Dans cette interview qu’il nous a accordée, le porte-parole du Rassemblement des républicains assure, à l’ombre du climat socio-politique qui prévaut en ce moment, que les Ivoiriens sont désormais réconciliés.
Dans quelques jours se tiendront les élections locales, couplées, municipales et régionales que le Rhdp affronte en rang dispersé. Ne risquez-vous pas de perdre encore des plumes, au sortir de cette échéance ?
Effectivement, il y a un risque. Mais, sachez que nous sommes en politique et que nos dirigeants ont l’obligation d’apprécier la réalité politique du moment. Voyez-vous, les élections locales font apparaître les ambitions des individus. Ceux-ci décident de se mettre au service de leur population et souvent, quand ils sont suffisamment avancés dans leur engagement, il est difficile d’obtenir d’eux qu’ils se retirent au profit de quelqu’un d’autre. Donc nos deux principaux présidents ont apprécié, ils ont donné leur accord pour que là où il y a consensus, on aille en Rhdp (Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix, la coalition politique qui soutient la président Ouattara, ndlr) et là où il n’y en a pas eu, qu’on aille en rang dispersé. De toutes les façons, ce sont les populations qui vont décider. On verra donc si au soir du 21 avril, cette dispersion d’actions a porté ses fruits. C’est au soir du 21 avril qu’on pourra apprécier.
Ma question demeure. Ne risquez-vous pas de perdre des plumes en allant à ces élections en rang dispersé ?
Non ! Parce que, quel que soit le schéma, le Rhdp sort gagnant de ces élections.
On a pourtant connu une dissolution du gouvernement du fait d’un manque de solidarité entre alliés du Rhdp…
Oui, je maintiens que c’est le Rhdp qui sortira gagnant, parce que de toutes les façons, c’est un candidat du Rhdp qui va remporter ces élections dans les communes et dans les régions, surtout parce que nos frères de l’opposition ont refusé de participer à ces élections. Certainement, dans toutes les communes et dans toutes les régions, on retrouvera des maires et des présidents de conseils régionaux Rhdp. Donc soyez rassuré, nous ne perdrons pas de plumes.
Malgré la subtile opposition qu’il y a entre votre parti, le Rdr et le Pdci ?
C’est de bonne guerre. Le fait que nous sommes alliés ne sous-entend pas que nous sommes inféodés l’un à l’autre. Nous sommes dans une alliance stratégique qui nous a permis de faire partir le Fpi (Front populaire ivoirien, le parti de Laurent Gbagbo, ndlr) du pouvoir mais, il n’empêche que chaque parti a ses particularités, avec des ambitions fortes en interne de la part de leurs cadres respectifs. Ce que je puis vous dire, c’est que nous nous entendons sur l’essentiel. Il peut y avoir peut-être des incompréhensions sur de petits détails, sur des questions de postes que les cadres des deux partis peuvent revendiquer. Sinon, sur l’essentiel, nous nous entendons pour cogérer le pays.
A quel moment allez-vous présenter un visage plus reluisant aux Ivoiriens ?
Qu’est-ce que vous appelez visage reluisant ? Y a-t-il visage plus reluisant que celui du président Bédié qui a la main sur l’épaule de son jeune frère Alassane Ouattara ? Y a-t-il visage plus reluisant que de les revoir reproduire cette posture, de les voir continuer de s’entendre aussi parfaitement pour cogérer le pays ?
Est-ce sous ce signe que vous allez aborder l’échéance de la présidentielle de 2015 ?
Oui, sous le signe des enfants de Félix Houphouet-Boigny qui se sont retrouvés et qui ne vont plus jamais se quitter.
Je reprécise ma question. Allez-vous faire comme au premier tour de la présidentielle de 2010 où chacun a présenté son candidat ?
La politique, c’est la saine appréciation des réalités du moment. Quand le moment viendra, nous saurons apprécier la réalité qui se présentera à nous et nous adopterons l’attitude qui s’impose.
Selon certaines informations, le Fpi ferait des appels du pied au Pdci. Cela ne vous inquiète-t-il pas ?
Voyez-vous, nous avons trois principales forces politiques sur la scène politique ivoirienne : Le Rdr (Rassemblement des républicains, parti au pouvoir, ndlr), le Pdci (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, le parti d’Henri Konan Bédié, ndlr) et le Fpi. Quand l’une de ces formations politiques s’associe à une autre, la troisième tombe. Mais, aujourd’hui, avec l’expérience des douze années de catastrophes sociale, économique, politique que le Fpi nous a infligées, cela m’étonnerait que les Ivoiriens acceptent que le Fpi s’allie à une des deux autres formations politiques pour revenir au pouvoir. Cela m’étonnerait. Voyez-vous l’expérience du Fpi au pouvoir a été traumatisante pour les Ivoiriens. Et, moins on les rapproche du pouvoir, mieux, c’est.
Et pourtant vous m’avez répété déjà à deux reprises que la politique, c’est la saine appréciation des réalités du moment. En plus, nous sommes encore à deux ans de 2015.
Oui, nous sommes à deux ans de 2015, mais, je puis vous dire que tous les schémas ne sont pas à exclure. Mais, je vous redis que l’expérience que nous avons eue de la gestion du Fpi à la tête du pays a été tellement traumatisante que cela m’étonnerait que les Ivoiriens leur fassent encore confiance pour les ramener aussi vite dans le jeu politique.
Au terme des législatives partielles du 3 février, vous aviez déclaré avoir compris le message de la base et promis apporter les réponses qui s’imposent. Peut-on savoir les premières réponses que vous avez pu apporter depuis lors ?
La première des réponses a été de leur dire que nous avons compris le message qu’ils nous ont envoyé. Nous leur avons dit que nous avons compris qu’ils étaient mécontents des choix opérés par la direction du parti. La deuxième réponse que nous leur avons apportée, c’est que nous sommes allés vers la base, pour l’écouter. Si vous avez bien suivi les choses, vous vous rendez compte que la première liste que nous avons publiée a été revue, pour tenir compte des aspirations de nos militants. On observera l’effet des réajustements pendant les élections locales. Ç’a été un signal fort, nos militants nous l’on signifié, ils nous ont dit : « ne décidez pas tous seuls ; en restant dans les bureaux à la rue Lepic, tenez compte de la base ». Comme réaction, nous avons donc envoyé des délégations vers la base avant de publier la dernière liste.
