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Politique Publié le lundi 21 octobre 2013 | Le Patriote

Interview/ Gbamnan Djidan Félicien, ancien maire de Yopougon : “Au FPI, il y a trop de mensonges”

Cela fait presque deux ans que l’ancien maire de la commune de Yopougon, Gbamnan Djidan Félicien, a mis fin à son exil au Ghana et a regagné la Côte d’Ivoire. Comment vit-il depuis son retour? Quels sont ses rapports avec son parti, le Front populaire ivoirien? Que pense-t-il de la nouvelle Côte d’Ivoire et du processus de réconciliation nationale? Nous l’avons rencontré. A son domicile à Yopougon Kouté, il a croqué l’actualité nationale. L’ancien directeur de campagne de l’ex-chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, dans la plus grande commune de Côte d’Ivoire a abordé les questions sans faux-fuyant et a surtout asséné ses vérités.

Le Patriote : Cela va faire bientôt deux ans que vous êtes rentré d’exil. Mais on ne vous entend pratiquement pas. Pourquoi ce mutisme ?

Gbamanan Djidan Félicien : Effectivement, le mois prochain (novembre 2013, ndlr), cela va faire deux ans que je suis rentré de mon exil. Mais, souvenez-vous, quand je suis rentré, j’ai beaucoup parlé. J’ai dit ce que je souhaitais pour la Côte d’Ivoire. J’ai déclaré que ce que je désirais, c’était que les rapports entre les Ivoiriens, après ce que ce pays a connu, s’améliorent. Mais je dois avouer que j’ai quelques peurs, quelques angoisses. Je me disais que tout ce que nous avions vécu nous servirait de leçons, de sorte que nous nous regardions autrement. Je note cependant, avec quelques regrets, que la situation telle qu’elle évolue actuellement ne soit pas de nature à me donner entièrement satisfaction. Mon mutisme doit donc être perçu comme celui d’un homme qui observe, après avoir, humblement, tenté de raisonner les uns et les autres. Du plus profond de moi-même, j’ai souhaité la paix, l’amour entre les Ivoiriens. Je regarde donc comment la Côte d’Ivoire évolue.

LP : Votre perception, vous l’avez dit, n’est pas trop nette en ce qui concerne la réconciliation. Selon vous, où se trouve exactement le problème ?
GDF : Ecoutez, nous sommes tous des Ivoiriens. Et en tant que tels, d’une façon ou d’une autre, nous avons tous fauté. De mon point de vue, il n’y a pas un camp qui a plus fauté que l’autre. L’erreur que nous avons commise, c’est de n’avoir pas compris que la Côte d’Ivoire était le seul creuset dans lequel tous les Ivoiriens devraient se retrouver. Mais ce sur quoi je dois insister, c’est le respect des institutions de la République. Moi qui suis de tradition atchan, je ne conçois pas qu’on ne puisse pas s’aligner derrière le chef, le respecter. C’est pourquoi, je ne comprends pas qu’après tout ce que nous avons vécu, nous ne sachions pas encore d’où nous venons. Ce pays a bel et bien échappé au chaos. La Côte d’Ivoire a connu des moments très difficiles. On aurait pu basculer dans une guerre civile sans fin. Pour moi donc, la principale leçon à tirer de cette tragédie sans précédant, c’est celle de prendre du recul et d’analyser froidement ce qui s’est passé et d’adopter un nouveau comportement. Le comportement de l’Ivoirien nouveau, qui ne fait pas de calculs politiciens, qui est résolument attaché à la réconciliation.

LP : Apparemment, ce n’est pas le cas, selon vous ?
GDF : Ecoutez, dans le cas de la réconciliation nationale par exemple, le processus ne me parait pas très lisible. Pour parler franchement, je reste encore sur ma faim. Je ne vois pas réellement ce que cela a apporté à la cohésion entre les Ivoiriens. La méfiance voire l’intolérance entre nos compatriotes est encore trop grande. Moi, je lis tous les journaux. Mais quand j’ai Le Patriote en main, on me regarde comme un ennemi. Mais quand je lis Notre Voie, j’ai l’impression qu’on m’en veut. Or, pour moi, l’Ivoirien nouveau, c’est celui qui peut librement, sans crainte, s’informer dans toutes les chapelles politiques. On me dit toujours que j’étais le maire qui aimait la fête, l’ambiance. Mais c’est parce que je suis un homme tolérant, qui n’aime pas les extrêmes. C’est pourquoi je vais là où on s’amuse, là où on apprend à connaître l’autre. Aujourd’hui, on est trop figé dans des camps et on ne fait pas le pas vers l’autre. Cela me désole.

