Contrairement à une certaine opinion répandue ces derniers temps, ce n’est pas le régime Ouattara qui a procédé à la naturalisation des 8000 apatrides de Bouaflé. Ces personnes naturalisées en 1995 par le président Henri Konan Bédié, avaient du mal à jouir de leurs droits. Un tort que les nouvelles autorités n’ont fait que réparer.
Comme des fortins, ils gardent toutes les entrées de Bouaflé. Koupela-Tenkodogo (villages jumeaux, 5 km, axe Zuénoula), Garango (5 km, axe Daloa) et Koudougou (10 km, axe Yamoussoukro), sont peuplés très majoritairement de populations arrivées de l’ex-Haute-Côte d’Ivoire (Burkina Faso). Ce sont, pour la plupart des Mossi et des Bissa et d’autres peuples du même pays auxquels se sont joints des Sénoufo et des Malinké ivoiriens, mais aussi d’autres populations de la sous-région ouest-africaine. Ces peuples laborieux d’origine burkinabè qui sont à leur troisième ou quatrième génération étaient, pour beaucoup d’entre eux des apatrides. Fiers de leurs origines et de leurs cultures mais Ivoiriens dans l’âme, ils ont eu tous les problèmes pour acquérir la nationalité ivoirienne et pour ceux qui l’on obtenue après un rude parcours du combattant, rares sont ceux qui en ont joui pleinement. Aussi ont-ils accueilli avec soulagement et beaucoup d’espoir, le message du ministre de la Justice, Gnénéma Mamadou Coulibaly qui leur a rendu visite, en compagnie du Haut-commissariat aux réfugiés (Hcr), le lundi 4 mars dernier. «Une fois que la nationalité est acquise, rien ne peut permettre de dénier les droits subséquents de l’acte de naturalisation pour la plupart d’entre vous, cela relève de 1995. Depuis cette date, vous avez tous les droits et vous êtes en droit de réclamer tous vos droits. Alors ne reculez jamais et faites en sorte que tout le monde respecte votre engagement à être Ivoiriens. Vous êtes Ivoiriens, vous le demeurez. Je voudrais dire à mes parents ici que la Côte d’Ivoire s’engage à faire en sorte que tous leurs droits de citoyens ivoiriens soient respectés», avait déclaré le ministre à ses hôtes réunis à Koupela-Tenkodogo pour la circonstance.
Les pionniers arrivent entre 1933 et 1934
Le chef du village décédé, il y a bientôt un mois, c’est Bakary Yoda qui nous reçoit sous un hangar au toit de pailles tressées. Il fait office de régent, en attendant la nomination du nouveau chef qui pourrait bien être son journaliste de frère. « Ici, la population est majoritairement Bissa, mais nous dénombrons aussi des Goursi, des Lobi (Ivoiriens et Burkinabè) et des Sénoufo, tous reconnaissant feu notre père Arouna Yoda comme chef », nous dit-il, estimant la population actuelle du village à plus de 8.000 personnes. Une population qui vit essentiellement de la terre, produisant des cultures vivrières, mais aussi du café, du cacao et même du coton. « Les premières familles arrivées ici sont les Yoda, les Bambara, les Billa, les Bancé et les Compaoré, dans les années 1933-1934 », poursuit Bakary Yoda avec, à ses côtés, quelques notables qui, heureusement ne sont pas allés au champ en ce jour où nous leur rendons visite pour comprendre leur histoire. Ces familles ont ensuite été rejointes par leurs frères. Selon lui, ces populations sont arrivées là à la demande d’un commandant de cercle colonial qui, après Bouaflé, a été affecté à Garango, en pays Bissa, dans l’ex-Haute-Côte d’Ivoire. Les volontaires étant réunis dans la capitale du cercle avant leur acheminement en ex-Basse-Côte d’Ivoire, ils ont donné le nom Garango à leur nouveau village. C’est dans ce village qu’en route pour Daloa, les présidents Félix Houphouet-Boigny et Maurice Yaméogo (premier président de la Haute Volta devenue Burkina Faso) ont fait escale quelques mois après les indépendances. Aux populations des quatre villages réunies à cette occasion à Garango, Houphouët-Boigny reconnaissant, avait déclaré : « Vous êtes des Ivoiriens, vous avez gagné la bataille, il ne reste que le travail…Travaillez sans relâche ni fatigue et vous serez récompensés du fruit de vos efforts. Vous n’irez plus ailleurs pour trouver autre chose… ».
