De nombreux chauffeurs de taxi sont des bavards. La plupart des rumeurs partent de ces chauffeurs. Durant toute la journée, ils écoutent les clients de toutes les sensibilités et se croient permis d’informer tous ceux qui montent, à bord de leur véhicule, et qui semblent ne pas s’intéresser à leurs propos. En partant, ce jour-là, pour un quartier d’Abobo, que je ne connaissais pas bien, Plaque1, le chauffeur, dès qu’il vit une des affiches des élections passée attaqua aussitôt : « Les prochaines élections vont chauffer dans ce pays. On parle de vote électronique. C’est la guerre qui s’annonce. » Je suis resté indifférent à tout ce qu’il disait. Je savais qu’il n’avait pas lu ma chronique sur l’alignement à faire devant un bureau destiné à un candidat donné et surtout que j’écrivais que les Africains ne croyaient même pas à la boule du Lotto, à fortiori à une élection électronique. C’est une question de culture. Il a réussi, néanmoins, à me faire parler quand il m’apostropha en me disant que le gouvernement doit trouver du travail pour les gens. Et que si lui était chauffeur de taxi c’est tout simplement parce que l’Etat ne faisait rien pour lui trouver du travail. Dans son esprit et dans ses paroles c’est au gouvernement d’attraper la main de chaque citoyen et de l’embaucher dans une entreprise. Je lui ai demandé dans quel pays le gouvernement cherchait du travail pour les citoyens du pays ? Evidemment, il ne pouvait pas répondre. Il ne savait pas non plus que les Etats qui le faisaient ont tous « disparu ». Le système socialo-communiste n’existe plus. Je lui ai fait comprendre que le gouvernement créait les conditions pour favoriser l’implantation d’entreprises et d’industries qui seules pouvaient donner du travail aux gens. L’Etat ne pouvait que recruter que pour les services de la fonction publique. Et que nulle part dans le monde, la fonction publique était une source de rentabilité. Et qu’un pays qui était dans la paix, la sécurité, la réconciliation pouvait attirer les investisseurs, les entreprises et les industries. Que seule la stabilité, la sécurité et la paix sont les conditions pour voir déverser sur le pays de nombreuses usines. Dans la situation actuelle de l’Afrique peu de nationaux sont capables d’investir dans la création de nombreux et de multitudes d’emplois. Seul le privé est le recours et la solution pour le chômage et l’emploi. Nos riches préfèrent investir dans le bâtiment. Il faut donc chercher à faire venir les riches entreprises étrangères qui ont les moyens pour offrir des centaines de milliers d’emplois. Or, les « toubabs » pour venir investir dans un pays ont besoin de savoir si ce pays est en paix, en sécurité et stable. Et comme les Africains parlent beaucoup, s’agitent, insultent, montent ou étalent leur haine au quotidien les uns envers les autres, les investisseurs sont réticents pour venir dans leur pays et voilà pourquoi ils ne trouvent pas du travail. Le chauffeur a si compris qu’il m’a dit qu’il comprend maintenant pourquoi Houphouët-Boigny parlait sans cesse de paix et de stabilité. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas qu’il s’attende à ce que le gouvernement lui trouve du travail mais que la création de paix dans le pays doit être l’un des maillons des conditions catalyseur de nombreux emplois. J’ai ajouté que la persistance des citoyens à croire à ce que le gouvernement leur trouve du travail est due à nos Etats qui se sont mis dans la posture de faire croire qu’ils étaient les pères, les rois du village. Et qu’ils pouvaient tout. Et ce n’est pas demain que les Africains comprendront que l’Etat n’est pas le père, encore moins Dieu Tout-Puissant. Convaincu, il aborda avec moi sa difficile situation. Depuis dix ans qu’il était chauffeur de taxi, il n’arrivait pas à épargner et trouvait la vie dure. Je lui ai fait comprendre, encore, qu’un salarié, quelque soit le montant de son salaire, ne réussira pas à épargner. Tout salaire rentre dans les dépenses du mois. Les corrompus s’en sortent bien. Ce n’est qu’une apparence car en réalité ils ne font que s’acheter des pierres pour leur ensevelissement. Tout argent volé se paie tôt ou tard et sur plusieurs générations. Pour s’en sortir, lui ai-je dit, c’est de prélever un tout petit montant de son salaire pour faire un petit commerce et un petit montant à épargner. L’argent est come des grains de riz dans l’eau bouillante. Il grossit très vite quand on sait le prendre. Et qu’il doit refuser de s’adonner aux vices, tabac, alcool, maquis, les femmes. Et c’est en faisant une autre petite activité qu’il se verra riche dans quelques années mais jamais de son salaire il pourra faire de la richesse. A lui d’investir dans une petite activité lucrative qui va monter tôt ou tard. Il ne cessait de me remercier en me disant que ce mois même il venait de donner un peu d’argent à sa femme pour commencer un commerce de serviettes. Je l’ai encouragé dans ce sens en lui donnant des pistes pour plus de rentabilité. Et qu’il fallait qu’il trouve un endroit pour vendre de petites choses qu’il confiera à un membre de sa famille au chômage qu’il contrôlera tous les jours. J’étais arrivé à destination mais il ne voulait pas qu’on se quitte. Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Par Isaïe Biton Koulibaly
Par Isaïe Biton Koulibaly