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Société Publié le vendredi 7 septembre 2012 | LG Infos

Enquête : Don de sang : Le deal qui fâche les donneurs

Le sang. Liquide important pour la survie de l’être humain, le sang est pour l’organisme ce que le carburant est pour la voiture. C’est environ 5 à 6 litres de ce précieux liquide qui circule dans nos veines. Malheureusement, pour une raison ou pour une autre, il arrive des fois qu’il en manque terriblement au Centre national de transfusion sanguine (Cnts). Les périodes de «pénurie» sont généralement les vacances scolaires, les jeûnes religieux et les saisons pluvieuses (période de maladie). Il est su de tous que lorsque la demande est plus forte que l’offre, les enchères grimpent. C’est ce qui s’emble être le cas dans les structures médicales et au Cnts. Pourtant, il est clairement affiché dans lesdits endroits, le prix des poches de sang. Ainsi, dans les Centres de santés à base communautaire et les centres hospitaliers régionaux (Chr), c’est la somme de 2.000Fcfa qu’il faut débourser pour avoir une poche adulte et 1.000Fcfa pour la poche pédiatrique. Dans les Centres hospitaliers universitaires (Chu) et à l’Hôpital militaire d’Abidjan (Hma), la poche adulte est vendue à 5.500Fcfa et à 2.750Fcfa pour les plus jeunes. Un rabattement dû à la gratuité des soins. Les structures privées revendent leur stock entre 25.000 et 30.000Fcfa la poche de sang. Bien que ces prix soient affichés aux portes des hôpitaux, il nous revient, de façon récurrente, que le sang se vend très cher au Cnts avec la complicité du personnel dudit établissement. Infos ou intox ? Tout compte fait, cette information qui se repand, peu à peu, ne manque pas de troubler la quiétude des donneurs de sang. Ceux-ci ont du mal à accepter qu’il existerait un marchandage du précieux liquide qu’ils offrent pourtant gratuitement. Pour en avoir le cœur net, nous avons fait une incursion au Centre national de transfusion sanguine de Treichville.
La colère des donneurs
Jeudi 16 août 2012, il est 11h 17mn. Nous mettons, pour la toute première fois, les pieds au Centre national de transfusion sanguine sis à Treichville. C’est un beau site qui regroupe plusieurs bâtiments qui ont fière allure. La propreté y est de rigueur. Le monde qui a pris d’assaut la cour du centre fini de convaincre que le sang est précieux. Comme le disent les médecins, il est le seul liquide qu’on ne peut rendre artificiel pour la survie de l’homme. Ils sont venus des quatre coins du pays espérant être servis. Qui avec une glacière, qui avec un carton. Chacun attend sous le hangar, au guichet. De l’autre côté, dans une salle climatisée, sont assis six personnes venues donner leur sang. Après ce geste, ils iront à la cafétéria du centre pour avoir droit à un plat et une collation. Ces personnes, affirment des agents, recevront chacune, la somme de 1.000Fcfa comme titre de transport. Voilà le paradoxe. Les donneurs ne se bousculent plus aux portes du Cnts pour poser l’acte qui sauve des vies. K. Alain, donneur de sang depuis 2002, dit avoir abandonné cet acte salvateur. Et pour cause : «J’étais un donneur assidu. Mais pour donner du sang, il faut en avoir. Moi j’ai perdu mon travail et à vrai dire, je n’ai plus la tête à ça parce que la galère me frappe». Nous lance-t-il, quand nous lui reprochions d’être un peu trop impulsif, trop bouillant dans le rang. Une réponse qu’il donne certainement pour plaisanter. Puis avec un visage grave, il soutient. «Je me suis rendu compte, par la suite, que c’était un moyen d’enrichissement pour certaines personnes. Alors j’ai décidé de tout arrêter. Aujourd’hui, me voilà en quête de sang depuis plusieurs jours. Pendant qu’on laisse croire que les donneurs sont prioritaires. Je suis conscients que si nous ne donnons pas notre sang, le centre va en manquer …mais avec ce qui se passe ici (ndlr au Cnts), ça décourage». Cette rancœur est entièrement partagée par un autre donneur qui a voulu garder l’anonymat. «Les gens mangent sur notre dos mais moi, l’acte que je pose, je le fait pour Dieu. C’est ma façon à moi de sauver des vies humaines. Si les gens veulent, qu’ils