Pourtant, c’est douze ans plus tard qu’interviennent les premières naturalisations sur des demandes individuelles de trois personnes : Pafana Yoda, alors président du comité du Pdci-Rda, El Hadj Amidou Yoda et Seydou Yoda. Suivront ensuite, en 1985 puis en 1989 d’autres demandes individuelles, plus de deux cents pour chacune de ces années. Cela, malgré le droit du sol en vigueur à cette époque qui donnait légalement la nationalité ivoirienne aux étrangers nés en Côte d’Ivoire. « Les naturalisations collectives n’interviendront qu’en 1995 par le décret n° 95-809 du 26 septembre 1995 signé par le président Henri Konan Bédié », explique Bakary Yoda. Malheureusement, ces décrets citaient nommément le chef de famille, ses épouses et ses enfants majeurs. La politique aidant, les fonctionnaires zélés ont interprété à leur manière l’application. « D’abord, nos certificats de nationalité étaient de couleur blanche alors qu’on délivrait aux autres des certificats de couleur verte ou orange. Ensuite, ceux dont les noms ne figuraient pas sur les décrets ne pouvaient obtenir la nationalité ivoirienne, même si leurs deux parents étaient considérés comme des Ivoiriens naturalisés. Pis, certains, même avec le décret de naturalisation, n’avaient pas leurs noms dans le journal officiel », ajoute un jeune assis à côté de Bakary Yoda. Facile d’imaginer les conséquences de cette discrimination sur le quotidien de ces populations.
3.000 autres apatrides attendent
« Nos pères et grands-pères ont activement participé au combat du Rda pour l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Ils ont travaillé dans les champs, mais aussi sur les chantiers des grandes infrastructures économiques comme le port d’Abidjan, le premier pont. Plusieurs générations se sont succédé, des enfants sont nés, certains de mères autochtones Gouro, Yowlè et Baoulé. Nous avons de grands cadres dans l’administration, mais nous avons toujours été marginalisés, souvent méprisés », dénonce Billa, le chauffeur de taxi qui nous conduit aux villages de Koupela-Tenkodogo. Il nous conduit à la mosquée des villages jumeaux non sans préciser : « dans ces deux villages, plus de 3.000 autres apatrides attendent la régularisation de leur situation ». Sous les feuillages touffus d’un grand manguier, nous reçoivent Ouelgo Assane, Sorogo Ousséni (jeune frère du chef du village de Tenkodogo) et Moctar Touré dont le nom cache celui de ses ascendants maternels d’origine burkinabè. Ils nous préviennent : « les chefs et l’imam qui auraient pu vous donner plus d’informations sont au champ. Nous ne pourrons vous dire que le peu que nous savons ». Comme Garango, Koudougou (à Bouaflé), Kaya et Koudougou ou Petit Ouaga (à Zuénoula), ils affirment que leurs ascendants sont arrivés sur ces terres à la demande du commandant de cercle français qui en avait fait la demande au gouverneur Voulet de la Haute-Côte d’Ivoire. Ce dernier obtient l’accord de Naba Kiba, roi de Tenkodogo (Haute-Côte d’Ivoire) dans les années 1920 qui choisit les premiers volontaires, à savoir sept chefs de famille et trois femmes : « Tingandé Sorogo (premier chef de Tenkodogo), Baliman Samba, Kéré Nato, Boundaogo Baouré, Kéré Gandaogo, Kéré Sahoumba et Daboné Nouaga, sans compter les trois femmes dont les noms m’échappent » et les premiers Bissa dont il ne peut nous dire grand ’chose. Ces pionniers ont d’abord travaillé dans les plantations des colons de l’Association des producteurs ouest-africains (Asproa). Ces derniers leur ont d’abord cédé des petites parcelles pour les cultures vivrières. Au départ des colons, des parcelles ont été rétrocédées aux populations ‘’déportées volontaires’’ auxquels s’étaient joints quelques-uns de ceux qui ont travaillé pour la construction du rail Abidjan-Niger qui s’est arrêté à Ouagadougou en 1954. Tout comme leurs frères de Garango, les autres arrivants ont été autorisés par les colons à donner des noms de villes burkinabè à leur nouveau village. « Ici, il y a plus de 9.000 âmes selon le dernier recensement. Nous sommes majoritairement Mossi et Bissa, avec quelques Gouro, Baoulé et Sénoufo. Il y a des ilots occupés par les Bissa et d’autres par les Mossi, mais ayant le même destin, nous faisons tout ensemble », explique Ouelgo Assane. Koupela-Tenkodogo s’est implanté, ajoute-t-il, au même moment que les autres villages, entre 1933 et 1934.
