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Sport Publié le mercredi 26 février 2014 | L’intelligent d’Abidjan

Interview / Tamsir Dia, artiste-peintre : ‘‘Que l’Etat apprenne à acheter les œuvres des artistes’’

Emotion. C’est le mot qui revient aux lèvres de Tamsir Dia qui, grâce à l’exposition ‘’Esprit Vohou vohou, es-tu là ?’’ à la Rotonde des arts contemporain à Abidjan, retrouve une de ses œuvres qu’il avait perdu de vue depuis trente-trois ans. «Formidable !», s’exclame l’artiste-peintre. S’il est vrai qu’il n’est pas membre de l’Ecole d’Abidjan, le Vohou vohou, Tamsir Dia – comme l’impressionnisme, le cubisme – l’a enseigné à ses élèves. Cette exposition, témoin, une «bénédiction», selon Tamsir Dia, ouvre le débat [avec Tamsir] sur l’art en Côte d’Ivoire et l’intérêt que portent les autorités ivoiriennes pour les artistes – en général.
Depuis, de l’atelier de Yankel, aux Beaux Arts de Paris, où vous poursuiviez avec vos collègues plasticiens ivoiriens vos études, des œuvres que vous y avez produites et que vous n’avez plus revues refont surface grâce à l’exposition rétrospective ‘’Esprit Vohou vohou, es-tu là ?’’ qui a cours à la Rotonde des arts contemporains, une belle retrouvaille ?
C’est l’émotion. C’est une rencontre formidable ! La galerie [Rotonde des arts Contemporains, Ndlr] permet aux Ivoiriens de se retrouver et de retrouver tout ce qu’on a crée – parce que moi, j’y ai une œuvre [sans titre, Ndlr] qui date de trente-trois (33) ans. Je la retrouve à Abidjan, c’est formidable. Il y a Dosso [Moussa – peintre Vohou vohou, Ndlr] que je n’ai pas revu depuis combien d’années, de même que Tano [Siméon, peintre Vohou vohou, Ndlr], Koudougnon [Théodore, peintre Vohou vohou, Ndlr]. Nous nous sommes retrouvés et nous nous rappelions des souvenirs – nous avions été aux Beaux arts, à Bingerville – à l’école des arts appliquées.

Quel est pour vous le souvenir que vous gardez de cette œuvre – sans titre – qui date de trente ans ?
C’est extraordinaire parce que je ne m’attendais pas à voir cette œuvre en Côte d’Ivoire. Cette œuvre était au Musée des arts premiers à Paris. Je n’ai rien compris quand on me dit que cette œuvre transite au Mali. Je la retrouve en Côte d’Ivoire et les gens – comme moi – sont surpris de la voir.

Est-ce une œuvre que vous avez cédée à cette époque ?
Non. A l’époque, tous nous avions prêté à notre professeur qui nous avait encadrés en France, Yankel. Il les avait exposés au Musée des arts océaniens qui est devenu le Musée des arts premiers. Maintenant, nous apprenons que ces œuvres appartiennent au Musée des arts de Bamako. Sinon, les œuvres n’avaient pas été vendues pour être achetées. C’étaient des œuvres qui avaient été prêtées pour faire une exposition de tous les artistes ivoiriens qui étaient dans l’atelier Yankel. Voilà comment les choses se sont passées. Mais, aujourd’hui, que cette œuvre se trouve à Bamako ou en Côte d’Ivoire – dans un pays africain, je trouve que c’est formidable.

‘’Esprit Vohou Vohou es-tu là ?’’ est le thème de l’exposition qui interroge sur la vie aujourd’hui cette école d’art pictural née à Abidjan dans les années 70. L’esprit continue-t-il de vivre selon vous ?
Comme le professeur Yacouba [Konaté, Ndlr] l’a dit, l’esprit Vohou existe, c’est un art. Quand on se retrouve, quand on échange, dans les écoles – quand les élèves s’interrogent – on leur en parle. J’ai été enseignant, j’ai expliqué le Vohou vohou aux élèves. En passant des impressionnistes au cubisme, pour leur faire comprendre qu’il y a ici, en Côte d’Ivoire, une école. Particulièrement, je ne suis pas Vohou mais, mes promotionnaires étaient dans ce groupe. On avait des liens fraternels et amicaux et on s’est bien amusé.

Cette exposition qui rappelle ces liens fraternels et amicaux et qui ont donné force aux Vohou, n’est-ce pas un appel lancé pour retrouver un esprit aujourd’hui dispersé ?
C’est une bénédiction. On doit remercier le Seigneur pour cela. Je pense qu’on doit remercier tous ceux qui ont contribué à cela : Messieurs Abou Kassam, Yacouba Konaté, Yaya [Savané, Ndlr] et la Fondation de la Rotonde. On doit leur en être reconnaissant. Le ministère de la Culture de la Côte d’Ivoire doit penser à se rapprocher un peu plus parce que jusqu’à présent, aucun ministre de la Culture ne se rapproche des artistes. Ce n’est pas sérieux ! On nous prend pour des moins que rien. Il faut que les gens comprennent que nous sommes-là, nous existons. Madame Diabaté [Henriette, Ndlr] a fait la Biennale [de Venise]. Il faut maintenant que les autres sachent qu’on a un patrimoine. Que l’Etat apprenne à acheter les œuvres des artistes. Il ne faut pas que ces œuvres soient seulement achetées par des gens de l’extérieur qui, un jour vont revenir [au pays d’origine, Ndlr] et on dira qu’elles nous appartiennent ou c’est notre bien. Il faut arrêter ça. La Côte d’Ivoire doit avoir un Musée, un patrimoine culturel d’artistes. Voici la preuve, la Côte d’Ivoire n’en a pas. Les ministres qui se sont succédé ne savent même pas ce qu’est le Vohou, si ce n’est dans un journal qu’ils apprennent qu’un artiste est mort. Il faut y mettre fin.

