eau, d’autres sur la plage qui borde la mare. Mais attention, pour qu’un visiteur les approche, il faut sacrifier à un rituel : leur offrir deux ou trois poulets, que les visiteurs doivent acheter au préalable. Chez, les visiteurs la peur se mêle à la surprise. Certains n’osent pas du tout avancer vers ces animaux. D’autres en revanche, plus curieux et audacieux s’approchent pour mieux les voir. «Ils cohabitent avec nous ici depuis nos ancêtres », lance Alfred Kaboré, fils de Bazoulé et guide touristique. « Personne ne touche à ces crocodiles et eux-aussi ne nous attaquent pas. Il y a un pacte entre nous », révèle le jeune homme.
A Bazoulé, la légende raconte que tous les premiers habitants n’avaient pas d’eau pour s’abreuver. Puis, un jour, à la recherche d’eau, ils tombent sur crocodile, qui, contre-toute attente, ne s’en prend pas à eux. Certains suivent discrètement l’animal, dans ses pérégrinations, qui, va les conduire à un étang d’eau, le tout premier de Bazoulé. En guise de reconnaissance, les dignitaires de Bazoulé ont décidé de sceller un pacte secret avec ces animaux. Depuis, prédateurs et êtres humains vivent ensemble.
“Quand un crocodile meurt, on fait ses funérailles comme un Homme”
« Les crocodiles se promènent parfois, à la tombée de la nuit, dans le village quand ils ont faim pour chercher de quoi manger. Ils n’attaquent personne. Ils entrent souvent dans les cases et les gens leur donnent de la nourriture, souvent du poisson qu’ils aiment », explique tranquillement Alfred Kaboré. Aux yeux de ce garçon, cette scène pourtant surréaliste, paraît anodine.
Mieux, chaque année, au mois d’août, les villageois choisissent un jour, en général le samedi, pour faire une fête en guise de remerciement aux crocodiles pour les avoir préservés de la sécheresse. Ce jour-là, assure Alfred Kaboré, « tous les activités cessent, personne ne va au champ. On chante et on danse. On immole des moutons et on partage en famille des repas copieux. La fête commence le matin et s’achève le lendemain matin ». Ce qu’il n’oublie pas de dire, c’est que les populations font des offrandes aux crocodiles.
De même, quand un crocodile meurt, il est inhumé, ce qui est un fait insolite, à l’instar d’un être humain. « Ah oui, on fait ses funérailles comme si c’était un Homme », souligne le jeune Kaboré, qui est guide depuis 2000. Ce n’est pas tout. Des trous ont été creusés au bord de la mare pour que ces reptiles, qui puissent souvent s’y abriter.
Selon Alfred Kaboré, ils sont aujourd’hui plus de 190 crocodiles à vivre à Bazoulé. «Il est difficile d’avoir leur nombre exact. Il évolue parce que les mâles dévorent parfois leurs enfants », précise t-il. Qu’importe. Pour les populations, ces animaux sont investis d’un pouvoir divin. Il se raconte dans le village, que lorsqu’une personne a un souci et qu’il confie cette préoccupation aux crocodiles, elle obtient satisfaction. Ce que confirme Alassane Sawadogo, avec enthousiasme un jeune paysan de Bazoulé. «Oui, c’est vrai », acquiesce t-il, avant d’enchaîner : « Des gens viennent ici pour faire une offrande et formuler des voeux qui les tiennent à coeur et ça marche».
Très vite, la réputation de Bazoulé et ses crocodiles, s’étend dans les autres contrées du pays et franchit même les frontières du Burkina Faso. Et hommes et femmes, de divers horizons, y affluent régulièrement pour découvrir ces crocodiles si particuliers. Parfois, des pays voisins comme la Côte d’Ivoire, le Niger ou le Mali.
Affutés, les jeunes du village flairent le tourisme business. Ils décident d’en faire un site culturel et touristique. Ce qui n’est pas du goût des notables de Bazoulé, qui estiment, que ces crocodiles, à cause de leur caractère sacré, ne doivent pas être si exposés, ou encore être l’objet de la curiosité des touristes. En réalité, pense Alfred Kaboré, ils pensaient qu’on allait favoriser le « pillage » du village. La tâche ne s’annonçait donc pas aisée pour lui et ses camarades. Mais, admet-il, « nous avons réussi à convaincre notre chef Naaba Kiba et sa notabilité, que le village avait beaucoup à gagner si on faisait connaître sa culture et ses crocodiles».
Les jeunes du village se constituent ainsi en une « Association Tourisme et Développement » de Bazoulé (ATDB), dirigée par Alphonse Kaboré. En 1998, elle milite pour le jumelage entre Bazoulé et le Territoire de Belfort. « A l’époque, il n’y avait que de la broussaille. Ce jumelage nous a vraiment aidés à développer le village», fait remarquer Alphonse Kaboré, président de l’ATD. Les autorités de ce département français aident, avec le soutien d’autres structures, les jeunes de Bazoulé à donner un visage plus touristique à leur village, construisant un campement baptisé Tang Zugu, avec des cases modernes pour touristes ( six au total) et des moustiquaires imprégnées, un espace de restauration et une boutique artisanale où l’on peut se procurer de beaux objets d’art, principalement des figurines taillées dans du bronze. Autour de Bazoulé, naît donc une véritable industrie du tourisme.
