Le professeur Théophile Koby Assa est secrétaire national du Pdci chargé des études et prospectives. Dans le débat qui a cours au Pdci, il livre son point de vue et évoque les menaces que les anciens font peser par leur prise de position sur la formation politique laissée en héritage par Houphouët-Boigny. Interview
Professeur, votre parti, le Pdci, vient d’achever le pré-congrès qui ouvre la voie au 12e congrès en octobre. Sur 156 délégations, 152 auraient opté pour une candidature du président Bédié à la présidence du parti. Comment accueillez-vous ce résultat
J’ai participé au pré-congrès à Dabou. La politique de la chaise vide est mauvaise conseillère. 152 délégations sur 156 ont plébiscité Bédié. Je ne me faisais aucune illusion en allant à ce pré-congrès. Cela représente 0,9% des délégations. Il fallait s’y attendre parce que les délégations régionales sont dirigées par des militants triés sur le volet par le président du Parti, et le mini conclave de Bassam avait déjà balisé les pistes en faveur du Chef. C’est une vieille pratique du PDCI de l’ère du parti unique héritée de la filiation avec le parti communiste avant de s’en séparer. Tout parti politique a la démocratie qu’il se construit et mérite. Si la majorité des comités de base adhère à 99,99% à cette forme d’expression démocratique, nous devons l’accepter puisqu’elle correspond aux réalités du moment. Mais je pense personnellement que cette pratique est en déphasage avec notre temps et avec l’évolution du contexte sociopolitique ivoirien du début du troisième millénaire.
Au-delà du commentaire que vous en faites, quelle leçon ce pré-congrès vous inspire-t-il ?
Les leçons que m’inspire ce pré-congrès ? Le PDCI vit un paradoxe : à 67 ans, un Parti qui se veut démocratique (c’est inscrit dans son projet depuis 1946) veut nous mener vers un Etat de droit sans respecter les règles du jeu démocratique imposées par la loi et ses propres statuts et règlement intérieur. Ses militants vivent l’épreuve inévitable et douloureuse des ruptures et bifurcations dans la vie d’un parti parce que le Parti ne les a pas préparés mentalement à la culture du changement. Ce n’est vraiment pas leur faute si leur culture démocratique est faible comme celle de la très grande majorité de nos concitoyens. Il faut donc les comprendre et éviter de les condamner, tout en les aidant à s’inscrire dans une nouvelle dynamique : celle du changement. Les cadres du PDCI RDA ont une obligation et une responsabilité de vigilance stratégique pour éviter des dérives totalitaires et populistes au sein de notre organisation qui n’est la propriété d’aucun militant. Le pré-congrès nous enseigne personnellement que pour faire évoluer les mentalités des militants, il faut leur donner un minimum d’informations objectives sur l’évolution de leur parti pour leur donner le sens du discernement dans leurs choix politiques. Ils doivent savoir qu’en 1978 et en 1980, le président Houphouët avait introduit les candidatures multiples au sein d’un parti unique et la compétition pour accéder aux fonctions de députés et de maires. Il y a eu un rajeunissement des structures démographiques du Parti et l’accession au pouvoir de Bédié au parlement par cette voie démocratique. En 2000, il y a eu une convention à Yamoussoukro pour désigner le candidat du PDCI à la présidentielle. Bédié, en exil, était candidat avec Ouassénan et Fadika et Bombet. C’est Bombet qui avait été élu démocratiquement. En 2002, Bédié, Fadika et Fologo, secrétaire général du PDCI étaient en compétition. Bédié a remporté 82% des suffrages au 11ème congrès. Le PDCI n’a pas implosé du fait des compétitions démocratiques internes. La pluralité des candidatures n’est donc pas un fait nouveau dans la maison du PDCI. Pourquoi alors cette levée soudaine de boucliers et la diabolisation de certains candidats pour avoir nourri l’ambition légitime de vouloir servi le PDCI en étant candidats à la présidence du Parti ? Le PDCI qui était sur la bonne voie dans l’évolution du processus interne de démocratisation est en train de reculer en occultant de précieux acquis. Personne n’a trahi personne ; ni Bédié, ni le PDCI.
L’un des alliés du candidat Mady en l’occurrence KKB récuse ouvertement le président du comité d’organisation et propose un comité paritaire dans lequel chaque candidat devrait être représenté. Adhérez-vous à une telle idée?
