“Les crises de demain sont souvent le refus des questions d'aujourd'hui ». Cette réflexion de Patrick Lagadec, directeur de recherche à Polytechnique, sied bien à la situation que vit la Côte d’Ivoire en ce moment. Les crises, en général, ont pour quelque chose de bon qu’elles servent pour l’avenir. Les grandes démocraties que tout le monde envie tant sont passées par de graves conflits avant de se construire. Les Etats-Unis d’Amérique ont connu la guerre de sécession. La Grande-Bretagne a connu la bataille pour l’application de l’Habeas corpus. La France, quant à elle, a vécu la révolution de 1789, qui est la mère de la déclaration universelle des droits de l’Homme. Le point de départ de toute ces crises a été les abus et violations exercés sur le peuple ou une partie du peuple. Il a fallu qu’Abraham Lincoln se lève contre l’esclave dans l’Union pour que les Etats du Sud déclarent la guerre aux Etats du Nord. Mais c’est grâce à lui que les Etats-Unis sont aujourd’hui cités en modèle de société multiraciale dans le monde en entier. En France, Robert Danton, Maximilien de Robespierre, Saint-Just et les autres ont fait œuvre utile. En ce sens que c’est grâce à eux que la déclaration des droits de l’Homme est devenue un ensemble de normes universelles inscrites dans presque toutes les Constitutions du monde. Le point commun de tous ces héros de la démocratie et de la liberté est qu’ils ont compris à un moment donné la nécessité de faire face et d’apporter des réponses appropriées aux questions de leur époque. En Côte d’Ivoire, depuis plus d’une plus décennie, la question de la nationalité se pose avec beaucoup d’acuité. A l’accession à l’indépendance, le problème de la nationalité n’a pas été réglé en profondeur. Certes, il y a eu des textes sur la nationalité, mais ils n’ont pas réellement connu une application efficiente, soit par la faute des concernés soit par celle des autorités.
En septembre 2002, la Côte d’Ivoire s’embrase. La question de la nationalité est au cœur du conflit. De janvier à février 2003, pour la première fois, la table-ronde de Linas Marcoussis tente de régler la question. Après plusieurs jours de débats houleux et passionnés, toutes les parties ivoiriennes conviées à Paris, signent les Accords issus de cette catharsis nationale au bord de la Seine. Pour célébrer la signature de cet accord, la classe politique ivoirienne dans son entièreté et les mouvements armés chantent l’Abidjanaise à l’unisson. Il est prévu que ces accords soient transformés en lois pour être appliqués à tous les cas non résolus et laissés en rade sur le chemin de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Marcoussis est boudé par l’Assemblée nationale de l’époque. Les textes issus des négociations de Paris ne passent pas. Du moins, ils sont boycottés par les députés majoritaires issus de l’ancienne mouvance présidentielle. Finalement, deux lois passent, mais elles sont sévèrement édulcorées en 2004. Un décret d’application est pris en 2005. Mais les autorités d’alors font tout pour ne pas que ceux qui sont concernés par ces lois soient informés à temps. La plupart d’eux sont frappés de forclusion. Du coup, la question de la nationalité reste pratiquement en l’état. Les choses restent ainsi jusqu’à la fin de la crise postélectorale qui voit la chute de l’ancien régime. Arrivé au pouvoir d’Etat, le président Alassane Ouattara veut tirer les leçons du passé pour inscrire résolument la Côte d’Ivoire dans l’ère de la modernité. Et cela passe nécessairement par des réformes. Parmi lesquelles se trouve en bonne place l’épineuse question de la nationalité. Le gouvernement, pour régler la question de façon durable, choisit d’appliquer Marcoussis qui a le mérite de l’aborder dans sa globalité. Mais là encore des voix se lèvent et tentent de discréditer la réforme du gouvernement par une campagne de dénigrement. Les auteurs de cette campagne – malheureusement des intellectuels pour la plupart – accusent le président de la République et son gouvernement de vouloir brader la nationalité ivoirienne à des étrangers. Mais ils oublient une chose. Si la Côte d’Ivoire qui a déjà connu tant de drames à cause, justement de ce problème, ne le règle pas maintenant, il est clair que demain, il sera trop tard. La question de la nationalité n’est pas seulement spécifique à la Côte d’Ivoire. Dans les grandes démocraties comme les Etats Unis et la France, elle se pose aujourd’hui encore. Mais dans ces pays, au lieu de pratiquer la politique de l’autruche sur le sujet – comme certaines personnes, par manque de courage politique ou par calcul politique, le souhaitent – les autorités préfèrent affronter le problème. Actuellement, aux Etats Unis, l’équation des Latinos en situation irrégulière fait rage. Ce problème est même devenu un sujet de campagne, lors des dernières élections présidentielles de 2012. Le président Barack Obama avait promis, au cours de sa campagne, de régulariser la situation des quelques 11 millions de sans-papiers présents sur le territoire américain. En leur offrant, selon ses propres termes, « un chemin vers la citoyenneté ». Mieux, une véritable union sacrée de la classe politique se fait en ce moment autour de cette question. Car, les Américains savent qu’à la longue, mal traitée, elle risque de causer d’énormes problèmes à leur société. C’est la raison pour laquelle le 28 janvier dernier, une initiative sans précédent a été lancée par huit sénateurs républicains dont fait partie l’ancien candidat à l’élection présidentielle de 2008, John MacCain. Le projet prévoit un « chemin strict, mais juste, vers la naturalisation pour les clandestins vivant actuellement aux Etats-Unis », avait alors résumé le sénateur démocrate Chuck Schumer, l'un des huit élus de la chambre haute du Congrès. En France, les régularisations en masse opérées par le gouvernement du président François Mitterrand ont permis de régler la question de la naturalisation de centaines de milliers de sans-papiers de façon durable. Sans passer nécessairement par un référendum ou des consultations nationales tel qu’on l’entend ces derniers temps. C’est ce à quoi s’attèle le gouvernement du président Alassane Ouattara. Loin des calculs politiques et électoralistes. Mais pour l’intérêt supérieur de la Côte d’Ivoire. C’est le passage obligé. Assurément : « Les crises de demain sont souvent le refus des questions d'aujourd'hui ».A condition qu’on s’y attaque courageusement.
