x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Politique Publié le mardi 9 juillet 2013 | L’intelligent d’Abidjan

CPI / Arsène Touho (Juriste et politologue) « On va vers un procès de Laurent Gbagbo »

La diaspora ivoirienne a organisé un séminaire le samedi 6 juillet à Lyon en France en vue de réfléchir sur les stratégies à mettre en œuvre pour obtenir la libération de Laurent Gbagbo. l’un des panélistes, le juriste et politologue Arsène Touho a fait l’exposé ci-après à l’occasion de ce séminaire
« …L’approche de mes collègues peut finir par réintroduire par la porte arrière un mini procès ou procès avant le procès que les rédacteurs du statut et les autres Chambres de cette cour ont tellement voulu éviter. […] La Chambre préliminaire ne constitue pas une chambre d’instruction et n’a pas pour mandat de diriger les enquêtes du procureur ». Il fallait lire cette analyse de la juge Silvia de Gurmendi (Présidente de la Chambre préliminaire I de la CPI) pour apprécier la complaisance qui circule entre les lignes de la décision d’ajournement de l’audience prononcée le 3 juin dernier. Il fallait lire ces observations pour, aussi, avoir une idée de ce qui risque de se passer dans quelques mois lors de la prochaine audience de confirmation des charges. En effet, la décision d’ajournement de l’audience ouvre la voie à plusieurs probabilités scandaleuses et gravissimes que l’enthousiasme des uns et la désillusion des autres n’ont forcement pas permis de remarquer dans la foulée. Et pourtant, il fallait le remarquer. Le remarquer était d’autant plus judicieux que l’urgence de la libération du Président Laurent GBAGBO s’établit non seulement par la tournure que prend l’affaire mais aussi et surtout par le droit inaliénable à la liberté dont dispose tout inculpé dont l’accusation n’est pas encore sûre d’elle-même. C’est, à mon avis, tout le sens du séminaire auquel nous sommes conviés à Lyon ce samedi 6 juillet 2013 et qui nous interroge sur « les moyens novateurs à mettre en place pour faire accélérer la mise en liberté » de Laurent GBAGBO. Pour moi, la satisfaction de cet objectif exige au préalable de saisir la signification profonde de la décision d’ajournement de l’audience (I). C’est une fois cela fait, que la stratégie envisagée peut être susceptible de conduire aux résultats que les organisateurs de ce séminaire escomptent (II).


I- DE LA SIGNIFICATION PROFONDE DE LA DECISION D’AJOURNEMENT DE L’AUDIENCE :
La Chambre préliminaire I a décidé (à la majorité) d’ajourner l’audience de confirmation des charges afin, dit-elle, de permettre au « procureur d’apporter, dans la mesure du possible, des éléments de preuves supplémentaires ou de procéder à de nouvelles enquêtes relativement » aux charges alléguées. La chambre appuie cette décision sur l’article 61-7-c-i du Statut de Rome. Une lecture de cet article permet de comprendre les messages que la majorité triomphante de la Chambre a voulu transmettre aussi bien à l’accusation qu’à la défense.

