La reine de l’Ahoco (instrument de musique traditionnelle) a décidé de rompre le silence qu’elle s’est imposée depuis un moment. Antoinette Konan, sans fioriture, fustige la gestion actuelle du Bureau ivoirien du droit d’auteur (Burida). Militante du PDCI-RDA, l’artiste dit porter son choix sur le président Henri Konan Bédié pour le 12ème congrès du parti sexagénaire. Elle ne manque pas d’attirer l’attention des autorités sur la cherté de la vie et propose sa recette pour une véritable réconciliation nationale.
Antoinette Konan, moins en vue ces derniers temps. Que devient l’artiste ?
Je vais bien, je me porte même à merveille comme vous pouvez le constater. Toutefois, je suis en retrait parce que dans le monde de la musique beaucoup de choses ne se passent pas comme les artistes le souhaitent. Il y a des choses qu’on a décriées depuis un certain moment mais, qui ne s’améliorent pas. Les droits des artistes ne sont pas correctement payés. J’ai signalé beaucoup de choses et j’attends que tout cela rentre en ordre. Je veux voir que les choses se développent positivement pour les artistes avant de me lancer à nouveau.
Que reprochiez-vous concrètement à la direction actuelle du Burida ?
Il y a trop de dysfonctionnements au niveau du Burida. Il y a une certaine opacité concernant les droits des artistes. J’attends que les choses reviennent dans la lumière pour continuer le travail. Il faut que mes droits soient payés. Les autres peuvent dormir sur leurs lauriers, peut-être qu’ils sont satisfaits, mais moi je ne le suis pas e. Parce que j’estime qu’après 30 ans de carrière, la vie que je mène ne doit pas être celle-là. Je suppose que ces droits se trouvent quelque part et ce n’est pas normal. Des personnes se sucrent sur nos dos et s’octroient des terrains et des maisons dans tout Abidjan. Est-ce à dire que c’est pour eux que nous travaillons ? Ce n’est pas normal ! Toutefois, je ne peux pas me passer de ce que je fais. On ne me voit pas sur scène mais, je travaille. Je vais à l’étranger pour honorer des contrats. Je ne passe peut-être plus à la télé, on peut me le reprocher mais c’est un choix.
Il se raconte que vous avez souhaité diriger le Burida, après le changement de régime. Toute chose, selon des personnes, qui vous amènent à être critique à l’égard des dirigeants actuels de cette structure. Que répondez-vous?
Le combat que je mène, je l’ai toujours mené. Je continuerai de mener ce combat qui vise à améliorer la situation sociale des artistes. Ce n’est pas une affaire de RHDP ou de LMP. Certes, il n’est pas interdit d’avoir des ambitions mais, je voudrais dire aux gens que tel que le Burida est aujourd’hui, accepter d’être à sa tête, c’est accepter un cadeau empoisonné.
Il y a plus d’un an, vous avez annoncé votre départ de la Côte d’ivoire pour vous installer aux Etats Unis. Après quelques mois seulement, vous êtes retournée au bercail. Pourquoi ce retour si tôt ?
Je suis revenu parce qu’en quatre (4) mois, j’ai eu les réponses aux questions que je me posais quand je quittais la Côte d’Ivoire. Il n’y avait plus de raison que je reste aux Etats-Unis. Pendant les 4 mois passés dans ce pays, j’ai tenu à voir comment l’élection présidentielle qui a vu la réélection de Barack Obama allait se dérouler. J’ai pu constater que les élections se passaient autrement que ce nous avons l’habitude de voir sous nos tropiques. Outre cela, ma présence pendant ces présidentielles, m’a permis de me rendre compte que Barack Obama est un grand homme d’Etat, un vrai leader politique qui a effectivement fait ses preuves pour être à ce niveau. J’ai été une fois de plus convaincue qu’on apprend beaucoup en voyageant et en se frottant à de nouvelles personnes.