Et pourtant, beaucoup de cadres qui étaient décriés, figurent toujours sur cette dernière mouture, notamment les maires sortants d’Adjamé, d’Abobo…
Sur quelle base pouvez-vous dire qu’ils sont décriés ? Ne vous référez par aux quelques individus qui passent dans les médias pour dire qu’ils ne veulent pas d’untel et d’untel autre. Il faut aller faire un vrai sondage sur le terrain pour apprécier la réalité. Et, pour moi, le meilleur de ces sondages, ce sont les élections. On verra alors. Si vraiment M. Toungara est décrié comme vous le dites, cela se saura dans le résultat des élections. Ce qui m’étonnerait parce que je sais que c’est quelqu’un qui est aimé par sa population.
Et s’il est sanctionné dans les urnes ? Cela ne serait-il pas trop tard ?
Qu’est-ce qui serait trop tard ? Je vous dis que le plus grand juge en matière électoral, c’est le peuple, c’est lui qui vote.
Il y a quelques semaines, dans une déclaration, vous avez justement demandé de laisser la base trancher entre ceux qui ont été choisis et les indépendants. Malgré votre appel, le Rdr a continué à faire pression sur des indépendants. Finalement était-ce le citoyen Joël N’Guessan qui a parlé ou le porte-parole du Rdr ?
D’abord, vous constaterez que le président Bédié, en tant que président de la conférence des présidents du Rhdp, a produit lui-même une note dans laquelle il dit clairement qu’il est pour le consensus, mais qu’à défaut de ce consensus, de laisser les ambitions s’exprimer.
Y compris celle des indépendants ?
Bien sûr ! Et c’est le même message que j’ai voulu faire passer. Sauf que je l’ai fait un peu plus tôt. Voyez-vous, nous sommes en démocratie et dans ce contexte, si on ne s’entend pas, il faudrait laisser les gens se présenter, quitte au peuple de trancher. J’insiste pour dire qu’il faut laisser le peuple décider. Normalement, dans cette logique, on aurait dû faire des primaires. Malheureusement, nous n’avons pas eu le temps nécessaire pour le faire. Une fois que le peuple a tranché, chacun se fait une idée réelle de la force des uns et des autres et le débat est clos. Vous savez, il y a des candidats qui voulaient à tout prix le consensus, parce qu’ils ne représentent rien sur le terrain. Ils veulent se glisser sur une liste, être Rhdp pour être sûrs d’être élus. Il faut être représentatif avant d’être choisi. C’est pour cela que j’ai proposé que chacun affiche ses ambitions pour laisser ensuite les électeurs décider.
C’est bien beau, ce que vous dites. Mais, la réalité, c’est que certains membres de la direction du Rdr continuent de faire pression sur des indépendants…
Je n’ai pas connaissance de cela. Mais, toujours est-il que si c’était vrai, ils auront échoué.
Apparemment vous n’êtes pas sur la même longueur d’onde que certains membres de la direction de votre parti…
Non, ce n’est pas une question d’être sur la même longueur d’onde. Je dis et je répète, une élection locale est une compétition pour faire valoir ses ambitions. Je suis de la direction du Rdr, notamment le porte-parole, mais, je n’ai pas à profiter de mon titre pour aller influencer qui que ce soit. Je dois laisser les gens libres de leur ambition et libres de leur choix. Et cela doit être valable pour tout le monde. Car s’il est vrai que certains en sont venus à menacer des indépendants, je dis que c’est malheureux, parce que la direction du parti n’a pas à faire cela. Son rôle, c’est de donner des orientations, parce qu’après tout, nous sommes en démocratie.
Parlons à présent du dialogue pouvoir-opposition. Avez-vous bon espoir que ces discussions pourront déboucher sur quelque chose de concret et de positif ?
Je précise d’emblée que ce n’est pas un dialogue Rdr-opposition. C’est un dialogue gouvernement-opposition et nous, en tant que parti au pouvoir, nous sommes demandeur de ce type de dialogue. Notre souhait est qu’il aboutisse à une conclusion heureuse pour que le président Alassane Ouattara puisse dérouler encore mieux son programme de gouvernement au bénéfice de l’ensemble des populations. Cependant sur certains points, notamment en ce qui concerne les réformes électorales, nous avons dit au gouvernement qu’il ne peut pas trancher cette question seulement avec le Fpi. Parce que pour nous, c’est l’ensemble des acteurs politiques qui doivent prendre part aux discussions touchant cette question de réformes électorales. Quant aux questions liées au financement des partis politiques, de participation ou pas du Fpi aux prochaines élections, le gouvernement est libre de mener les discussions comme bon lui semble. Nous sommes un parti politique qui a été créé pour prendre le pouvoir pour l’exercer. Et pour ce faire, il faut des élections. Donc si on doit parler d’élection, ce n’est pas seulement entre le gouvernement et le Fpi. Pour l’heure, il s’agit d’un dialogue républicain dans lequel le Fpi a émis des revendications dont les réponses ne peuvent venir que du gouvernement donc nous attendons de voir l’aboutissement heureux des discussions.
Au terme de ces discussions gouvernement-Fpi, peut-on s’attendre à ce que le Fpi et le Rdr se retrouvent pour discuter directement ?
Voyez-vous, entre dirigeants politiques, nous nous parlons. Moi, je parle à Danon Djédjé.
Dans un cadre informel…
Bien sûr ! Mais, nous discutons de l’avenir de notre pays. Le secrétaire général par intérim de notre parti, Amadou Soumahoro rencontre fréquemment les principaux responsables de l’opposition. Ils les invitent même à sa table et ils se parlent.
Et qu’est-ce que cela donne comme résultat ?
Le résultat, c’est qu’il y a beaucoup de points d’accord. Nous sommes d’accord pour dire que la Côte d’Ivoire a trop souffert et qu’il faut mettre fin aux graves violations des droits de l’Homme que nous avons connues. Et que maintenant, nous devons penser à la reconstruction du pays, ensemble. Parce que c’est ensemble que nous pouvons le faire.
