A Marrakech où je me trouve depuis deux jours pour suivre la « conférence des amis de la Syrie », j’ai rencontré deux confrères, un Camerounais, et une Gabonaise.
- Comment ça va au Gabon ? ai-je demandé à la Gabonaise.
- Ça va. Nous sommes sur la route de l’émergence et notre président nous a promis que nous y serons en 2025.
- Nous aussi, a répliqué le Camerounais. Mais comme Biya manque d’ambition, il a promis nous faire émerger seulement en 2035.
- Chez nous c’est en 2020, ai-je ajouté.
- Dans ce cas je vais émigrer chez vous en Côte d’Ivoire, a dit le Camerounais, parce que je ne pense pas que j’aurai la patience d’attendre 2035 comme l’a promis Biya.
Ainsi donc tous nos chefs ont promis faire émerger nos pays à des horizons plus ou moins rapprochés. On peut sourire lorsque nous nous rendons compte que tous nos chefs nous promettent la même chose en même temps. Mais est-ce impossible ? A priori non. Mais on peut poser la question autrement. Est-ce possible ? Avant de répondre à tout cela, il est peut-être bon de répondre à des questions préalables. Qu’est-ce qu’un pays émergent ? Je crois qu’un pays émergent est celui qui est en train de sortir la tête hors de la misère, mais dont le corps est toujours plongé dans la pauvreté. Quelles sont les conditions pour être un pays émergent ? Je crois que l’émergence se constate à partir d’un certain nombre de chiffres, dont ceux de la croissance, du taux de pauvreté, de la mortalité infantile, de l’alphabétisation, de l’accès aux soins de santé, du nombre de routes bitumées, de l’emploi, etc.
- Le Maroc est-il un pays émergent ? ai-je demandé à mes interlocuteurs.
Après une brève discussion, la réponse a été négative. Du Maroc que je visite pour la première fois, je ne connais pour l’instant que la route entre l’aéroport de Casablanca et l’hôtel où je réside à Marrakech. Je n’ai pas même pas encore eu le temps de visiter la ville dont on m’avait vanté depuis longtemps la beauté. Mais cette seule route et tous les échangeurs que j’y ai vus m’indiquent qu’en matière de route, nous, Côte d’Ivoire, sommes encore loin du Maroc. Un de mes interlocuteurs qui connaît bien le Maroc me confirme qu’aucun de nos pays d’Afrique subsaharienne qui affirment vouloir émerger dans quelques années ne peut se comparer au royaume chérifien. « Il ne faut pas rêver. Il y a les pays d’Afrique du nord, qui jouent peut-être dans la même équipe que l’Afrique du sud d’un côté, et nous de l’autre côté. » Avant de quitter Abidjan, l’ambassadeur marocain avec qui j’avais échangé me disait que son pays, qui n’a pas beaucoup de ressources naturelles, a misé sur trois choses : la formation, l’artisanat, et le tourisme. Le jour de mon arrivée, un reportage d’une chaîne de télévision française présentait le Maroc comme la banlieue industrielle de la France, parce que de nombreuses entreprises des domaines de l’automobile, de l’aéronautique, de la téléphonie, pour ne citer que ceux-là, cherchaient toutes à se délocaliser au Maroc. Parce que ce pays a une main-d’œuvre bien formée et bon marché, sans compter de nombreux autres avantages offerts aux investisseurs, il est à deux pas de l’Europe. Aujourd’hui les entreprises marocaines sont à l’assaut de nos marchés à nous, pays subsahariens. Qui a envie de se délocaliser chez nous ? Personne. Parce que nous n’avons aucune main-d’œuvre qualifiée en quoi que ce soit. Pendant dix ans, nous avons trouvé très intelligent de saboter notre école pour la remplacer par des « agoras » et autres « sorbonnes » où l’on enseignait la haine, la violence et la stupidité. Pendant ce temps, le Maroc développait son système éducatif, au point où ceux de chez nous qui en avaient les moyens et qui voulaient échapper à l’enseignement de nos Refondateurs envoyaient leurs enfants au Maroc. Si nous voulons vraiment prendre le chemin de l’émergence, et si nous voulons vraiment y arriver en 2020, nous avons vraiment intérêt à mettre le paquet sur l’éducation dès maintenant. Il ne s’agira pas de faire semblant, ou de faire croire, mais de développer réellement le système éducatif afin qu’il soit compatible avec nos ambitions. Sur quoi comptons-nous pour émerger ? Si c’est uniquement sur le café, le cacao, l’hévéa, le palmier à huile et le pétrole, je crains que ce ne soit pas assez.
Le président est revenu de Paris avec plus de 4000 milliards de promesses d’investissements chez nous. Si nous voulons que ces promesses deviennent des réalités, il faudrait que nous débarrassions nos tribunaux de leurs juges pourris, et que nous nettoyions nos rues et routes de tous les agents racketteurs dont l’unique fonction est de ralentir les activités économiques et de ponctionner à leurs seuls profits ceux qui produisent de la richesse. Il faudra, comme le fait le Maroc, que nous donnions envie aux investisseurs de choisir notre pays plutôt qu’un autre. Plutôt que la Ghana par exemple, où ils ont réussi à mettre fin aux rackets des forces de l’ordre, et à rendre leur pays attractif.
Alors, est-il possible pour nous d’émerger ? Oui, mais nous avons beaucoup d’effort à faire. Le premier est de sortir du folklore.