Officiellement, pour la première fois récemment, la Côte d’Ivoire a présenté quatre artistes, dont vous, à la Biennale de Venise en disposant d’un pavillon. Une foire des arts contemporains africains s’est tenue la même année en 2013 à Londres [une première], quel regard portez-vous sur ce marché des arts contemporains africains ?
C’est la preuve que si nos ministres, nos gouvernants ne nous considèrent pas, il y a des gens qui savent qu’il existe quelque chose dans le berceau de la Côte d’Ivoire. Cela est dommage chez l’Ivoirien. L’Ivoirien n’achète que quand quelqu’un à l’étranger, un européen blanc dit que c’est bon. Ce n’est pas ce qu’on leur demande. Tout s’apprend dans la vie. Les gens s’achètent des voitures de 50, 40, voire 100 millions FCFA. Ils se construisent des maisons à hauteur d’un milliard, alors qu’avant ils portaient des sandales. C’est démentiel, c’est pratiquement abrutissant. C’est ahurissant ! Il faut qu’ils y mettent fin et se souviennent qu’en Côte d’Ivoire, en Afrique, on a des artistes, des musiciens, des hommes de théâtre – aujourd’hui le théâtre n’existe plus en Côte d’Ivoire alors que c’était l’un des meilleurs. Aujourd’hui, les Ivoiriens ne savent même pas ce que c’est que le théâtre. On riait, il y avait de l’humour avec Groguhet [Léonard, Ndlr] et autres. Rien de tout ça aujourd’hui. Les gens parlent seulement de politique comme si cela les nourrissait. Ce sont les arts de la culture qui font le patrimoine et la richesse d’un pays. Sinon, la France n’est rien en tant que telle. Ce qui fait la valeur de la France dans le monde c’est ce qu’elle a pris ailleurs dans tous les pays du monde pour faire le Musée du Louvres, le Musée des arts moderne, le Musée Georges Pompidou, etc. C’est ce qui leur attire des touristes. En réalité, la France est un pauvre pays.

Ceci sonne, la réappropriation et la reconsidération de nos cultures…
Oui, nous avons nos cultures. On ne dit pas de ne pas prendre ailleurs. Prendre ailleurs, c’est ce qui fait la diversité dans le monde. Cette diversité universelle doit exister mais, il faut qu’on comprenne que chez nous, on en dispose. On peut en acheter chez les Ghanéens, les Maliens et créer un patrimoine qu’on pourra brandir – dire voici ce que la Côte d’Ivoire a pu acquérir par son intelligence, son goût, son savoir-faire et par son ambition culturelle. Avec soixante trois (63) ethnies dont nous disposons, nous n’avons rien ! Nos masques et cultures sont partis. En Côte d’Ivoire, j’en connais des jeunes artistes qui réussissent et qui sont talentueux. Il y a une très grande relève. Pour ma part, j’ai eu la chance d’aller trois fois à la Biennale de Dakar – Mathilde Moreau y a été, de même qu’en Afrique du Sud. J’ai été deux fois à la Biennale de Venise. Si nous étions des cancres, croyez-vous qu’on allait nous y inviter ! C’est le bonheur d’être Ivoirien, cette richesse de l’être qui doit nous amener à élever notre esprit. Houphouët [Félix H-Boigny, Ndlr] nous l’a montré mais, cela ne suffit pas. Les jeunes créent des tableaux et personne pour les acheter pendant que des voitures s’achètent. Quand tu en parles, on dit que tu es jaloux.

N’est-ce pas une question de goût et de culture pour l’art et un manque d’accompagnement de l’art?
Il faut que les autorités comprennent que cette richesse existe et que dans les ministères, des œuvres d’arts doivent figurées. Dans une banque que je ne citerai pas ou je suis allé, ce sont des photocopies, des reproductions des peintres français impressionnistes. Je les ai interpellés qu’il y a des artistes ici qui vendent des œuvres au même prix que celles qu’ils affichent. Il y a ici des reproductions, pourquoi ne les achètent-ils pas ? Ce n’est que je suis contre les artistes européens. Mais, je dis que nous avons un savoir-faire, que nous savons créer (Ndlr, d’un air sérieux). Nous avons des chanteurs ivoiriens qui sont en France qui ont fait des créations, aujourd’hui la chanson ivoirienne dont le Coupé-décalé est reconnue dans le monde mais, on ne n’accorde pas de considération. Partout dans le monde, le style Coupé-décalé a été repris. Les télévisions européennes en parlent. Avant, nous copions le style musical congolais, aujourd’hui c’est l’inverse. Le Coupé-décalé est chanté partout dans les festivités mais, nos représentants ici ne nous considèrent pas. Il faut apprendre à considérer et apprécier ce dont on dispose. Nous avons une richesse et une intelligence. Pour exposer à la Biennale de Venise, il a fallu quelqu’un d’autre qui aime la Côte d’Ivoire et qui a montré l’amour qu’il a pour le pays. Nous avons la chance d’avoir Abou Kassam, Yacouba Konaté et Yaya Savané. Pendant la crise en Côte d’Ivoire [la gorge nouée, Ndlr], nous étions là, nous avons peint. Aujourd’hui voici une preuve. Cette exposition est magnifique, extraordinaire. Mais, vous ne verrez aucun ministre qui viendra visiter.

Réalisée par Koné Saydoo
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