A°/ A l’égard de l’accusation :
C’est pratiquement un cadeau qui est fait à l’accusation à travers cette décision. D’abord, il convient de souligner que l’article 61-7-c-i du Statut invoqué par la Chambre pour soutenir sa décision est inopérant en la matière. Le texte dit exactement ceci : « selon ce qu’elle a déterminé, la Chambre préliminaire ajourne l’audience et demande au procureur d’envisager d’apporter des éléments de preuve supplémentaires ou de procéder à de nouvelles enquêtes relativement à une charge particulière ». A la lecture de ce texte, on voit bien que quand l’article 61 parle « d’éléments de preuve supplémentaires » et de « nouvelles enquêtes », c’est concernant « une charge particulière » et non sur toute l’accusation comme l’interprète la Chambre. Il aurait fallu par exemple, dans cette affaire, que la Chambre demande de nouvelles preuves et enquêtes précisément sur le crime de « viol ».
Ensuite, dans ses développements, la Chambre a tenu elle-même à rappeler la norme d’administration de la preuve applicable respectivement en matière de « délivrance de mandat », de « confirmation des charges » et de « culpabilité ». Elle a indiqué que l’appréciation des preuves au stade de la confirmation des charges est « moins exigeante que celle requise pour la délivrance des mandats et plus exigeante que celle requise pour la culpabilité » (Paragr. 17 décision N°ICC/02/11-01/11). Concrètement, cela signifie que pour justifier la délivrance d’un mandat d’arrêt, il suffit juste que les preuves présentées permettent que la Cour ait des « motifs raisonnables de croire » que la personne est responsable des faits ; pour conclure en la culpabilité de la personne, il faut juste que les preuves présentées permettent à la Cour d’être « au-delà du doute raisonnable ». Toutefois, entre ces deux étapes (l’arrestation et le procès), il y a au milieu, la confirmation des charges pour laquelle les preuves présentées doivent donner aux juges des « motifs substantiels de croire » que la personne est responsable des crimes que l’accusation lui attribue. Comme on le constate, la Chambre, en faisant ces précisions indiquent que l’audience de confirmation des charges est bel et bien l’étape la plus décisive de toute la procédure devant la Cour pénale internationale et qu’en conséquence, elle requiert une appréciation plus sévère de la part des juges sur les preuves. Le coup de pouce de la Chambre à l’accusation devient plus flagrant lorsqu’elle veut, délibérément et contre toute attente, croire volontiers qu’il existe forcément d’autres preuves que le bureau du procureur n’a pas encore présentées. S’adossant sur une jurisprudence précédente de la cour d’appel (Affaire le procureur contre Calixte Mbarushimana, Rwanda, 30 mai 2012 ICC O1/04-01/10-514, apr. 44), elle déclare que « le procureur n’a peut- être pas jugé nécessaire en l’espèce de présenter tous ses éléments de preuve en suivant toutes les pistes pertinentes en vue de la manifestation de la vérité ». Pourquoi la chambre pense-t-elle que le procureur a gardé des preuves en réserve alors que lui-même ne le dit pas ? Au nom de quelle règle de procédure, la Chambre suppose-t-elle la stratégie du procureur ? Comment comprendre donc que la Chambre préliminaire redonne une nouvelle chance au bureau du procureur qui a plaisanté avec sa propre accusation alors qu’il est censé savoir la rigueur qui prévaut à ce niveau ? A quel autre type de preuves s’attend la Chambre alors que le bureau du procureur pensait lui-même que les preuves qu’il avait communiquées devaient suffire pour établir l’accusation ? Autant de questions qui fondent les inquiétudes de la Juge Silvia aux yeux de qui l’ajournement de l’audience parait « comme un encouragement implicite au Procureur de présenter autant de preuves possibles, y compris les témoins vivants, afin de sécuriser la confirmation des charges, et à son tour, contraindre la Défense à faire de même ».
En effet, que reste-t-il comme preuves à la procureure quand elle a fini de brandir les vidéos et photos de violences au Kenya malicieusement attribuées à Laurent Gbagbo ? Que lui reste-t-il après les « ouï-dire anonymes » ? Que lui reste-t-il quand les témoignages des nombreux « témoins P » n’ont pas suffi ? Que lui reste-t-il en effet, si ce n’est de venir exhiber à la face de la Cour des « témoins vivants » ? Toute chose qui fonde à croire que dans dix mois, il risque de se passer à la Cour pénale internationale le procès de Laurent Gbagbo avant la lettre, en violation des règles de procédure et en négation du droit à l’anonymat des témoins.

B°/ A l’égard de la défense :
L’une des précautions que la Chambre dit avoir prise c’est de respecter le droit de Laurent GBAGBO d’être jugé « sans retard excessif » ainsi que le prescrit l’article 67-1-c du Statut. Elle croit alors ne pas en faire trop en le maintenant en prison en raison, dit-elle, des « particularités de l’affaire » et de la « gravité des charges » contre lui. Cette façon de juger est outrageusement subjective et arbitraire dans la mesure où toutes les affaires connues par la CPI sont déjà « particulières » et « graves » par essence puisque c’est précisément la gravité des faits qui fondent sa compétence. Ainsi, autant les charges portées contre Laurent Gbagbo ne sont pas spécialement graves, autant l’affaire elle-même n’est pas spécialement « particulière » pour que la perpétuation de sa détention en soit justifiée. Cependant, cette appréciation discriminatoire a l’avantage de prévenir la défense que l’affaire est loin d’être réglée et que l’ajournement de l’audience ne doit être considérée que comme une mi-temps et pas plus. Car pour que la victoire soit au bout du combat, il faut une stratégie bien pensée.