‘’ Il n’y a que Dieu’’, c’est le titre du single de deux titres que vous avez mis sur le marché, cette année. Une œuvre moins en vogue en ce moment…
Effectivement, je ne travaille pas assez pour booster cette œuvre parce que je ne vois pas l’intérêt de faire une grande promotion. On ne peut pas continuer à travailler dans le vide. Après 30 ans de carrière, on te dit qu’on ne voit pas tes droits. Il faut que quelqu’un tempête pour qu’on aille gratouiller vos droits et qu’on dise tu as des droits qu’on évalue à 800 mille FCFA. Ce qui veut dire que si tu ne tempêtes pas, tu ne peux pas savoir que tu as des droits. Cependant, je ne peux pas arrêter de chanter. Hormis le fait que je ne passe pas à la télé, je chante toujours, j’ai des contrats et ma carrière ne s’est pas arrêtée.
Vous avez remporté, en 1986, avec votre titre ‘’ Petit quinquin’’, le prix découvertes RFI de la meilleure chanson en français. Pour des d’observateurs de la musique ivoirienne, ce succès devrait vous permettre d’avoir une grande carrière internationale. Ce qui ne semble pas avoir été le cas. Qu’est ce qui n’a pas marché?
Dans la vie, chacun à sa chance. Il y a aussi le fait que j’ai évolué dans un environnement qui ne m’a pas facilité la tâche. Il fallait faire face à des pesanteurs tant au niveau familial que sur le plan professionnel. Il faut avouer qu’après ce succès, je n’ai pas été véritablement soutenue comme il le faut. Je me suis battue toute seule. Le constat que je fais est que le système culturel ivoirien est défaillant. Ce système a en ses instances des cellules qui sont de véritables goulots d’étranglement.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que vous faites partie des artistes vus comme des ‘’has been’’ qui cherchent leurs marques face à la montée de la nouvelle génération de coupé décalé ?
Personne ne peut m’éteindre. Nous avons évolué avec différentes tendances et cela ne m’a jamais gêné parce que mon genre est toujours resté. Je continue de faire la promotion de l’Ahoco au niveau national et international. Je suis à l’aise avec ce genre musical. J’enseigne ce que je fais donc cela ne peut qu’intéresser. Je ne suis pas une artiste figée. Je m’adapte à tout et j’évolue sans faire de tapage. En Côte d’Ivoire, ce sont ceux qui font du tapage qui sont vus. C’est le cas des acteurs du coupé décalé qui font du tapage pour qu’on parle d’eux, mais ils ne sont forcement les meilleurs. Depuis le début de ma carrière, je ne fais pas de tapage. Quand je sors une œuvre et qu’elle est bonne, elle part d’elle-même.
Pensez-vous que l’Ahoco a encore de la place aujourd’hui ?
A l’international, il y a des endroits où les gens l’utilisent. C’est dommage qu’en ce moment, on ne parle pas d’art en Côte d’Ivoire mais de genres musicaux, de tendances. Il doit y avoir de vrais débats artistiques, culturels, et que beaucoup de gens y participent. Le vrai débat n’apparait pas aux émissions télé où on appelle deux ou trois artistes pour venir parler. Non ! Il faut qu’on parle de la culture proprement dite et non faire de l’à peu près. C’est pour cela que j’évite la télévision en ce moment parce qu’il n’y a rien au niveau culturel. Pour qu’une jeunesse soit encadrée, il faut que la culture vive. Aujourd’hui, la culture en Côte d’Ivoire est pratiquement morte. Les genres musicaux qu’on entend actuellement ne nous mèneront nulle part. Je n’ai rien contre ceux qui font du coupé décalé et qui s’y plaisent. Mais, il faut reconnaître que cette musique ne nous mènera nulle part parce que le concept même du coupé décalé n’est pas bien pour la jeunesse. Quand on l’explique, ce n’est pas éducatif. Le coupé décalé c’est voler et fuir, ce n’est pas bon ! Ça n’apporte rien à l’éducation de nos enfants.
Vous convictions politiques sont connues. Vous êtes militante du PDCI- RDA. Un commentaire sur tout ce qui se passe avant le 12 ème congrès de votre parti ?
