Le secrétaire général adjoint chargé de la sécurité et de la défense au Front populaire ivoirien (Fpi), Michel Amani N’Guessan, ancien ministre de la défense de Laurent Gbagbo, commente dans cette interview, l’actualité relative au dialogue politique, à la refonte de l’armée et au sort de l’ex-chef d’Etat à La Haye.
Le Fpi est en discussion avec le gouvernement. Lors de la dernière séance de ces négociations, il a évoqué l’idée d’un partenariat gagnant-gagnant. Que compte-t-il concéder en vue de sa participation à la vie politique nationale ?
Aux préoccupations du Fpi présentées au gouvernement, nous souhaitons avoir une réponse claire à chacune d’elle. Le gouvernement et l’opposition sont effectivement des partenaires aux intérêts liés. C’est pourquoi nous parlons de partenariat gagnant-gagnant. Aucun camp ne doit venir à cette table de négociation avec l’idée de vaincre l’autre. Dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire, il s’agit de sacrifice réciproque pour restaurer la confiance perdue entre les Ivoiriens. Ceci dit, il faut savoir que nous ne présentons pas des préoccupations fantaisistes pour les concéder ensuite. La concession naît de la dynamique de la négociation. C’est donc le communiqué final des négociations qui répondra précisément à votre question.
Si c’est ainsi que vous concevez la discussion, alors dans quel état d’esprit le Fpi a-t-il abordé ces tractations ou quelle ligne de conduite s’est-il donné à l’entame des débats ?
Le Fpi est à ces négociations tout à fait libéré de toutes contraintes, car conscient que c’est un dialogue entre frères pour sauver la maison commune. C’est donc un dialogue intéressant à la fois pour le Fpi et le gouvernement. Nous avons soumis nos préoccupations au gouvernement, en restant convaincus que tout ne peut pas se faire en même temps. Il appartient au gouvernement de dire au Fpi, avec raison ce qui est possible ou impossible, assorti d’un chronogramme précis d’exécution.
Qu’est-ce que l’ancien parti au pouvoir a obtenu à ce jour qui le motive tant à poursuivre les négociations ?
Pour le moment, nous n’avons pas fini les négociations. C’est seulement lorsque nous allons signer le communiqué final que nous dirons que nous avons obtenu quelque chose ou non. On ne peut proclamer le score d’un match de football avant la fin du match.
Cela veut-il dire qu’il n’y a encore aucun point de convergence ?
Au stade actuel des discussions, il y a des points de convergence et des désaccords. Tant que les discussions ne sont pas sanctionnées par un communiqué final cosigné par les deux parties en négociation, on ne doit pas considérer pour acquis définitif les points d’étapes des discussions. A preuve, dès les premières rencontres, la liberté de manifestation des partis politiques a été acquise. Et pourtant, le meeting de la JFpi a été interdit. Le message du gouvernement est clair et nous l’avons perçu. Tant que les discussions ne sont pas terminées, rien n’est acquis ; même des clauses de la Constitution sont mises en discussion. Nous comprenons alors la stratégie du gouvernement qui consiste à faire traîner en longueur ces discussions.
Cette demande de faire un meeting était bien un test pour s’assurer de la bonne foi du gouvernement, à ce qui se dit dans les rangs des frontistes...
En Côte d’Ivoire, l’organisation des manifestations publiques des partis politiques n’est pas liée à une négociation préalable. La Constitution le permet déjà. Mais depuis le 11 avril 2011, la Constitution étant mise entre parenthèses, tout est soumis à négociation ; même l’organisation d’un meeting. Dans ce contexte, c’est le gouvernement qui fait la loi en tout, oui ce commentaire est juste pour les temps que nous traversons. Le meeting de la JFpi a été interdit. Blé Goudé a été arrêté ainsi que Jean-Noël Abéhi et Jean Yves Dibopieu, alors que nous sommes en discussion avec le gouvernement. Quelle est alors la valeur thérapeutique escomptée des négociations ?
L’ouverture de discussions ne signifiant pas interruption de l’exécution des mandats d’arrêt internationaux, pourquoi pensez-vous qu’il devait en être autrement ?
Comprenez que je veux mettre l’accent sur le caractère inconstant du gouvernement dans le traitement de la question de la sortie de crise en Côte d’Ivoire.
Comment comprendre que le gouvernement invite à discuter avec l’opposition comme pour dire calmons le jeu et dans le même temps, ce même gouvernement pose des actes de nature à mettre de l’huile sur le feu ?
Vous parlez de mandats internationaux ; il faut éviter de prendre le vernis international pour agir contre les intérêts de la Côte d’Ivoire. Avec Mme Gbagbo, le gouvernement opte pour la préférence nationale en matière de justice. Avec M. Gbagbo, le gouvernement opte pour la Cpi (Cour pénale internationale, ndlr). Avec M. Guillaume Soro et les Com’zones, le gouvernement opte pour le silence et l’inaction. Dans le cadre de la recherche de la sortie de crise, le gouvernement doit choisir la constance dans le comportement, afin de ramener la paix par la promotion d’une nouvelle fraternité vraie entre les Ivoiriens. Selon qu’on veut sincèrement la paix en Côte d’Ivoire ou pas, il y a un comportement conséquent. On ne suit pas le gouvernement dans sa logique de recherche de la paix dans notre pays.
Vous convenez qu’un tel raisonnement ne peut avoir autre effet que de faire traîner en longueur les discussions avec le gouvernement. Sinon s’il ne voulait pas de paix, pourquoi inviterait-il le Fpi à négocier ?