LP : Pour vous, quelle attitude l’Ivoirien nouveau doit-il avoir ?
GDF : je vais être clair : pour moi, celui qui est au pouvoir aujourd’hui, c’est Alassane Ouattara. C’est donc le bilan de cet homme que nous allons faire demain. Cela veut dire que si ça se passe mal, on dira que c’est le Président Alassane Ouattara qui n’a pas conduit la Côte d’Ivoire à la paix. Ça veut dire que l’effort doit être plus important du côté de ceux qui ont les rênes du pouvoir. Mais en toute franchise, je pense que le Président de la République fait un effort important. Je pense qu’il a un cœur ouvert et qu’il veut que les Ivoiriens rentrent pour se mettre au service de leur pays. J’ai encore en mémoire – et je l’ai beaucoup apprécié – ce discours, il y a deux ans en arrière, appelant les exilés à rentrer et suite auquel je suis rentré. Maintenant, il reste à tous autant que nous sommes, à l’aider à conduire la Côte d’Ivoire à une paix véritable. Il fait déjà de gros efforts en matière de développement. Comme tous les Ivoiriens, je vois un peu partout dans le pays des routes, des ponts, des échangeurs. Regardez Yopougon, l’eau circule aujourd’hui. Cela fait des moments que je n’avais pas de l’eau dans ma maison. Il y a des investissements qui sont faits, il y a beaucoup d’infrastructures qui sont en train de voir le jour, qui vont forcément faire la renommée de ce monsieur demain. Qu’on le veuille ou non, on dira demain que c’est Alassane Ouattara qui a construit ceci, cela. Il est en train de laisser quelque chose à la postérité, et c’est important pour un dirigeant. Toutefois, ce qui restera véritablement gravé dans les mémoires de ce pays, sorti d’une si grave crise, c’est la paix qu’il nous offrira. A mon avis, l’un de ses vrais challenges, c’est de réussir à faire en sorte que l’Ivoirien se sente d’abord Ivoirien et qu’il accepte son frère qui vient de l’étranger et qui a adopté la terre de la Côte d’Ivoire. Il faut que Ouattara fasse en sorte que l’Ivoirien cultive, comme il le fait pour le cacao ou le café, la paix. Les infrastructures feront certes son nom, mais l’héritage le plus important qu’il laissera, c’est la paix. C’est une grande bataille à mener. Car, on peut développer, mais quand il n’y a pas la paix – donc, quand la guerre survient – on détruit tout ce qu’on a construit. Vous avez vu la grande destruction de la Côte d’Ivoire pendant la crise. On a détruit des choses qu’on avait mis du temps à construire. C’est pourquoi, je dis que je suis un homme de paix et j’irai partout où l’on parle de paix et de réconciliation nationale, sans parler de couleur politique ou de pro ceci, pro cela. Je ne suis pas pro de quelqu’un, je suis un Ivoirien. J’ai eu à travailler, j’ai eu une conviction politique, mais ma préoccupation aujourd’hui, c’est ce que je peux apporter à la Côte d’Ivoire par l’expérience que j’ai accumulée. C’est ça le problème.

LP : Cela veut dire que vous regrettez le retour des discours guerriers et orduriers sur la scène politique ?
BDF : Absolument ! Je le regrette profondément. Parce que ça ne nous fera jamais avancer. Bien au contraire, ça ne peut que créer des tensions inutiles, qui peuvent aller à des dérapages susceptibles de conduire notre pays à beaucoup plus grave que ce que nous avons connu. En tout cas, moi, je ne me reconnais pas dans ces discours excessifs. Je ne voudrais pas nommer des personnes, mais je pense qu’il faut désarmer nos cœurs. Sortons des oppositions stériles. Musulmans, chrétiens, animistes, nord, sud, ouest, est, centre, apprenons à cohabiter. Pendant la fête passée de la Tabaski, j’ai vécu une expérience qui m’a fait plaisir. J’ai vu des chrétiens aux côtés de leurs frères, les musulmans, cela m’a fait énormément plaisir, car c’est dans cette voie que la Côte d’Ivoire doit aller si nous voulons nous sauver nous-mêmes. Parce qu’on a vu qu’il y a des belles choses qui avaient été construites et qui ont été détruites. Des gens mêmes qui cherchaient du boulot, du travail, ont détruit le peu que la Côte d’Ivoire avait. Est-ce qu’on doit retourner à chaque fois dans le cycle de la violence, parce qu’on a des problèmes politiques ? Moi, je ne suis pas politicien. Je suis un ingénieur agronome. Mais j’ai eu des responsabilités politiques que j’ai assumées à un moment donné. Le monde avance et il faut avancer avec lui.

