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Art et Culture Publié le mercredi 14 août 2013 | Le Patriote

Rencontre avec… / Mme Marie Turpain (Première Miss de Côte d’Ivoire) : “Je veux rencontrer le Président de la République”

A l’état-civil, elle s’appelle Akissi Marie. Mais, à la ville, elle est Mme Marie Turpain. Cette métisse, aujourd’hui âgée officiellement de 85 ans, est la première Ivoirienne à avoir remporté une élection Miss. Dans sa résidence située à Marcory Anoumabo, elle a bien voulu, pour Le Patriote, ouvrir le livre de sa vie, bien remplie. Retour sur le parcours peu ordinaire d’une femme extraordinaire, qui a la main sur le cœur. Entretien.
LP : Vous avez été en 1946 la toute première Ivoirienne à remporter une élection miss. Comment cela s’est-il passé ?
Marie Turpain : Je l’avoue, ça a été une grosse surprise pour moi. J’étais chez ma marraine lorsque la femme de Kouassi Lenoir m’a proposé, comme elle trouvait assez mignonne, de me rendre au Ghana où se devait se tenir, pour la toute première fois dans la sous-région, une élection Miss à laquelle plusieurs pays devaient participer. C’est ainsi que j’y suis allée comme représentante de la Côte d’Ivoire. C’était en novembre 1946, au cours d’une soirée organisée par le Roi des Ashanti de l’époque, à Kumasi. Nous étions plus de 80 jeunes filles venues d’un peu partout de l’Afrique. D’ailleurs, la Côte d’Ivoire était le seul pays francophone présent. J’avais peur car je n’étais jamais allée au Ghana. Mais, Dieu merci, tout s’est bien passé. Nous étions dans une très grande salle où il y avait beaucoup de monde. Nous avons fait un premier défilé, à l’issue duquel des candidates ont été éliminées. Ensuite, nous avons dansé, chacune, avec son cavalier. Le mien était un capitaine anglais. Puis, nous sommes revenues sur la scène pour nous présenter, devant le Roi et le public. C’est au terme de cette étape que j’ai été désignée Miss, après que les candidates aient été éliminées l’une après l’autre.

L.P : Il semble que vous étiez très émue...
MT: J’étais timide, parce que je n’avais jamais vu ça. Ni en Côte d’Ivoire, ni nulle part ailleurs. J’étais donc très émue. J’ai presque pleuré de joie. Surtout quand le Roi s’est levé et m’a prise dans ses bras puis m’a embrassée. Il avait une chaîne au cou, il l’a enlevée et il l’a mis à mon cou. Il m’a félicité. Et tous les Français qui étaient dans la salle ont crié aussitôt : «Vive la France, Vive la France». Les gens de ma famille qui m’avaient accompagnée étaient eux aussi heureux. Ils m’ont prise pour faire le tour de la salle, en me présentant à tout le monde et surtout en disant que je venais de la Côte d’Ivoire.

LP : Qu’avez-vous reçu comme prix ?
M T. : Ce n’était pas comme aujourd’hui où la Miss reçoit une voiture, mais ce que j’ai reçu à cette époque était aussi très importante. En plus de la chaîne du Roi, qui était un symbole fort, j’ai reçu sur le chemin du retour des pagnes, des serviettes, des couvertures. Les gens me témoignaient leur sympathique en offrant des présents. Je suis revenue en Côte d’Ivoire avec sept caisses de cadeaux.

LP : A votre retour en Côte d’Ivoire, y a-t-il eu une cérémonie spéciale pour vous ?
MT. : Non. Pas vraiment. Mais, ma famille m’a fêtée. Ma mère, mes oncles et mes tantes m’ont accueillie avec faste. Ils m’ont habillée avec des pagnes baoulé. Puis, ils ont immolé des moutons, pour dire merci au Seigneur pour avoir permis cette victoire. Ensuite, mes amies qui m’ont invitée dans un bar où on a chanté et dansé. Tout le monde était content autour de moi.

LP : Selon nos informations, c’est d’un couvent que vous êtes partie au Ghana pour cette élection. Que faisiez-vous dans là-bas ?
MT : C’est une longue histoire. Après la mort de mon père, ma mère s’est mariée à un monsieur qui s’appelle Etien Anoh du village d’Aboudé Mandéké. J’y ai vécu quelques années avant de me retrouver à Kangrasso, mon village maternel dans le département de Didiévi. Un jour, un coupe d’Européens, qui avait appris qu’il y avait une belle métisse dans ce village est venu me chercher et ont sillonné avec moi tout le département de Didiévi. En fait, ils faisaient me recensement des populations. C’est ainsi que j’ai été portée avec la femme dans un hamac et nous avons fait le tour des villages. Et je me suis retrouvée à Tiébissou. Et de là-bas, ils ont voulu m’emmener en France avec eux mais, le Commandant de Cercle a refusé, en arguant mon père pourrait me réclamer un jour. C’est ainsi qu’ils ont fait un papier pour me faire retourner à Kangrasso. Un homme m’a porté sur ses épaules jusqu’à Kangrasso. Mais, comme ma mère était déjà partie à Abidjan, il a été décidé de m’envoyer aussi à Abidjan chez les sœurs. Et de là, j’ai été emmenée dans un couvent à Moossou. Et j’y ai passé dix ans, avant d’aller au Ghana pour être Miss.

