Le conte, il en a fait son métier. Mieux, il a créé, avec cet art, de l’emploi pour des jeunes, avec sa compagnie Naforo Ba. Lui, vous l’avez sans doute, reconnu, c’est Adama Adepoju, plus connu sous le pseudonyme de Taxi-Conteur. Dans la première partie de l’entretien que le célèbre conteur a bien voulu nous accorder, il explique les enjeux du Contecours international, un concours destiné aux jeunes conteurs de la sous-région, milite pour un conte qui rompt avec les clichés pour revêtir une dimension spectacle et appelle ouvertement la RTI (Radiodiffusion Télévision Ivoirienne) à ouvrir ses programmes au conte.
Le Patriote : Que vous recherchez en initiant le contecours international, un concours pour les jeunes talents ?
Taxi-Conteur : Le conte est un art majeur. Et nous, à la compagnie Naforoba travaillons au développement de cet art majeur. On ne peut développer cet art sans la participation effective des conteurs. Là, en ce moment, il y a quelques conteurs, chez nous, en Côte d’Ivoire, mais il faut qu’il y en ait davantage, surtout de très bons qui intègrent la notion et la dimension métier. C’est tout cela que nous voulons véhiculer à travers le concours, déceler de nouveaux talents, permettre aussi à des gens qui ont du talent mais qui n’ont pas de tribune d’expression, de s’exprimer et puis en même temps les accompagner. Il ne s’agit pas d’un concours pour faire un concours, il y a tout un accompagnement qui se fera, de la sélection nationale à la phase finale internationale et après aussi. Nous voulons montrer non seulement à ces jeunes-là mais également au public que le conte, c’est un métier et comme dans tout métier, il y a un état d’esprit à avoir, une manière d’être, d’essayer des talents nouveaux, de contribuer au développement du métier de conteur, et ensuite, sauvegarder, promouvoir, développer notre patrimoine.
LP : Le lancement du concours a eu lieu, il y a un peu plus de deux semaines. Concrètement comment va-t-il se dérouler surtout qu’il verra la participation de 11 pays ?
T-C : C’est plutôt 11 pays de la sous-région ouest-africaine, donc de l’espace CEDEAO. Ce sont les pays avec lesquels nous avons déjà commencé un travail depuis bien longtemps, d’abord avec le projet H20 Parole d’eau, ensuite le grand programme «Conter le Développement». Et on se connait plus ou moins pour s’être déjà fréquenté. Nous connaissons nos difficultés communes et nos difficultés particulières selon le pays. Après le lancement, chaque pays doit organiser une phase nationale durant le premier trimestre 2014, de janvier à mars, choisir son représentant ou sa représentante. Et en mai, ce sera la finale internationale à Abidjan. Tous les partenaires ainsi que les associés de la sous-région ont décidé d’un commun accord que la finale se déroule à Abidjan à chaque édition. Donc Abidjan devient une sorte de ville carrefour du conte.
LP : Au total, combien de jeunes conteurs seront primés?
T-C : On aura 11 finalistes, soit un par pays. Et les trois premiers vont entrer en résidence de création d’un mois pour créer un spectacle commun qui sera diffusé dans chacun des 11 pays qui participent à ce concours. Je précise que la résidence aura lieu soit à Dakar, soit à Cotonou, ou même à Abidjan. Le choix n’a pas encore été fait. Deux grands prix seront également attribués. Le 1er prix sera celui de l’Intégration africaine, parce que nous voulons favoriser l’intégration dans la sous-région à travers le conte et une collaboration étroite. Le deuxième porte le nom de Cheick Amadou Hampâté Bâ. Pour nous, il était une sommité dans la défense, le développement et la promotion de patrimoine orale. C’est une façon de lui rendre hommage.
LP : Vous l’avez dit tantôt, le conte est un art majeur, mais on constate ici en Côte d’Ivoire et peut-être dans certains pays africains, qu’il est encore un peu à la traîne par rapport à d’autres disciplines artistiques. Comment expliquez-vous que le conte peine encore à trouver ses marques sur la scène artistique ?
