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Art et Culture Publié le mardi 29 janvier 2013 | Notre Voie

Binda N’Gazolo (conteur camerounais) : «Le conte est la racine de toutes les autres manières de raconter»

Le conteur camerounais Binda N’Gazolo estime que le conte a encore sa place dans les sociétés africaines, en ce sens qu’il permet d’établir un lien permanent entre les peuples et leurs racines ou leurs traditions. Il l’a exprimé au cours d’une interview accordée à Notre Voie, à la faveur des Rencontres internationales des arts et de la culture (Riac) tenues récemment à Adzopé et Abidjan.

Notre Voie : Comment êtes-vous venu au conte ?

Binda N’Gazolo : J’ai appris à conter comme on apprend à marcher. J’ai plus de 40 ans dans ce métier. Quand j’étais enfant à la belle époque, on se retrouvait encore autour de la grand-mère pour le moment du conte où les tout-petits apprenaient auprès des plus adultes à enrichir leur vocabulaire, la prise de parole, les grandes leçons de vie qu’on tire des contes. Lesquels contes génèrent souvent des proverbes qui ne sont pas pour autant la morale de l’histoire. Parce que la morale est une conception judéo-chrétienne. Car nos ancêtres ne voyaient pas le monde en binaire. Ils avaient une vision beaucoup plus complexe. Et donc ce que les autres appellent morale de l’histoire, nous on l’appelle expérience de vie.

N.V. : Vous sentez-vous sincèrement bien dans ce rôle ?

B.N. : Je suis conteur et j’en suis fier. Et je me bats pour ça. Cette pratique de conte m’a été léguée par mes ancêtres. Et je pars de l’idée que l’existence humaine se résume quelque part à une histoire à raconter. C’est de cette façon que les humains ont évolué, générations, après générations. Les devanciers racontaient leurs expériences de vie à leurs descendants pour que ces derniers sachent d’où ils viennent, où ils sont et où ils vont. Toute chose qui pourra déterminer par la suite leur chemin. Toutes les civilisations du monde, dans toute l’humanité, ont été à un moment ou à un autre confrontées à l’angoisse métaphysique et chaque peuple s’est sublimé à travers lui-même en s’inspirant de son environnement immédiat. C’est cela qui a généré les mythes. Seulement, la pire des choses qui puisse arriver à un peuple, c’est que les mythes des autres viennent se substituer aux siens propres. Et c’est ce qui nous est arrivé en Afrique. Conséquence, nous avons perdu le fil de notre récit. Nous avons perdu le fil qui nous relie à nous-mêmes et nous sommes devenus les avatars des autres. A tel point que désormais, nous ne pouvons exister que par les autres et surtout à l’intérieur du rêve des autres qui devient malheureusement notre cauchemar aujourd’hui.

N.V. : Que faire pour remédier à cela ?

B.N. : Il me semble important de nous réapproprier nos imaginaires, nos récits. Il est nécessaire de restituer à nos petits enfants leur part d’humanité, afin qu’ils ne deviennent pas adultes sans cette fondation essentielle qui nous rattache aux sources de la vie. C’est cela le sens de mon action. Le conte est la racine de toutes les autres manières de raconter. A savoir le théâtre, le cinéma, les sketches, la littérature, la nouvelle, les légendes, les mythes, etc. Bien qu’ayant étudié les arts dramatiques, je trouve que c’est le conte qui m’a amené au théâtre. Il se trouve qu’en étudiant le théâtre, j’ai découvert que le théâtre est né de la mise en espace des mythes de la Grèce antique. Le théâtre est donc l’enfant du conte, et non l’inverse. On nous a formatés à déconsidérer tout ce qui vient de nous. Et c’est comme cela que nous avons déconsidéré nos contes, et que nous avons oublié de les transmettre à nos enfants. Aujourd’hui, on s’étonne quand ces enfants se retrouvent totalement déracinés. Il est donc vital pour nous de nous réapproprier ces récits et de les raconter à nos enfants. Car il est nécessaire de passer le témoin. Nous n’avons plus la force de courir aussi vite que nos enfants. Alors nous devons leur passer le témoin, et non pas le garder comme on a tendance à le faire chez nous en Afrique. C’est cela le sens de mon action.

N.V. : Comment jugez-vous les premières Riac ?

B.N. : Je ne porterai pas de jugement. Nous sommes à la toute première édition de ce festival. La moindre des choses, c’est l’indulgence et accepter que nous sommes au stade du droit à l’erreur. J’ai été heureux d’être là. La programmation a été de qualité. J’ai vu de très beaux spectacles. J’ai rencontré du beau monde. Tout est perfectible. Il faudrait qu’on attende quelques années avant de porter quelque jugement que ce soit. Merci donc au quotidien Notre Voie de s’intéresser régulièrement à ce que nous faisons dans le cadre de la promotion des arts et de la culture africains à travers le monde.

Interview réalisée à Adzopé par Patrice Tapé
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