Je suis tout ce qui se passe au sein de mon parti, le PDCI-RDA. Je pense que ma position est la meilleure. Et c’est ce que nous allons démontrer au douzième congrès. J’ai toujours supporté un monsieur comme le président Bédié. Je ne m’en cache pas parce que je ne vois pas ce qu’il a fait de mal. Dans la vie, on peut vous aimer comme on peut ne pas vous aimer. On peut aimer vos pratiques comme ne pas les aimer. Quand tu as été poulain de Félix Houphouët-Boigny, de surcroît son successeur, tu ne peux pas être surpris par tout ce qui se passe. Parce que, depuis l’époque du premier président de la Côte d’Ivoire (Ndlr, Félix Houphouët-Boigny), les rivalités ont toujours existé. Ce sont ces mêmes rivalités qui continuent aujourd’hui. Mais avec tout ce qui se passe, je comprends mieux pourquoi ce monsieur (Ndlr, Henri Konan Bédié) est contesté et je ne peux que le féliciter et l’encourager. Il est très calme. Malgré tout le remue ménage autour de lui, il est dans son coin, il est serein. Je pense que c’est une force qu’il a. Je n’ai rien contre les autres mais, je pense qu’après le président Houphouët-Boigny, pour la sérénité qu’il affiche, c’est lui qu’il faut toujours à la tête du PDCI. J’ai été Houphouëtiste jusqu’à ce qu’il décède, je reste Bédiéiste parce que je n’aime pas le désordre dans un parti. Pour moi, c’est l’homme (Ndlr, Henri Konan Bédié), de la situation parce que c’est lui qui a fait qu’on a gardé le calme jusqu’a maintenant. Comme tout homme ou femme, Il n’est certes pas parfait, mais je pense qu’on peut le garder pour un moment. Je n’ai pas dit de le garder éternellement à la tête du PDCI mais au moins il faut lui permettre d’atteindre d’autres objectifs, que nous ne voyons peut-être pas sur le champ.
En tant que Bédiéiste, vous avez répondu a son appel quand il a appelé, en 2010, à voter le candidat du Rassemblement des Houphouétistes pour la paix et la démocratie (RHDP). On vous a même vu battre campagne. Plus de deux ans après, votre commentaire sur la gestion du Président Ouattara ?
Je disais à l’instant que nul n’est parfait. Le Président Ouattara fait ce qu’il peut. On a vu que beaucoup de choses commencent à changer, ce n’était pas évident ! Ce que je souhaite, c’est qu’il aide les populations à supporter le coût de la vie qui est trop élevé. C’est vrai que la crise est internationale, c’est dur partout, j’ai beaucoup voyagé et je l’ai constaté. Mais quand on aime son peuple, il faut poser des actes pour le montrer. C’est un conseil de fille. Nos parents souffrent énormément, il faut donc faire en sorte d’alléger les choses pour nos populations. Quand je vais au marché, j’entends les mamans dire « ma fille il faut faire quelque chose… ».
Vous n’êtes pas loin de la politique. Devons-nous nous attendre à voir un jour Antoinette Konan descendre dans l’arène pour briguer un poste électif ?
Lorsque j’ai eu 38 ans, il y a monsieur Djibo Nicolas, l’actuel maire de Bouaké avec qui j’échangeais souvent, qui m’a demandé d’être candidate aux élections législatives dans ma localité, à savoir Béoumi. Il était prêt à me soutenir pour que je sois député de ma localité. Je lui ais dit que c’était trop tôt parce qu’il y avait beaucoup de choses que je ne maitrisais pas encore. Je veux profiter de l’occasion pour saluer M. Djibo Nicolas qui est très humain et dont les relations transcendent les convictions politiques. Aussi félicitation à lui parce qu’il est en train de faire un excellent travail à Bouaké. Je suis fière de l’avoir soutenu pour qu’il soit à la tête de cette commune. Pour moi, sur le terrain politique, c’est un modèle. Je souhaite que la plupart des hommes politiques puissent fonctionner de cette façon. En démocratie, il faut apprendre à écouter les autres et non vouloir coûte que coûte imposer son idée ou sa façon de voir les choses. Je constate que des personnes, malgré leurs nombreux diplômes et qui n’ont pas trop voyagé, sont beaucoup dogmatiques et veulent à chaque fois imposer leur idée.