Tout cela participe d’une stratégie bien ficelée par le gouvernement. Le gouvernement discute non pas pour rechercher la participation du Fpi au jeu politique, mais plutôt pour le diaboliser et justifier son exclusion du jeu politique. La discussion est donc un maquillage pour atteindre plusieurs objectifs: 1-diaboliser le Fpi, c’est-à-dire le présenter comme le parti des extrémistes intolérables. 2-attendrir l’opinion nationale et internationale pour obtenir son soutien. 3-poursuivre sa gouvernance solitaire et dictatoriale.
Qu’est-ce qui oblige le Fpi à rester autour de la table de discussions ? Et pendant qu’il y est, que dit-il exactement à son interlocuteur ?
A la dernière rencontre, nous avons relevé les faits qui polluent l’atmosphère et les esprits de la discussion. Les arrestations, les enlèvements et les tortures dans les camps illégaux continuent, la fixation unilatérale de la date des élections locales sans tenir compte de la volonté de participation du Fpi, l’interdiction du meeting de la JFpi sont autant de faits qui prouvent que le gouvernement n’a aucune considération pour ces négociations.
A vous entendre, on croirait que les frontistes mus par leurs seules appréhensions n’entendent pas faire la moindre concession.
Voulez-vous savoir si le Fpi ne fera pas de concession au cours des négociations tant que le gouvernement demeurera dans cette posture de violence contre lui ? La concession dans ce contexte de terreur ininterrompue signifierait entériner tout ou une partie de cette violence gouvernementale. Nous condamnons et rejetons toute forme de violence perpétrée contre le Fpi. Nous attendons la réponse à nos préoccupations clairement exprimées et on nous sert de la violence. Qu’en déduire ?
Est-ce qu’entre autres attentes, le Fpi n’espère-t-il pas en réalité que le gouvernement lui dise venez aux élections et ensuite au gouvernement ?
La participation aux élections et au gouvernement sont des conséquences des discussions et non des sujets de discussions.
La direction de votre parti est formelle pourtant, elle dit que le Fpi veut aller aux élections. Vous ne la contredisez pas ?
C’est une position de principe et non une préoccupation discutable.
Quelles conditions posez-vous concrètement parmi vos nombreuses revendications?
Ce sont entre autres la sécurité. Nous pensons que les conditions sécuritaires ne sont pas remplies dans ce pays. Alors, nous avons fait des propositions pour espérer retrouver une sécurité correcte, acceptable par tous.
Entre autres propositions ?
Entre autres propositions, c’est l’armée intégrée ou une armée nationale. Aujourd’hui, il ne faut pas se le cacher, on a pratiquement une armée du Nord. Il faut plutôt discuter des conditions de création d’une armée nationale au service de tous et pour tous. Si cette condition n’est pas remplie, nous ne nous sentons pas en sécurité. Ensuite, il faut que la démocratie soit de mise. Aujourd’hui, on ne peut même pas organiser un meeting, alors que faire campagne suppose organiser des meetings sur l’ensemble du territoire national. Si on ne peut organiser un meeting, comment peut-on faire une campagne ? Je pourrais parler de l’arbitre du jeu électoral aussi, la Cei (Commission électorale indépendante, ndlr). Il faut une Cei consensuelle.
A partir de quelles données faites-vous de telles affirmations à propos de l'armée ?
Une armée, ce sont les hommes et les femmes qui la composent. Examinons deux données : les éléments constitutifs de la troupe et du commandement. En lieu et place d’une armée intégrée, l’ordonnance du 17 mars 2011 créant les Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire, ndlr), entraîne la mise en place d’une armée de substitution. Les ex-FaFn (Forces armées des Forces nouvelles, ndlr) remplacent en fait les ex-Fds (Forces de défense et de sécurité, ndlr). Sur un quota de 9 000 éléments accordés aux ex-FaFn à intégrer, combien le sont-ils aujourd’hui ? Ils sont nombreux et sans formation pour la plupart. Or, pour avoir été ministre de la Défense, je sais que les ex-FaFn sont à 98% du Nord. En ce qui concerne le commandement, il est largement dominé par les ressortissants du Nord. Une armée, c’est l’attelage des troupes à des commandements. Quand des troupes aux commandements, vous avez une dominance sociale et régionale, c’est dangereux pour l’unité nationale. C’est à juste titre que le constitutionnaliste a suggéré que l’armée soit le creuset de l’unité nationale.
Sous l'ancien régime l'armée était dirigée par Philippe Mangou, la marine par Vagba Faussignaux, la douane par Gnamien Konan, même des commandements et des unités étaient dirigés par des personnes issues du sud. Est-ce pour autant que Laurent Gbagbo contrôlait une armée du sud?
Je parle de dominance sociale et régionale. Pour éviter la polémique inutile et de mauvais goût, allons à la discussion sincèrement et exposons les faits d’hier et d’aujourd’hui. Le terrain peut donc trancher ce débat. A supposer même qu’hier, il y ait eu une armée du sud, ce que je conteste, M. Ouattara est venu au pouvoir pour sauver les Ivoiriens des tares de la gouvernance d’hier. Or, vous confirmez et justifiez plutôt la mise en place d’une armée du Nord, aujourd’hui, à l’opposé de l’armée du Sud d’hier. A ce jeu-là, la Côte d’Ivoire n’est pas sauvée. A quand la Côte d’Ivoire inclusive, prétexte qui a servi à justifier la rébellion ?
Le Fpi ne serait-il pas en train de prolonger l’état de crise en souhaitant des réformes presque dans tous les secteurs de la vie politique ? Parlant des élections, est-ce vraiment raisonnable d’exiger une (autre) Cei de crise alors que les élections sont déjà engagées ?