Si vous arrivez à manger ensemble à la même table, qu’est-ce qui vous divise fondamentalement alors ?
Il n’y a pas grand-chose qui nous divise si ce n’est les ambitions des uns et des autres.
Pensez-vous que ce sont les ambitions des gens du Fpi qui sont démesurées ou sont-ce les vôtres ?
Je vais vous donner un exemple. Ils disent que pour participer à quelque élection que ce soit, on doit libérer tous les prisonniers politiques. Au passage, je voudrais préciser que nous n’avons pas de prisonniers politiques en Côte d’Ivoire. Il n’y a que des politiciens qui ont commis des actes graves qui sont en prison. Quand un politicien va braquer la Bceao (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, dont le siège à Abidjan, a été investi de force par les partisans de Laurent Gbagbo durant la crise postélectorale, ndlr) ou qu’un autre donne l’ordre de tuer et qu’on les prend pour ces faits, ils ne peuvent pas se prévaloir du statut de prisonniers politiques. Ce sont des prisonniers poursuivis dans le cadre pénal parce qu’ils auront commis des crimes économiques et des crimes de sang. Il faut donc faire la part des choses. Cette précision faite, revenons à la question. Ils disent donc qu’il faut libérer ces gens-là. Nous leur disons non, parce que ces gens doivent être jugés pour les crimes qu’ils ont commis, de sorte que par la suite, selon les dispositions constitutionnelles et légales, on puisse prendre des mesures de grâce ou faire voter des lois d’amnistie, en leur faveur. Si on ne les juge pas, on va toujours se retrouver dans la même spirale de violence et de l’impunité.
Ils répondent que, quoique son régime a été attaqué par des gens qui étaient de mèche avec votre parti, en septembre 2002, Laurent Gbagbo n’a pas hésité à amnistier ceux qui lui en voulaient, sans passer par la case justice…
Oui mais, est-ce que cela nous a empêchés de connaître la guerre ? Je dis toujours que les amnisties politiques n’ont pas de sens. Maintenant, je voudrais vous faire remarquer que tous les crimes de guerre commis depuis le déclenchement de la rébellion, tous les crimes contre l’humanité commis, même avant le déclenchement de cette rébellion, ne sont pas prescriptibles. Il n’y a pas d’amnistie qui vaille parce qu’aucune amnistie ne peut couvrir un crime contre l’humanité. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai toujours qualifié les amnisties de M. Gbagbo d’amnisties politiques. C’était tellement politique qu’au finish, elles nous ont conduits à une guerre.
Est-ce que vous êtes en train de dire que des responsables de l’ex-rébellion, amnistiés mais pointés du doigt par le Fpi, pourraient être poursuivis un jour ?
Ecoutez, en matière de droit pénal, les responsabilités sont individuelles. Si vous avez commis une faute, c’est votre unique responsabilité qui est jugée. Vous ne pourrez pas dire : « mais pourquoi un tel autre n’est pas jugé aussi ». En matière pénale, la responsabilité est individuelle. Que les gens arrêtent de pointer du doigt la responsabilité des autres. Le jour où le tour des autres arrivera d’être jugés par l’histoire ou les juridictions compétentes, ils seront alors jugés. Eux aussi ne diront pas : « pourquoi on nous juge et pas tels autres » parce qu’en matière pénale, les responsabilités sont individuelles et, on ne vous juge que pour votre unique responsabilité. Il n’y a pas de responsabilité collective. On ne fait pas de mélange. C’est pour cela que je suis parfois surpris quand j’entends souvent les gens dire que la Cour pénale devrait faire ceci pour untel groupe. Je dis non ! La responsabilité est individuelle.
C’est chacun à son tour, selon vous ?
Absolument ! Si demain la Cour pénale internationale estime que c’est le tour de tel ou tel, elle ne va pas sauter une étape. Elle va suivre son propre programme, sa propre logique. Que ce soit devant les juridictions internationales ou nationales, les responsabilités sont individuelles.
Sur le plan local, le président Ouattara a promis des procès pour les dignitaires de l’ancien régime. Malheureusement ces procès traînent…
Voyez-vous, la justice est une machine qui est très lourde.
N’est-ce pas parce que cela vous arrange que vous dites cela ?
Non ! Ce n’est pas cela. Regardez ce qu’il se passe dans le procès du café-cacao. Les procès continuent. Instruire un dossier en justice, surtout quand il s’agit de crime, cela prend du temps, cela nécessite des enquêtes minutieuses. Il y a donc toute une procédure. Et quand on sait que nos juridictions ne sont pas suffisamment outillées pour pouvoir mener avec célérité, certaines actions, il ne faut pas être surpris que cela prenne du temps. C’est ce qui fait que les gens ont l’impression que ça traîne. Quand on regarde tous les crimes commis durant la crise postélectorale, le nombre de plaintes déposées, je peux vous dire qu’il n’y a pas assez de cabinets d’instruction, pour instruire ces plaintes. Chaque cas doit être analysé avec des preuves à l’appui et ça prend du temps, avant de se forger une opinion finale, convaincante pour déboucher sur un procès. Mais, j’ai cru comprendre que les choses devraient aller plus vite puisque, selon mes informations, les procès devraient s’ouvrir bientôt.
Après les audiences de confirmations des charges, vous avez dit que vous attendiez l’ouverture d’un procès de l’ancien président, Laurent Gbagbo. Qu’est-ce qui fonde cette opinion ?
L’histoire est encore récente. Les images sont là, les preuves aussi. Il y a eu beaucoup de crimes contre l’humanité, des crimes de guerre qui ont été commis.
Justement, parlant de preuve, les responsables de l’ancien régime vous accusent d’en avoir fabriqué, d’en avoir truqué, etc.
