Professeur à l’université de Géographie politique à l’université de Bordeaux III en France, Christian Bouquet est également un spécialiste de la Côte d’Ivoire. Dans une interview accordée à ONUCI FM, dont nous vous propos de larges extraits, il jette un regard sur la situation actuelle de la Côte d’Ivoire.
Question : Professeur, 2012 s’achève. Avec du recul, quel est le regard que vous posez sur la Côte d’Ivoire et surtout en son volet réconciliation ?
Christian Bouquet : Si on traite le volet réconciliation, c’est un regard évidemment contrasté, parce qu’on peut constater que l’année 2012 en Côte d’Ivoire a été globalement une année calme. A l’exception de quelques incidents relativement sérieux dans la deuxième partie de l’année, dans les mois d’août et de septembre. Mais le reste du temps, le pays a été plutôt calme et a en particulier retrouvé une forme de stabilisation au niveau politique. Parce que les élections législatives de décembre 2011 se sont déroulées normalement, à l’exception de la non-participation du FPI. Ils doivent regretter de ne pas avoir participé parce qu’ils auraient pu avoir des représentants à l’Assemblée nationale. Mais dans l’ensemble, chacun a retrouvé le fonctionnement de la démocratie. Mais il y a eu un malentendu sur la réconciliation. Parce que beaucoup dans la classe politique pense qu’on ne peut pas parler de réconciliation si on n’intègre pas dans la vie politique les cadres du FPI, dont beaucoup sont actuellement interpellés ou en exil. Secundo, les gens pensent qu’il y aura un pardon sans justice, que soit la justice nationale ou la justice internationale. Pour le moment, on est dans ces interrogations. Vous savez que la justice n’est pas dans les prérogatives de la Commission dialogue, vérité et réconciliation. En regardant 2012, je pense que ce sont des questions à résoudre impérativement en 2013
Q : Professeur, avec votre expérience, faut il sacrifier la justice sur l’autel de la réconciliation ?
CB : C’est une question extrêmement difficile. Mais il faudra reposer la question autrement. On ne peut sacrifier la justice sur l’autel de la réconciliation.
Q : La réconciliation politique à vos yeux, comment doit-elle se passer?
CB : la réconciliation politique à mes yeux, elle sera faite lorsque tout le monde reconnaitra les résultats de l’élection présidentielle. Parce qu’il y en a qui ne l’ont toujours pas reconnue. A partir de là, on parlera de réconciliation et la participation de tous aux élections locales. Je crois entendre dire : « est-ce que la Côte d’Ivoire va choisir ce modèle, un peu africain, qui consiste à dire : ‘’on fait les élections et après on fait un gouvernement d’union nationale’’ ». Ça c’est une voie qui n’est pas forcement la meilleure. La démocratie consiste à aller aux élections pour que le vainqueur gouverne et que le vaincu retourne dans l’opposition.
Q : Professeur, la question foncière a souvent empoisonné l’ambiance nationale. Comment regardez-vous cette question en rapport avec la réconciliation et le retour à la normalité ?
CB : Vous avez tout à fait raison d’évoquer la question foncière. Elle est principalement la cause de la crise en Côte d’Ivoire dès la fin de l’année 90. Elle a été à l’origine de l’Ivoirité. Elle a été à l’origine de la fracture intercommunautaire. Je dois dire en regardant l’année 2012, qu’il faudra en 2013 régler cette question foncière. De mon point de vue, elle n’a pas encore été réglée. Je crains que La loi de 98 ne résolve pas la question. Le Côte d’Ivoire court un gros risque sur la question foncière.
Q : La loi de 98, selon vous, est-elle une loi imparfaite ?
CB : la loi de 98 a été prise précipitamment. Elle comporte beaucoup d’imperfection.
Q : Faut-il donc revoir le dossier?
CB : Encore une fois, je pense qu’il faudra reprendre ce dossier que je connais assez. Parce que c’est tout simplement une bombe à retardement, tout simplement.
Q : En 2012, comme vous le dites, la Côte d’Ivoire a connu des attaques aux frontières et même à Abidjan. Quelle lecture faites-vous de ces attaques ?