T-C : Je pense d’abord qu’il y a les préjugés. Pour beaucoup de gens, le conte, c’est ancien, c’est du passé, c’est pour les enfants, c’est ceci, c’est cela. Ce n’est pas seulement chez nous qu’on pense cela. Même ailleurs, les gens vous disent : «Ah, vous êtes conteur ? Je viendrai avec mes enfants vous voir ». Mais quand les parents arrivent avec leurs enfants pour suivre le spectacle, ils sont surpris d’être emballés par la prestation qu’ils suivent. Le conte dans la tête des gens, ça fait un peu le « club des petits », à l’époque, à la télévision ivoirienne, qui ne proposait que des films pour enfants. Il y a donc ce préjugé-là. Ensuite, il y a l’insuffisance des prestations proposées. En son temps, la télévision ivoirienne produisait une émission qui s’intitulait « Mensonges d’un soir ». C’était bien mais en même temps, ça a montré ses limites, parce que « Mensonges d’un soir » était une sorte de copie pâle, des soirées de conte dans nos villages. Ce que la télé montrait n’était pas conforme à ce qui se passait lors de soirées de conte. A l’écran, on voyait des gens mimer ce qu’ils n’ont pas vécu. On avait l’impression que parmi ceux qui venaient écouter les contes, il y avait plein d’idiots, avec de longs cure-dents dans la bouche. Il y a eu également une émission radiophonique intitulée «Le Canari de la sagesse », animée par Doh Ouattara et Paul Kouamé à l’époque. Elle a aidé aussi le public à se familiariser avec le conte. Mais, tout ça restait au niveau de la télévision et de la radio. Maintenant quand nous mettons le conte sur la scène, où on dit aux gens de venir au spectacle, il faut vraiment que ça respecte les normes du spectacle. Il faut travailler. Et pour cela, l’esthétique est à revoir. Aujourd’hui, on se rend compte avec le travail que nous sommes en train d’abattre que les gens commencent à se réconcilier, pour ceux qui savaient déjà que le conte existait, avec cet art. Mais, il y a également ceux qui commencent à se familiariser avec le conte, qui découvrent les contes. Par exemple, lors du lancement du Contecours international à l’Institut Français, beaucoup de gens ne savaient pas qu’on pouvait dire un conte et bien le dire en étant dans une belle chemise, un beau pantalon, une ceinture avec des souliers, un musicien à ses côtés, et dans un décor bien urbain. C’est justement cette dimension spectacle du conte que nous voulons promouvoir. Et surtout rompre avec tout ce qu’on a l’habitude de voir. Parfois, lors des spectacles, on voit des conteurs arriver avec des filets par-ci, des filets par-là, comme au village. C’est tout simplement de l’exotisme, car le conteur n’a pas une manière à lui de s’habiller.
LP : Pour vous, il faut donc en finir avec ces clichés …
T-C: Effectivement, car ces clichés ne permettent pas au conte de se développer. Maintenant, il faut en finir avec cette idée, selon laquelle le conte rime forcément avec le village. Et c’est pourquoi, je voudrais encourager la télévision ivoirienne à vraiment prendre des risques, en acceptant d’écouter déjà des gens qui ont la chance de voyager, de sortir du pays, de proposer des choses et aussi d’organiser des spectacles de conte en Côte d’Ivoire, qui marchent très bien. Il faut que la RTI (Radiodiffusion Télévision Ivoirienne) ait le courage de se décomplexer un peu vis-à-vis du conte, c’est très important. Parce que si elle ne le fait pas, elle sera à la traîne lorsqu’on aura la possibilité d’avoir plusieurs chaînes de télévision.
LP : Est-ce à dire que les responsables de la RTI ne sont pas réceptifs aux spectacles de conte ?
T-C: Pour l’instant, il y a de la résistance. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. En son temps, nous avions déjà proposé un concours de contes. On était dans les bureaux de la télévision, c’était en 1998. On nous a écouté par politesse. Puis, on nous a dit que c’était une belle idée, qu’on serait recontacté après, mais cela n’a jamais été fait. Et peu après, la RTI a lancé un concours de contes, qui n’a pas été organisé comme nous voyions les choses. La preuve, des années plus tard, nous sommes encore là en train de faire un concours, mais cette fois-ci sur le plan international. Parce qu’on a déjà fait un concours au niveau national. On a même remporté la médaille d’Or du conte aux Jeux de la Francophonie 2001, à Ottawa, au Canada avec Zokou La Forêt, qui était le vainqueur de notre concours en 2001. C’est pour dire que ce que de jeunes ivoiriens ont fait, tient la route. Et après ça, nous avons organisé d’autres concours de contes. Je crois que les premiers à nous écouter, à courir même vers nous, devraient être les responsables de notre télévision. La RTI doit se décomplexer vis-à-vis du conte, enlever les toiles d’araignée sur beaucoup de choses. Parce que si on ne se décomplexe pas maintenant, ça sera très complexe pour nous après.