Depuis 2002, l’absence de confiance entre les Ivoiriens persiste suite au coup d’Etat avorté qui s’est mué en rébellion armée. Cette crise de confiance a entraîné la mise en place d’une Cei de sortie de crise. Si on considère que la guerre a approfondi la crise de confiance entre les Ivoiriens, il faut admettre les solutions pour un retour de la confiance entre eux. L’une de ces solutions, c’est la réforme de la Cei. Ce n’est donc pas une exigence du Fpi ; c’est une exigence de sortie de crise. Ne pas l’admettre ainsi, c’est cela prolonger l’état de crise en Côte d’Ivoire.
Pendant que vous et votre parti tenez ce discours, des frontistes et des partisans de Laurent Gbagbo ont été candidats indépendants et s’intéressent encore aux élections locales. Leur attitude n’est-elle pas un désaveu à votre parti ?
Il ne faut jamais confondre un parti politique et des individus. Il y a, par exemple, l’individu Amani qui répond à vos questions. Vous ne pouvez pas dire que c’est le Fpi qui vous répond. Non ! Le Front populaire ivoirien est organisé, il a un secrétaire général, porte-parole. A l’occasion du dernier Comité central du parti, la direction a produit une déclaration qui est claire. Nous disons que nous sommes en discussion avec le pouvoir. Si les conditions que nous demandons sont remplies pour une participation aux élections, nous serons prêts à y aller. Notre philosophie est que seules des élections démocratiques peuvent garantir des chances de promotion politique égales pour tous les citoyens dans un pays.
Si l’individu n’est pas le Fpi, comme vous le dites, quoi qu’il soit frontiste, on comprend aisément que ce dernier rejette le discours de la direction de son parti. Sinon pourquoi va-t-il aux élections malgré un mot d’ordre de boycott de ces échéances?
Mais quel est le problème ? Aujourd’hui que ce soit au Fpi, au Rdr, au Pdci, etc., vous ne connaissez pas des gens qui ont tourné le dos à leur parti ? Ce n’est pas nouveau. Il y a des gens du Pdci qui sont au Fpi, d’autres sont allés au Rdr. D’autres du Rdr ont rejoint le Pdci… C’est la vie politique. Mais ne confondez pas le comportement d’un individu et celui d’un parti politique. Le jour où le Fpi en tant que parti politique décide d’aller aux élections, il fera une déclaration. L’absence de cette déclaration n’empêche aucun individu d’agir selon sa convenance, mais cela n’engage pas le Front populaire ivoirien. C’est pourquoi le Fpi rappelle simplement à ce type de militant les règles disciplinaires du parti.
Vous concédez donc qu’il est normal que des militants du Fpi ne s’accommodent plus du mot d’ordre de la direction de leur parti ?
On ne peut pas arrêter le temps. La vie politique est rythmée par des désaffections et des intégrations. Si vous prenez le Rdr, Joël N’Guessan aujourd’hui porte-parole, en était-il membre ? Laurent Dona Fologo a créé le Rpp et pourtant il était le secrétaire général du Pdci. Au Fpi, des militants du Pit sont venus avec nous. C’est donc un mouvement normal. Partout ailleurs, c’est la même chose. Il en va ainsi de la vie des partis politiques.
Parlant du Pit, le tout nouveau président de ce parti a rendu sa toute première visite au Fpi. Ce qui a fait dire à une certaine opinion que le Pit se rapproche du Fpi en quête d’alliés. Qu’en est-il exactement ?
Cela participe du mouvement. La rigidité en politique n’existe pas. Celui qui est rigide en politique n’est pas politique ou, disons qu’il ne fait pas de la politique. Un parti politique peut avoir une idéologie, mais à quoi conduisent les idéologies depuis la chute du mur de Berlin ? Celui qui brandit l’idéologie court à sa perte. Aujourd’hui, on parle de realpolitik, ou du réalisme politique. C’est cela…
Vous parlez de realpolitik ? N’y a-t-il pas contradiction puisque Laurent Gbagbo l’avait conseillée à ses partisans, après son arrestation, sans qu’il ne soit suivi ?
Le président Gbagbo a constaté sa défaite militaire du 11 avril 2011 et a demandé qu’on ouvre la phase civile de la vie politique en Côte d’Ivoire. Par cette demande, le président Gbagbo a fait preuve de réalisme politique. Depuis le Fpi en tant que parti se fait l’écho de ce mot d’ordre du président Gbagbo. La direction du Fpi a écrit pour demander le dialogue républicain depuis juillet 2011. Aucun membre de ladite direction ne dit et ne fait autre chose. Il n’y a donc pas de contradiction au niveau de la direction du Fpi.
Que répond clairement le Fpi sur la proposition d’entrer au gouvernement ?
Ce n’est pas un sujet de discussion. Entrer dans le gouvernement ne sera jamais un sujet de discussion.
Pourquoi ?
Cette proposition ne sera jamais un sujet de discussion, parce que le principe est que celui qui a gagné le pouvoir gouverne. Celui qui a gagné peut vous inviter au gouvernement. Mais une invitation, on y va ou on n’y va pas. La discussion est celle qui est engagée aujourd’hui. Il y a eu une crise après laquelle il est question de recoller les morceaux pour ramener la paix en Côte d’Ivoire.
Pendant que le Fpi exprime cette attente, les élections municipales et régionales sont fixées au 21 avril. Est-ce à dire qu’il n’y participera pas finalement ?