Venance Konan
- Comment ça va au Gabon ? ai-je demandé à la Gabonaise.
- Ça va. Nous sommes sur la route de l’émergence et notre président nous a promis que nous y serons en 2025.
- Nous aussi, a répliqué le Camerounais. Mais comme Biya manque d’ambition, il a promis nous faire émerger seulement en 2035.
- Chez nous c’est en 2020, ai-je ajouté.
- Dans ce cas je vais émigrer chez vous en Côte d’Ivoire, a dit le Camerounais, parce que je ne pense pas que j’aurai la patience d’attendre 2035 comme l’a promis Biya.
Ainsi donc tous nos chefs ont promis faire émerger nos pays à des horizons plus ou moins rapprochés. On peut sourire lorsque nous nous rendons compte que tous nos chefs nous promettent la même chose en même temps. Mais est-ce impossible ? A priori non. Mais on peut poser la question autrement. Est-ce possible ? Avant de répondre à tout cela, il est peut-être bon de répondre à des questions préalables. Qu’est-ce qu’un pays émergent ? Je crois qu’un pays émergent est celui qui est en train de sortir la tête hors de la misère, mais dont le corps est toujours plongé dans la pauvreté. Quelles sont les conditions pour être un pays émergent ? Je crois que l’émergence se constate à partir d’un certain nombre de chiffres, dont ceux de la croissance, du taux de pauvreté, de la mortalité infantile, de l’alphabétisation, de l’accès aux soins de santé, du nombre de routes bitumées, de l’emploi, etc.
- Le Maroc est-il un pays émergent ? ai-je demandé à mes interlocuteurs.
Après une brève discussion, la réponse a été négative. Du Maroc que je visite pour la première fois, je ne connais pour l’instant que la route entre l’aéroport de Casablanca et l’hôtel où je réside à Marrakech. Je n’ai pas même pas encore eu le temps de visiter la ville dont on m’avait vanté depuis longtemps la beauté. Mais cette seule route et tous les échangeurs que j’y ai vus m’indiquent qu’en matière de route, nous, Côte d’Ivoire, sommes encore loin du Maroc. Un de mes interlocuteurs qui connaît bien le Maroc me confirme qu’aucun de nos pays d’Afrique subsaharienne qui affirment vouloir émerger dans quelques années ne peut se comparer au royaume chérifien. « Il ne faut pas rêver. Il y a les pays d’Afrique du nord, qui jouent peut-être dans la même équipe que l’Afrique du sud d’un côté, et nous de l’autre côté. » Avant de quitter Abidjan, l’ambassadeur marocain avec qui j’avais échangé me disait que son pays, qui n’a pas beaucoup de ressources naturelles, a misé sur trois choses : la formation, l’artisanat, et le tourisme. Le jour de mon arrivée, un reportage d’une chaîne de télévision française présentait le Maroc comme la banlieue industrielle de la France, parce que de nombreuses entreprises des domaines de l’automobile, de l’aéronautique, de la téléphonie, pour ne citer que ceux-là, cherchaient toutes à se délocaliser au Maroc. Parce que ce pays a une main-d’œuvre bien formée et bon marché, sans compter de nombreux autres avantages offerts aux investisseurs, il est à deux pas de l’Europe. Aujourd’hui les entreprises marocaines sont à l’assaut de nos marchés à nous, pays subsahariens. Qui a envie de se délocaliser chez nous ? Personne. Parce que nous n’avons aucune main-d’œuvre qualifiée en quoi que ce soit. Pendant dix ans, nous avons trouvé très intelligent de saboter notre école pour la remplacer par des « agoras » et autres « sorbonnes » où l’on enseignait la haine, la violence et la stupidité. Pendant ce temps, le Maroc développait son système éducatif, au point où ceux de chez nous qui en avaient les moyens et qui voulaient échapper à l’enseignement de nos Refondateurs envoyaient leurs enfants au Maroc. Si nous voulons vraiment prendre le chemin de l’émergence, et si nous voulons vraiment y arriver en 2020, nous avons vraiment intérêt à mettre le paquet sur l’éducation dès maintenant. Il ne s’agira pas de faire semblant, ou de faire croire, mais de développer réellement le système éducatif afin qu’il soit compatible avec nos ambitions. Sur quoi comptons-nous pour émerger ? Si c’est uniquement sur le café, le cacao, l’hévéa, le palmier à huile et le pétrole, je crains que ce ne soit pas assez.
Le président est revenu de Paris avec plus de 4000 milliards de promesses d’investissements chez nous. Si nous voulons que ces promesses deviennent des réalités, il faudrait que nous débarrassions nos tribunaux de leurs juges pourris, et que nous nettoyions nos rues et routes de tous les agents racketteurs dont l’unique fonction est de ralentir les activités économiques et de ponctionner à leurs seuls profits ceux qui produisent de la richesse. Il faudra, comme le fait le Maroc, que nous donnions envie aux investisseurs de choisir notre pays plutôt qu’un autre. Plutôt que la Ghana par exemple, où ils ont réussi à mettre fin aux rackets des forces de l’ordre, et à rendre leur pays attractif.
Alors, est-il possible pour nous d’émerger ? Oui, mais nous avons beaucoup d’effort à faire. Le premier est de sortir du folklore.
Venance Konan