C’est en 1976 qu’est enfin paru le premier décret de naturalisation du village : n° 76-864 du 18 décembre 1976 au profit de Ouelgo Youaoga Gabriel, ses épouses et 19 enfants. Cet ancien combattant (sous-officier de la deuxième guerre mondiale) pour le compte de la colonie de la Basse-Côte d’Ivoire avait vite compris l’importance de cette demande, tout comme les chefs des deux villages jumeaux, eux aussi anciens combattants. D’autres demandes de naturalisation individuelles ont suivi, le plus gros lot en 1985, avant le décret de naturalisation collective de 1995. « Dans ce village comme dans les autres, tous les parents n’ont pas été pris en compte ; il y a eu des omis et des noms n’ont pas figuré dans le Journal officiel. Ce qui donne cette situation bizarre où dans la même famille, entre des enfants d’un même couple, certains sont Ivoiriens et d’autres sans papiers ».
Mépris, exclusion, racket et violences
Si sous Félix Houphouet-Boigny ces populations d’origines burkinabè étaient tolérées, leur situation n’a cessé de se dégrader malgré le décret n° 95-809 du 26 septembre 1995 signé par le président Henri Konan Bédié. Au pétitionnaire qui demande un certificat de nationalité, il est demandé, en plus du décret, de produire le journal officiel. A ceux qui produisent les deux documents, il était délivré un certificat de couleur blanche, différent de celui des autres. Avec ce document, impossible de se faire établir une carte d’identité nationale sans débourser de l’argent. « C’est pourquoi plusieurs d’entre nous sont allés faire leurs papiers à Abidjan où les commissaires étaient plus disposés à respecter les textes », explique Noaga Tiendrébéogo. Le manque de carte nationale d’identité a empêché plusieurs élèves de passer le Bepc. Aussi certains, de guerre lasse, se sont fait établir des cartes de séjour. Malgré cela, que de tracasserie sur les routes ! « Surtout après le déclenchement de la crise militaro-politique, en 2002. Mieux valait donner de l’argent pour passer que de présenter une carte de séjour de Burkinabè. Des cartes nationales d’identité vertes ont été retirées et déchirées dans les corridors. Certaines personnes ont été battues et humiliées et d’autres ont tout simplement disparu », dénonce son voisin. « Tout cela va prendre fin maintenant grâce au ministère de le Justice et le Haut-commissariat aux réfugiés. J’espère que les autorités judiciaires et les forces de l’ordre comprendront enfin que nous sommes des Ivoiriens comme eux », ajoute Ouédraogo Jean-Paul.
Ousmane Diallo, envoyé spécial à Bouaflé
Comme des fortins, ils gardent toutes les entrées de Bouaflé. Koupela-Tenkodogo (villages jumeaux, 5 km, axe Zuénoula), Garango (5 km, axe Daloa) et Koudougou (10 km, axe Yamoussoukro), sont peuplés très majoritairement de populations arrivées de l’ex-Haute-Côte d’Ivoire (Burkina Faso). Ce sont, pour la plupart des Mossi et des Bissa et d’autres peuples du même pays auxquels se sont joints des Sénoufo et des Malinké ivoiriens, mais aussi d’autres populations de la sous-région ouest-africaine. Ces peuples laborieux d’origine burkinabè qui sont à leur troisième ou quatrième génération étaient, pour beaucoup d’entre eux des apatrides. Fiers de leurs origines et de leurs cultures mais Ivoiriens dans l’âme, ils ont eu tous les problèmes pour acquérir la nationalité ivoirienne et pour ceux qui l’on obtenue après un rude parcours du combattant, rares sont ceux qui en ont joui pleinement. Aussi ont-ils accueilli avec soulagement et beaucoup d’espoir, le message du ministre de la Justice, Gnénéma Mamadou Coulibaly qui leur a rendu visite, en compagnie du Haut-commissariat aux réfugiés (Hcr), le lundi 4 mars dernier. «Une fois que la nationalité est acquise, rien ne peut permettre de dénier les droits subséquents de l’acte de naturalisation pour la plupart d’entre vous, cela relève de 1995. Depuis cette date, vous avez tous les droits et vous êtes en droit de réclamer tous vos droits. Alors ne reculez jamais et faites en sorte que tout le monde respecte votre engagement à être Ivoiriens. Vous êtes Ivoiriens, vous le demeurez. Je voudrais dire à mes parents ici que la Côte d’Ivoire s’engage à faire en sorte que tous leurs droits de citoyens ivoiriens soient respectés», avait déclaré le ministre à ses hôtes réunis à Koupela-Tenkodogo pour la circonstance.