Il appartient au gouvernement de créer les conditions de notre participation, car il y a des conditions objectives à réaliser pour des élections justes, transparentes, équitables pour tous, donc inclusives. Nous voulons aller aux élections mais pas à n’importe quelle condition.
La fixation unilatérale de la date des élections locales est un aveu du gouvernement qu’il refuse d’organiser des élections démocratiques ouvertes à tous.
Que répondez-vous à ceux de vos partisans qui disent que ne pas aller aux élections relève de l’extrémisme inacceptable ?
Je vous ai dit tantôt que le gouvernement a une stratégie qui consiste à diaboliser le Fpi. Ceux des nôtres qui disent cela sont tombés dans le piège du gouvernement qui veut développer en nous le complexe de l’extrémiste irréaliste. La direction du Fpi et plusieurs militants ne tomberont pas dans ce piège.
Vous avez été l’un des ministres de la Défense de Laurent Gbagbo. Il est poursuivi pour crimes contre l’humanité à la Cpi. Comment avez-vous réagi à sa seconde comparution, fin février ?
J’ai eu d’abord une réaction affective. Laurent Gbagbo est mon maître sur le plan politique. J’ai été son ministre de l’Education nationale, son ministre de la Défense, cela veut dire que j’ai été l’un de ses plus proches collaborateurs. Brutalement, depuis les élections de 2010, il y a eu une séparation. Chaque fois que je le vois à la télévision, j’ai une réaction affective. L’affection que j’ai pour lui et qu’il me témoigne réciproquement fait que je suis peiné de ne pas pouvoir le toucher, partager un repas avec lui, échanger avec lui et apprendre de la marche du pays et du monde. Quand j’ai écouté les quatre chefs d’accusation, je me suis dis que le procès était basé sur du faux. Et cet aspect a augmenté ma peine. Comment quelqu’un qui m’a nommé en 2007 pour négocier la paix avec des rebelles qui sont venus attaquer son régime et qui aurait pu le tuer, peut-il être accusé de crimes aussi graves ?
La caricature de l’histoire de la Côte d’Ivoire est faite à dessein par madame la procureure. L’accusation a isolé les faits pour mieux les déformer. Comment peut-on comprendre une réaction sans une action préalable ? Si nous évoquons l’histoire de la Côte d’Ivoire depuis l’attaque du 19 septembre 2002 jusqu’au 11 avril 2011, sûrement qu’on comprendrait mieux le phénomène déclencheur de la violence en Côte d’Ivoire et on distinguerait mieux les acteurs principaux, les bourreaux et les victimes. Madame la procureure a été à la recherche de la vérité historique en travestissant volontairement la vérité, elle a proclamé un ensemble de faits isolés, détachés de leur contexte. On comprend, il fallait accabler le président Gbagbo. La procureure n’a même pas porté de gants pour le faire et c’est dommage pour la Côte d’Ivoire.
Ne vous est-il pas venu à l’esprit de penser que votre maître ne s’en sortirait pas, compte tenu des chefs d’accusation et de la complexité de la situation dans laquelle il se trouve ?
Quand la défense a commencé à dérouler sa plaidoirie, j’ai été apaisé. Je me suis dis : enfin la vérité sera dite. Et la vérité a été dite. Dire sa vérité soulage toujours. On peut condamner Laurent Gbagbo, mais le monde sait désormais la vérité.
Quelle est cette vérité ?
Le président Gbagbo a répondu à cette question : Depuis son élection en 2000, il a recherché la paix pour son pays durant le temps qu’il a passé au pouvoir. C’est parce qu’il a voulu un Etat de droit qu’il se trouve à La Haye. Le refus de son successeur d’appliquer la Constitution d’où sa recommandation forte adressée au monde et en particulier aux pays africains : l’application de la Constitution nationale. Voici la vérité que le monde ne savait pas.
Vous n’êtes pas le seul à tenir ce raisonnement parmi les partisans de Laurent Gbagbo. Mais en plus, vous dites procès, là où il est question d’audience. N’est-ce pas parce qu’en réalité vous êtes convaincu que les charges seront retenues contre votre mentor ?
Depuis que Laurent Gbagbo a été envoyé à La Haye, les étapes de confirmation ou d’infirmation constituent un pan du processus du procès.
La Cpi, elle, insiste pour dire que pour le moment, il s’agit d’une audience et non d’un procès. Les partisans de M. Gbagbo s’en tiennent au mot procès …
Non, dès l’instant où vous êtes au tribunal, dites-vous que vous y êtes allé pour un procès. Maintenant, il y a des étapes. Ce ne sont pas ces étapes qui nous importent. Nous reconnaissons cependant que le processus du procès peut ne pas aller à son terme. Ça sera sûrement le cas ici.
Cette compréhension de la situation traduit vraisemblablement un désespoir...
Laurent Gbagbo est engagé dans un combat. Et c’est ce combat qu’il continue à La Haye. Donc nous ne pouvons pas désespérer, si nous demeurons convaincus de la justesse du combat.
En nous engageant en politique, nous savions bien que tous les cas de figures peuvent se présenter. Peut-être que nous n’avions jamais pensé que l’un d’entre nous allait être emprisonné à La Haye. Nous n’avions jamais pensé qu’on peut mourir assassiné en Côte d’Ivoire en faisant de la politique. C’est pourquoi le Fpi a toujours prôné la transition pacifique à la démocratie. Nous continuons d’y croire.
Il n’y a pas de place pour le désespoir. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Laurent Gbagbo et nous, anti-impérialistes et démocrates de Côte d’Ivoire et d’ailleurs, irons jusqu’au bout du combat pour la démocratie en Côte d’Ivoire et l’égalité des peuples du monde.
