Le projet sera certainement débattu au cours de ce sommet extraordinaire de l’Union africaine qui se tient aujourd’hui. L’organisation panafricaine incite les Etats africains à se retirer de la Cour pénale internationale. Pour la présidente de la Commission de l’Union africaine, Mme Dlamini Zuma, chef d’orchestre de cette fronde, la juridiction pénale internationale n’est plus crédible. Car, depuis sa création, elle ne fait que poursuivre des dirigeants africains. Les Etats africains qui ont ratifié le Statut de Rome doivent donc rompre avec La Haye qui, à ses dires, se comporte de plus en plus comme une institution raciste. Au dernier sommet de l’UA , en mai dernier, le Premier ministre Haïlémariam Desalegn avait déjà annoncé les couleurs. Pour Haïlémariam Desalegn, la CPI est en train de mener «une sorte de chasse raciale» contre les Africains. Récemment encore, le président de la Guinée-Conakry, Alpha Condé est monté au créneau pour porter des critiques contre la Cour basée à La Haye. «Il ne faut pas une CPI borgne qui ne voit que l'Afrique. Il y a beaucoup de dirigeants -occidentaux- qui méritent de passer devant la CPI, mais qui ne sont pas poursuivis. Mais curieusement, il n'y a que des chefs d'Etats africains qui sont poursuivis. Aujourd'hui tous les dirigeants africains sont excédés par cette façon unilatérale de ne poursuivre que des chefs d'Etats africains», a accusé le chef de l’Etat guinéen le 9 octobre dernier au cours de l’émission “Le débat BBC Afrique - Africa N°1”. Dans la forme, les récriminations de ces dirigeants africains peuvent paraitre justifier. Mais, dans le fond, elles sont d’un insoutenable cynisme et relève d’une hypocrisie des plus abjectes. Car, qu’en est-il en réalité ? La trentaine de dirigeants ou ex-dirigeants poursuivis actuellement par la Cour pénale internationale le sont sur la demande des autorités de leur propre pays. En d’autres termes, les poursuites contre la grande majorité des inculpés africains ont été autorisées par les mêmes Etats qui menacent de quitter la Cour pénale internationale. A l’exception du Soudan et du Kenya, que ce soit en République démocratique du Congo (RDC), en République Centrafricaine (RCA), au Kenya, en Libye, en Côte d’Ivoire et au Mali, la CPI a commencé à enquêter sur les présumés crimes contre l’humanité ou crimes de guerre, après que les Etats aient donné leur accord. La Cour de La Haye, pour envoyer le Bureau du procureur venir enquêter sur place, n’a pas eu à tordre le bras aux autorités locales. Encore moins à violer une quelconque souveraineté des Etats africains, comme veulent le faire croire certains défenseurs farouches du droit à l’autodétermination des peuples. En Côte d’Ivoire par exemple, pour venir investiguer sur des crimes qui entrent dans son champ de compétence, la CPI a reçu l’autorisation du président Laurent Gbagbo en avril 2003. L’ex-chef d’Etat avait saisi par courrier officiel signé du ministre des Affaires étrangères d’alors, feu Bamba Mamadou pour venir enquêter En Côte d’Ivoire. Ce courrier a été confirmé en mai 2011 par le président Alassane Ouattara. Dans la plupart des cas, la Cour pénale internationale qui peut être saisie d’office par le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas eu à se fatiguer. Les Etats africains qui se plaignent curieusement aujourd’hui, ont eux-mêmes fourni à la Cour de La Haye le fouet qui lui permet de flageller en ce moment leurs compatriotes impliqués dans des violations graves de droits de l’Homme. Comme aux grandes heures de la traite négrière, après avoir vendu leurs frères aux marchands d’esclaves, ils accusent les esclavagistes de maltraiter ceux qu’ils ont eux-mêmes livré aux négriers. En réalité, la réaction de ces dirigeants africains relève plus de l’instinct grégaire que du souci de faire éclater la justice. Une sorte de solidarité dans le mal. En initiant cette procédure de défiance à l’égard de la Cour pénale internationale, l’Union africaine se fait complice de tous les satrapes sanguinaires qui pullulent encore sur le continent. La démarche de la Commission de l’organisation panafricaine est contre-productive à l’alternance démocratique pacifique que les peuples africains eux-mêmes s’efforcent de cultiver ces dernières années. Le combat d’arrière-garde mené en ce moment par la Commission conduite par Mme Zuma vise donc à ruiner toutes avancées démocratiques enregistrées au cours de cette décennie et à encourager tous les apprentis roitelets nostalgiques de l’âge d’or de la pensée unique. Et à ce jeu, l’Union africaine qui a si bien commencé, est en train de se discréditer.
Jean-Claude Coulibaly
Jean-Claude Coulibaly