LP : Comment expliquez-vous qu’après deux ans, les Ivoiriens n’arrivent pas à se dépasser pour aller à la paix. Qu’est ce qui coince, selon vous ?
GDF : Je pense qu’on ne s’est pas encore parlé franchement. Je pensais que la CDVR serait le creuset où les Ivoiriens devraient se parler franchement. Mais je n’ai pas encore vu cela. Peut-être qu’il y a des actions qui vont se faire, mais je pense que la communauté internationale doit nous rapprocher. C’est vrai qu’elle a joué un rôle important dans le dénouement de la crise, mais je crois que son rôle n’est pas terminé. Comme on ne se fait pas confiance en Côte d’Ivoire, il faut qu’elle nous aide encore à nous parler franchement, à nous libérer. Il faut cesser de mettre des préalables en avant pour se parler et se pardonner. Tant que le dialogue n’est été engagé franchement, moi, j’ai des peurs.

LP : Vous êtes rentré en Côte d’Ivoire, il y a presque deux ans. Quelle est votre vie ?
GDF : Je suis revenu, je suis un citoyen libre. Je me suis retiré un peu de la politique quotidienne. J’ai demandé ma réintégration à la Fonction publique parce que j’avais été suspendu. Les choses ont été réglées et j’attends ma réintégration. Je suis d’abord fonctionnaire de l’Etat, parce que j’ai étudié l’agronomie en Europe avec une bourse d’Etat. Donc j’attends des propositions de responsabilité pour me mettre au service de l’Etat de Côte d’Ivoire. Entre temps, je réfléchis à certains projets que j’ai soumis aux autorités. Je le fais pour que je sois utile et surtout rassurer ceux qui sont à l’extérieur et qui hésitent encore à rentrer. Pour le moment, je n’ai pas eu une réponse claire et nette. Mais je pense qu’elle est en route. Je veux être en mission pour dire à ceux qui sont encore en exil que, moi Gbamnan, ancien maire de Yopougon, dont certains pourraient penser que nous étions des artisans premiers des tensions qui ont prévalu en Côte d’Ivoire, que je suis rentré et que rien ne m’est arrivé. Je donne ce message partout. Ceux qui m’appellent ou que j’appelle, je leur dis qu’on peut rentrer, être libre et travailler. Je veux être ce témoignage vivant, que les Ivoiriens peuvent rentrer, rencontrer les nouvelles autorités sans être en conflit avec elles. Je suis chez moi, je circule librement. Je voyage et je rentre tranquillement. Tous ceux qui me sollicitent et à qui je peux apporter mon expérience, j’apporte ce concours. Je viens d’un séminaire de gestion d’exploitation agricole dans l’hévéaculture.

LP : Vous qui avez fait l’exil, quel est en général l’état d’esprit de ceux qui sont là-bas et surtout quel est leur regard sur la Côte d’Ivoire ?
GDF : La difficulté est que quand on est en exil, on n’a pas une claire lisibilité de ce qui se passe dans son pays. On est perméable à tous les bruits. Il suffit que vous ayez un message d’un parent, qui vous dit que c’est l’enfer dans votre pays et vous croyez. On vous dit par exemple que tous ceux qui arrivent sont arrêtés et jetés en prison et que les gens attendent dans les quartiers pour lyncher les exilés qui rentrent et cela effraie les pauvres exilés. Dans mon cas par exemple, nous étions un certain nombre de volontaires pour le retour. Mais on nous a dit, la veille, que les autorités nous tendaient un piège et qu’on nous attendait à l’aéroport d’Abidjan pour nous capturer. Beaucoup de mes compagnons ont renoncé au dernier moment. Moi, j’avais déjà ma valise à l’aéroport, j’ai dit que je ne pouvais pas reculer et que je voulais arriver pour voir la Côte d’Ivoire dont on parle, pour voir les nouvelles autorités pour leur dire que j’ai répondu à leur appel. Si on m’arrête dans ce cas, c’est qu’on m’aurait menti, donc je suis rentré. Et ça s’est très bien passé. Tout le monde sait que l’ancien maire de Yopougon est un militant FPI. Il a été le directeur de campagne de Laurent Gbagbo. Mais quand la campagne est finie, c’est fini. On a proclamé les résultats, il y a des négociations et on a dit qu’Alassane Ouattara est le vainqueur. Pour moi, ma mission est terminée. Quand on a fait ça, parce que chacun a une conviction politique et qu’on est un citoyen normal, on ne peut pas s’empêcher de revenir en Côte d’Ivoire pour se mettre au service du pays.

