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Afrique Publié le lundi 14 octobre 2013 | Le Patriote

Première page - Le naufrage de l’Afrique

Etendu espace qui tient lieu d'interface entre le Nord et le Sud depuis des millénaires. La Méditerranée. Cette mer permet les plus grands échanges commerciaux et culturels entre les peuples. Mais, elle devient aussi le plus vaste cimetière du monde. Chaque semaine qui passe, charrie son cortège de larmes. Les naufrages s’y multiplient à un rythme ahurissant.
Les rivages italiens ont vu échouer ces derniers jours, les corps de près d’un demi-millier de personnes. Dans ces nouveaux drames, ont été comptabilisés des migrants en provenance d’Afrique, pour la plupart des Somaliens et des Erythréens. "On est dans une urgence réelle", a dit à ce propos Enrico Letta, Président du Conseil italien. La gestion de l'immigration clandestine est à l'ordre du jour du prochain sommet européen. Les tragédies au large de Lampedusa et de la Sicile, viennent, une fois de plus, nous rappeler les drames de l'Afrique noire : la mauvaise gouvernance des pays et la fuite des bras valides.
Le monde occidental se mobilise donc pour traiter, à sa façon, le sujet. Mais, que font les dirigeants du continent ? Peu importe si des jeunes africains vont se faire tuer par la mer. Ils semblent préoccupés à autre chose tandis que le contexte et l’actualité brulante leur recommandaient plus de réflexion sur l’immigration. Au lieu de se pencher, en effet, sur l’avenir du continent dont les populations croulent sous le poids des désastres de tout genre (famine, sécheresse, terrorisme, guerre, massacres), les chefs d’Etat du continent se réunissent à Addis-Abeba pour parler de…leur retrait de la Cour pénale internationale. Ainsi, sous la houlette de son Président, l’Ethiopien Hailé Mariam Dessalegn et de la présidente de la Commission, Nkosazana Dlamini Zuma, l’UA s’est réunie pour dénoncer un acharnement "néocolonial" du tribunal de La Haye contre l'Afrique. Arguant que, depuis sa création en 1998, la CPI n’a fait qu’inculper une trentaine d’Africains pour des crimes survenus dans huit pays d'Afrique.
Au fait, la justice internationale (CPI, Tribunaux ad hoc) vise-t-elle réellement les seuls leaders africains ? Le dire, ce serait oublier l'ex-président des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic, les procès de Slobodan Milosevic et des ex-dirigeants Khmers rouges au Cambodge. Et, s'il est vrai que le procureur de la CPI enquête sur une dizaine de conflits africains, ce sont ces Etats ou le Conseil de sécurité de l'ONU, qui l’ont saisi.
Il est vrai, personne ne peut nier que l'Afrique est le continent où se concentrent le plus les investigations de la justice internationale. RDC, Centrafrique, Ouganda, Soudan (Darfour), Libye, Côte d'Ivoire, Mali, Kenya. Ce dernier cas, semble être celui que tiennent les détenteurs de la thèse anti-CPI. Le président kenyan Uhuru Kenyatta et son vice-président William Ruto sont actuellement poursuivis pour leur rôle présumé dans les violences politiques qui avaient suivi l'élection présidentielle de fin 2007, qui ont fait plus de mille morts. Quant au président soudanais, Omar el-Béchir, il fait l'objet de mandats d'arrêt de la CPI pour « crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide » dans le conflit du Darfour.
Ainsi, pour le fait qu’on soit africain et qu’on fasse de la politique, on doit être au dessus de la Loi et de la Morale. On peut tuer ou faire tuer en toute impunité. Pourtant, et on l’oublie souvent, c’est la même Union Africaine qui avait créé en janvier 2006, un comité de sept éminents juristes, chargé de réfléchir sur les cas de violation de droits de l’homme à la lueur du dossier de l’ancien Président tchadien, Hissène Habré. Dans son rapport, le groupe de juristes avait soutenu qu’il était “urgent de faire comprendre à l’Afrique toute entière que l’impunité n’était désormais plus tolérée” et que « les fonctions politiques ne garantissent aucune immunité en cas de violations des droits de l’homme ».
Pour sauver des têtes, nos chefs d’Etat, du moins certains d’entre eux, sont prêts à délivrer une sorte de permis de massacrer aux autocrates. « Une honte », disait Kofi Annan, digne fils de l’Afrique, Nobel de la paix. C’est surtout le point de vue de son compère, le religieux Desmond Tutu qui campe, le mieux, le désarroi des peuples africains : "Les dirigeants du Soudan et du Kenya, qui ont infligé la terreur et la peur dans leur pays, tentent de faire sortir l'Afrique de la CPI, ce qui leur donnerait la liberté de tuer, de violer, et d'inspirer la haine sans être inquiétés". Il est su que la CPI n'est compétente, que si les juridictions nationales sont défaillantes ou s'il existe une volonté de protéger les auteurs de crimes. On ne peut pas à la fois accuser la justice internationale de poursuivre des dirigeants africains et ne rien faire pour mettre un terme à l'impunité en Afrique. C’est d’ailleurs le cas. Il n’y a qu’à voir les cas du procès Habré, du charnier de Yopougon, des massacres au Darfour, des crimes et tueries non encore instruits un peu partout (Mali, RDC, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Congo, Libye, Egypte… etc,) pour comprendre que l’Afrique n’ a ni les prédispositions ni la détermination de juger elle-même ses criminels.
En effet, dans le cas de prime à l’impunité le plus flagrant, celui de Hissène Habré, c’est en 1990, quelques mois après son renversement, qu’ont débuté les procédures visant à le juger, avec la constitution de l’Association des victimes des crimes et de la répression politique au Tchad (AVCRP). Depuis, l’Afrique pirouette sur elle-même comme le serpent qui se mord la queue. La justice y reste aux mains des pouvoirs politiques, les institutions étant, elles, enchaînées, et les perspectives de développement, obturées. Entre temps, les jeunes africains perdent espoir. Ils voient en l’Italie, l’Espagne ou la France, l’Eldorado en Europe. D’où la prise de risques démesurés qui se terminent, bien souvent, par les naufrages collectifs, dans les profondeurs abyssales de la Méditerranée.
Ces bateaux de fortune qui coulent sous les eaux, c’est le symbole de cette Afrique qui a échoué. Ont-t-ils vraiment le choix ces milliers de jeunes, pris entre le marteau et l’enclume, face à des dirigeants qui, dans leur majorité, ne développent aucune vision pour l’avenir de leur jeunesse et le désir d’immigrer vers des horizons indûment enchanteurs, vers une Europe qui ferme, à double tour, ses portes ?

PAR Charles Sanga
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