Hier, vous n’étiez pas prête. Aujourd’hui, peut-on dire que les données ont changé?
Pour l’heure, je me sens bien là où je suis. Je continue d’apprendre. Je pense que le futur nous situera. Si les populations me sollicitent et si Dieu le permet, peut-être que je serai candidate aux prochaines élections législatives dans une localité, par forcement chez moi à Béoumi. En tant qu’artiste, j’appartiens à toute la Côte d’Ivoire.
La recette d’Antoinette Konan pour la réconciliation nationale ?
En Côte d’Ivoire, les gens n’aiment pas qu’on leur dise la vérité. Si on veut aller à la réconciliation, il faut qu’on se dise les vérités. Accuser un tel et dire que nous-mêmes on n’a rien fait, ce n’est pas juste. A partir du moment où on commence à parler des autres, il faut se mettre devant un miroir et se demander ce que nous avons fait nous-même. Il faut se remettre en question et c’est à partir de ce moment qu’on peut emmener les autres à nous écouter. Mais tant qu’on n’en arrive pas à cela, la réconciliation nationale restera un leurre. Je suis une artiste et j’appartiens à toute la Côte d’Ivoire. Quand il s’agit de dire certaines vérités, je n’utiliserai pas la langue de bois. Avant d’indexer l’autre, il faut se demander : est-ce qu’il est plus fautif que moi ? Nous sommes tous des frères et sœurs et partant de cela, nous devons nous dire des vérités et éviter d’indexer l’autre comme le seul fautif. Il faut que nous nous interrogeons tous : « Quel est le tord que moi-même j’ai fait à l’autre ? Est-ce que celui que j’indexe est plus fautif ?». Tant que chacun ne dira pas sa part de vérité, la réconciliation sera difficile parce qu’il faut que les uns et les autres avouent leur tort. Si on continue de nous voiler la face, ça ne marchera pas. En Côte d’Ivoire, toutes les familles quelles qu’en soient leur parti politique ont souffert de cette crise. J’insiste là-dessus : nous devons nous dire des vérités pour arriver à la réconciliation nationale. Et cela doit se faire sans passion. Parce que j’ai observé que l’Ivoirien est très passionné. Pour un rien, on tombe dans la violence. Le président Houphouët-Boigny aimait dire que le dialogue est l’âme des forts. Des gens ont dit que c’est parce qu’il est un trouillard qu’il préfère le dialogue à la place des armes. La situation actuelle lui donne raison. Quand on est passé par la crise, c’est le dialogue qui nous reste. Et nous devons arriver à un dialogue sincère.
Un message pour les artistes encore en exil du fait de la récente crise postélectorale ?
Bon nombre des artistes en exil au Togo, au Bénin, etc. m’appellent pour résoudre leurs problèmes. Ils m’appellent pour me dire qu’ils sont malades ou ils ont des parents au pays qui ne se portent pas bien. Généralement, je les ramène à Mme Irène A. Viera (Ndlr, Directeur général du Burida). Comme je l’ai dit, j’ai des soucis en ce moment. Je n’ai aucun budget pour aider un artiste. Sinon, quand j’ai la possibilité de faire un geste, je n’hésite pas. Cette situation me met mal à l’aise. Je souhaite que ces frères et sœurs et même au-delà des artistes, que tous ces Ivoiriens encore en exil rentrent en Côte d’Ivoire pour rejoindre leurs différentes familles, leurs amis.
Qu’en était-il exactement de cette histoire entre Antoinette Konan, au dire des langues, avec feu Thomas Sankara, ancien président de la Haute Volta devenu Burkina Faso ?
Pourquoi les Ivoiriens pensent que là où il y a un homme et une femme, c’est forcement pour parler de sexe ? L’amitié ce n’est pas seulement entre femme ou entre homme. Il peut y avoir une bonne amitié entre un homme et une femme loin d’une quelconque relation amoureuse. Ce qu’il faut savoir, c’est que la majorité de mes amis est constituée d’hommes mariés ou pas. Ce n’est pas parce qu’une personne vous estime que vous allez vous offrir à lui. Feu le président Thomas Sankara m’estimait en tant qu’artiste. Il n’est plus de ce monde. Paix à son âme. Comme lui, ils sont nombreux ces personnes publiques et des anonymes qui m’estiment pour mon travail.