s’enrichissent avec le sang des autres. Mais qu’ils sachent que Dieu les voit». Indique-t-il. A la question de savoir s’il existe véritablement un deal entre les agents du Centre national de transfusion sanguine et les acheteurs de sang, Beibro Kouakou, président de l’Union nationale des donneurs bénévoles de sang de Côte d’Ivoire, reste perplexe. «En ma connaissance, il ne peut pas avoir de deal. Je ne voudrais pas défendre les agents du Cnts, mais je peux vous dire que même si c’est possible, cela sera assez difficile». Dans le même temps, il sort de son sac, un journal dans lequel il est fait cas de la vente de sang à Abengourou au prix de 50.000Fcfa. Poursuivant, le président des donneurs de sang de Côte d’Ivoire soutient: «Vous savez, quand le sang manque, tout est possible. Les parents, pour sauver la vie de leur patient, ne pensent plus au coût du sang qu’on leur propose. Ils sont prêts à débourser l’argent qu’il faut pour sauver le malade». Voilà où se situe le deal ! Il y a de quoi s’inquiéter en ces temps de vacances scolaires où, les élèves, principaux donneurs, sont absents. «Les personnes qui attendent dans la cour, depuis des jours, nous donnent une idée de la lutte qu’il faudra mener pour être servi. Moi-même président des donneurs de sang, je n’ai pas pu satisfaire un de mes protégés. Le médecin m’a dit que par manque de sang, il fallait contenter les cas les plus urgents. Donc comme tout le monde, j’attends». Affirme Beibro Kouakou dont le siège est dans l’enceinte même du Cnts. «C’est un vrai parcours du combattant. Cela fait plusieurs jours que je me pointe ici sans avoir satisfaction». Dixit B. Laurent. «J’ai ma sœur qui est hospitalisée au Chu de Yopougon. Elle a besoin du sang B+, depuis hier (mercredi 15 août 2012), je fais le pied de grue. Jusqu'à quand cela va durer, je ne saurai vous le dire». Soutient G. Toba, jeune instituteur de la région d’Aboisso.
Vendredi 17 août 2012, il est 8h 21mn, nous revoilà au centre qui n’a jusque-là pas désempli. Des visages que nous avions rencontrés sont encore au rendez-vous. Bons et cartons de conservation en main. Certainement qu’aujourd’hui sera meilleur.
Manque de réactifs au Cnts
10h 30 mn, l’attente devient longue, harassante même et la grogne monte d’un cran chez les demandeurs. Comme hier, le sang se fait rare. Djédjé M. commence à se plaindre tout en haussant le ton. Nous prêtons une oreille attentive à ses lamentations. Il nous confie qu’il vient de Gagnoa où le sang manque cruellement. Pour attester ces propos, Djédjé M. nous présente le bon de sang délivré par le médecin du Centre hospitalier régional (Chr) de Gagnoa. Il y est bien inscrit le nom de Djédjé M. de sexe masculin, souffrant d’une anémie sévère. «Je ne comprends pas pourquoi nous donnons du sang gratuitement alors que pour en avoir, nous sommes obligés de payer. A Gagnoa, à San Pedro, il n’y a plus de sang. C’est grave» ! Martèle l’infortuné. Alors que nous échangions, un jeune garçon nous interrompt. «Bonjour, c’est où on achète le sang» ? Nous interroge-t-il. Nous lui répondons en choeur : «il n’y a pas de sang». Dès cet instant, son visage devient plus triste. «Mais comment vais-je m’y prendre, je suis en quête de sang O+. On a fait le tour de tous les hôpitaux d’Abidjan sans succès. Mon oncle est hospitalisé au Chu de Treichville. Il a obligatoirement besoin de sang». A-t-il lancé avant de nous rejoindre dans le rang. Aux alentours de 14heures, pendant que chacun s’occupait d’une façon ou d’une autre à passer le temps, arrive un véhicule du Cnts. Tous les regards se tournent vers lui. Quelques minutes plus tard, de grosses glacières en sortent. Les visages deviennent plus reluisants. C’est certainement du sang qui vient d’arriver. Vite, nous accostons un homme en blouse blanche pour en savoir un peu plus. «Vous dire qu’il n’y a pas de sang ne serait pas vrai. En réalité, nous manquons de réactifs. C’est-à-dire que les produits qui permettent de traiter le sang manquent. C’est pourquoi, il en manque partout. Même dans les urgences ! Parce que c’est d’ici que tout part». Dira l’agent de santé. Un aveu qui nous donne un froid dans le dos.