LP : Qu’est-ce qui vous a vraiment motivé à revenir au pays ?
GDF : Vous savez, il faut faire l’exil pour comprendre combien l’exilé est en proie à la souffrance. Nous, nous étions au Ghana. On est parti sans rien. En plus, je ne connaissais pas la langue. Je n’y avais pas d’amis, dans ces conditions, il fallait trouver une maison sans un compte bancaire. Ceux qui parlent, ils ne savent pas la souffrance que les Ivoiriens vivent à l’étranger. Je viens d’exil, je pense qu’il faut aider ceux qui sont là-bas à rentrer, quels que soient les péchés ou les fautes qu’ils auraient commises. Nous sommes des hommes, on peut se pardonner. Je ne parle pas de crime de sang, mais si parce que je suis un pro-Gbagbo et que j’ai battu campagne pour lui et que pour ça on doit m’arrêter, ce n’est pas possible en Côte d’Ivoire, au jour d’aujourd’hui. Ce n’est pas en tout cas ce qu’il m’a été donné de constater depuis deux ans que je suis rentré. Il faut que cette réalité-là soit portée à la connaissance de nos frères en exil. Et que ceux qui souffrent, surtout des personnes innocentes, puissent regagner le pays. Parce que, je le répète, les gens souffrent énormément. Certains n’ont même pas de quoi acheter un comprimé. Pourquoi donc vouloir les maintenir en exil par des informations erronées ? Je crois qu’il faut dépasser tout ça et encourager les gens à rentrer. Ceux qui disent aux gens de ne pas rentrer, sont pourtant en Côte d’Ivoire, ils se déplacent, ils sont libres et ils mangent à leur faim. Je pense qu’il faut maintenant arrêter de faire souffrir ses parents. C’est ce message que je voulais que ceux qui sont à l’extérieur comprennent. Mais dès que tu dis ça, on te taxe de traitre. Il y a des gens qui pensent qu’ils sont les plus grands politiciens de la terre entière. Ils diront qu’on a acheté Gbamnan Djidan, mais je suis déterminé à aller au contact de l’autre. Et surtout aider les Ivoiriens qui souffrent. Il faut éviter l’extrémisme. On dit aux gens de ne pas rentrer alors que nous-mêmes, on est là. Ce n’est pas bon d’agir ainsi.

LP : Tout récemment, il y a eu la libération de certains responsables politiques, notamment Pascal Affi N’Guessan, le président de votre parti, qui a repris les activités politiques. Quel est votre regard sur cet acte qui a fait beaucoup de bruits en Côte d’Ivoire ?
GDF : Je suis très heureux que le président Affi soit libéré. Parce que je sais que le Président Alassane Ouattara est un homme moderne, c’est un intellectuel qui sait que c’est un avantage pour lui qu’il y ait une opposition en face de lui. Il sait qu’il ne doit pas écouter les faucons qui lui disent : fais ceci, fais cela. Il n’a pas forcément besoin des partisans ou courtisans pour avancer. Parce que comme je le dis à la fin de son mandat, c’est son bilan que les Ivoiriens feront. Je pense que quelqu’un qui dit qu’il veut un pays démocratique où la loi s’applique, il faut l’aider à y parvenir. Il faut que la démocratie s’exerce, parce que le FPI a aussi ses militants. C’est le manque de démocratie et quelquefois le non respect des institutions de la République qui nous envoient à des dérapages. Mais la seule chose que je voudrais relever, c’est la reconnaissance et le respect des nouvelles autorités. On peut dire tout ce qu’on veut, mais aujourd’hui, celui qui signe les actes, celui qui nomme aux emplois, celui qui est responsable de la Côte d’Ivoire, c’est Alassane Ouattara. Il faut reconnaître ça d’abord. A partir de ce moment-là, toutes les discussions sont possibles. Il faut que ces discussions soient franches. Il faut qu’on discute franchement pour dire : voilà ce qu’on peut faire, voilà ce qu’on ne peut pas faire, voilà où la justice intervient, voilà où le compromis est possible. C’est pourquoi je pense que la libération du président du FPI est une bonne chose, qui détend l’atmosphère et on peut laisser maintenant le Président de la République travailler tranquillement. Il faut alors qu’il désigne les gens responsables pour discuter avec l’opposition pour avoir des compromis et faire avancer ce pays. Cela rentre dans l’intérêt de tous les Ivoiriens.