Nos frères du Fpi sont dans la négation permanente. Sauf que quelquefois, cela frise l’indécence. C’est un peu amoral de dire que des gens qui ont été tués ne l’ont vraiment pas été. C’est pour cela que nous évitons parfois de nous engager dans ce genre de débat, parce que nous nous disons que les faits sont là, les preuves sont là. Nous avons tous été témoins de morts qui jonchaient les rues ici à Abidjan. Nous avons été témoins de l’application de l’article 125 qui consistait à brûler vif des personnes. Moins de deux ans après, des individus veulent nous faire croire que tout ça n’a pas existé. Ce n’est pas parce que le président Ouattara a rapidement restauré l’environnement social et politique qu’on doit aujourd’hui nier l’existence de faits graves que nous avons connus. Quand je les entends parler, je trouve que c’est un peu amoral.
C’est donc cela qui vous fonde à croire que les charges seront confirmées ?
Les audiences de confirmation des charges étaient une occasion pour les avocats de M. Gbagbo de dire que leur client n’est responsable de rien, qu’il n’a rien fait, qu’il n’a pas envoyé de char tirer sur les femmes à Abobo, qu’il n’y a pas eu de morts, que Yves Lambelin (un opérateur économique français tué lors de la crise postélectorale, ndlr) n’est pas mort, que mes quatre collaborateurs ne sont pas morts… Leur rôle, c’était de faire cette démonstration. Mais, au lieu de cela, qu’ont-ils faits ? Ils ont accusé la France d’avoir bombardé la Côte d’Ivoire, qu’il y a eu un complot de la communauté internationale, etc.
Pensez-vous que leur ligne de défense était légère ?
Absolument ! Ce n’était pas l’objet de cette audience. Quand on vous amène devant la cour, à cette étape précisément, c’est pour vous demander : « monsieur, est-il vrai, oui ou non, que vous avez commis tel acte ou donné tel instruction ? ». Au lieu de parler de cela, ils sont venus accabler le colonialisme, faire le procès de la France et de la communauté internationale.
Selon vous, ils étaient donc hors-sujet…
Ils étaient totalement hors-sujet. Les preuves sont là, palpables ; les parents de victimes sont là. Il eut fallu parler de cela. C’est pour cela que non seulement je dis qu’ils sont hors-sujet mais, comme ils n’ont pas d’arguments, ils ont voulu politiser le débat. Mais, à la Cpi, on ne fait pas de débat politique. Ce qu’on demande, c’est juste d’apporter des preuves. Et celles que Mme le procureur et son bureau ont apporté sont tellement éloquentes pour que nous nous acheminions vers la tenue d’un procès.
Ils ne s’émeuvent pas face à ces preuves de la Cpi, puisqu’ils parlent de collusion entre Fatou Bensouda, la procureure et le régime Ouattara.
Comme on le dit souvent, au moment où on tue un poulet, on ne peut pas l’empêcher de se débattre. Ils savent très bien ce qu’ils ont fait. Mais, je retiens que tout ce qu’ils racontent, c’est du dilatoire. Ils veulent changer de sujet. Qu’ils reviennent sur le vrai sujet parce que tout est encore frais dans notre mémoire. Souvenez-vous des gens qui ont été massacrés devant la Rti, des femmes tuées à Abobo. On oublie ça et on dit : « on n’a rien fait ».
Les partisans de Gbagbo demandent sa libération au nom de la réconciliation. Ils demandent même au président Ouattara de poser un acte fort en demandant à la Cpi de relaxer Laurent Gbagbo. Pensez-vous que cela est envisageable ?
La Côte d’Ivoire est désormais un Etat-partie de la Cpi mais ce que les gens ne savent peut-être pas, c’est que le procureur de la Cpi a un pouvoir immense. Et, il est seul responsable de ses actes, n’obéit à aucune injonction d’un pays ou d’un chef d’Etat.
Et pourtant l’inverse existe. Quand la Cpi a demandé qu’on lui remette Laurent Gbagbo, les autorités ivoiriennes se sont exécutées…
C’est pour cela que je vous dis que le procureur est tout puissant. Il est si puissant qu’il est difficile de lui refuser quelque chose. S’il insiste, il obtient ce qu’il veut. Et, il est autonome financièrement, matériellement et même dans ses procédures.
Et pourtant depuis qu’ils demandent que vous leur remettiez Simone Gbagbo et Blé Goudé, le régime auquel vous appartenez ne s’est pas encore exécuté.
Le gouvernement a dit qu’il donnera une réponse appropriée. Donc on attend que le gouvernement se prononce et, il le fera.
Est-il possible que le gouvernement dise non à la Cpi qui est toute puissante ?
Oui. Mais il y a ce qu’on appelle le principe de subsidiarité. Là où un Etat est capable de juger quelqu’un sur qui pèsent de lourds soupçons de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, la Cpi peut lui laisser la possibilité d’organiser ce procès. Sinon, la Cpi et son procureur sont tellement libres qu’il n’est pas possible de penser un seul instant que M. Ouattara peut avoir quelque influence que ce soit sur cette cour. C’est impossible.
S’agissant du processus de réconciliation, êtes-vous optimiste ? Pensez-vous que les Ivoiriens pourront retrouver la concorde qui prévalait avant le début des crises qu’ils ont connues ?
Faisons une comparaison. Regardez le paysage social qui prévaut aujourd’hui et comparez-le avec ce qu’il se passait il y a deux ans. Aujourd’hui, les gens ont recommencé à cohabiter dans les cours communes. Pouvaient-ils le faire de décembre 2010 à mars 2011 à Abobo, à Yopougon, à Treichville, surtout quand ils sont de bords politiques et d’appartenances ethniques différents ? Or, à quoi assistons-nous aujourd’hui ? Les gens ont recommencé à vivre ensemble, à cohabiter ensemble. Ils vont à nouveau au marché, au champ, à l’hôpital, au stade, ensemble. Il n’y a plus de dénonciations calomnieuses. On ne braise plus personne. On ne jette plus de bombe dans les mosquées, on va plus tuer les gens dans les sièges de partis politiques à Wassakara. Tout ça, c’est fini. Quand on fait donc une comparaison entre ce que nous avons connu et ce que nous vivons aujourd’hui, on peut dire que la cohésion sociale est de retour. Il est vrai que certains débats en hauts lieux donneraient l’impression qu’il n’y a pas de réconciliation, mais ce n’est pas vrai. Les Ivoiriens se sont réconciliés.