Les pionniers arrivent entre 1933 et 1934
Le chef du village décédé, il y a bientôt un mois, c’est Bakary Yoda qui nous reçoit sous un hangar au toit de pailles tressées. Il fait office de régent, en attendant la nomination du nouveau chef qui pourrait bien être son journaliste de frère. « Ici, la population est majoritairement Bissa, mais nous dénombrons aussi des Goursi, des Lobi (Ivoiriens et Burkinabè) et des Sénoufo, tous reconnaissant feu notre père Arouna Yoda comme chef », nous dit-il, estimant la population actuelle du village à plus de 8.000 personnes. Une population qui vit essentiellement de la terre, produisant des cultures vivrières, mais aussi du café, du cacao et même du coton. « Les premières familles arrivées ici sont les Yoda, les Bambara, les Billa, les Bancé et les Compaoré, dans les années 1933-1934 », poursuit Bakary Yoda avec, à ses côtés, quelques notables qui, heureusement ne sont pas allés au champ en ce jour où nous leur rendons visite pour comprendre leur histoire. Ces familles ont ensuite été rejointes par leurs frères. Selon lui, ces populations sont arrivées là à la demande d’un commandant de cercle colonial qui, après Bouaflé, a été affecté à Garango, en pays Bissa, dans l’ex-Haute-Côte d’Ivoire. Les volontaires étant réunis dans la capitale du cercle avant leur acheminement en ex-Basse-Côte d’Ivoire, ils ont donné le nom Garango à leur nouveau village. C’est dans ce village qu’en route pour Daloa, les présidents Félix Houphouet-Boigny et Maurice Yaméogo (premier président de la Haute Volta devenue Burkina Faso) ont fait escale quelques mois après les indépendances. Aux populations des quatre villages réunies à cette occasion à Garango, Houphouët-Boigny reconnaissant, avait déclaré : « Vous êtes des Ivoiriens, vous avez gagné la bataille, il ne reste que le travail…Travaillez sans relâche ni fatigue et vous serez récompensés du fruit de vos efforts. Vous n’irez plus ailleurs pour trouver autre chose… ».
Pourtant, c’est douze ans plus tard qu’interviennent les premières naturalisations sur des demandes individuelles de trois personnes : Pafana Yoda, alors président du comité du Pdci-Rda, El Hadj Amidou Yoda et Seydou Yoda. Suivront ensuite, en 1985 puis en 1989 d’autres demandes individuelles, plus de deux cents pour chacune de ces années. Cela, malgré le droit du sol en vigueur à cette époque qui donnait légalement la nationalité ivoirienne aux étrangers nés en Côte d’Ivoire. « Les naturalisations collectives n’interviendront qu’en 1995 par le décret n° 95-809 du 26 septembre 1995 signé par le président Henri Konan Bédié », explique Bakary Yoda. Malheureusement, ces décrets citaient nommément le chef de famille, ses épouses et ses enfants majeurs. La politique aidant, les fonctionnaires zélés ont interprété à leur manière l’application. « D’abord, nos certificats de nationalité étaient de couleur blanche alors qu’on délivrait aux autres des certificats de couleur verte ou orange. Ensuite, ceux dont les noms ne figuraient pas sur les décrets ne pouvaient obtenir la nationalité ivoirienne, même si leurs deux parents étaient considérés comme des Ivoiriens naturalisés. Pis, certains, même avec le décret de naturalisation, n’avaient pas leurs noms dans le journal officiel », ajoute un jeune assis à côté de Bakary Yoda. Facile d’imaginer les conséquences de cette discrimination sur le quotidien de ces populations.