Réalisée par Bidi Ignace
Le Fpi est en discussion avec le gouvernement. Lors de la dernière séance de ces négociations, il a évoqué l’idée d’un partenariat gagnant-gagnant. Que compte-t-il concéder en vue de sa participation à la vie politique nationale ?
Aux préoccupations du Fpi présentées au gouvernement, nous souhaitons avoir une réponse claire à chacune d’elle. Le gouvernement et l’opposition sont effectivement des partenaires aux intérêts liés. C’est pourquoi nous parlons de partenariat gagnant-gagnant. Aucun camp ne doit venir à cette table de négociation avec l’idée de vaincre l’autre. Dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire, il s’agit de sacrifice réciproque pour restaurer la confiance perdue entre les Ivoiriens. Ceci dit, il faut savoir que nous ne présentons pas des préoccupations fantaisistes pour les concéder ensuite. La concession naît de la dynamique de la négociation. C’est donc le communiqué final des négociations qui répondra précisément à votre question.
Si c’est ainsi que vous concevez la discussion, alors dans quel état d’esprit le Fpi a-t-il abordé ces tractations ou quelle ligne de conduite s’est-il donné à l’entame des débats ?
Le Fpi est à ces négociations tout à fait libéré de toutes contraintes, car conscient que c’est un dialogue entre frères pour sauver la maison commune. C’est donc un dialogue intéressant à la fois pour le Fpi et le gouvernement. Nous avons soumis nos préoccupations au gouvernement, en restant convaincus que tout ne peut pas se faire en même temps. Il appartient au gouvernement de dire au Fpi, avec raison ce qui est possible ou impossible, assorti d’un chronogramme précis d’exécution.
Qu’est-ce que l’ancien parti au pouvoir a obtenu à ce jour qui le motive tant à poursuivre les négociations ?
Pour le moment, nous n’avons pas fini les négociations. C’est seulement lorsque nous allons signer le communiqué final que nous dirons que nous avons obtenu quelque chose ou non. On ne peut proclamer le score d’un match de football avant la fin du match.
Cela veut-il dire qu’il n’y a encore aucun point de convergence ?
Au stade actuel des discussions, il y a des points de convergence et des désaccords. Tant que les discussions ne sont pas sanctionnées par un communiqué final cosigné par les deux parties en négociation, on ne doit pas considérer pour acquis définitif les points d’étapes des discussions. A preuve, dès les premières rencontres, la liberté de manifestation des partis politiques a été acquise. Et pourtant, le meeting de la JFpi a été interdit. Le message du gouvernement est clair et nous l’avons perçu. Tant que les discussions ne sont pas terminées, rien n’est acquis ; même des clauses de la Constitution sont mises en discussion. Nous comprenons alors la stratégie du gouvernement qui consiste à faire traîner en longueur ces discussions.
Cette demande de faire un meeting était bien un test pour s’assurer de la bonne foi du gouvernement, à ce qui se dit dans les rangs des frontistes...
En Côte d’Ivoire, l’organisation des manifestations publiques des partis politiques n’est pas liée à une négociation préalable. La Constitution le permet déjà. Mais depuis le 11 avril 2011, la Constitution étant mise entre parenthèses, tout est soumis à négociation ; même l’organisation d’un meeting. Dans ce contexte, c’est le gouvernement qui fait la loi en tout, oui ce commentaire est juste pour les temps que nous traversons. Le meeting de la JFpi a été interdit. Blé Goudé a été arrêté ainsi que Jean-Noël Abéhi et Jean Yves Dibopieu, alors que nous sommes en discussion avec le gouvernement. Quelle est alors la valeur thérapeutique escomptée des négociations ?
L’ouverture de discussions ne signifiant pas interruption de l’exécution des mandats d’arrêt internationaux, pourquoi pensez-vous qu’il devait en être autrement ?
Comprenez que je veux mettre l’accent sur le caractère inconstant du gouvernement dans le traitement de la question de la sortie de crise en Côte d’Ivoire.
Comment comprendre que le gouvernement invite à discuter avec l’opposition comme pour dire calmons le jeu et dans le même temps, ce même gouvernement pose des actes de nature à mettre de l’huile sur le feu ?
Vous parlez de mandats internationaux ; il faut éviter de prendre le vernis international pour agir contre les intérêts de la Côte d’Ivoire. Avec Mme Gbagbo, le gouvernement opte pour la préférence nationale en matière de justice. Avec M. Gbagbo, le gouvernement opte pour la Cpi (Cour pénale internationale, ndlr). Avec M. Guillaume Soro et les Com’zones, le gouvernement opte pour le silence et l’inaction. Dans le cadre de la recherche de la sortie de crise, le gouvernement doit choisir la constance dans le comportement, afin de ramener la paix par la promotion d’une nouvelle fraternité vraie entre les Ivoiriens. Selon qu’on veut sincèrement la paix en Côte d’Ivoire ou pas, il y a un comportement conséquent. On ne suit pas le gouvernement dans sa logique de recherche de la paix dans notre pays.
Vous convenez qu’un tel raisonnement ne peut avoir autre effet que de faire traîner en longueur les discussions avec le gouvernement. Sinon s’il ne voulait pas de paix, pourquoi inviterait-il le Fpi à négocier ?