LP : Justement, pour le FPI, sans la libération de l’ancien président Laurent Gbagbo, il n’aura pas de réconciliation. Pensez –vous que c’est une requête légitime ?
GDF : Le président Gbagbo a eu à jouer un rôle important en Côte d’Ivoire. Il a été le président de la République et le Président Alassane dit que c’est son ‘’ami Laurent’’. On a vu cela lors du débat historique entre les deux hommes. C’était un débat de haut niveau entre deux personnalités ivoiriennes et je pense que c’est un tournant important pour la Côte d’Ivoire. Malheureusement, les choses ont dérapé. Aujourd’hui que nous sommes en train d’évoluer vers la paix, je pense que le président Gbagbo a un rôle à jouer. Maintenant, c’est un problème de justice. Si au moins le président Gbagbo était ici en Côte d’Ivoire, on aurait pu jouer sur ce préalable. Mais aujourd’hui, il est dans un processus judiciaire international. Je pense que comme on le dit, si la justice internationale est indépendante, autonome et crédible, on a espoir qu’elle tranche équitablement. Si vraiment le président Gbagbo est reconnu non coupable, qu’on le libère. Moi, c’est mon principe. Maintenant, est ce que, aujourd’hui, le Président Alassane Ouattara a la possibilité de le faire libérer ? Je ne connais pas les arcanes de la justice, mais moi en tant qu’Ivoirien, pour que la réconciliation nationale soit totale, je souhaite ardemment que le président Gbagbo soit libéré. Mais je précise que ce n’est pas par les préalables qu’on réglera nos problèmes. Je note que les discussions entre le pouvoir et l’opposition se tenaient déjà avant que le président Affi ne sorte, le FPI était en négociation avec le gouvernement. Je pense que ce sont dans ces échanges qu’on peut avancer. Je crois en ces négociations et je veux qu’elles se poursuivent afin que la Côte d’Ivoire retrouve la paix, la confiance entre ses fils et filles et que nos enfants aient une espérance. Il faut que les hommes politiques inspirent confiance. Parce que ce sont ces hommes qui conditionnent les populations. C’est leurs discours qui sont suivis. C’est pourquoi, quand les politiciens ne sont pas tolérants les uns envers les autres, les conflits sont perpétuels.

LP : Permettez-nous d’insister. pour vous, sans Gbagbo, la réconciliation en Côte d’Ivoire n’est-elle pas possible ?
GDF : On ne peut pas dire sans une personne, il n’y a pas de réconciliation. Je ne peux pas rentrer dans ces débats. Mais il y a des instruments qui ont été mis en place et on est en train d’aller à la réconciliation. Il est vrai qu’il y a des difficultés et il faut le dire. Parce que c’est quand même difficile d’imaginer que les populations de Mama soient heureuses quand leur fils est arrêté. Personne ne souhaiterait cela pour son enfant. Donc c’est normal qu’il y ait des gens qui ne croient à l’évolution de la Côte d’Ivoire que si les libérations sont totales. C’est humain et c’est normal. Des gens qui ont travaillé avec Gbagbo ne peuvent pas ne rien dire devant le fait qu’il soit en prison. Ce serait se mentir à soi-même. Mais dire que la Côte d’Ivoire ne pourra pas évoluer vers la réconciliation sans la libération d’untel, me paraît extrême. Mais je le dis encore, mon souhait est que si nous voulons aller vraiment à la réconciliation totale, il faut qu’on libère toutes les énergies de sorte que les gens retrouvent la confiance, en disant que la Côte d’Ivoire, c’est notre bien à nous tous. C’est ainsi que le peuple ivoirien profitera des importants investissements qui sont faits maintenant. Opposants comme ceux qui sont au pouvoir, il faut que chacun s’investisse à cela.