3.000 autres apatrides attendent
« Nos pères et grands-pères ont activement participé au combat du Rda pour l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Ils ont travaillé dans les champs, mais aussi sur les chantiers des grandes infrastructures économiques comme le port d’Abidjan, le premier pont. Plusieurs générations se sont succédé, des enfants sont nés, certains de mères autochtones Gouro, Yowlè et Baoulé. Nous avons de grands cadres dans l’administration, mais nous avons toujours été marginalisés, souvent méprisés », dénonce Billa, le chauffeur de taxi qui nous conduit aux villages de Koupela-Tenkodogo. Il nous conduit à la mosquée des villages jumeaux non sans préciser : « dans ces deux villages, plus de 3.000 autres apatrides attendent la régularisation de leur situation ». Sous les feuillages touffus d’un grand manguier, nous reçoivent Ouelgo Assane, Sorogo Ousséni (jeune frère du chef du village de Tenkodogo) et Moctar Touré dont le nom cache celui de ses ascendants maternels d’origine burkinabè. Ils nous préviennent : « les chefs et l’imam qui auraient pu vous donner plus d’informations sont au champ. Nous ne pourrons vous dire que le peu que nous savons ». Comme Garango, Koudougou (à Bouaflé), Kaya et Koudougou ou Petit Ouaga (à Zuénoula), ils affirment que leurs ascendants sont arrivés sur ces terres à la demande du commandant de cercle français qui en avait fait la demande au gouverneur Voulet de la Haute-Côte d’Ivoire. Ce dernier obtient l’accord de Naba Kiba, roi de Tenkodogo (Haute-Côte d’Ivoire) dans les années 1920 qui choisit les premiers volontaires, à savoir sept chefs de famille et trois femmes : « Tingandé Sorogo (premier chef de Tenkodogo), Baliman Samba, Kéré Nato, Boundaogo Baouré, Kéré Gandaogo, Kéré Sahoumba et Daboné Nouaga, sans compter les trois femmes dont les noms m’échappent » et les premiers Bissa dont il ne peut nous dire grand ’chose. Ces pionniers ont d’abord travaillé dans les plantations des colons de l’Association des producteurs ouest-africains (Asproa). Ces derniers leur ont d’abord cédé des petites parcelles pour les cultures vivrières. Au départ des colons, des parcelles ont été rétrocédées aux populations ‘’déportées volontaires’’ auxquels s’étaient joints quelques-uns de ceux qui ont travaillé pour la construction du rail Abidjan-Niger qui s’est arrêté à Ouagadougou en 1954. Tout comme leurs frères de Garango, les autres arrivants ont été autorisés par les colons à donner des noms de villes burkinabè à leur nouveau village. « Ici, il y a plus de 9.000 âmes selon le dernier recensement. Nous sommes majoritairement Mossi et Bissa, avec quelques Gouro, Baoulé et Sénoufo. Il y a des ilots occupés par les Bissa et d’autres par les Mossi, mais ayant le même destin, nous faisons tout ensemble », explique Ouelgo Assane. Koupela-Tenkodogo s’est implanté, ajoute-t-il, au même moment que les autres villages, entre 1933 et 1934.
C’est en 1976 qu’est enfin paru le premier décret de naturalisation du village : n° 76-864 du 18 décembre 1976 au profit de Ouelgo Youaoga Gabriel, ses épouses et 19 enfants. Cet ancien combattant (sous-officier de la deuxième guerre mondiale) pour le compte de la colonie de la Basse-Côte d’Ivoire avait vite compris l’importance de cette demande, tout comme les chefs des deux villages jumeaux, eux aussi anciens combattants. D’autres demandes de naturalisation individuelles ont suivi, le plus gros lot en 1985, avant le décret de naturalisation collective de 1995. « Dans ce village comme dans les autres, tous les parents n’ont pas été pris en compte ; il y a eu des omis et des noms n’ont pas figuré dans le Journal officiel. Ce qui donne cette situation bizarre où dans la même famille, entre des enfants d’un même couple, certains sont Ivoiriens et d’autres sans papiers ».
Mépris, exclusion, racket et violences
Si sous Félix Houphouet-Boigny ces populations d’origines burkinabè étaient tolérées, leur situation n’a cessé de se dégrader malgré le décret n° 95-809 du 26 septembre 1995 signé par le président Henri Konan Bédié. Au pétitionnaire qui demande un certificat de nationalité, il est demandé, en plus du décret, de produire le journal officiel. A ceux qui produisent les deux documents, il était délivré un certificat de couleur blanche, différent de celui des autres. Avec ce document, impossible de se faire établir une carte d’identité nationale sans débourser de l’argent. « C’est pourquoi plusieurs d’entre nous sont allés faire leurs papiers à Abidjan où les commissaires étaient plus disposés à respecter les textes », explique Noaga Tiendrébéogo. Le manque de carte nationale d’identité a empêché plusieurs élèves de passer le Bepc. Aussi certains, de guerre lasse, se sont fait établir des cartes de séjour. Malgré cela, que de tracasserie sur les routes ! « Surtout après le déclenchement de la crise militaro-politique, en 2002. Mieux valait donner de l’argent pour passer que de présenter une carte de séjour de Burkinabè. Des cartes nationales d’identité vertes ont été retirées et déchirées dans les corridors. Certaines personnes ont été battues et humiliées et d’autres ont tout simplement disparu », dénonce son voisin. « Tout cela va prendre fin maintenant grâce au ministère de le Justice et le Haut-commissariat aux réfugiés. J’espère que les autorités judiciaires et les forces de l’ordre comprendront enfin que nous sommes des Ivoiriens comme eux », ajoute Ouédraogo Jean-Paul.
Ousmane Diallo, envoyé spécial à Bouaflé