Interview réalisée par Marc Dossa
Dans quelques jours se tiendront les élections locales, couplées, municipales et régionales que le Rhdp affronte en rang dispersé. Ne risquez-vous pas de perdre encore des plumes, au sortir de cette échéance ?
Effectivement, il y a un risque. Mais, sachez que nous sommes en politique et que nos dirigeants ont l’obligation d’apprécier la réalité politique du moment. Voyez-vous, les élections locales font apparaître les ambitions des individus. Ceux-ci décident de se mettre au service de leur population et souvent, quand ils sont suffisamment avancés dans leur engagement, il est difficile d’obtenir d’eux qu’ils se retirent au profit de quelqu’un d’autre. Donc nos deux principaux présidents ont apprécié, ils ont donné leur accord pour que là où il y a consensus, on aille en Rhdp (Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix, la coalition politique qui soutient la président Ouattara, ndlr) et là où il n’y en a pas eu, qu’on aille en rang dispersé. De toutes les façons, ce sont les populations qui vont décider. On verra donc si au soir du 21 avril, cette dispersion d’actions a porté ses fruits. C’est au soir du 21 avril qu’on pourra apprécier.
Ma question demeure. Ne risquez-vous pas de perdre des plumes en allant à ces élections en rang dispersé ?
Non ! Parce que, quel que soit le schéma, le Rhdp sort gagnant de ces élections.
On a pourtant connu une dissolution du gouvernement du fait d’un manque de solidarité entre alliés du Rhdp…
Oui, je maintiens que c’est le Rhdp qui sortira gagnant, parce que de toutes les façons, c’est un candidat du Rhdp qui va remporter ces élections dans les communes et dans les régions, surtout parce que nos frères de l’opposition ont refusé de participer à ces élections. Certainement, dans toutes les communes et dans toutes les régions, on retrouvera des maires et des présidents de conseils régionaux Rhdp. Donc soyez rassuré, nous ne perdrons pas de plumes.
Malgré la subtile opposition qu’il y a entre votre parti, le Rdr et le Pdci ?
C’est de bonne guerre. Le fait que nous sommes alliés ne sous-entend pas que nous sommes inféodés l’un à l’autre. Nous sommes dans une alliance stratégique qui nous a permis de faire partir le Fpi (Front populaire ivoirien, le parti de Laurent Gbagbo, ndlr) du pouvoir mais, il n’empêche que chaque parti a ses particularités, avec des ambitions fortes en interne de la part de leurs cadres respectifs. Ce que je puis vous dire, c’est que nous nous entendons sur l’essentiel. Il peut y avoir peut-être des incompréhensions sur de petits détails, sur des questions de postes que les cadres des deux partis peuvent revendiquer. Sinon, sur l’essentiel, nous nous entendons pour cogérer le pays.
A quel moment allez-vous présenter un visage plus reluisant aux Ivoiriens ?
Qu’est-ce que vous appelez visage reluisant ? Y a-t-il visage plus reluisant que celui du président Bédié qui a la main sur l’épaule de son jeune frère Alassane Ouattara ? Y a-t-il visage plus reluisant que de les revoir reproduire cette posture, de les voir continuer de s’entendre aussi parfaitement pour cogérer le pays ?
Est-ce sous ce signe que vous allez aborder l’échéance de la présidentielle de 2015 ?
Oui, sous le signe des enfants de Félix Houphouet-Boigny qui se sont retrouvés et qui ne vont plus jamais se quitter.
Je reprécise ma question. Allez-vous faire comme au premier tour de la présidentielle de 2010 où chacun a présenté son candidat ?
La politique, c’est la saine appréciation des réalités du moment. Quand le moment viendra, nous saurons apprécier la réalité qui se présentera à nous et nous adopterons l’attitude qui s’impose.
Selon certaines informations, le Fpi ferait des appels du pied au Pdci. Cela ne vous inquiète-t-il pas ?
Voyez-vous, nous avons trois principales forces politiques sur la scène politique ivoirienne : Le Rdr (Rassemblement des républicains, parti au pouvoir, ndlr), le Pdci (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, le parti d’Henri Konan Bédié, ndlr) et le Fpi. Quand l’une de ces formations politiques s’associe à une autre, la troisième tombe. Mais, aujourd’hui, avec l’expérience des douze années de catastrophes sociale, économique, politique que le Fpi nous a infligées, cela m’étonnerait que les Ivoiriens acceptent que le Fpi s’allie à une des deux autres formations politiques pour revenir au pouvoir. Cela m’étonnerait. Voyez-vous l’expérience du Fpi au pouvoir a été traumatisante pour les Ivoiriens. Et, moins on les rapproche du pouvoir, mieux, c’est.
Et pourtant vous m’avez répété déjà à deux reprises que la politique, c’est la saine appréciation des réalités du moment. En plus, nous sommes encore à deux ans de 2015.
Oui, nous sommes à deux ans de 2015, mais, je puis vous dire que tous les schémas ne sont pas à exclure. Mais, je vous redis que l’expérience que nous avons eue de la gestion du Fpi à la tête du pays a été tellement traumatisante que cela m’étonnerait que les Ivoiriens leur fassent encore confiance pour les ramener aussi vite dans le jeu politique.
Au terme des législatives partielles du 3 février, vous aviez déclaré avoir compris le message de la base et promis apporter les réponses qui s’imposent. Peut-on savoir les premières réponses que vous avez pu apporter depuis lors ?
La première des réponses a été de leur dire que nous avons compris le message qu’ils nous ont envoyé. Nous leur avons dit que nous avons compris qu’ils étaient mécontents des choix opérés par la direction du parti. La deuxième réponse que nous leur avons apportée, c’est que nous sommes allés vers la base, pour l’écouter. Si vous avez bien suivi les choses, vous vous rendez compte que la première liste que nous avons publiée a été revue, pour tenir compte des aspirations de nos militants. On observera l’effet des réajustements pendant les élections locales. Ç’a été un signal fort, nos militants nous l’on signifié, ils nous ont dit : « ne décidez pas tous seuls ; en restant dans les bureaux à la rue Lepic, tenez compte de la base ». Comme réaction, nous avons donc envoyé des délégations vers la base avant de publier la dernière liste.