Au regard des observations qui précèdent, l’idée de KKB, candidat à la présidence du Parti, n’est pas saugrenue. Sa candidature me paraît symbolique : je ne le vois pas l’emporter devant Bédié. Son objectif majeur doit se trouver sans doute ailleurs. Mais je crois qu’il doit inclure l’objectif de la promotion de la démocratie dans le PDCI des moyens et long termes. Notre avenir est derrière nous ; laissons donc aux jeunes l’opportunité de mettre en exergue leurs ambitions légitimes en intégrant la nouvelle donne de la contestation et du désir d’autonomie de pensée de la nouvelle génération en organisant la compétition démocratique au PDCI dans la transparence, et en mettant l’appareil du Parti au service de tous, en toute justice. Même si KKB obtient 0,05% des suffrages, ce sera sa victoire dans une élection démocratique dont les résultats s’imposeront à lui. A 67 ans, le PDCI doit donner des leçons de maturité démocratique aux cadets et minimes des autres formations politiques en s’inscrivant dans la logique de la construction d’un Etat de droit fondé sur des institutions solides. En Afrique, depuis leurs indépendances, les chefs répugnent à quitter le pouvoir et utilisent tous les moyens pour se maintenir au pouvoir en suscitant des crises aux conséquences souvent dramatiques. Après 50 ans au service d’un parti, c’est le cas de Bédié depuis l’aube de l’indépendance, une longévité dans les arcanes du pouvoir plus longue que celle de Houphouët, un militant doit avoir droit au repos. On doit pouvoir servir le Parti à un autre niveau en conservant tout le respect et l’admiration des militants. Le cas de Mandela est très instructif ? Senghor a été une légende pour les Sénégalais jusqu’à son décès en sachant prendre sa retraite politique. Les générations actuelles de l’ère de Facebook et de Twitter n’ont pas hérité de notre culture du respect des Anciens. Nous devons éviter de donner à notre Chef l’occasion de s’affronter aux générations actuelles. Les temps ont changé, et la tendance à contester et à manifester le désir d’indépendance ira en crescendo pour tous les partis politiques. Le bureau politique du PDCI doit résoudre ce problème en offrant des perspectives qui transcendent définitivement les querelles de personnes. Houphouët nous a avertis que les querelles de personnes n’ont pas de solutions en politique.
Maintenant que la voie semble balayée pour une candidature de Bédié malgré votre opposition, comment comptez-vous mener la bataille quand on sait que ce sont les mêmes pré-congressistes qui seront les électeurs au congrès ?
Nous ne sommes pas opposés personnellement à la candidature de Bédié, pourvu qu’elle soit précédée par une modification des statuts. Le problème ne sera pas résolu, mais seulement déplacé. Il rebondira dans le futur de manière cyclique. Les comités de base ne sont pas des organes statutaires pour l’élection du président du Parti. La levée de la limite d’âge sans bornes ouvre la porte à tous les excès. Si un croulant de 90-95 ans peut être candidat à la présidence du Parti, un « jeune vieux » de 25 ou même de 18 ans, majeur lui aussi, est fondé à être candidat demain à la direction du PDCI au plus haut niveau selon le schéma que les comités de base proposent. C’est une menace pour l’avenir de notre parti et même du pays dans un environnement où notre armée n’est pas encore républicaine. La bataille que nous menons n’est pas une bataille contre Bédié. Les problèmes de personnes ne nous intéressent pas. Nous voulons un parti organisé comme une institution stable qui ne fait pas des va-et-vient cycliques sur les questions de président à la tête du Parti et sur la question du secrétariat. Je souhaite donc que le bureau politique ouvre un débat démocratique large et profond sur ces questions avant le congrès, à moins que les statuts du Parti ne soient modifiés pour mettre les comités de base au-dessus de toutes les instances.
Que répondez-vous à ceux qui ont proposé la suppression du poste de secrétaire général du parti ?
L’histoire du PDCI montre qu’il n’est pas bon d’être secrétaire général. Après des loyaux services comme second du Parti, on se débarrasse du Secrétaire Général. Le scénario de la descente aux enfers de Yacé à l’Ivoire en 1980 est encore vivace dans nos mémoires et est en train de se répéter. Mais cette fois, sans surprise. Au profit de quels nouveaux acteurs ? Souvenons-nous aussi que le Comité Exécutif mis en place après l’éviction du secrétaire général nous a donné un célèbre joueur de ludo et des ministres arrogants comme celui-là qui se targuait de « nous payer»… Où allons-nous avec ces va-et-vient cautionnés sans jeter un regard sur les leçons du passé de notre Parti ?
Professeur, votre allié de l’ARD, Bertin Konan Kouadio dit KKB, a rencontré le président Bédié le week-end dernier à Daoukro. Prenez-vous cette initiative comme une trahison ?
Rencontrer le président Bédié n’est pas une trahison. KKB et Mady sont des collaborateurs de Bédié, tous en poste, qui peuvent être convoqués par leur président à tout moment tant que leur mandat court encore. C’est faire preuve de suffisance que de ne pas y répondre. Certains journaux qui se sont transformés en section du Parti désinforment quand ils écrivent que Mady et KKB sont allés demander pardon à Bédié. Ils se décrédibilisent. Nous devons lutter contre le syndrome de la trahison au PDCI et nous comporter comme des militants et citoyens responsables et libres.