Réalisée par Raymond Dibi, coll DC
Antoinette Konan, moins en vue ces derniers temps. Que devient l’artiste ?
Je vais bien, je me porte même à merveille comme vous pouvez le constater. Toutefois, je suis en retrait parce que dans le monde de la musique beaucoup de choses ne se passent pas comme les artistes le souhaitent. Il y a des choses qu’on a décriées depuis un certain moment mais, qui ne s’améliorent pas. Les droits des artistes ne sont pas correctement payés. J’ai signalé beaucoup de choses et j’attends que tout cela rentre en ordre. Je veux voir que les choses se développent positivement pour les artistes avant de me lancer à nouveau.
Que reprochiez-vous concrètement à la direction actuelle du Burida ?
Il y a trop de dysfonctionnements au niveau du Burida. Il y a une certaine opacité concernant les droits des artistes. J’attends que les choses reviennent dans la lumière pour continuer le travail. Il faut que mes droits soient payés. Les autres peuvent dormir sur leurs lauriers, peut-être qu’ils sont satisfaits, mais moi je ne le suis pas e. Parce que j’estime qu’après 30 ans de carrière, la vie que je mène ne doit pas être celle-là. Je suppose que ces droits se trouvent quelque part et ce n’est pas normal. Des personnes se sucrent sur nos dos et s’octroient des terrains et des maisons dans tout Abidjan. Est-ce à dire que c’est pour eux que nous travaillons ? Ce n’est pas normal ! Toutefois, je ne peux pas me passer de ce que je fais. On ne me voit pas sur scène mais, je travaille. Je vais à l’étranger pour honorer des contrats. Je ne passe peut-être plus à la télé, on peut me le reprocher mais c’est un choix.
Il se raconte que vous avez souhaité diriger le Burida, après le changement de régime. Toute chose, selon des personnes, qui vous amènent à être critique à l’égard des dirigeants actuels de cette structure. Que répondez-vous?
Le combat que je mène, je l’ai toujours mené. Je continuerai de mener ce combat qui vise à améliorer la situation sociale des artistes. Ce n’est pas une affaire de RHDP ou de LMP. Certes, il n’est pas interdit d’avoir des ambitions mais, je voudrais dire aux gens que tel que le Burida est aujourd’hui, accepter d’être à sa tête, c’est accepter un cadeau empoisonné.
Il y a plus d’un an, vous avez annoncé votre départ de la Côte d’ivoire pour vous installer aux Etats Unis. Après quelques mois seulement, vous êtes retournée au bercail. Pourquoi ce retour si tôt ?
Je suis revenu parce qu’en quatre (4) mois, j’ai eu les réponses aux questions que je me posais quand je quittais la Côte d’Ivoire. Il n’y avait plus de raison que je reste aux Etats-Unis. Pendant les 4 mois passés dans ce pays, j’ai tenu à voir comment l’élection présidentielle qui a vu la réélection de Barack Obama allait se dérouler. J’ai pu constater que les élections se passaient autrement que ce nous avons l’habitude de voir sous nos tropiques. Outre cela, ma présence pendant ces présidentielles, m’a permis de me rendre compte que Barack Obama est un grand homme d’Etat, un vrai leader politique qui a effectivement fait ses preuves pour être à ce niveau. J’ai été une fois de plus convaincue qu’on apprend beaucoup en voyageant et en se frottant à de nouvelles personnes.
‘’ Il n’y a que Dieu’’, c’est le titre du single de deux titres que vous avez mis sur le marché, cette année. Une œuvre moins en vogue en ce moment…
Effectivement, je ne travaille pas assez pour booster cette œuvre parce que je ne vois pas l’intérêt de faire une grande promotion. On ne peut pas continuer à travailler dans le vide. Après 30 ans de carrière, on te dit qu’on ne voit pas tes droits. Il faut que quelqu’un tempête pour qu’on aille gratouiller vos droits et qu’on dise tu as des droits qu’on évalue à 800 mille FCFA. Ce qui veut dire que si tu ne tempêtes pas, tu ne peux pas savoir que tu as des droits. Cependant, je ne peux pas arrêter de chanter. Hormis le fait que je ne passe pas à la télé, je chante toujours, j’ai des contrats et ma carrière ne s’est pas arrêtée.