LP: Aujourd’hui, derrière Taxi-Conteur, Obin Manféi, Alexis Djisso, Adou Yam’s et bien d’autres aînés, on ne sent pas une relève qui émerge, qu’est-ce qui explique cela ?
T-C : Si, il y a une relève qui émerge. Seulement, il faut donner aux jeunes qui arrivent la possibilité de se voir, de se faire entendre. Il faut leur offrir des tribunes d’expression. Moi, j’ai eu à travailler dans le cadre de la Caravane du conte (initiée par le Goethe-Institut), en atelier avec des jeunes. Je pourrais citer Kra Ange, Florence Kouadio dite Flopi, Philo, N’Zi du Goethe-Institut et plusieurs d’entre eux. A ces jeunes-là, il faut donner la possibilité de s’exprimer, il faut leur créer une tribune d’expression. Parce qu’eux, c’est vraiment ça qu’ils font et ils le font très bien, on le voit. Ce ne sont pas des gens qui vont sur plusieurs tableaux en même temps. J’aurais pu citer certains mais ceux-là sont dans une démarche, c’est un néologisme que je vais employer, de « crénéliste » c’est-à-dire le créneau. Ils ne sont pas comme ceux qui sont sur plusieurs choses à la fois. Cela dilue la performance qu’ils peuvent réaliser. Quand quelqu’un dit : “Je suis en même temps metteur en scène, promoteur, éclairagiste, ingénieur de son, dramaturge, et comédien”, à la fin, il se retrouve à l’hôpital. Ça, c’est clair. Et s’il se retrouve à l’hôpital, c’est qu’il a de la chance sinon il crève totalement. Donc c’est vous pour dire qu’il y a des gens aujourd’hui qui arrivent, vous allez les voir, ils seront dans la Caravane du conte qui a lieu en octobre. Il y a donc une relève. Le contecours vise également à favoriser cette relève. Parce que la jeunesse, c’est une force qu’on a, en Afrique en général, et en Côte d’Ivoire en particulier. Car, elle constitue une frange importante de la population. Alors si on veut vraiment que notre pays soit un pays émergent à l’horizon 2020, c’est un état d’esprit, un comportement à avoir, c’est une manière de marcher, cela signifie qu’il faut composer avec les jeunes, encourager l’émergence des talents jeunes. Il faut qu’on investisse dans ça. Parce que l’émergence ne s’obtiendra pas avec des cailloux mais plutôt avec des hommes. Quand on dit qu’un pays est fort, ce ne sont pas les cailloux qui sont forts, mais bien ses hommes, et ce sont les jeunes qui vont faire l’émergence.
LP : Justement, pour ces jeunes-là, que faut-il pour être un excellent conteur comme vous ?
T-C : (Rires) C’est le travail. Je crois qu’on ne finit jamais d’apprendre. Même à mon niveau, j’apprends toujours et j’ai l’habitude de dire que la meilleure manière d’apprendre c’est de savoir donner, de savoir enseigner ce qu’on a. Plus tu vas vers les jeunes, et que tu leur donnes ce que tu sais, tu partages avec eux ton expérience, tout ce que tu as vu à travers le monde, plus tu apprends en retour. L’enseignant, c’est quelqu’un qui est toujours en apprentissage. Il vient, il fait son cours, mais les questions et le regard des élèves l’amènent à se poser des questions sur lui-même et à chercher davantage encore à apprendre. Donc, c’est le travail. Je dirai aux gens que c’est le travail. Et j’ai l’habitude de le dire, il faut avoir une base solide. Il ne faut pas construire sur du sable mouvant. Si on construit sur du sable mouvant, le château va s’écrouler. Il faut avoir une fondation solide. On ne finit jamais d’apprendre, on n’est jamais totalement excellent conteur. C’est toujours l’exercice. Et l’exercice nous amène à avoir une certaine maîtrise et à nous propulser vers l’excellence. Est-ce qu’on finit par atteindre l’excellence ? Je ne sais pas. Mais, il faut travailler. Accepter de souffrir, accepter d’apprendre, accepter de s’ouvrir. Que chacun fasse un travail avec passion et amour. Prenez l’exemple de l’agent de police qui a été distingué (il a reçu le prix d’excellence le 6 août dernier). Par son travail, il a apporté une valeur ajoutée à la régulation de la circulation. Et je suis persuadé qu’il répète, chez lui, tous les gestes qu’il fait sur la route pour réguler la circulation. C’est le fruit du travail. C’est ce que je veux dire à ces jeunes conteurs. Qu’ils travaillent, qu’ils aiment ce qu’ils font et qu’ils pensent à l’intérêt collectif.