Par S. Debailly
Professeur, votre parti, le Pdci, vient d’achever le pré-congrès qui ouvre la voie au 12e congrès en octobre. Sur 156 délégations, 152 auraient opté pour une candidature du président Bédié à la présidence du parti. Comment accueillez-vous ce résultat
J’ai participé au pré-congrès à Dabou. La politique de la chaise vide est mauvaise conseillère. 152 délégations sur 156 ont plébiscité Bédié. Je ne me faisais aucune illusion en allant à ce pré-congrès. Cela représente 0,9% des délégations. Il fallait s’y attendre parce que les délégations régionales sont dirigées par des militants triés sur le volet par le président du Parti, et le mini conclave de Bassam avait déjà balisé les pistes en faveur du Chef. C’est une vieille pratique du PDCI de l’ère du parti unique héritée de la filiation avec le parti communiste avant de s’en séparer. Tout parti politique a la démocratie qu’il se construit et mérite. Si la majorité des comités de base adhère à 99,99% à cette forme d’expression démocratique, nous devons l’accepter puisqu’elle correspond aux réalités du moment. Mais je pense personnellement que cette pratique est en déphasage avec notre temps et avec l’évolution du contexte sociopolitique ivoirien du début du troisième millénaire.
Au-delà du commentaire que vous en faites, quelle leçon ce pré-congrès vous inspire-t-il ?
Les leçons que m’inspire ce pré-congrès ? Le PDCI vit un paradoxe : à 67 ans, un Parti qui se veut démocratique (c’est inscrit dans son projet depuis 1946) veut nous mener vers un Etat de droit sans respecter les règles du jeu démocratique imposées par la loi et ses propres statuts et règlement intérieur. Ses militants vivent l’épreuve inévitable et douloureuse des ruptures et bifurcations dans la vie d’un parti parce que le Parti ne les a pas préparés mentalement à la culture du changement. Ce n’est vraiment pas leur faute si leur culture démocratique est faible comme celle de la très grande majorité de nos concitoyens. Il faut donc les comprendre et éviter de les condamner, tout en les aidant à s’inscrire dans une nouvelle dynamique : celle du changement. Les cadres du PDCI RDA ont une obligation et une responsabilité de vigilance stratégique pour éviter des dérives totalitaires et populistes au sein de notre organisation qui n’est la propriété d’aucun militant. Le pré-congrès nous enseigne personnellement que pour faire évoluer les mentalités des militants, il faut leur donner un minimum d’informations objectives sur l’évolution de leur parti pour leur donner le sens du discernement dans leurs choix politiques. Ils doivent savoir qu’en 1978 et en 1980, le président Houphouët avait introduit les candidatures multiples au sein d’un parti unique et la compétition pour accéder aux fonctions de députés et de maires. Il y a eu un rajeunissement des structures démographiques du Parti et l’accession au pouvoir de Bédié au parlement par cette voie démocratique. En 2000, il y a eu une convention à Yamoussoukro pour désigner le candidat du PDCI à la présidentielle. Bédié, en exil, était candidat avec Ouassénan et Fadika et Bombet. C’est Bombet qui avait été élu démocratiquement. En 2002, Bédié, Fadika et Fologo, secrétaire général du PDCI étaient en compétition. Bédié a remporté 82% des suffrages au 11ème congrès. Le PDCI n’a pas implosé du fait des compétitions démocratiques internes. La pluralité des candidatures n’est donc pas un fait nouveau dans la maison du PDCI. Pourquoi alors cette levée soudaine de boucliers et la diabolisation de certains candidats pour avoir nourri l’ambition légitime de vouloir servi le PDCI en étant candidats à la présidence du Parti ? Le PDCI qui était sur la bonne voie dans l’évolution du processus interne de démocratisation est en train de reculer en occultant de précieux acquis. Personne n’a trahi personne ; ni Bédié, ni le PDCI.
L’un des alliés du candidat Mady en l’occurrence KKB récuse ouvertement le président du comité d’organisation et propose un comité paritaire dans lequel chaque candidat devrait être représenté. Adhérez-vous à une telle idée?