Pas d’argent, pas de sang
De retour dans le rang, nous remarquons la présence d’une jeune dame scotchée à son téléphone. Préoccupée, elle appelle toutes ses connaissances pour savoir où avoir du sang AB. «J’ai le bébé de ma grande sœur qui souffre au Chu de Cocody. Il a besoin du sang du groupe AB. Cela fait trois jours que nous montons la garde. Je viens relayer mon frère qui a passé toute la journée d’hier ici». indique cette jeune bibliothécaire de l’Insaac. Alors que l’attente se fait longue et que la colère grimpe chez les demandeurs, arrive une belle voiture de type 4x4 de laquelle sortent des Libanais. Ils ne font ni le rang ni l’attente. Descendus de leur véhicule, Ils se dirigent directement dans des bureaux et en sortent une trentaine de minutes plus tard avec des emballages. Ont-ils été servis ? Personne ne peut le savoir. Mais les commentaires vont bon train. Surtout quand un membre de l’Union nationale des donneurs de sang bénévole de Côte d’Ivoire vient mettre de «l’huile sur le feu» en incitant les uns et les autres à donner leur sang. Il va subir le courroux de tout ce monde. «Mon frère, il ne faut pas nous énerver davantage. Nous sommes en train d’attendre, depuis des jours, du sang. On nous dit qu’il n’y en a pas. Par contre, des Libanais viennent de partir avec du sang. Pendant que nous les pauvres nous attendons, vous préférez donner le sang aux plus offrants. On dit qu’il n’y a pas de sang mais quand tu as assez d’argent on va t’en trouver à la minute». S’est déchainé un demandeur qui en avait gros sur le cœur. Cette impression est celle d’un bon nombre de personnes. «Monsieur, pourquoi, selon vous, le nombre de donneurs de sang diminue au fil des années ? C’est tout simplement parce qu’ils se sont rendus compte que des gens grossissent sur leurs dos. Arrêtez de vendre le sang ! Dieu n’aime pas ça !» S’est écrié un autre qui semblait en savoir un peu plus sur la prétendue vente de sang au Cnts.
Les dispositions pour lutter contre le trafic de sang
Le Centre national de transfusion sanguine qui a vu le jour en 1958 ne veut plus être l’objet de suspicions. Bientôt, il va se soustraire de la distribution du sang dans les centres médicaux. Et se limitera au traitement et à la mise à la disposition du sang dans les structures sanitaires. Une visite guidée en compagnie du Dr Konaté Seidou, patron des lieux, nous permettra d’observer un certain nombre de dispositions. Désormais, officiellement, aucun patient ne peut obtenir une poche de sang sans un bon délivré par un médecin. Fut-il un cas d’urgence. Transparence oblige. Mieux, cette structure étatique à caractère administratif a installé dans son enceinte, des caméras de surveillance. Objectifs, suivre depuis les bureaux du directeur, les faits et gestes des agents. Dr Konaté Seidou ne veut plus revivre la malheureuse expérience du mois de janvier 2012. En effet, un de leurs vigiles avait réussi à confectionner le double des clefs des banques de sang. Loin des yeux indiscrets, il vendait aux plus offrants, des poches de sang. La complicité étant interne, nous a-t-on dit, lorsque la police économique a été avisée, le malfaiteur a pris la clef des champs. Une situation qui n’a pas manqué de ternir davantage l’image du Cnts. De la salle de transfusion aux différents laboratoires en passant par la machine à incinérer le mauvais sang, le directeur du Cnts nous a expliqué le mécanisme de traitement. A l’occasion, il a rejeté toutes magouilles faites sur le sang. Pour lui, les patients ignorent le fonctionnement de la structure dont il a la charge. «Le centre permet à ceux qui, en prélude à une opération, veulent recueillir et conserver leur sang. Etant entendu que la conservation se fait gratuitement. Ce qui donne l’impression à l’occasion du retrait, qu’ils sont venus prendre du sang alors qu’il en manque. Il y a aussi des structures privées qui viennent prendre leur stock. Il ne peut pas avoir un deal dans nos services». Soutient tout net Dr Konaté Seidou.
Paterne Ougueye Yves
yves_oug@yahoo.fr
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