CB : Ma lecture est que la sécurisation du pays n’est pas totale. En faisant une analyse plus profonde, notamment en ce qui concerne ces attaques, je peux dire qu’elles sont préoccupantes dans la mesure où on peut conclure que l’armée ivoirienne n’est pas devenue l’armée républicaine, dont on rêve dans un Etat de droit. Il y a comme l’a écrit un hebdomadaire un problème des armées africaines, mais il y a un problème particulier de l’armée ivoirienne dans la mesure où on n’a pas beaucoup avancé dans la refonte de l’armée en vue d’instaurer une confiance républicaine. Pour le moment, ce n’est pas le cas. Beaucoup de travail reste à faire.
Q : Que pensez-vous de cette insécurité en relation avec les pays frontaliers comme le Ghana, le Libéria, la Guinée ?
CB : Pour la sécurité avec la frontière ghanéenne, elle est surtout liée à la présence au Ghana de plusieurs exilés. Il y a de gros efforts à faire au niveau de la diplomatie ivoirienne pour finalement rationnaliser et normaliser ses relations avec ses deux voisins que sont le Ghana et le Libéria. Il faudra également, avec le Ghana, régler la question de la frontière maritime. Il y a des gisements de pétrole qui sont importants aussi bien pour le Ghana que pour la Côte d’Ivoire. Il y aura un gros travail à entreprendre dans les relations avec le Ghana.
Q : Faut-il être inquiet sur la question ?
CB : La diplomatie ivoirienne a montré qu’elle savait être patiente. Ces interlocuteurs, au plan diplomatique, sont à la auteur de leur tâche. Il ne faut pas oublier un élément important de l’année 2012 qui a vu le Président Ouattara prendre la tête de la CEDAO et qui replace la Côte d’Ivoire sur la scène internationale. C’est un élément important pour la Côte d’ Ivoire. Cela a également été renforcé par la création d’un ministère de l’Intégration africaine. Ce n’est pas rien. La Côte d’Ivoire a maintenant une diplomatie qui est établie, bien écoutée.
Q : au niveau économique, y a-t-il de quoi avoir confiance en la Côte d’Ivoire ?
CB : Il faut reconnaitre que malgré la crise qu’elle a vécue, la Côte d’Ivoire ne s’est pas effondrée économiquement. Ça, c’est un atout considérable. La relance s’est effectuée aussi vite qu’on pouvait l’imaginer. Les investisseurs n’ont jamais perdu confiance en la Côte d’Ivoire. En regardant l’université de Cocody, on a l’impression qu’on vient de construire quelque chose de nouveau. Pourtant, il ne s’agit que d’une réhabilitation. La reconstruction est une réalité. Si vous jetez une regard un peu plus loin, vous voyez les grands chantiers comme le troisième pont, dont le financement est bouclé. C’est quelque chose de concret et non pas une promesse. Il y a beaucoup d’investissements qui se font. La ville d’Abidjan est en train d’être réorganisée proprement. Avec la formation du nouveau gouvernement qui a vu Daniel Kablan Duncan devenir Premier ministre et ministre de l’Economie et des Finances, que Jean Louis Billon devienne ministre du Commerce et ayant également en charge la Promotion des PME et que l’ancien ministre de l’Economie devienne ministre des Affaires étrangères, sont des scénarios qui amorcent le développement économique de la Côte d’Ivoire qui fera qu’en 2013, la croissance atteindra un chiffre supérieur. Il ne faut pas oublier le volet social dans le développement économique. Il faudra créer des dizaines de milliers d’emplois. Si ce n’est pas le cas, la jeunesse pourrait rapidement perdre confiance. Hors qui dit développement économique, parle de création d’emplois, de partage de richesse.
Q : Quel doit être pour terminer, selon vous, la mission du système des Nations unies en Côte d’Ivoire?
CB : Tous les regards seront tournés vers le système des Nations unies pour les élections municipales et régionales à venir, qui a toujours été présent lors des scrutins précédents. Puisque M Bert Koenders devra certifier cette élection et l’élection législative partielle. La mission devra veiller aussi à la sécurisation des autres élections pour que tout se passe dans le calme.