Tout cela participe d’une stratégie bien ficelée par le gouvernement. Le gouvernement discute non pas pour rechercher la participation du Fpi au jeu politique, mais plutôt pour le diaboliser et justifier son exclusion du jeu politique. La discussion est donc un maquillage pour atteindre plusieurs objectifs: 1-diaboliser le Fpi, c’est-à-dire le présenter comme le parti des extrémistes intolérables. 2-attendrir l’opinion nationale et internationale pour obtenir son soutien. 3-poursuivre sa gouvernance solitaire et dictatoriale.
Qu’est-ce qui oblige le Fpi à rester autour de la table de discussions ? Et pendant qu’il y est, que dit-il exactement à son interlocuteur ?
A la dernière rencontre, nous avons relevé les faits qui polluent l’atmosphère et les esprits de la discussion. Les arrestations, les enlèvements et les tortures dans les camps illégaux continuent, la fixation unilatérale de la date des élections locales sans tenir compte de la volonté de participation du Fpi, l’interdiction du meeting de la JFpi sont autant de faits qui prouvent que le gouvernement n’a aucune considération pour ces négociations.
A vous entendre, on croirait que les frontistes mus par leurs seules appréhensions n’entendent pas faire la moindre concession.
Voulez-vous savoir si le Fpi ne fera pas de concession au cours des négociations tant que le gouvernement demeurera dans cette posture de violence contre lui ? La concession dans ce contexte de terreur ininterrompue signifierait entériner tout ou une partie de cette violence gouvernementale. Nous condamnons et rejetons toute forme de violence perpétrée contre le Fpi. Nous attendons la réponse à nos préoccupations clairement exprimées et on nous sert de la violence. Qu’en déduire ?
Est-ce qu’entre autres attentes, le Fpi n’espère-t-il pas en réalité que le gouvernement lui dise venez aux élections et ensuite au gouvernement ?
La participation aux élections et au gouvernement sont des conséquences des discussions et non des sujets de discussions.
La direction de votre parti est formelle pourtant, elle dit que le Fpi veut aller aux élections. Vous ne la contredisez pas ?
C’est une position de principe et non une préoccupation discutable.
Quelles conditions posez-vous concrètement parmi vos nombreuses revendications?
Ce sont entre autres la sécurité. Nous pensons que les conditions sécuritaires ne sont pas remplies dans ce pays. Alors, nous avons fait des propositions pour espérer retrouver une sécurité correcte, acceptable par tous.
Entre autres propositions ?
Entre autres propositions, c’est l’armée intégrée ou une armée nationale. Aujourd’hui, il ne faut pas se le cacher, on a pratiquement une armée du Nord. Il faut plutôt discuter des conditions de création d’une armée nationale au service de tous et pour tous. Si cette condition n’est pas remplie, nous ne nous sentons pas en sécurité. Ensuite, il faut que la démocratie soit de mise. Aujourd’hui, on ne peut même pas organiser un meeting, alors que faire campagne suppose organiser des meetings sur l’ensemble du territoire national. Si on ne peut organiser un meeting, comment peut-on faire une campagne ? Je pourrais parler de l’arbitre du jeu électoral aussi, la Cei (Commission électorale indépendante, ndlr). Il faut une Cei consensuelle.
A partir de quelles données faites-vous de telles affirmations à propos de l'armée ?
Une armée, ce sont les hommes et les femmes qui la composent. Examinons deux données : les éléments constitutifs de la troupe et du commandement. En lieu et place d’une armée intégrée, l’ordonnance du 17 mars 2011 créant les Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire, ndlr), entraîne la mise en place d’une armée de substitution. Les ex-FaFn (Forces armées des Forces nouvelles, ndlr) remplacent en fait les ex-Fds (Forces de défense et de sécurité, ndlr). Sur un quota de 9 000 éléments accordés aux ex-FaFn à intégrer, combien le sont-ils aujourd’hui ? Ils sont nombreux et sans formation pour la plupart. Or, pour avoir été ministre de la Défense, je sais que les ex-FaFn sont à 98% du Nord. En ce qui concerne le commandement, il est largement dominé par les ressortissants du Nord. Une armée, c’est l’attelage des troupes à des commandements. Quand des troupes aux commandements, vous avez une dominance sociale et régionale, c’est dangereux pour l’unité nationale. C’est à juste titre que le constitutionnaliste a suggéré que l’armée soit le creuset de l’unité nationale.
Sous l'ancien régime l'armée était dirigée par Philippe Mangou, la marine par Vagba Faussignaux, la douane par Gnamien Konan, même des commandements et des unités étaient dirigés par des personnes issues du sud. Est-ce pour autant que Laurent Gbagbo contrôlait une armée du sud?
Je parle de dominance sociale et régionale. Pour éviter la polémique inutile et de mauvais goût, allons à la discussion sincèrement et exposons les faits d’hier et d’aujourd’hui. Le terrain peut donc trancher ce débat. A supposer même qu’hier, il y ait eu une armée du sud, ce que je conteste, M. Ouattara est venu au pouvoir pour sauver les Ivoiriens des tares de la gouvernance d’hier. Or, vous confirmez et justifiez plutôt la mise en place d’une armée du Nord, aujourd’hui, à l’opposé de l’armée du Sud d’hier. A ce jeu-là, la Côte d’Ivoire n’est pas sauvée. A quand la Côte d’Ivoire inclusive, prétexte qui a servi à justifier la rébellion ?
Le Fpi ne serait-il pas en train de prolonger l’état de crise en souhaitant des réformes presque dans tous les secteurs de la vie politique ? Parlant des élections, est-ce vraiment raisonnable d’exiger une (autre) Cei de crise alors que les élections sont déjà engagées ?