Vous avez remporté, en 1986, avec votre titre ‘’ Petit quinquin’’, le prix découvertes RFI de la meilleure chanson en français. Pour des d’observateurs de la musique ivoirienne, ce succès devrait vous permettre d’avoir une grande carrière internationale. Ce qui ne semble pas avoir été le cas. Qu’est ce qui n’a pas marché?
Dans la vie, chacun à sa chance. Il y a aussi le fait que j’ai évolué dans un environnement qui ne m’a pas facilité la tâche. Il fallait faire face à des pesanteurs tant au niveau familial que sur le plan professionnel. Il faut avouer qu’après ce succès, je n’ai pas été véritablement soutenue comme il le faut. Je me suis battue toute seule. Le constat que je fais est que le système culturel ivoirien est défaillant. Ce système a en ses instances des cellules qui sont de véritables goulots d’étranglement.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que vous faites partie des artistes vus comme des ‘’has been’’ qui cherchent leurs marques face à la montée de la nouvelle génération de coupé décalé ?
Personne ne peut m’éteindre. Nous avons évolué avec différentes tendances et cela ne m’a jamais gêné parce que mon genre est toujours resté. Je continue de faire la promotion de l’Ahoco au niveau national et international. Je suis à l’aise avec ce genre musical. J’enseigne ce que je fais donc cela ne peut qu’intéresser. Je ne suis pas une artiste figée. Je m’adapte à tout et j’évolue sans faire de tapage. En Côte d’Ivoire, ce sont ceux qui font du tapage qui sont vus. C’est le cas des acteurs du coupé décalé qui font du tapage pour qu’on parle d’eux, mais ils ne sont forcement les meilleurs. Depuis le début de ma carrière, je ne fais pas de tapage. Quand je sors une œuvre et qu’elle est bonne, elle part d’elle-même.
Pensez-vous que l’Ahoco a encore de la place aujourd’hui ?
A l’international, il y a des endroits où les gens l’utilisent. C’est dommage qu’en ce moment, on ne parle pas d’art en Côte d’Ivoire mais de genres musicaux, de tendances. Il doit y avoir de vrais débats artistiques, culturels, et que beaucoup de gens y participent. Le vrai débat n’apparait pas aux émissions télé où on appelle deux ou trois artistes pour venir parler. Non ! Il faut qu’on parle de la culture proprement dite et non faire de l’à peu près. C’est pour cela que j’évite la télévision en ce moment parce qu’il n’y a rien au niveau culturel. Pour qu’une jeunesse soit encadrée, il faut que la culture vive. Aujourd’hui, la culture en Côte d’Ivoire est pratiquement morte. Les genres musicaux qu’on entend actuellement ne nous mèneront nulle part. Je n’ai rien contre ceux qui font du coupé décalé et qui s’y plaisent. Mais, il faut reconnaître que cette musique ne nous mènera nulle part parce que le concept même du coupé décalé n’est pas bien pour la jeunesse. Quand on l’explique, ce n’est pas éducatif. Le coupé décalé c’est voler et fuir, ce n’est pas bon ! Ça n’apporte rien à l’éducation de nos enfants.
Vous convictions politiques sont connues. Vous êtes militante du PDCI- RDA. Un commentaire sur tout ce qui se passe avant le 12 ème congrès de votre parti ?
