Que devient réellement, aujourd’hui, le procès pénal lancé, depuis près d’un an, au tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau, à l’encontre des ex-dirigeants des 5 structures de gestion (Bcc, Fdpcc, Fgccc, Arcc, Frc) de la filière café-cacao ? Surtout après plusieurs tourniquets procéduraux qui ont abouti à des reports successifs sans grande explication ? Le dossier, lourd par son contenu (qui révèle trop d’implications, aujourd’hui gênantes au plus niveau), a été abandonné, en octobre dernier, par le juge Ahmed Souleymane Coulibaly à qui il avait été confié à la mi-mars 2012. Après 7 mois d’auditions publiques (faites à tâtons, selon les observateurs) de plus de 100 témoins (à charge et à décharge) et de la trentaine de prévenus dans l’affaire. On se pose encore et toujours des questions sérieuses sur (toutes) les zones d’ombre que ce que les observateurs attentifs qualifient d’imbroglio judiciaire n’a pu éclairer. Surtout qu’une nouvelle juge, Henriette Zunon, vice-présidente du tribunal de première instance, a pris le relais dans la conduite du dossier, avec l’argumentaire, trop fragile, de l’indisponibilité (pour raison de mauvaise santé) de son prédécesseur. Question utile : Le dossier deviendrait-il, à la vérité, trop «encombrant» pour être tenu par les magistrats (le procureur et le juge, notamment) qui en ont la charge ? Les avocats de la défense avaient, quant à eux, prévenu le tribunal et l’auditoire, par les invectives de Me Blessy Chrysostome (avocat de Tapé Do Lucien). «Le tribunal a-t-il vraiment l’envie de juger cette affaire ? Il n’y a pas de consistance, ni de volonté réelle à vouloir juger cette affaire. Ces prévenus, qui ont passé trop de temps en prison, sont aujourd’hui à la recherche de leur pitance quotidienne. Ils viennent à un procès qui tâtonne et ne savent pas où va le tribunal, alors qu’ils ont besoin de se faire blanchir», avait-il argumenté, en mai dernier. Du côté des prévenus, que toutes ces hésitations judiciaires inexpliquées agaceraient, la langue de bois commence à se rompre. «On a mal que tout traîne. Pourquoi refuse-t-on de filmer les audiences publiques, si on ne se reproche rien ? Qui a utilisé l’argent des planteurs ? Qui a exporté le cacao de Côte d’Ivoire ? Pourquoi le juge ne fait-il pas comparaître les présidents d’institutions, les ministres et les exportateurs impliqués?», s’était insurgée l’une des grosses têtes, interrogée en privé par nous, hors du palais de Justice. «Il y a un noyau de l’exécutif qui a pris en otage le pouvoir judiciaire et qui veut se faire blanchir. Il ne faut pas renverser le verdict du procès. Il faut que le juge aille jusqu’au bout en faisant un procès transparent», avait réagi une autre source. Des propos qui ont, naturellement, l’adhésion du bâtonnier Bilé Aka Joachim (avocat de la défense) qui invoquait, face au tribunal et au parquet, début mai dernier, l’article 436 du code de procédure pénale qui donne droit au tribunal d’user de la force publique pour contraindre des témoins à comparaître. «Nous sommes pour l’application du principe de liberté des inculpés. Nous attendons du parquet qu’il convoque les personnalités impliquées pour ne pas qu’il y ait un déséquilibre dans le procès». Un débat procédural sur l’imperium du tribunal, aujourd’hui fortement attendu par toutes les parties.
SYLVAIN TAKOUE
SYLVAIN TAKOUE