LP : Vous avez dit que vous êtes un homme de paix. Vous avez pris du recul. Entre le FPI et vous, c’est fini ?
GDF : Non, je n’ai pas démissionné du FPI. Je suis militant du FPI. Mais je dois dire que j’ai eu beaucoup de frustrations. Il y a des gens qui se croient plus politiciens que les autres et je regrette cela. J’étais le gérant d’une commune. Et quand je m’investissais dans les pèlerinages des musulmans et des chrétiens au même titre, quand j’organisais les femmes dans les marchés, on me disait : non, il faut se concentrer sur les militants. Et je répondais que ce n’était pas ça la vision de ma politique. Pour moi, il faut rassembler les gens autour de ce que vous faites, si on dit qu’on est socialiste, c’est le partage. Et je me suis rendu compte que pendant la campagne, tous ceux que j’ai organisés, sans distinctions de confessions religieuses, d’appartenance politique, se sont mobilisé pour moi. Ils n’étaient pas forcément dans notre camp, mais du fait que j’ai été à leur disposition, que je les ai aidés, que j’ai pleuré avec eux, etc. les gens ont compris qu’il fallait aller où je partais. Je suis allé à la Mosquée pour présenter la candidature de Gbagbo et j’ai dit aux musulmans que ceux qui veulent le suivent, qu’ils le suivent. C’est un discours que les gens ont compris. C’est cela pour moi la politique. Rester dans son petit coin et dire qu’on est un grand politicien, ce n’est pas comme cela que je vois la politique. Je prie pour que ce discours que je tiens soit entendu. Gbamnan Djidan n’est pas un traitre ni un acheté. Je veux la paix pour ma commune et pour la Côte d’Ivoire. Voyez-vous, on s’étonne que je parte féliciter Koné Kafana après son élection. Je suis respectueux des institutions. Celui qui me remplace aujourd’hui à la mairie, c’est Koné Kafana. C’était une autre personne que je serais parti la saluer et lui dire mes félicitations. C’est ça la nouvelle Côte d’Ivoire que nous voulons. Il faut que les mentalités changent sinon, nous allons aller à la catastrophe. Je suis fatigué des discours guerriers. C’est pourquoi je veux voir où va ce pays avant de m’engager. Parce que je ne veux pas être demain comptable d’une situation. On dira que c’est parce que vous n’avez pas respecté les institutions de la République que ceci ou cela est arrivé. Je veux voir clair avant de marcher. Je ne veux pas marcher dans le vide. Donc je n’ai pas démissionné, je suis militant bien que j’ai pris de nombreux coups. Parce que les ennemis, ce n’est pas forcément dans le camp des autres. Dans votre camp, il y a des gens qui creusent votre tombe. Il y a des gens qui ont mangé ici avec moi et qui témoignent que j’ai acheté des armes que j’ai distribuées à des jeunes. Alors que ce n’est pas vrai. Moi-même l’argent ne me suffisait pas. Comment vais-je payer des armes pour donner aux enfants des gens pour aller se faire tuer ? Jamais Gbamnan ne l’a fait et ne le fera. Mais il y a des gens qui sont prêts à mentir parce qu’ils veulent vous nuire. Je trouve cela intolérable et c’est pour cela que j’ai pris cette position. Le moment où je vais parler arrivera et je parlerai de ces menteurs qui ne font en réalité pas de la politique. La politique, ce n’est pas le mensonge. C’est dans cette logique que des gens disent que je suis conseiller spécial du Président de la République, que je suis conseiller de Koné Kafana, etc. Il est temps de se départir de ces mensonges. Il faut arrêter de mentir à la population. J’étais au Ghana, un pays où les pouvoirs se succèdent sans guerre. En France, hier c’était Sarkozy, aujourd’hui, c’est Hollande. Le monde avance. C’est pourquoi je dis qu’on ne peut pas se fermer les yeux pour soutenir aveuglement les positions qui ne sont pas bonnes.

Interview réalisé par Y. Sangaré et Lacina Ouattara
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