Les visites sont désormais payantes et les tarifs varient, de 250 FCFA (pour les enfants de 7 à 12 ans) à 1000 FCFA (pour les adultes). L’ATDB emploie également 10 guides permanents.
Grâce l’appui du Territoire de Belfort et d’autres bailleurs de fonds, Bazoulé a fière allure actuellement. En plus du confort pour les touristes que le village offre, il peut aussi s’enorgueillir d’avoir trois écoles primaires, un lycée et une école dite non formelle. « On y apprend à lire et à écrire à ceux qui ne sont jamais allés à l’école, mais ont soif d’instruction », explique Alfred Kaboré. Le village possède aussi un parc des tortues, réalisé avec l’aide des fonds d’un bienfaiteur belfortain.
A Bazoulé, on éprouve aujourd’hui de la fierté. Et chaque année, pas moins, d’après le jeune guide, de 4000 personnes visitent le village. Parmi eux des nationaux, des élèves qui font des sorties avec leurs classes, mais surtout des Européens qui y viennent durant les vacances d’été.
Réalisé par Y. Sangaré, Envoyé spécial
Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Il est 10h30, le ciel est assez clément, en ce mercredi 4 juillet 2012. Pas de soleil strident, ou encore moins de chaleur étouffante, que tout visiteur redoute. Un vent frais souffle sur la ville. Normal, c’est la saison des pluies. Sur le parvis du Ran Hôtel Somketa, situé en plein coeur de cette cité qui bouillonne d’engins à deux roues, nous embarquons à bord d’un minicar, en compagnie d’autres personnes, essentiellement les invités du Festival de films sur les droits humains et la liberté d’expression, Ciné Droit Libre.
Le véhicule prend la direction de Bobo-Dioulasso. Une trentaine de minutes plus tard, voilà Bazoulé, à quelques encablures de la voie express. Une petite bourgade distante de 20 km de Ouagadougou, forte de plus 4000 âmes. Le décor rappelle n’importe quel village du continent : des habitations essaimées ici et là, des cases, des maisons en dur, des animaux domestiques qui déambulent un peu partout, des femmes qui exécutent des tâches ménagères… Mais, la comparaison s’arrête là. Car, Bazoulé n’est pas un village comme les autres.
Là-bas, contrairement aux autres villages de la région, la vie n’est pas que rythmée par les travaux champêtres et domestiques ou encore l’élevage (de moutons, boeufs et porcs). Le village est surtout un attrait touristique, à cause de ses … crocodiles.
Quelques minutes de marche dans le village, et les regards sont titillés par une énorme statue en pierre de crocodile, qui trône sur le sol, au pied d’une pancarte. Sur laquelle, peut-on lire cette inscription : « Bienvenue au complexe touristique de Bazoulé ». Dès qu’on franchit cette « porte», on est dans l’univers des crocodiles qui pullulent dans ce village.
Mais, à Bazoulé, ces redoutables reptiles d’ordinaire voraces, que tout être humain rechigne à approcher, de peur de se faire croquer littéralement, sont sacrés. Quelques pas plus loin, on découvre la fameuse « Mare aux crocodiles sacrés », de Bazoulé. Elle est constituée d’un évasement naturel occupant une surface d’à peu près 3ha, et alimentée par trois marigots prenant leur source dans les villages environnants. On y aperçoit quelques crocodiles dans l’eau, d’autres sur la plage qui borde la mare. Mais attention, pour qu’un visiteur les approche, il faut sacrifier à un rituel : leur offrir deux ou trois poulets, que les visiteurs doivent acheter au préalable. Chez, les visiteurs la peur se mêle à la surprise. Certains n’osent pas du tout avancer vers ces animaux. D’autres en revanche, plus curieux et audacieux s’approchent pour mieux les voir. «Ils cohabitent avec nous ici depuis nos ancêtres », lance Alfred Kaboré, fils de Bazoulé et guide touristique. « Personne ne touche à ces crocodiles et eux-aussi ne nous attaquent pas. Il y a un pacte entre nous », révèle le jeune homme.
A Bazoulé, la légende raconte que tous les premiers habitants n’avaient pas d’eau pour s’abreuver. Puis, un jour, à la recherche d’eau, ils tombent sur crocodile, qui, contre-toute attente, ne s’en prend pas à eux. Certains suivent discrètement l’animal, dans ses pérégrinations, qui, va les conduire à un étang d’eau, le tout premier de Bazoulé. En guise de reconnaissance, les dignitaires de Bazoulé ont décidé de sceller un pacte secret avec ces animaux. Depuis, prédateurs et êtres humains vivent ensemble.