LP : Justement, après l’euphorie de votre élection au Ghana, qu’avez-vous fait concrètement pour vous occuper ?
MT: Beaucoup de choses. Avec ce que j’ai eu au Ghana, j’ai ouvert un commerce. J’allais chercher de la banane avec un camion que maman vendait. Après, j’ai été infirmière. Le métier ne m’a pas plu. J’ai abandonné. Puis, j’ai travaillé longtemps dans les pharmacies, d’abord à Adjamé, puis à Agboville. Ensuite, je suis partie à Bingerville où on patron, Serge Dubois, avait ouvert un dépôt de pharmacie. On a rencontré quelques difficultés. Etant donné que je n’étais pas pharmacienne, je n’étais pas autorisée à la tenir. Finalement, le dépôt a fermé et je suis retournée à Agboville, puisque ma mère vivait à Aboudé Mandéké, avec son mari, pour cette fois devenir planteur. J’ai fait du café et de la banane douce, avant de me lancer dans le transport. Cela m’a réussi puisque j’avais 10 taxis compteurs, deux camions benne. Quelques temps après, grâce à un prêt que j’ai contracté auprès d’une structure financière, je me suis lancée dans le transport de carburant. J’ai sorti d’abord deux citernes d’un coup pour faire le carburant. J’ai été la première femme transporteur de carburant.

LP : C’était en quelle année ?
MT : Je ne me rappelle plus. Après les deux premières citernes, j’en ai fait sorti deux autres et ainsi de suite. J’avais en tout neuf citernes : une de 35 000 litres, deux de 30 000 litres, deux de 24 000 litres, une de 22 000 litres, trois de 18 000 litres. J’ai fait beaucoup dans ma vie. Malheureusement, je n’ai jamais été récompensée.

LP : Et aujourd’hui, vous êtes retournée à la terre…
MT: Quand le transport du carburant n’était plus rentable du fait de la saturation du marché, j’ai décidé de me consacrer à l’agriculture et à l’élevage dans mon village maternel à Kangrasso. J’y ai à peu près 150 hectares de noix de cajou et plus de 100 têtes de bœufs. Ils étaient plus de 130. J’ai également 167 moutons. Voilà, je fais un peu d’élevage dans mon village.

LP: Pour autant, vous n’avez pas abandonné le transport…
MT : Oui, j’ai aussi deux cars qui font la ligne Abidjan-Didiévi. C’est en 1988 que j’ai commencé à faire le transport. J’avais mis en circulation dans un premier temps deux cars puis le nombre est passé à quatre. Malheureusement en 2004, j’ai fait une chute chez moi à la maison et je me suis fracturée la jambe. En fait, il y avait des remous et les gens couraient dehors pour se mettre à l’abri, je fonçais me cacher dans la chambre quand je suis tombée. J’ai eu cinq fractures. J’ai présentement un plâtre dans la jambe, c’est pourquoi je ne marche pas bien. J’ai été opérée ici. Puis, on m’a envoyée en France. J’y suis restée plus de deux ans. Le temps que la plaie guérisse et se cicatrise. A mon retour, mes cars étaient en ruine.

LP : Le 7 août dernier, vous avez été décorée par le Préfet de Didiévi, pour l’ensemble des œuvres que vous avez faites pour le département. Avec recul, comment percevez-vous cette décoration ?
MT. : Je ne sais pas comment vous exprimer cela. Pour moi, c’était grande joie. Je suis contente, heureuse car je considère cela comme la reconnaissance ce que j’ai fait, par l’Etat de Côte d’Ivoire. Au moins, on reconnaît que j’ai fait quelque chose. En 2002, avec le déclenchement de la crise, j’ai envoyé des médicaments à l’hôpital de Didiévi pour sauver plus de 2800 personnes. J’ai également offert des matelas, des draps de lits à l’hôpital de Didiévi. Chaque fois que quelque chose se passait à Didiévi, j’étais toujours présente. Je suis née comme ça. Ma mère aidait beaucoup les gens et je suis comme elle.

LP : Quel est aujourd’hui le meilleur souvenir de cette vie bien remplie ?
MT. : Le meilleur souvenir de ma vie. C’est lorsque j’ai été Miss au Ghana. C’était inattendu et formidable. Je peux aussi m’estimer heureuse parce que j’ai eu quand même six enfants, quinze petits-enfants, huit arrière-petits-enfants. Le neuvième va bientôt naître. Donc, je suis la plus heureuse des mères. Avoir des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants, c’est que je suis bénie par Dieu. Tout le monde ne peut pas avoir cela. Mais, moi, je l’ai eu donc je suis heureuse. Toutefois, j’ai un vœu que je souhaiterais réaliser.

LP : Lequel ?
MT. : Je veux rencontrer le Président de la République ou son épouse Mme Dominique Ouattara.

LP : Pourquoi justement tenez-vous tant à les rencontrer ?
MT : Parce que j’en ai besoin. En fait, j’ai quelques soucis avec certains de mes locataires qui habitent au-dessus de moi. Ils font des travaux dans les maisons sans me prévenir. Et celle où j’habite a des problèmes d’étanchéité, quand il pleut, l’eau ruisselle à l’intérieur. Pour que je puisse faire les travaux de réparation, il faut qu’ils partent. Mais, ils refusent de le faire. J’ai saisi le tribunal qui dit que j’ai tort alors que je suis le propriétaire à 100% de ces habitations. Je ne comprends plus rien. Ces locataires ne respectent pas le contrat de bail qu’ils sont signé, font ce qu’ils veulent. Je suis vraiment inquiet et je ne sais plus à quel saint me vouer. C’est pourquoi, je veux rencontrer le Président de la République ou la Première Dame pour qu’ils m’aident à sortir de cette impasse.

Réalisée par Y. Sangaré
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