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Économie Publié le mardi 10 décembre 2013 | Nord-Sud

Lutte contre la cherté de la vie Le gouvernement a-t-il la solution ?

Victimes de la vie chère, les consommateurs ivoiriens semblent se contenter de scruter l’horizon en gardant espoir…


Son langage contraste avec celui (habituel) d’un membre d’une équipe gouvernementale. Jean-Louis Billon, ministre du Commerce, de l’artisanat et des Pme, fidèle à son discours direct, a révélé aux journalistes, au cours de la tribune d’échan­­ges «Rendez-vous du gouvernement«, le 21 novembre dernier, qu’«Abidjan fait partie des villes les plus chères au monde ». Le premier responsable de la lutte contre la vie chère venait ainsi de mettre de l’eau au moulin de ceux qui clament qu’il n’existe aucune politique efficace de lutte contre l’inflation. Le gouvernement a-t-il la solution face à cet épineux problème ? Pour le ministre, la réponse est affirmative. Toutefois, il a argué qu’il faut du temps car cette situation est due à la faible compétitivité du pays. « La Tva au Ghana est de 12%, contre 5% pour le Nigeria et 18% pour la Côte d’Ivoire. Vous comprenez que nos produits sont plus chers que ceux de ces pays. D’où le problème de compétitivité », a-t-il expliqué. M. Billon ne veut pas porter seul le chapeau de la hausse généralisée des prix.

La volonté politique fait-elle défaut ?

Parce que même s’il a avancé que l’Etat est conscient de la situation et n’est pas indifférent, il a évoqué la nécessité d’une action d’envergure pour mettre fin à l’inflation. « La lutte contre la vie chère ne peut être l’apanage du seul ministère du Commerce. C’est une question transversale. Il faut une volonté politique affichée afin de parvenir à réduire le coût de la vie», a-t-il glissé. Les propos du ministre sont sans ambiguïté. La nécessité d’une réforme au niveau fiscal et dans bien d’autres domaines afin d’avoir des produits moins chers, s’impose. En attendant, la Côte d’Ivoire, ayant opté pour le libéralisme économique, ne peut agir que sur la fixation des prix de trois produits majeurs dont les coûts sont homologués. « Le pain, le carburant et le gaz sont les seuls produits qui ne sont pas concernés par la libre concurrence », a-t-il fait savoir. Le ministre s’est également insurgé contre les monopoles et autres positions dominantes qui ne profitent guère aux populations et contribuent à renchérir les prix des marchandises. Dans ce sens, le projet de loi ratifiant l’ordonnance n°2013-662 du 20 septembre 2013 relative à la concurrence a été adopté à l’unanimité par la Commission des affaires générales et institutionnelles du Parlement ivoirien, le 28 novembre dernier. Ce texte, au dire de M. Billon, aidera à gagner le combat contre les monopoles et les abus de position dominante à l’image des Etats-Unis et des pays européens. Cependant, ces promesses sont loin de convaincre les associations consuméristes. La Fédération des associations de consommateurs actifs de Côte d’Ivoire (Faca-ci) pointe un doigt accusateur vers l’Etat. Selon son président, Marius Comoé, il ne s’agit pas de mettre en place une commission de la concurrence. Il faut que celle-ci ait les moyens de sa politique. En outre, selon lui, il urge de doter les agents assermentés pour effectuer les contrôles de prix au ministère du Commerce de moyens matériels et de locomotion adéquats. « Certains agents n’ont même pas de véhicules pour faire le tour des différents marchés des villes de l’intérieur du pays », révèle-t-il.

L’aveu des commerçants

Il suggère une application effective des textes de lois qui régissent le commerce en Côte d’Ivoire. « Il s’agit de faire en sorte qu’un importateur ne dépasse pas une marge bénéficiaire de 3%. Qu’un grossiste ne perçoive pas plus de 6% de bénéfice et que les détaillants n’aient pas plus de 12%», préconise-t-il. C’est pourquoi, il conseille une large sensibilisation sur l’ensemble de la législation relative à l’activité commerciale. Mais au-delà, Marius Comoé exhorte le gouvernement à s’engager dans une production suffisante des produits vivriers, notamment le riz. « Que des projets d’élevage se multiplient pour que notre pays atteigne l’autosuffisance en viande », souhaite-t-il. Très prolixe sur cette question, le président de la Faca-ci attire l’attention des dirigeants sur les cautions élevées des maisons qui alourdissent les dépenses des locataires. Le président de la Fédération nationale des commerçants de Côte d’Ivoire (Fenacci), Farik Soumahoro, quant à lui, balaie du revers de la main les accusations dont les opérateurs économiques font l’objet sur la question de la vie chère par une franche de la population. « C’est plutôt du côté de l’Etat qu’il faut rechercher les raisons de cette situation », affirme-t-il. Et pour cause, dira M. Soumahoro, les commerçants sont victimes des dispositions législatives et réglementaires qui favorisent l’inflation.
« Les frais de douanes, les impôts qui augmentent de façon incontrôlée, cha­que année, sans tenir compte du contexte général de l’économie, grèvent nos activités et contribuent à renchérir le coût des produits », souligne-t-il. Poursuivant, le président de la Fenacci n’omet pas de relever les conséquences désastreuses du racket des forces de l’ordre, ce serpent de mer. « Sur nos routes, même si le racket a diminué, force est de reconnaître qu’il continue d’exister et occasionne des faux frais que nous répercutons sur les consommateurs », avoue-t-il. Face à toutes ces préoccupations, pour l’enseignant d’économie à l’université de Bouaké, Séraphin Prao, « tout porte à croire que le gouvernement n’a pas de solutions ». Il avance que malgré un taux de croissance positif ces deux dernières années, les Ivoiriens vivent difficilement. A son avis, plusieurs raisons peuvent expliquer cette cherté de la vie. « Le Port autonome d’Abidjan (Paa) est très cher », relève-t-il. Quant à Lucien Kouamé, économiste-consultant, la haus­se des prix en Côte d’ivoire, depuis quel­ques années, est due à de nombreux facteurs. A savoir l’absence d’affichage des prix, donnant libre cours à la spéculation chez certains commerçants ; le défaut de contrôle des prix ou l’inexistence de mesures coercitives face au non-respect des prix préconisés par l’administration publique ; la diversité des taxes sur certains produits, notamment les hydrocarbures ; l’abandon des cultures vivrières nationales (banane, manioc, mais, riz…) au profit de l’hévéaculture, entraînant ainsi une pénurie sur les marchés et enfin le spectre de l’instabilité politique.
Pour ce consultant, les actions à mener sont multiformes. « Une augmentation de salaire sera certes la bienvenue, mais elle seule ne saurait résorber cette hausse galopante des prix. L’Etat doit continuer de jouer sur l’appareil fiscal et remettre à niveau ses subventions sur les carburants et le gaz pour ne pas trop subir les fluctuations du marché international », propose-t-il. Ce qui passe par une sensibilisation afin d’amener les Ivoiriens à reprendre la culture des produits vivriers. Car, dira-t-il, « le riz, le piment, les aubergines qui se vendent aussi bien que l’hévéa, ont une rentabilité immédiate ».


Ahua K.
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