Réalisée par Y. Sangaré
Le Patriote : Que vous recherchez en initiant le contecours international, un concours pour les jeunes talents ?
Taxi-Conteur : Le conte est un art majeur. Et nous, à la compagnie Naforoba travaillons au développement de cet art majeur. On ne peut développer cet art sans la participation effective des conteurs. Là, en ce moment, il y a quelques conteurs, chez nous, en Côte d’Ivoire, mais il faut qu’il y en ait davantage, surtout de très bons qui intègrent la notion et la dimension métier. C’est tout cela que nous voulons véhiculer à travers le concours, déceler de nouveaux talents, permettre aussi à des gens qui ont du talent mais qui n’ont pas de tribune d’expression, de s’exprimer et puis en même temps les accompagner. Il ne s’agit pas d’un concours pour faire un concours, il y a tout un accompagnement qui se fera, de la sélection nationale à la phase finale internationale et après aussi. Nous voulons montrer non seulement à ces jeunes-là mais également au public que le conte, c’est un métier et comme dans tout métier, il y a un état d’esprit à avoir, une manière d’être, d’essayer des talents nouveaux, de contribuer au développement du métier de conteur, et ensuite, sauvegarder, promouvoir, développer notre patrimoine.
LP : Le lancement du concours a eu lieu, il y a un peu plus de deux semaines. Concrètement comment va-t-il se dérouler surtout qu’il verra la participation de 11 pays ?
T-C : C’est plutôt 11 pays de la sous-région ouest-africaine, donc de l’espace CEDEAO. Ce sont les pays avec lesquels nous avons déjà commencé un travail depuis bien longtemps, d’abord avec le projet H20 Parole d’eau, ensuite le grand programme «Conter le Développement». Et on se connait plus ou moins pour s’être déjà fréquenté. Nous connaissons nos difficultés communes et nos difficultés particulières selon le pays. Après le lancement, chaque pays doit organiser une phase nationale durant le premier trimestre 2014, de janvier à mars, choisir son représentant ou sa représentante. Et en mai, ce sera la finale internationale à Abidjan. Tous les partenaires ainsi que les associés de la sous-région ont décidé d’un commun accord que la finale se déroule à Abidjan à chaque édition. Donc Abidjan devient une sorte de ville carrefour du conte.
LP : Au total, combien de jeunes conteurs seront primés?
T-C : On aura 11 finalistes, soit un par pays. Et les trois premiers vont entrer en résidence de création d’un mois pour créer un spectacle commun qui sera diffusé dans chacun des 11 pays qui participent à ce concours. Je précise que la résidence aura lieu soit à Dakar, soit à Cotonou, ou même à Abidjan. Le choix n’a pas encore été fait. Deux grands prix seront également attribués. Le 1er prix sera celui de l’Intégration africaine, parce que nous voulons favoriser l’intégration dans la sous-région à travers le conte et une collaboration étroite. Le deuxième porte le nom de Cheick Amadou Hampâté Bâ. Pour nous, il était une sommité dans la défense, le développement et la promotion de patrimoine orale. C’est une façon de lui rendre hommage.
LP : Vous l’avez dit tantôt, le conte est un art majeur, mais on constate ici en Côte d’Ivoire et peut-être dans certains pays africains, qu’il est encore un peu à la traîne par rapport à d’autres disciplines artistiques. Comment expliquez-vous que le conte peine encore à trouver ses marques sur la scène artistique ?