Propos recueillis par Thiery Latt
Question : Professeur, 2012 s’achève. Avec du recul, quel est le regard que vous posez sur la Côte d’Ivoire et surtout en son volet réconciliation ?
Christian Bouquet : Si on traite le volet réconciliation, c’est un regard évidemment contrasté, parce qu’on peut constater que l’année 2012 en Côte d’Ivoire a été globalement une année calme. A l’exception de quelques incidents relativement sérieux dans la deuxième partie de l’année, dans les mois d’août et de septembre. Mais le reste du temps, le pays a été plutôt calme et a en particulier retrouvé une forme de stabilisation au niveau politique. Parce que les élections législatives de décembre 2011 se sont déroulées normalement, à l’exception de la non-participation du FPI. Ils doivent regretter de ne pas avoir participé parce qu’ils auraient pu avoir des représentants à l’Assemblée nationale. Mais dans l’ensemble, chacun a retrouvé le fonctionnement de la démocratie. Mais il y a eu un malentendu sur la réconciliation. Parce que beaucoup dans la classe politique pense qu’on ne peut pas parler de réconciliation si on n’intègre pas dans la vie politique les cadres du FPI, dont beaucoup sont actuellement interpellés ou en exil. Secundo, les gens pensent qu’il y aura un pardon sans justice, que soit la justice nationale ou la justice internationale. Pour le moment, on est dans ces interrogations. Vous savez que la justice n’est pas dans les prérogatives de la Commission dialogue, vérité et réconciliation. En regardant 2012, je pense que ce sont des questions à résoudre impérativement en 2013
Q : Professeur, avec votre expérience, faut il sacrifier la justice sur l’autel de la réconciliation ?
CB : C’est une question extrêmement difficile. Mais il faudra reposer la question autrement. On ne peut sacrifier la justice sur l’autel de la réconciliation.
Q : La réconciliation politique à vos yeux, comment doit-elle se passer?
CB : la réconciliation politique à mes yeux, elle sera faite lorsque tout le monde reconnaitra les résultats de l’élection présidentielle. Parce qu’il y en a qui ne l’ont toujours pas reconnue. A partir de là, on parlera de réconciliation et la participation de tous aux élections locales. Je crois entendre dire : « est-ce que la Côte d’Ivoire va choisir ce modèle, un peu africain, qui consiste à dire : ‘’on fait les élections et après on fait un gouvernement d’union nationale’’ ». Ça c’est une voie qui n’est pas forcement la meilleure. La démocratie consiste à aller aux élections pour que le vainqueur gouverne et que le vaincu retourne dans l’opposition.
Q : Professeur, la question foncière a souvent empoisonné l’ambiance nationale. Comment regardez-vous cette question en rapport avec la réconciliation et le retour à la normalité ?
CB : Vous avez tout à fait raison d’évoquer la question foncière. Elle est principalement la cause de la crise en Côte d’Ivoire dès la fin de l’année 90. Elle a été à l’origine de l’Ivoirité. Elle a été à l’origine de la fracture intercommunautaire. Je dois dire en regardant l’année 2012, qu’il faudra en 2013 régler cette question foncière. De mon point de vue, elle n’a pas encore été réglée. Je crains que La loi de 98 ne résolve pas la question. Le Côte d’Ivoire court un gros risque sur la question foncière.
Q : La loi de 98, selon vous, est-elle une loi imparfaite ?
CB : la loi de 98 a été prise précipitamment. Elle comporte beaucoup d’imperfection.
Q : Faut-il donc revoir le dossier?
CB : Encore une fois, je pense qu’il faudra reprendre ce dossier que je connais assez. Parce que c’est tout simplement une bombe à retardement, tout simplement.
Q : En 2012, comme vous le dites, la Côte d’Ivoire a connu des attaques aux frontières et même à Abidjan. Quelle lecture faites-vous de ces attaques ?
