Alassane Ouattara parviendra-t-il un jour à sortir de l’esprit de belligérance dans lequel il gouverne ce pays depuis le 11 avril 2011 ? Décrétera-t-il jamais, en pensée et en action, la fin de la guerre dans laquelle, pour le fauteuil présidentiel, il a plongé ce pays depuis une décennie ? La question est même devenue une préoccupation partagée. Ce d’autant que les Ivoiriens ont du mal à comprendre que 20 mois après son avènement, les libertés publiques soient toujours confisquées. L’interdiction à la sauvette du meeting de la jeunesse du Front populaire ivoirien (Jfpi), prévu pour samedi dernier, 16 février 2013, à la place Cp1 de Yopougon Sicogi, est une preuve supplémentaire de la frilosité du pouvoir face à l’ombre d’un prisonnier qu’il n’aurait pas dû constituer. Ni par sa justices des vainqueurs, ni par les soins de ses parrains. Oui, l’ombre du Président Laurent Gbagbo est plus qu’un spectre pour le régime qui manque de sommeil à l’idée qu’il puisse un jour sortir de la captivité et restaurer la vérité de l’Histoire contemporaine de la Côte d’Ivoire. Parce que l’objectif du meeting projeté par Koua Justin (secrétaire national par intérim de la Jfpi) et ses camarades, était d’exiger par leur mobilisation pacifique, la libération du célèbre prisonnier à La Haye depuis le 30 novembre 2011. Mais pourquoi l’ombre d’un homme, embastillé si loin, en Hollande, à la Cpi, peut-elle perturber un pouvoir adossé à une communauté dite internationale, qui a soutenu que le droit et la légitimité n’étaient pas de son côté ? Que craint Ouattara pour laisser se tenir, à Yopougon, site bien loin du Palais présidentiel, un meeting pacifique de la jeunesse du Fpi ? Quel pouvoir y avait-il à prendre à Yopougon pour que le ministère de l’Intérieur invente à la dernière minute, une manifestation de «victimes» dans la même zone justifiant son interdiction ? En vérité, rien ne justifie l’interdiction de ce rassemblement, qui, s’il s’était déroulé, aurait apporté plus de dividendes (en termes d’ouverture démocratique) au régime qu’à ses organisateurs. Mais plus le temps passe, plus le régime Ouattara réalise l’encrage sociologique et politique de Laurent Gbagbo dans le pays. Il se rend à l’évidence que malgré toutes les théories de sa propre popularité de pouvoir dit légitime, la réconciliation nationale reste tributaire de la libération de l’ancien chef de l’Etat à la Cpi. Mais le régime confirme aussi par l’annulation du meeting, son inaptitude à diriger un Etat de droit. Il a toujours rusé avec la démocratie, trouvant des prétextes pour ne pas permettre à l’opposition d’exercer ses droits et mener ses activités. Ou bien il évoque l’insuffisance des agents des forces de l’ordre pour sécuriser l’événement, alors même que ceux déployés pour mater les manifestants sont plus nombreux que la population attendue… ou alors, il laisse faire, mais infiltre les démocrates, crée la violence et la désolation au milieu d’eux, de sorte à leur faire porter la responsabilité du drame. Pourtant, dans ce qu’il s’est engagé à faire pour dynamiser le jeu démocratique, grâce au Dialogue Fpi-Gouvernement, on a noté ceci : «Le Gouvernement s’engage à veiller au respect du droit des partis politiques de se réunir et d’exercer librement toutes leurs activités sur l’ensemble du territoire national». Par cette révocation de sa parole donnée, on se demande alors, à quand la fin de la guerre dans l’entendement du pouvoir ? Va-il demeurer dans la belligérance jusqu’à la fin du mandat, en 2015 ? Dans ces conditions, à quoi auront servi les élections dites «élections de sortie de crise», si Ouattara estime que son pouvoir est issu de ces scrutins ? Le temps parcouru a permis aux Ivoiriens d’évaluer ce régime, de le jauger au pied du mur et de mettre en balance ses promesses de campagne et ses faits. Le constat est clair. Ouattara qui n’a jamais été un démocrate, ne leur restituera pas leurs espaces de libertés. Ils devront donc continuer de batailler pour les arracher, les mains nues. Et le président par intérim du Fpi a eu raison de saluer il y a quelques mois l’engagement de ses camarades dans ce sens, en ces termes : «Il faut les féliciter pour avoir tenu. Il faut les féliciter pour leur engagement profond en faveur de la démocratie. Parce qu’avec ce que les uns et les autres ont vécu, ils auraient pu abandonner la lutte et même le Fpi comme beaucoup de nos adversaires le souhaitaient. Mais les militants ont tenu. Surtout nos jeunes avec à leur tête leur secrétaire national Koua Justin que je voudrais féliciter et remercier pour son engagement sans faille. Je voudrais également remercier et féliciter Marie-Odette Lorougnon qui a en charge l’organisation de nos femmes. Mais aussi toutes les autres structures d’activité.» Mais dans tous les cas, le régime Ouattara doit sortir enfin de la belligérance pour donner à la Côte d’Ivoire une image noble.
Germain Séhoué
Germain Séhoué