Et pourtant, beaucoup de cadres qui étaient décriés, figurent toujours sur cette dernière mouture, notamment les maires sortants d’Adjamé, d’Abobo…
Sur quelle base pouvez-vous dire qu’ils sont décriés ? Ne vous référez par aux quelques individus qui passent dans les médias pour dire qu’ils ne veulent pas d’untel et d’untel autre. Il faut aller faire un vrai sondage sur le terrain pour apprécier la réalité. Et, pour moi, le meilleur de ces sondages, ce sont les élections. On verra alors. Si vraiment M. Toungara est décrié comme vous le dites, cela se saura dans le résultat des élections. Ce qui m’étonnerait parce que je sais que c’est quelqu’un qui est aimé par sa population.
Et s’il est sanctionné dans les urnes ? Cela ne serait-il pas trop tard ?
Qu’est-ce qui serait trop tard ? Je vous dis que le plus grand juge en matière électoral, c’est le peuple, c’est lui qui vote.
Il y a quelques semaines, dans une déclaration, vous avez justement demandé de laisser la base trancher entre ceux qui ont été choisis et les indépendants. Malgré votre appel, le Rdr a continué à faire pression sur des indépendants. Finalement était-ce le citoyen Joël N’Guessan qui a parlé ou le porte-parole du Rdr ?
D’abord, vous constaterez que le président Bédié, en tant que président de la conférence des présidents du Rhdp, a produit lui-même une note dans laquelle il dit clairement qu’il est pour le consensus, mais qu’à défaut de ce consensus, de laisser les ambitions s’exprimer.
Y compris celle des indépendants ?
Bien sûr ! Et c’est le même message que j’ai voulu faire passer. Sauf que je l’ai fait un peu plus tôt. Voyez-vous, nous sommes en démocratie et dans ce contexte, si on ne s’entend pas, il faudrait laisser les gens se présenter, quitte au peuple de trancher. J’insiste pour dire qu’il faut laisser le peuple décider. Normalement, dans cette logique, on aurait dû faire des primaires. Malheureusement, nous n’avons pas eu le temps nécessaire pour le faire. Une fois que le peuple a tranché, chacun se fait une idée réelle de la force des uns et des autres et le débat est clos. Vous savez, il y a des candidats qui voulaient à tout prix le consensus, parce qu’ils ne représentent rien sur le terrain. Ils veulent se glisser sur une liste, être Rhdp pour être sûrs d’être élus. Il faut être représentatif avant d’être choisi. C’est pour cela que j’ai proposé que chacun affiche ses ambitions pour laisser ensuite les électeurs décider.
C’est bien beau, ce que vous dites. Mais, la réalité, c’est que certains membres de la direction du Rdr continuent de faire pression sur des indépendants…
Je n’ai pas connaissance de cela. Mais, toujours est-il que si c’était vrai, ils auront échoué.
Apparemment vous n’êtes pas sur la même longueur d’onde que certains membres de la direction de votre parti…
Non, ce n’est pas une question d’être sur la même longueur d’onde. Je dis et je répète, une élection locale est une compétition pour faire valoir ses ambitions. Je suis de la direction du Rdr, notamment le porte-parole, mais, je n’ai pas à profiter de mon titre pour aller influencer qui que ce soit. Je dois laisser les gens libres de leur ambition et libres de leur choix. Et cela doit être valable pour tout le monde. Car s’il est vrai que certains en sont venus à menacer des indépendants, je dis que c’est malheureux, parce que la direction du parti n’a pas à faire cela. Son rôle, c’est de donner des orientations, parce qu’après tout, nous sommes en démocratie.
Parlons à présent du dialogue pouvoir-opposition. Avez-vous bon espoir que ces discussions pourront déboucher sur quelque chose de concret et de positif ?
Je précise d’emblée que ce n’est pas un dialogue Rdr-opposition. C’est un dialogue gouvernement-opposition et nous, en tant que parti au pouvoir, nous sommes demandeur de ce type de dialogue. Notre souhait est qu’il aboutisse à une conclusion heureuse pour que le président Alassane Ouattara puisse dérouler encore mieux son programme de gouvernement au bénéfice de l’ensemble des populations. Cependant sur certains points, notamment en ce qui concerne les réformes électorales, nous avons dit au gouvernement qu’il ne peut pas trancher cette question seulement avec le Fpi. Parce que pour nous, c’est l’ensemble des acteurs politiques qui doivent prendre part aux discussions touchant cette question de réformes électorales. Quant aux questions liées au financement des partis politiques, de participation ou pas du Fpi aux prochaines élections, le gouvernement est libre de mener les discussions comme bon lui semble. Nous sommes un parti politique qui a été créé pour prendre le pouvoir pour l’exercer. Et pour ce faire, il faut des élections. Donc si on doit parler d’élection, ce n’est pas seulement entre le gouvernement et le Fpi. Pour l’heure, il s’agit d’un dialogue républicain dans lequel le Fpi a émis des revendications dont les réponses ne peuvent venir que du gouvernement donc nous attendons de voir l’aboutissement heureux des discussions.
Au terme de ces discussions gouvernement-Fpi, peut-on s’attendre à ce que le Fpi et le Rdr se retrouvent pour discuter directement ?
Voyez-vous, entre dirigeants politiques, nous nous parlons. Moi, je parle à Danon Djédjé.
Dans un cadre informel…
Bien sûr ! Mais, nous discutons de l’avenir de notre pays. Le secrétaire général par intérim de notre parti, Amadou Soumahoro rencontre fréquemment les principaux responsables de l’opposition. Ils les invitent même à sa table et ils se parlent.
Et qu’est-ce que cela donne comme résultat ?
Le résultat, c’est qu’il y a beaucoup de points d’accord. Nous sommes d’accord pour dire que la Côte d’Ivoire a trop souffert et qu’il faut mettre fin aux graves violations des droits de l’Homme que nous avons connues. Et que maintenant, nous devons penser à la reconstruction du pays, ensemble. Parce que c’est ensemble que nous pouvons le faire.