Je suis tout ce qui se passe au sein de mon parti, le PDCI-RDA. Je pense que ma position est la meilleure. Et c’est ce que nous allons démontrer au douzième congrès. J’ai toujours supporté un monsieur comme le président Bédié. Je ne m’en cache pas parce que je ne vois pas ce qu’il a fait de mal. Dans la vie, on peut vous aimer comme on peut ne pas vous aimer. On peut aimer vos pratiques comme ne pas les aimer. Quand tu as été poulain de Félix Houphouët-Boigny, de surcroît son successeur, tu ne peux pas être surpris par tout ce qui se passe. Parce que, depuis l’époque du premier président de la Côte d’Ivoire (Ndlr, Félix Houphouët-Boigny), les rivalités ont toujours existé. Ce sont ces mêmes rivalités qui continuent aujourd’hui. Mais avec tout ce qui se passe, je comprends mieux pourquoi ce monsieur (Ndlr, Henri Konan Bédié) est contesté et je ne peux que le féliciter et l’encourager. Il est très calme. Malgré tout le remue ménage autour de lui, il est dans son coin, il est serein. Je pense que c’est une force qu’il a. Je n’ai rien contre les autres mais, je pense qu’après le président Houphouët-Boigny, pour la sérénité qu’il affiche, c’est lui qu’il faut toujours à la tête du PDCI. J’ai été Houphouëtiste jusqu’à ce qu’il décède, je reste Bédiéiste parce que je n’aime pas le désordre dans un parti. Pour moi, c’est l’homme (Ndlr, Henri Konan Bédié), de la situation parce que c’est lui qui a fait qu’on a gardé le calme jusqu’a maintenant. Comme tout homme ou femme, Il n’est certes pas parfait, mais je pense qu’on peut le garder pour un moment. Je n’ai pas dit de le garder éternellement à la tête du PDCI mais au moins il faut lui permettre d’atteindre d’autres objectifs, que nous ne voyons peut-être pas sur le champ.
En tant que Bédiéiste, vous avez répondu a son appel quand il a appelé, en 2010, à voter le candidat du Rassemblement des Houphouétistes pour la paix et la démocratie (RHDP). On vous a même vu battre campagne. Plus de deux ans après, votre commentaire sur la gestion du Président Ouattara ?
Je disais à l’instant que nul n’est parfait. Le Président Ouattara fait ce qu’il peut. On a vu que beaucoup de choses commencent à changer, ce n’était pas évident ! Ce que je souhaite, c’est qu’il aide les populations à supporter le coût de la vie qui est trop élevé. C’est vrai que la crise est internationale, c’est dur partout, j’ai beaucoup voyagé et je l’ai constaté. Mais quand on aime son peuple, il faut poser des actes pour le montrer. C’est un conseil de fille. Nos parents souffrent énormément, il faut donc faire en sorte d’alléger les choses pour nos populations. Quand je vais au marché, j’entends les mamans dire « ma fille il faut faire quelque chose… ».
Vous n’êtes pas loin de la politique. Devons-nous nous attendre à voir un jour Antoinette Konan descendre dans l’arène pour briguer un poste électif ?
Lorsque j’ai eu 38 ans, il y a monsieur Djibo Nicolas, l’actuel maire de Bouaké avec qui j’échangeais souvent, qui m’a demandé d’être candidate aux élections législatives dans ma localité, à savoir Béoumi. Il était prêt à me soutenir pour que je sois député de ma localité. Je lui ais dit que c’était trop tôt parce qu’il y avait beaucoup de choses que je ne maitrisais pas encore. Je veux profiter de l’occasion pour saluer M. Djibo Nicolas qui est très humain et dont les relations transcendent les convictions politiques. Aussi félicitation à lui parce qu’il est en train de faire un excellent travail à Bouaké. Je suis fière de l’avoir soutenu pour qu’il soit à la tête de cette commune. Pour moi, sur le terrain politique, c’est un modèle. Je souhaite que la plupart des hommes politiques puissent fonctionner de cette façon. En démocratie, il faut apprendre à écouter les autres et non vouloir coûte que coûte imposer son idée ou sa façon de voir les choses. Je constate que des personnes, malgré leurs nombreux diplômes et qui n’ont pas trop voyagé, sont beaucoup dogmatiques et veulent à chaque fois imposer leur idée.
Hier, vous n’étiez pas prête. Aujourd’hui, peut-on dire que les données ont changé?