Depuis 2002, l’absence de confiance entre les Ivoiriens persiste suite au coup d’Etat avorté qui s’est mué en rébellion armée. Cette crise de confiance a entraîné la mise en place d’une Cei de sortie de crise. Si on considère que la guerre a approfondi la crise de confiance entre les Ivoiriens, il faut admettre les solutions pour un retour de la confiance entre eux. L’une de ces solutions, c’est la réforme de la Cei. Ce n’est donc pas une exigence du Fpi ; c’est une exigence de sortie de crise. Ne pas l’admettre ainsi, c’est cela prolonger l’état de crise en Côte d’Ivoire.
Pendant que vous et votre parti tenez ce discours, des frontistes et des partisans de Laurent Gbagbo ont été candidats indépendants et s’intéressent encore aux élections locales. Leur attitude n’est-elle pas un désaveu à votre parti ?
Il ne faut jamais confondre un parti politique et des individus. Il y a, par exemple, l’individu Amani qui répond à vos questions. Vous ne pouvez pas dire que c’est le Fpi qui vous répond. Non ! Le Front populaire ivoirien est organisé, il a un secrétaire général, porte-parole. A l’occasion du dernier Comité central du parti, la direction a produit une déclaration qui est claire. Nous disons que nous sommes en discussion avec le pouvoir. Si les conditions que nous demandons sont remplies pour une participation aux élections, nous serons prêts à y aller. Notre philosophie est que seules des élections démocratiques peuvent garantir des chances de promotion politique égales pour tous les citoyens dans un pays.
Si l’individu n’est pas le Fpi, comme vous le dites, quoi qu’il soit frontiste, on comprend aisément que ce dernier rejette le discours de la direction de son parti. Sinon pourquoi va-t-il aux élections malgré un mot d’ordre de boycott de ces échéances?
Mais quel est le problème ? Aujourd’hui que ce soit au Fpi, au Rdr, au Pdci, etc., vous ne connaissez pas des gens qui ont tourné le dos à leur parti ? Ce n’est pas nouveau. Il y a des gens du Pdci qui sont au Fpi, d’autres sont allés au Rdr. D’autres du Rdr ont rejoint le Pdci… C’est la vie politique. Mais ne confondez pas le comportement d’un individu et celui d’un parti politique. Le jour où le Fpi en tant que parti politique décide d’aller aux élections, il fera une déclaration. L’absence de cette déclaration n’empêche aucun individu d’agir selon sa convenance, mais cela n’engage pas le Front populaire ivoirien. C’est pourquoi le Fpi rappelle simplement à ce type de militant les règles disciplinaires du parti.
Vous concédez donc qu’il est normal que des militants du Fpi ne s’accommodent plus du mot d’ordre de la direction de leur parti ?
On ne peut pas arrêter le temps. La vie politique est rythmée par des désaffections et des intégrations. Si vous prenez le Rdr, Joël N’Guessan aujourd’hui porte-parole, en était-il membre ? Laurent Dona Fologo a créé le Rpp et pourtant il était le secrétaire général du Pdci. Au Fpi, des militants du Pit sont venus avec nous. C’est donc un mouvement normal. Partout ailleurs, c’est la même chose. Il en va ainsi de la vie des partis politiques.
Parlant du Pit, le tout nouveau président de ce parti a rendu sa toute première visite au Fpi. Ce qui a fait dire à une certaine opinion que le Pit se rapproche du Fpi en quête d’alliés. Qu’en est-il exactement ?
Cela participe du mouvement. La rigidité en politique n’existe pas. Celui qui est rigide en politique n’est pas politique ou, disons qu’il ne fait pas de la politique. Un parti politique peut avoir une idéologie, mais à quoi conduisent les idéologies depuis la chute du mur de Berlin ? Celui qui brandit l’idéologie court à sa perte. Aujourd’hui, on parle de realpolitik, ou du réalisme politique. C’est cela…
Vous parlez de realpolitik ? N’y a-t-il pas contradiction puisque Laurent Gbagbo l’avait conseillée à ses partisans, après son arrestation, sans qu’il ne soit suivi ?
Le président Gbagbo a constaté sa défaite militaire du 11 avril 2011 et a demandé qu’on ouvre la phase civile de la vie politique en Côte d’Ivoire. Par cette demande, le président Gbagbo a fait preuve de réalisme politique. Depuis le Fpi en tant que parti se fait l’écho de ce mot d’ordre du président Gbagbo. La direction du Fpi a écrit pour demander le dialogue républicain depuis juillet 2011. Aucun membre de ladite direction ne dit et ne fait autre chose. Il n’y a donc pas de contradiction au niveau de la direction du Fpi.
Que répond clairement le Fpi sur la proposition d’entrer au gouvernement ?
Ce n’est pas un sujet de discussion. Entrer dans le gouvernement ne sera jamais un sujet de discussion.
Pourquoi ?
Cette proposition ne sera jamais un sujet de discussion, parce que le principe est que celui qui a gagné le pouvoir gouverne. Celui qui a gagné peut vous inviter au gouvernement. Mais une invitation, on y va ou on n’y va pas. La discussion est celle qui est engagée aujourd’hui. Il y a eu une crise après laquelle il est question de recoller les morceaux pour ramener la paix en Côte d’Ivoire.
Pendant que le Fpi exprime cette attente, les élections municipales et régionales sont fixées au 21 avril. Est-ce à dire qu’il n’y participera pas finalement ?
Il appartient au gouvernement de créer les conditions de notre participation, car il y a des conditions objectives à réaliser pour des élections justes, transparentes, équitables pour tous, donc inclusives. Nous voulons aller aux élections mais pas à n’importe quelle condition.