T-C : Je pense d’abord qu’il y a les préjugés. Pour beaucoup de gens, le conte, c’est ancien, c’est du passé, c’est pour les enfants, c’est ceci, c’est cela. Ce n’est pas seulement chez nous qu’on pense cela. Même ailleurs, les gens vous disent : «Ah, vous êtes conteur ? Je viendrai avec mes enfants vous voir ». Mais quand les parents arrivent avec leurs enfants pour suivre le spectacle, ils sont surpris d’être emballés par la prestation qu’ils suivent. Le conte dans la tête des gens, ça fait un peu le « club des petits », à l’époque, à la télévision ivoirienne, qui ne proposait que des films pour enfants. Il y a donc ce préjugé-là. Ensuite, il y a l’insuffisance des prestations proposées. En son temps, la télévision ivoirienne produisait une émission qui s’intitulait « Mensonges d’un soir ». C’était bien mais en même temps, ça a montré ses limites, parce que « Mensonges d’un soir » était une sorte de copie pâle, des soirées de conte dans nos villages. Ce que la télé montrait n’était pas conforme à ce qui se passait lors de soirées de conte. A l’écran, on voyait des gens mimer ce qu’ils n’ont pas vécu. On avait l’impression que parmi ceux qui venaient écouter les contes, il y avait plein d’idiots, avec de longs cure-dents dans la bouche. Il y a eu également une émission radiophonique intitulée «Le Canari de la sagesse », animée par Doh Ouattara et Paul Kouamé à l’époque. Elle a aidé aussi le public à se familiariser avec le conte. Mais, tout ça restait au niveau de la télévision et de la radio. Maintenant quand nous mettons le conte sur la scène, où on dit aux gens de venir au spectacle, il faut vraiment que ça respecte les normes du spectacle. Il faut travailler. Et pour cela, l’esthétique est à revoir. Aujourd’hui, on se rend compte avec le travail que nous sommes en train d’abattre que les gens commencent à se réconcilier, pour ceux qui savaient déjà que le conte existait, avec cet art. Mais, il y a également ceux qui commencent à se familiariser avec le conte, qui découvrent les contes. Par exemple, lors du lancement du Contecours international à l’Institut Français, beaucoup de gens ne savaient pas qu’on pouvait dire un conte et bien le dire en étant dans une belle chemise, un beau pantalon, une ceinture avec des souliers, un musicien à ses côtés, et dans un décor bien urbain. C’est justement cette dimension spectacle du conte que nous voulons promouvoir. Et surtout rompre avec tout ce qu’on a l’habitude de voir. Parfois, lors des spectacles, on voit des conteurs arriver avec des filets par-ci, des filets par-là, comme au village. C’est tout simplement de l’exotisme, car le conteur n’a pas une manière à lui de s’habiller.
LP : Pour vous, il faut donc en finir avec ces clichés …
T-C: Effectivement, car ces clichés ne permettent pas au conte de se développer. Maintenant, il faut en finir avec cette idée, selon laquelle le conte rime forcément avec le village. Et c’est pourquoi, je voudrais encourager la télévision ivoirienne à vraiment prendre des risques, en acceptant d’écouter déjà des gens qui ont la chance de voyager, de sortir du pays, de proposer des choses et aussi d’organiser des spectacles de conte en Côte d’Ivoire, qui marchent très bien. Il faut que la RTI (Radiodiffusion Télévision Ivoirienne) ait le courage de se décomplexer un peu vis-à-vis du conte, c’est très important. Parce que si elle ne le fait pas, elle sera à la traîne lorsqu’on aura la possibilité d’avoir plusieurs chaînes de télévision.
LP : Est-ce à dire que les responsables de la RTI ne sont pas réceptifs aux spectacles de conte ?
T-C: Pour l’instant, il y a de la résistance. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. En son temps, nous avions déjà proposé un concours de contes. On était dans les bureaux de la télévision, c’était en 1998. On nous a écouté par politesse. Puis, on nous a dit que c’était une belle idée, qu’on serait recontacté après, mais cela n’a jamais été fait. Et peu après, la RTI a lancé un concours de contes, qui n’a pas été organisé comme nous voyions les choses. La preuve, des années plus tard, nous sommes encore là en train de faire un concours, mais cette fois-ci sur le plan international. Parce qu’on a déjà fait un concours au niveau national. On a même remporté la médaille d’Or du conte aux Jeux de la Francophonie 2001, à Ottawa, au Canada avec Zokou La Forêt, qui était le vainqueur de notre concours en 2001. C’est pour dire que ce que de jeunes ivoiriens ont fait, tient la route. Et après ça, nous avons organisé d’autres concours de contes. Je crois que les premiers à nous écouter, à courir même vers nous, devraient être les responsables de notre télévision. La RTI doit se décomplexer vis-à-vis du conte, enlever les toiles d’araignée sur beaucoup de choses. Parce que si on ne se décomplexe pas maintenant, ça sera très complexe pour nous après.
LP: Aujourd’hui, derrière Taxi-Conteur, Obin Manféi, Alexis Djisso, Adou Yam’s et bien d’autres aînés, on ne sent pas une relève qui émerge, qu’est-ce qui explique cela ?