Pour l’heure, je me sens bien là où je suis. Je continue d’apprendre. Je pense que le futur nous situera. Si les populations me sollicitent et si Dieu le permet, peut-être que je serai candidate aux prochaines élections législatives dans une localité, par forcement chez moi à Béoumi. En tant qu’artiste, j’appartiens à toute la Côte d’Ivoire.
La recette d’Antoinette Konan pour la réconciliation nationale ?
En Côte d’Ivoire, les gens n’aiment pas qu’on leur dise la vérité. Si on veut aller à la réconciliation, il faut qu’on se dise les vérités. Accuser un tel et dire que nous-mêmes on n’a rien fait, ce n’est pas juste. A partir du moment où on commence à parler des autres, il faut se mettre devant un miroir et se demander ce que nous avons fait nous-même. Il faut se remettre en question et c’est à partir de ce moment qu’on peut emmener les autres à nous écouter. Mais tant qu’on n’en arrive pas à cela, la réconciliation nationale restera un leurre. Je suis une artiste et j’appartiens à toute la Côte d’Ivoire. Quand il s’agit de dire certaines vérités, je n’utiliserai pas la langue de bois. Avant d’indexer l’autre, il faut se demander : est-ce qu’il est plus fautif que moi ? Nous sommes tous des frères et sœurs et partant de cela, nous devons nous dire des vérités et éviter d’indexer l’autre comme le seul fautif. Il faut que nous nous interrogeons tous : « Quel est le tord que moi-même j’ai fait à l’autre ? Est-ce que celui que j’indexe est plus fautif ?». Tant que chacun ne dira pas sa part de vérité, la réconciliation sera difficile parce qu’il faut que les uns et les autres avouent leur tort. Si on continue de nous voiler la face, ça ne marchera pas. En Côte d’Ivoire, toutes les familles quelles qu’en soient leur parti politique ont souffert de cette crise. J’insiste là-dessus : nous devons nous dire des vérités pour arriver à la réconciliation nationale. Et cela doit se faire sans passion. Parce que j’ai observé que l’Ivoirien est très passionné. Pour un rien, on tombe dans la violence. Le président Houphouët-Boigny aimait dire que le dialogue est l’âme des forts. Des gens ont dit que c’est parce qu’il est un trouillard qu’il préfère le dialogue à la place des armes. La situation actuelle lui donne raison. Quand on est passé par la crise, c’est le dialogue qui nous reste. Et nous devons arriver à un dialogue sincère.
Un message pour les artistes encore en exil du fait de la récente crise postélectorale ?
Bon nombre des artistes en exil au Togo, au Bénin, etc. m’appellent pour résoudre leurs problèmes. Ils m’appellent pour me dire qu’ils sont malades ou ils ont des parents au pays qui ne se portent pas bien. Généralement, je les ramène à Mme Irène A. Viera (Ndlr, Directeur général du Burida). Comme je l’ai dit, j’ai des soucis en ce moment. Je n’ai aucun budget pour aider un artiste. Sinon, quand j’ai la possibilité de faire un geste, je n’hésite pas. Cette situation me met mal à l’aise. Je souhaite que ces frères et sœurs et même au-delà des artistes, que tous ces Ivoiriens encore en exil rentrent en Côte d’Ivoire pour rejoindre leurs différentes familles, leurs amis.
Qu’en était-il exactement de cette histoire entre Antoinette Konan, au dire des langues, avec feu Thomas Sankara, ancien président de la Haute Volta devenu Burkina Faso ?
Pourquoi les Ivoiriens pensent que là où il y a un homme et une femme, c’est forcement pour parler de sexe ? L’amitié ce n’est pas seulement entre femme ou entre homme. Il peut y avoir une bonne amitié entre un homme et une femme loin d’une quelconque relation amoureuse. Ce qu’il faut savoir, c’est que la majorité de mes amis est constituée d’hommes mariés ou pas. Ce n’est pas parce qu’une personne vous estime que vous allez vous offrir à lui. Feu le président Thomas Sankara m’estimait en tant qu’artiste. Il n’est plus de ce monde. Paix à son âme. Comme lui, ils sont nombreux ces personnes publiques et des anonymes qui m’estiment pour mon travail.
Réalisée par Raymond Dibi, coll DC