Si vous arrivez à manger ensemble à la même table, qu’est-ce qui vous divise fondamentalement alors ?
Il n’y a pas grand-chose qui nous divise si ce n’est les ambitions des uns et des autres.
Pensez-vous que ce sont les ambitions des gens du Fpi qui sont démesurées ou sont-ce les vôtres ?
Je vais vous donner un exemple. Ils disent que pour participer à quelque élection que ce soit, on doit libérer tous les prisonniers politiques. Au passage, je voudrais préciser que nous n’avons pas de prisonniers politiques en Côte d’Ivoire. Il n’y a que des politiciens qui ont commis des actes graves qui sont en prison. Quand un politicien va braquer la Bceao (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, dont le siège à Abidjan, a été investi de force par les partisans de Laurent Gbagbo durant la crise postélectorale, ndlr) ou qu’un autre donne l’ordre de tuer et qu’on les prend pour ces faits, ils ne peuvent pas se prévaloir du statut de prisonniers politiques. Ce sont des prisonniers poursuivis dans le cadre pénal parce qu’ils auront commis des crimes économiques et des crimes de sang. Il faut donc faire la part des choses. Cette précision faite, revenons à la question. Ils disent donc qu’il faut libérer ces gens-là. Nous leur disons non, parce que ces gens doivent être jugés pour les crimes qu’ils ont commis, de sorte que par la suite, selon les dispositions constitutionnelles et légales, on puisse prendre des mesures de grâce ou faire voter des lois d’amnistie, en leur faveur. Si on ne les juge pas, on va toujours se retrouver dans la même spirale de violence et de l’impunité.
Ils répondent que, quoique son régime a été attaqué par des gens qui étaient de mèche avec votre parti, en septembre 2002, Laurent Gbagbo n’a pas hésité à amnistier ceux qui lui en voulaient, sans passer par la case justice…
Oui mais, est-ce que cela nous a empêchés de connaître la guerre ? Je dis toujours que les amnisties politiques n’ont pas de sens. Maintenant, je voudrais vous faire remarquer que tous les crimes de guerre commis depuis le déclenchement de la rébellion, tous les crimes contre l’humanité commis, même avant le déclenchement de cette rébellion, ne sont pas prescriptibles. Il n’y a pas d’amnistie qui vaille parce qu’aucune amnistie ne peut couvrir un crime contre l’humanité. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai toujours qualifié les amnisties de M. Gbagbo d’amnisties politiques. C’était tellement politique qu’au finish, elles nous ont conduits à une guerre.
Est-ce que vous êtes en train de dire que des responsables de l’ex-rébellion, amnistiés mais pointés du doigt par le Fpi, pourraient être poursuivis un jour ?
Ecoutez, en matière de droit pénal, les responsabilités sont individuelles. Si vous avez commis une faute, c’est votre unique responsabilité qui est jugée. Vous ne pourrez pas dire : « mais pourquoi un tel autre n’est pas jugé aussi ». En matière pénale, la responsabilité est individuelle. Que les gens arrêtent de pointer du doigt la responsabilité des autres. Le jour où le tour des autres arrivera d’être jugés par l’histoire ou les juridictions compétentes, ils seront alors jugés. Eux aussi ne diront pas : « pourquoi on nous juge et pas tels autres » parce qu’en matière pénale, les responsabilités sont individuelles et, on ne vous juge que pour votre unique responsabilité. Il n’y a pas de responsabilité collective. On ne fait pas de mélange. C’est pour cela que je suis parfois surpris quand j’entends souvent les gens dire que la Cour pénale devrait faire ceci pour untel groupe. Je dis non ! La responsabilité est individuelle.
C’est chacun à son tour, selon vous ?
Absolument ! Si demain la Cour pénale internationale estime que c’est le tour de tel ou tel, elle ne va pas sauter une étape. Elle va suivre son propre programme, sa propre logique. Que ce soit devant les juridictions internationales ou nationales, les responsabilités sont individuelles.
Sur le plan local, le président Ouattara a promis des procès pour les dignitaires de l’ancien régime. Malheureusement ces procès traînent…
Voyez-vous, la justice est une machine qui est très lourde.
N’est-ce pas parce que cela vous arrange que vous dites cela ?
Non ! Ce n’est pas cela. Regardez ce qu’il se passe dans le procès du café-cacao. Les procès continuent. Instruire un dossier en justice, surtout quand il s’agit de crime, cela prend du temps, cela nécessite des enquêtes minutieuses. Il y a donc toute une procédure. Et quand on sait que nos juridictions ne sont pas suffisamment outillées pour pouvoir mener avec célérité, certaines actions, il ne faut pas être surpris que cela prenne du temps. C’est ce qui fait que les gens ont l’impression que ça traîne. Quand on regarde tous les crimes commis durant la crise postélectorale, le nombre de plaintes déposées, je peux vous dire qu’il n’y a pas assez de cabinets d’instruction, pour instruire ces plaintes. Chaque cas doit être analysé avec des preuves à l’appui et ça prend du temps, avant de se forger une opinion finale, convaincante pour déboucher sur un procès. Mais, j’ai cru comprendre que les choses devraient aller plus vite puisque, selon mes informations, les procès devraient s’ouvrir bientôt.
Après les audiences de confirmations des charges, vous avez dit que vous attendiez l’ouverture d’un procès de l’ancien président, Laurent Gbagbo. Qu’est-ce qui fonde cette opinion ?
L’histoire est encore récente. Les images sont là, les preuves aussi. Il y a eu beaucoup de crimes contre l’humanité, des crimes de guerre qui ont été commis.
Justement, parlant de preuve, les responsables de l’ancien régime vous accusent d’en avoir fabriqué, d’en avoir truqué, etc.