Au regard des observations qui précèdent, l’idée de KKB, candidat à la présidence du Parti, n’est pas saugrenue. Sa candidature me paraît symbolique : je ne le vois pas l’emporter devant Bédié. Son objectif majeur doit se trouver sans doute ailleurs. Mais je crois qu’il doit inclure l’objectif de la promotion de la démocratie dans le PDCI des moyens et long termes. Notre avenir est derrière nous ; laissons donc aux jeunes l’opportunité de mettre en exergue leurs ambitions légitimes en intégrant la nouvelle donne de la contestation et du désir d’autonomie de pensée de la nouvelle génération en organisant la compétition démocratique au PDCI dans la transparence, et en mettant l’appareil du Parti au service de tous, en toute justice. Même si KKB obtient 0,05% des suffrages, ce sera sa victoire dans une élection démocratique dont les résultats s’imposeront à lui. A 67 ans, le PDCI doit donner des leçons de maturité démocratique aux cadets et minimes des autres formations politiques en s’inscrivant dans la logique de la construction d’un Etat de droit fondé sur des institutions solides. En Afrique, depuis leurs indépendances, les chefs répugnent à quitter le pouvoir et utilisent tous les moyens pour se maintenir au pouvoir en suscitant des crises aux conséquences souvent dramatiques. Après 50 ans au service d’un parti, c’est le cas de Bédié depuis l’aube de l’indépendance, une longévité dans les arcanes du pouvoir plus longue que celle de Houphouët, un militant doit avoir droit au repos. On doit pouvoir servir le Parti à un autre niveau en conservant tout le respect et l’admiration des militants. Le cas de Mandela est très instructif ? Senghor a été une légende pour les Sénégalais jusqu’à son décès en sachant prendre sa retraite politique. Les générations actuelles de l’ère de Facebook et de Twitter n’ont pas hérité de notre culture du respect des Anciens. Nous devons éviter de donner à notre Chef l’occasion de s’affronter aux générations actuelles. Les temps ont changé, et la tendance à contester et à manifester le désir d’indépendance ira en crescendo pour tous les partis politiques. Le bureau politique du PDCI doit résoudre ce problème en offrant des perspectives qui transcendent définitivement les querelles de personnes. Houphouët nous a avertis que les querelles de personnes n’ont pas de solutions en politique.
Maintenant que la voie semble balayée pour une candidature de Bédié malgré votre opposition, comment comptez-vous mener la bataille quand on sait que ce sont les mêmes pré-congressistes qui seront les électeurs au congrès ?
Nous ne sommes pas opposés personnellement à la candidature de Bédié, pourvu qu’elle soit précédée par une modification des statuts. Le problème ne sera pas résolu, mais seulement déplacé. Il rebondira dans le futur de manière cyclique. Les comités de base ne sont pas des organes statutaires pour l’élection du président du Parti. La levée de la limite d’âge sans bornes ouvre la porte à tous les excès. Si un croulant de 90-95 ans peut être candidat à la présidence du Parti, un « jeune vieux » de 25 ou même de 18 ans, majeur lui aussi, est fondé à être candidat demain à la direction du PDCI au plus haut niveau selon le schéma que les comités de base proposent. C’est une menace pour l’avenir de notre parti et même du pays dans un environnement où notre armée n’est pas encore républicaine. La bataille que nous menons n’est pas une bataille contre Bédié. Les problèmes de personnes ne nous intéressent pas. Nous voulons un parti organisé comme une institution stable qui ne fait pas des va-et-vient cycliques sur les questions de président à la tête du Parti et sur la question du secrétariat. Je souhaite donc que le bureau politique ouvre un débat démocratique large et profond sur ces questions avant le congrès, à moins que les statuts du Parti ne soient modifiés pour mettre les comités de base au-dessus de toutes les instances.
Que répondez-vous à ceux qui ont proposé la suppression du poste de secrétaire général du parti ?
L’histoire du PDCI montre qu’il n’est pas bon d’être secrétaire général. Après des loyaux services comme second du Parti, on se débarrasse du Secrétaire Général. Le scénario de la descente aux enfers de Yacé à l’Ivoire en 1980 est encore vivace dans nos mémoires et est en train de se répéter. Mais cette fois, sans surprise. Au profit de quels nouveaux acteurs ? Souvenons-nous aussi que le Comité Exécutif mis en place après l’éviction du secrétaire général nous a donné un célèbre joueur de ludo et des ministres arrogants comme celui-là qui se targuait de « nous payer»… Où allons-nous avec ces va-et-vient cautionnés sans jeter un regard sur les leçons du passé de notre Parti ?
Professeur, votre allié de l’ARD, Bertin Konan Kouadio dit KKB, a rencontré le président Bédié le week-end dernier à Daoukro. Prenez-vous cette initiative comme une trahison ?
Rencontrer le président Bédié n’est pas une trahison. KKB et Mady sont des collaborateurs de Bédié, tous en poste, qui peuvent être convoqués par leur président à tout moment tant que leur mandat court encore. C’est faire preuve de suffisance que de ne pas y répondre. Certains journaux qui se sont transformés en section du Parti désinforment quand ils écrivent que Mady et KKB sont allés demander pardon à Bédié. Ils se décrédibilisent. Nous devons lutter contre le syndrome de la trahison au PDCI et nous comporter comme des militants et citoyens responsables et libres.
Par S. Debailly