II- DE LA STRATEGIE ENVISAGEABLE POUR LA LIBERATION DE LAURENT GBAGBO :
La stratégie que je propose ici se veut purement politique étant entendu que le conseil des avocats conduit par Maitre Emmanuel Altit fait déjà des merveilles comme prévu. Si je me permets d’évoquer ici cette stratégie que je reconnais comme politique, c’est parce que l’accusation contre Laurent GBAGBO est menée par un tandem politique constitué du bureau du procureur et du pouvoir politique d’Abidjan. Il faut les surveiller de près tout en continuant d’animer les axes d’action favorables à la défense du Président de la république de Côte d’Ivoire, Laurent GBAGBO.

A°/ Surveiller les nouvelles recherches de preuves :
Etant donné que le procureur va s’adonner à un nouvel assemblage d’éléments de preuves et que pour cela il est forcément amené à procéder à des enquêtes, il faut donc l’avoir à l’œil. C’est une tâche qui se révèle assez difficile d’autant plus que le procureur bénéficie du secret qui entoure ses investigations. Mais vu que le champ d’investigation reste la Côte d’Ivoire, il convient d’en appeler à la vigilance nationale. Cela consisterait pour toute personne qui milite pour l’éclatement de la vérité dans cette affaire et qui se retrouverait par hasard ou expressément devant des actes d’investigations du procureur à informer l’opinion. C’est un travail en amont qui reste important même si en aval, l’accusation a l’obligation, dès le vendredi 5 juillet 2013, de donner à la défense les nouveaux éléments de preuve qu’elle aura en sa possession.
Il faut surveiller aussi les faits et geste du pouvoir d’Abidjan ; ce pouvoir qui considère que la présence de Laurent Gbagbo à la Haye n’est pas un acte politique et qu’elle relève purement de la justice et qui organise des marches pour protester contre la décision d’ajournement prononcée par les juges.

B°/ Animer les axes d’action favorables à la défense de Laurent Gbagbo :
Si la Chambre préliminaire n’a pas prononcé la confirmation des charges, ce n’est pas seulement parce que les preuves apportées par l’accusation étaient ridicules. C’est aussi parce que le mensonge en fabrication à la CPI est trop gros, trop grossier. Et les manifestations publiques de soutien à Laurent Gbagbo, les incursions diplomatiques, les contributions intellectuelles, les articles de presses, les films documentaires etc. ont contribué à amplifier la clameur publique autour de cette affaire. Cette clameur publique était tellement forte et permanente que l’entreprise de transformation du coup d’état du 11 avril 2011 en procès pénal s’en est trouvée extrêmement gênée. Il faut donc continuer d’animer ces axes d’actions. Il faut surtout insister sur la démarche unijambiste de ce procureur qui ne sait inculper qu’un seul camp dans une affaire où plusieurs camps se sont affrontés. C’est là où ça fait mal à l’accusation.
Il faut maintenant orienter et accentuer la pression sur les deux juges « dissidents » devenus coéquipiers du procureur dans l’accusation à travers des manifestations pacifiques de protestation suivies de dépôts de motion devant les ambassades de Belgique et d’Allemagne. Cela permettra de les exposer à l’opprobre public et professionnel lié à la trahison du serment de leur profession.

CONCLUSION :
La décision du 3 juin 2013 aura permis de comprendre pourquoi la chambre préliminaire est constituée d’un nombre impair. C’est certainement pour donner l’illusion d’un débat libre et contradictoire au sein de la Chambre, mais c’est vraisemblablement pour que la force, l’incohérence et le mensonge soient majoritaires lorsque la vérité et le bon sens prennent possession d’un juge. Je ne propose pas de mouvement de soutien à la juge Silva De Gurmendi parce qu’elle n’en a pas eu besoin pour prendre position en faveur de la vérité et du droit. Il faut donc la laisser seule face à la loi, seule face à sa conscience, seule face à la logique du raisonnement humain, seule face à la logique du raisonnement juridique pénal, seule face à tous. Car seul dans la vérité, on est toujours sûre de gagner grâce à l’onction de Dieu le tout puissant, Dieu le spécialiste des causes perdues aux yeux des hommes mais gagné d’avance selon la foi.

Fait à Paris le 04 juillet 2013
Arsène TOUHO
Juriste, Ecrivain, Diplômé des Sciences Politiques
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Politique

Toutes les vidéos Politique à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