Jean-Claude Coulibaly
En septembre 2002, la Côte d’Ivoire s’embrase. La question de la nationalité est au cœur du conflit. De janvier à février 2003, pour la première fois, la table-ronde de Linas Marcoussis tente de régler la question. Après plusieurs jours de débats houleux et passionnés, toutes les parties ivoiriennes conviées à Paris, signent les Accords issus de cette catharsis nationale au bord de la Seine. Pour célébrer la signature de cet accord, la classe politique ivoirienne dans son entièreté et les mouvements armés chantent l’Abidjanaise à l’unisson. Il est prévu que ces accords soient transformés en lois pour être appliqués à tous les cas non résolus et laissés en rade sur le chemin de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Marcoussis est boudé par l’Assemblée nationale de l’époque. Les textes issus des négociations de Paris ne passent pas. Du moins, ils sont boycottés par les députés majoritaires issus de l’ancienne mouvance présidentielle. Finalement, deux lois passent, mais elles sont sévèrement édulcorées en 2004. Un décret d’application est pris en 2005. Mais les autorités d’alors font tout pour ne pas que ceux qui sont concernés par ces lois soient informés à temps. La plupart d’eux sont frappés de forclusion. Du coup, la question de la nationalité reste pratiquement en l’état. Les choses restent ainsi jusqu’à la fin de la crise postélectorale qui voit la chute de l’ancien régime. Arrivé au pouvoir d’Etat, le président Alassane Ouattara veut tirer les leçons du passé pour inscrire résolument la Côte d’Ivoire dans l’ère de la modernité. Et cela passe nécessairement par des réformes. Parmi lesquelles se trouve en bonne place l’épineuse question de la nationalité. Le gouvernement, pour régler la question de façon durable, choisit d’appliquer Marcoussis qui a le mérite de l’aborder dans sa globalité. Mais là encore des voix se lèvent et tentent de discréditer la réforme du gouvernement par une campagne de dénigrement. Les auteurs de cette campagne – malheureusement des intellectuels pour la plupart – accusent le président de la République et son gouvernement de vouloir brader la nationalité ivoirienne à des étrangers. Mais ils oublient une chose. Si la Côte d’Ivoire qui a déjà connu tant de drames à cause, justement de ce problème, ne le règle pas maintenant, il est clair que demain, il sera trop tard. La question de la nationalité n’est pas seulement spécifique à la Côte d’Ivoire. Dans les grandes démocraties comme les Etats Unis et la France, elle se pose aujourd’hui encore. Mais dans ces pays, au lieu de pratiquer la politique de l’autruche sur le sujet – comme certaines personnes, par manque de courage politique ou par calcul politique, le souhaitent – les autorités préfèrent affronter le problème. Actuellement, aux Etats Unis, l’équation des Latinos en situation irrégulière fait rage. Ce problème est même devenu un sujet de campagne, lors des dernières élections présidentielles de 2012. Le président Barack Obama avait promis, au cours de sa campagne, de régulariser la situation des quelques 11 millions de sans-papiers présents sur le territoire américain. En leur offrant, selon ses propres termes, « un chemin vers la citoyenneté ». Mieux, une véritable union sacrée de la classe politique se fait en ce moment autour de cette question. Car, les Américains savent qu’à la longue, mal traitée, elle risque de causer d’énormes problèmes à leur société. C’est la raison pour laquelle le 28 janvier dernier, une initiative sans précédent a été lancée par huit sénateurs républicains dont fait partie l’ancien candidat à l’élection présidentielle de 2008, John MacCain. Le projet prévoit un « chemin strict, mais juste, vers la naturalisation pour les clandestins vivant actuellement aux Etats-Unis », avait alors résumé le sénateur démocrate Chuck Schumer, l'un des huit élus de la chambre haute du Congrès. En France, les régularisations en masse opérées par le gouvernement du président François Mitterrand ont permis de régler la question de la naturalisation de centaines de milliers de sans-papiers de façon durable. Sans passer nécessairement par un référendum ou des consultations nationales tel qu’on l’entend ces derniers temps. C’est ce à quoi s’attèle le gouvernement du président Alassane Ouattara. Loin des calculs politiques et électoralistes. Mais pour l’intérêt supérieur de la Côte d’Ivoire. C’est le passage obligé. Assurément : « Les crises de demain sont souvent le refus des questions d'aujourd'hui ».A condition qu’on s’y attaque courageusement.
Jean-Claude Coulibaly