CB : Ma lecture est que la sécurisation du pays n’est pas totale. En faisant une analyse plus profonde, notamment en ce qui concerne ces attaques, je peux dire qu’elles sont préoccupantes dans la mesure où on peut conclure que l’armée ivoirienne n’est pas devenue l’armée républicaine, dont on rêve dans un Etat de droit. Il y a comme l’a écrit un hebdomadaire un problème des armées africaines, mais il y a un problème particulier de l’armée ivoirienne dans la mesure où on n’a pas beaucoup avancé dans la refonte de l’armée en vue d’instaurer une confiance républicaine. Pour le moment, ce n’est pas le cas. Beaucoup de travail reste à faire.
Q : Que pensez-vous de cette insécurité en relation avec les pays frontaliers comme le Ghana, le Libéria, la Guinée ?
CB : Pour la sécurité avec la frontière ghanéenne, elle est surtout liée à la présence au Ghana de plusieurs exilés. Il y a de gros efforts à faire au niveau de la diplomatie ivoirienne pour finalement rationnaliser et normaliser ses relations avec ses deux voisins que sont le Ghana et le Libéria. Il faudra également, avec le Ghana, régler la question de la frontière maritime. Il y a des gisements de pétrole qui sont importants aussi bien pour le Ghana que pour la Côte d’Ivoire. Il y aura un gros travail à entreprendre dans les relations avec le Ghana.
Q : Faut-il être inquiet sur la question ?
CB : La diplomatie ivoirienne a montré qu’elle savait être patiente. Ces interlocuteurs, au plan diplomatique, sont à la auteur de leur tâche. Il ne faut pas oublier un élément important de l’année 2012 qui a vu le Président Ouattara prendre la tête de la CEDAO et qui replace la Côte d’Ivoire sur la scène internationale. C’est un élément important pour la Côte d’ Ivoire. Cela a également été renforcé par la création d’un ministère de l’Intégration africaine. Ce n’est pas rien. La Côte d’Ivoire a maintenant une diplomatie qui est établie, bien écoutée.
Q : au niveau économique, y a-t-il de quoi avoir confiance en la Côte d’Ivoire ?
CB : Il faut reconnaitre que malgré la crise qu’elle a vécue, la Côte d’Ivoire ne s’est pas effondrée économiquement. Ça, c’est un atout considérable. La relance s’est effectuée aussi vite qu’on pouvait l’imaginer. Les investisseurs n’ont jamais perdu confiance en la Côte d’Ivoire. En regardant l’université de Cocody, on a l’impression qu’on vient de construire quelque chose de nouveau. Pourtant, il ne s’agit que d’une réhabilitation. La reconstruction est une réalité. Si vous jetez une regard un peu plus loin, vous voyez les grands chantiers comme le troisième pont, dont le financement est bouclé. C’est quelque chose de concret et non pas une promesse. Il y a beaucoup d’investissements qui se font. La ville d’Abidjan est en train d’être réorganisée proprement. Avec la formation du nouveau gouvernement qui a vu Daniel Kablan Duncan devenir Premier ministre et ministre de l’Economie et des Finances, que Jean Louis Billon devienne ministre du Commerce et ayant également en charge la Promotion des PME et que l’ancien ministre de l’Economie devienne ministre des Affaires étrangères, sont des scénarios qui amorcent le développement économique de la Côte d’Ivoire qui fera qu’en 2013, la croissance atteindra un chiffre supérieur. Il ne faut pas oublier le volet social dans le développement économique. Il faudra créer des dizaines de milliers d’emplois. Si ce n’est pas le cas, la jeunesse pourrait rapidement perdre confiance. Hors qui dit développement économique, parle de création d’emplois, de partage de richesse.
Q : Quel doit être pour terminer, selon vous, la mission du système des Nations unies en Côte d’Ivoire?
CB : Tous les regards seront tournés vers le système des Nations unies pour les élections municipales et régionales à venir, qui a toujours été présent lors des scrutins précédents. Puisque M Bert Koenders devra certifier cette élection et l’élection législative partielle. La mission devra veiller aussi à la sécurisation des autres élections pour que tout se passe dans le calme.
Propos recueillis par Thiery Latt