Nos frères du Fpi sont dans la négation permanente. Sauf que quelquefois, cela frise l’indécence. C’est un peu amoral de dire que des gens qui ont été tués ne l’ont vraiment pas été. C’est pour cela que nous évitons parfois de nous engager dans ce genre de débat, parce que nous nous disons que les faits sont là, les preuves sont là. Nous avons tous été témoins de morts qui jonchaient les rues ici à Abidjan. Nous avons été témoins de l’application de l’article 125 qui consistait à brûler vif des personnes. Moins de deux ans après, des individus veulent nous faire croire que tout ça n’a pas existé. Ce n’est pas parce que le président Ouattara a rapidement restauré l’environnement social et politique qu’on doit aujourd’hui nier l’existence de faits graves que nous avons connus. Quand je les entends parler, je trouve que c’est un peu amoral.
C’est donc cela qui vous fonde à croire que les charges seront confirmées ?
Les audiences de confirmation des charges étaient une occasion pour les avocats de M. Gbagbo de dire que leur client n’est responsable de rien, qu’il n’a rien fait, qu’il n’a pas envoyé de char tirer sur les femmes à Abobo, qu’il n’y a pas eu de morts, que Yves Lambelin (un opérateur économique français tué lors de la crise postélectorale, ndlr) n’est pas mort, que mes quatre collaborateurs ne sont pas morts… Leur rôle, c’était de faire cette démonstration. Mais, au lieu de cela, qu’ont-ils faits ? Ils ont accusé la France d’avoir bombardé la Côte d’Ivoire, qu’il y a eu un complot de la communauté internationale, etc.
Pensez-vous que leur ligne de défense était légère ?
Absolument ! Ce n’était pas l’objet de cette audience. Quand on vous amène devant la cour, à cette étape précisément, c’est pour vous demander : « monsieur, est-il vrai, oui ou non, que vous avez commis tel acte ou donné tel instruction ? ». Au lieu de parler de cela, ils sont venus accabler le colonialisme, faire le procès de la France et de la communauté internationale.
Selon vous, ils étaient donc hors-sujet…
Ils étaient totalement hors-sujet. Les preuves sont là, palpables ; les parents de victimes sont là. Il eut fallu parler de cela. C’est pour cela que non seulement je dis qu’ils sont hors-sujet mais, comme ils n’ont pas d’arguments, ils ont voulu politiser le débat. Mais, à la Cpi, on ne fait pas de débat politique. Ce qu’on demande, c’est juste d’apporter des preuves. Et celles que Mme le procureur et son bureau ont apporté sont tellement éloquentes pour que nous nous acheminions vers la tenue d’un procès.
Ils ne s’émeuvent pas face à ces preuves de la Cpi, puisqu’ils parlent de collusion entre Fatou Bensouda, la procureure et le régime Ouattara.
Comme on le dit souvent, au moment où on tue un poulet, on ne peut pas l’empêcher de se débattre. Ils savent très bien ce qu’ils ont fait. Mais, je retiens que tout ce qu’ils racontent, c’est du dilatoire. Ils veulent changer de sujet. Qu’ils reviennent sur le vrai sujet parce que tout est encore frais dans notre mémoire. Souvenez-vous des gens qui ont été massacrés devant la Rti, des femmes tuées à Abobo. On oublie ça et on dit : « on n’a rien fait ».
Les partisans de Gbagbo demandent sa libération au nom de la réconciliation. Ils demandent même au président Ouattara de poser un acte fort en demandant à la Cpi de relaxer Laurent Gbagbo. Pensez-vous que cela est envisageable ?
La Côte d’Ivoire est désormais un Etat-partie de la Cpi mais ce que les gens ne savent peut-être pas, c’est que le procureur de la Cpi a un pouvoir immense. Et, il est seul responsable de ses actes, n’obéit à aucune injonction d’un pays ou d’un chef d’Etat.
Et pourtant l’inverse existe. Quand la Cpi a demandé qu’on lui remette Laurent Gbagbo, les autorités ivoiriennes se sont exécutées…
C’est pour cela que je vous dis que le procureur est tout puissant. Il est si puissant qu’il est difficile de lui refuser quelque chose. S’il insiste, il obtient ce qu’il veut. Et, il est autonome financièrement, matériellement et même dans ses procédures.
Et pourtant depuis qu’ils demandent que vous leur remettiez Simone Gbagbo et Blé Goudé, le régime auquel vous appartenez ne s’est pas encore exécuté.
Le gouvernement a dit qu’il donnera une réponse appropriée. Donc on attend que le gouvernement se prononce et, il le fera.
Est-il possible que le gouvernement dise non à la Cpi qui est toute puissante ?
Oui. Mais il y a ce qu’on appelle le principe de subsidiarité. Là où un Etat est capable de juger quelqu’un sur qui pèsent de lourds soupçons de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, la Cpi peut lui laisser la possibilité d’organiser ce procès. Sinon, la Cpi et son procureur sont tellement libres qu’il n’est pas possible de penser un seul instant que M. Ouattara peut avoir quelque influence que ce soit sur cette cour. C’est impossible.
S’agissant du processus de réconciliation, êtes-vous optimiste ? Pensez-vous que les Ivoiriens pourront retrouver la concorde qui prévalait avant le début des crises qu’ils ont connues ?
Faisons une comparaison. Regardez le paysage social qui prévaut aujourd’hui et comparez-le avec ce qu’il se passait il y a deux ans. Aujourd’hui, les gens ont recommencé à cohabiter dans les cours communes. Pouvaient-ils le faire de décembre 2010 à mars 2011 à Abobo, à Yopougon, à Treichville, surtout quand ils sont de bords politiques et d’appartenances ethniques différents ? Or, à quoi assistons-nous aujourd’hui ? Les gens ont recommencé à vivre ensemble, à cohabiter ensemble. Ils vont à nouveau au marché, au champ, à l’hôpital, au stade, ensemble. Il n’y a plus de dénonciations calomnieuses. On ne braise plus personne. On ne jette plus de bombe dans les mosquées, on va plus tuer les gens dans les sièges de partis politiques à Wassakara. Tout ça, c’est fini. Quand on fait donc une comparaison entre ce que nous avons connu et ce que nous vivons aujourd’hui, on peut dire que la cohésion sociale est de retour. Il est vrai que certains débats en hauts lieux donneraient l’impression qu’il n’y a pas de réconciliation, mais ce n’est pas vrai. Les Ivoiriens se sont réconciliés.
Interview réalisée par Marc Dossa