T-C : Si, il y a une relève qui émerge. Seulement, il faut donner aux jeunes qui arrivent la possibilité de se voir, de se faire entendre. Il faut leur offrir des tribunes d’expression. Moi, j’ai eu à travailler dans le cadre de la Caravane du conte (initiée par le Goethe-Institut), en atelier avec des jeunes. Je pourrais citer Kra Ange, Florence Kouadio dite Flopi, Philo, N’Zi du Goethe-Institut et plusieurs d’entre eux. A ces jeunes-là, il faut donner la possibilité de s’exprimer, il faut leur créer une tribune d’expression. Parce qu’eux, c’est vraiment ça qu’ils font et ils le font très bien, on le voit. Ce ne sont pas des gens qui vont sur plusieurs tableaux en même temps. J’aurais pu citer certains mais ceux-là sont dans une démarche, c’est un néologisme que je vais employer, de « crénéliste » c’est-à-dire le créneau. Ils ne sont pas comme ceux qui sont sur plusieurs choses à la fois. Cela dilue la performance qu’ils peuvent réaliser. Quand quelqu’un dit : “Je suis en même temps metteur en scène, promoteur, éclairagiste, ingénieur de son, dramaturge, et comédien”, à la fin, il se retrouve à l’hôpital. Ça, c’est clair. Et s’il se retrouve à l’hôpital, c’est qu’il a de la chance sinon il crève totalement. Donc c’est vous pour dire qu’il y a des gens aujourd’hui qui arrivent, vous allez les voir, ils seront dans la Caravane du conte qui a lieu en octobre. Il y a donc une relève. Le contecours vise également à favoriser cette relève. Parce que la jeunesse, c’est une force qu’on a, en Afrique en général, et en Côte d’Ivoire en particulier. Car, elle constitue une frange importante de la population. Alors si on veut vraiment que notre pays soit un pays émergent à l’horizon 2020, c’est un état d’esprit, un comportement à avoir, c’est une manière de marcher, cela signifie qu’il faut composer avec les jeunes, encourager l’émergence des talents jeunes. Il faut qu’on investisse dans ça. Parce que l’émergence ne s’obtiendra pas avec des cailloux mais plutôt avec des hommes. Quand on dit qu’un pays est fort, ce ne sont pas les cailloux qui sont forts, mais bien ses hommes, et ce sont les jeunes qui vont faire l’émergence.
LP : Justement, pour ces jeunes-là, que faut-il pour être un excellent conteur comme vous ?
T-C : (Rires) C’est le travail. Je crois qu’on ne finit jamais d’apprendre. Même à mon niveau, j’apprends toujours et j’ai l’habitude de dire que la meilleure manière d’apprendre c’est de savoir donner, de savoir enseigner ce qu’on a. Plus tu vas vers les jeunes, et que tu leur donnes ce que tu sais, tu partages avec eux ton expérience, tout ce que tu as vu à travers le monde, plus tu apprends en retour. L’enseignant, c’est quelqu’un qui est toujours en apprentissage. Il vient, il fait son cours, mais les questions et le regard des élèves l’amènent à se poser des questions sur lui-même et à chercher davantage encore à apprendre. Donc, c’est le travail. Je dirai aux gens que c’est le travail. Et j’ai l’habitude de le dire, il faut avoir une base solide. Il ne faut pas construire sur du sable mouvant. Si on construit sur du sable mouvant, le château va s’écrouler. Il faut avoir une fondation solide. On ne finit jamais d’apprendre, on n’est jamais totalement excellent conteur. C’est toujours l’exercice. Et l’exercice nous amène à avoir une certaine maîtrise et à nous propulser vers l’excellence. Est-ce qu’on finit par atteindre l’excellence ? Je ne sais pas. Mais, il faut travailler. Accepter de souffrir, accepter d’apprendre, accepter de s’ouvrir. Que chacun fasse un travail avec passion et amour. Prenez l’exemple de l’agent de police qui a été distingué (il a reçu le prix d’excellence le 6 août dernier). Par son travail, il a apporté une valeur ajoutée à la régulation de la circulation. Et je suis persuadé qu’il répète, chez lui, tous les gestes qu’il fait sur la route pour réguler la circulation. C’est le fruit du travail. C’est ce que je veux dire à ces jeunes conteurs. Qu’ils travaillent, qu’ils aiment ce qu’ils font et qu’ils pensent à l’intérêt collectif.
Réalisée par Y. Sangaré