“Quand un crocodile meurt, on fait ses funérailles comme un Homme”
« Les crocodiles se promènent parfois, à la tombée de la nuit, dans le village quand ils ont faim pour chercher de quoi manger. Ils n’attaquent personne. Ils entrent souvent dans les cases et les gens leur donnent de la nourriture, souvent du poisson qu’ils aiment », explique tranquillement Alfred Kaboré. Aux yeux de ce garçon, cette scène pourtant surréaliste, paraît anodine.
Mieux, chaque année, au mois d’août, les villageois choisissent un jour, en général le samedi, pour faire une fête en guise de remerciement aux crocodiles pour les avoir préservés de la sécheresse. Ce jour-là, assure Alfred Kaboré, « tous les activités cessent, personne ne va au champ. On chante et on danse. On immole des moutons et on partage en famille des repas copieux. La fête commence le matin et s’achève le lendemain matin ». Ce qu’il n’oublie pas de dire, c’est que les populations font des offrandes aux crocodiles.
De même, quand un crocodile meurt, il est inhumé, ce qui est un fait insolite, à l’instar d’un être humain. « Ah oui, on fait ses funérailles comme si c’était un Homme », souligne le jeune Kaboré, qui est guide depuis 2000. Ce n’est pas tout. Des trous ont été creusés au bord de la mare pour que ces reptiles, qui puissent souvent s’y abriter.
Selon Alfred Kaboré, ils sont aujourd’hui plus de 190 crocodiles à vivre à Bazoulé. «Il est difficile d’avoir leur nombre exact. Il évolue parce que les mâles dévorent parfois leurs enfants », précise t-il. Qu’importe. Pour les populations, ces animaux sont investis d’un pouvoir divin. Il se raconte dans le village, que lorsqu’une personne a un souci et qu’il confie cette préoccupation aux crocodiles, elle obtient satisfaction. Ce que confirme Alassane Sawadogo, avec enthousiasme un jeune paysan de Bazoulé. «Oui, c’est vrai », acquiesce t-il, avant d’enchaîner : « Des gens viennent ici pour faire une offrande et formuler des voeux qui les tiennent à coeur et ça marche».
Très vite, la réputation de Bazoulé et ses crocodiles, s’étend dans les autres contrées du pays et franchit même les frontières du Burkina Faso. Et hommes et femmes, de divers horizons, y affluent régulièrement pour découvrir ces crocodiles si particuliers. Parfois, des pays voisins comme la Côte d’Ivoire, le Niger ou le Mali.
Affutés, les jeunes du village flairent le tourisme business. Ils décident d’en faire un site culturel et touristique. Ce qui n’est pas du goût des notables de Bazoulé, qui estiment, que ces crocodiles, à cause de leur caractère sacré, ne doivent pas être si exposés, ou encore être l’objet de la curiosité des touristes. En réalité, pense Alfred Kaboré, ils pensaient qu’on allait favoriser le « pillage » du village. La tâche ne s’annonçait donc pas aisée pour lui et ses camarades. Mais, admet-il, « nous avons réussi à convaincre notre chef Naaba Kiba et sa notabilité, que le village avait beaucoup à gagner si on faisait connaître sa culture et ses crocodiles».
Les jeunes du village se constituent ainsi en une « Association Tourisme et Développement » de Bazoulé (ATDB), dirigée par Alphonse Kaboré. En 1998, elle milite pour le jumelage entre Bazoulé et le Territoire de Belfort. « A l’époque, il n’y avait que de la broussaille. Ce jumelage nous a vraiment aidés à développer le village», fait remarquer Alphonse Kaboré, président de l’ATD. Les autorités de ce département français aident, avec le soutien d’autres structures, les jeunes de Bazoulé à donner un visage plus touristique à leur village, construisant un campement baptisé Tang Zugu, avec des cases modernes pour touristes ( six au total) et des moustiquaires imprégnées, un espace de restauration et une boutique artisanale où l’on peut se procurer de beaux objets d’art, principalement des figurines taillées dans du bronze. Autour de Bazoulé, naît donc une véritable industrie du tourisme.
Les visites sont désormais payantes et les tarifs varient, de 250 FCFA (pour les enfants de 7 à 12 ans) à 1000 FCFA (pour les adultes). L’ATDB emploie également 10 guides permanents.
Grâce l’appui du Territoire de Belfort et d’autres bailleurs de fonds, Bazoulé a fière allure actuellement. En plus du confort pour les touristes que le village offre, il peut aussi s’enorgueillir d’avoir trois écoles primaires, un lycée et une école dite non formelle. « On y apprend à lire et à écrire à ceux qui ne sont jamais allés à l’école, mais ont soif d’instruction », explique Alfred Kaboré. Le village possède aussi un parc des tortues, réalisé avec l’aide des fonds d’un bienfaiteur belfortain.
A Bazoulé, on éprouve aujourd’hui de la fierté. Et chaque année, pas moins, d’après le jeune guide, de 4000 personnes visitent le village. Parmi eux des nationaux, des élèves qui font des sorties avec leurs classes, mais surtout des Européens qui y viennent durant les vacances d’été.
Réalisé par Y. Sangaré, Envoyé spécial