La fixation unilatérale de la date des élections locales est un aveu du gouvernement qu’il refuse d’organiser des élections démocratiques ouvertes à tous.
Que répondez-vous à ceux de vos partisans qui disent que ne pas aller aux élections relève de l’extrémisme inacceptable ?
Je vous ai dit tantôt que le gouvernement a une stratégie qui consiste à diaboliser le Fpi. Ceux des nôtres qui disent cela sont tombés dans le piège du gouvernement qui veut développer en nous le complexe de l’extrémiste irréaliste. La direction du Fpi et plusieurs militants ne tomberont pas dans ce piège.
Vous avez été l’un des ministres de la Défense de Laurent Gbagbo. Il est poursuivi pour crimes contre l’humanité à la Cpi. Comment avez-vous réagi à sa seconde comparution, fin février ?
J’ai eu d’abord une réaction affective. Laurent Gbagbo est mon maître sur le plan politique. J’ai été son ministre de l’Education nationale, son ministre de la Défense, cela veut dire que j’ai été l’un de ses plus proches collaborateurs. Brutalement, depuis les élections de 2010, il y a eu une séparation. Chaque fois que je le vois à la télévision, j’ai une réaction affective. L’affection que j’ai pour lui et qu’il me témoigne réciproquement fait que je suis peiné de ne pas pouvoir le toucher, partager un repas avec lui, échanger avec lui et apprendre de la marche du pays et du monde. Quand j’ai écouté les quatre chefs d’accusation, je me suis dis que le procès était basé sur du faux. Et cet aspect a augmenté ma peine. Comment quelqu’un qui m’a nommé en 2007 pour négocier la paix avec des rebelles qui sont venus attaquer son régime et qui aurait pu le tuer, peut-il être accusé de crimes aussi graves ?
La caricature de l’histoire de la Côte d’Ivoire est faite à dessein par madame la procureure. L’accusation a isolé les faits pour mieux les déformer. Comment peut-on comprendre une réaction sans une action préalable ? Si nous évoquons l’histoire de la Côte d’Ivoire depuis l’attaque du 19 septembre 2002 jusqu’au 11 avril 2011, sûrement qu’on comprendrait mieux le phénomène déclencheur de la violence en Côte d’Ivoire et on distinguerait mieux les acteurs principaux, les bourreaux et les victimes. Madame la procureure a été à la recherche de la vérité historique en travestissant volontairement la vérité, elle a proclamé un ensemble de faits isolés, détachés de leur contexte. On comprend, il fallait accabler le président Gbagbo. La procureure n’a même pas porté de gants pour le faire et c’est dommage pour la Côte d’Ivoire.
Ne vous est-il pas venu à l’esprit de penser que votre maître ne s’en sortirait pas, compte tenu des chefs d’accusation et de la complexité de la situation dans laquelle il se trouve ?
Quand la défense a commencé à dérouler sa plaidoirie, j’ai été apaisé. Je me suis dis : enfin la vérité sera dite. Et la vérité a été dite. Dire sa vérité soulage toujours. On peut condamner Laurent Gbagbo, mais le monde sait désormais la vérité.
Quelle est cette vérité ?
Le président Gbagbo a répondu à cette question : Depuis son élection en 2000, il a recherché la paix pour son pays durant le temps qu’il a passé au pouvoir. C’est parce qu’il a voulu un Etat de droit qu’il se trouve à La Haye. Le refus de son successeur d’appliquer la Constitution d’où sa recommandation forte adressée au monde et en particulier aux pays africains : l’application de la Constitution nationale. Voici la vérité que le monde ne savait pas.
Vous n’êtes pas le seul à tenir ce raisonnement parmi les partisans de Laurent Gbagbo. Mais en plus, vous dites procès, là où il est question d’audience. N’est-ce pas parce qu’en réalité vous êtes convaincu que les charges seront retenues contre votre mentor ?
Depuis que Laurent Gbagbo a été envoyé à La Haye, les étapes de confirmation ou d’infirmation constituent un pan du processus du procès.
La Cpi, elle, insiste pour dire que pour le moment, il s’agit d’une audience et non d’un procès. Les partisans de M. Gbagbo s’en tiennent au mot procès …
Non, dès l’instant où vous êtes au tribunal, dites-vous que vous y êtes allé pour un procès. Maintenant, il y a des étapes. Ce ne sont pas ces étapes qui nous importent. Nous reconnaissons cependant que le processus du procès peut ne pas aller à son terme. Ça sera sûrement le cas ici.
Cette compréhension de la situation traduit vraisemblablement un désespoir...
Laurent Gbagbo est engagé dans un combat. Et c’est ce combat qu’il continue à La Haye. Donc nous ne pouvons pas désespérer, si nous demeurons convaincus de la justesse du combat.
En nous engageant en politique, nous savions bien que tous les cas de figures peuvent se présenter. Peut-être que nous n’avions jamais pensé que l’un d’entre nous allait être emprisonné à La Haye. Nous n’avions jamais pensé qu’on peut mourir assassiné en Côte d’Ivoire en faisant de la politique. C’est pourquoi le Fpi a toujours prôné la transition pacifique à la démocratie. Nous continuons d’y croire.
Il n’y a pas de place pour le désespoir. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Laurent Gbagbo et nous, anti-impérialistes et démocrates de Côte d’Ivoire et d’ailleurs, irons jusqu’au bout du combat pour la démocratie en Côte d’Ivoire et l’égalité des peuples du monde.
Réalisée par Bidi Ignace