Le détail pouvait paraitre anodin pour les non initiés. Mais pour les observateurs avisés, il est assez évocateur des tiraillements internes qui secouent en ce moment le Front populaire ivoirien. Dimanche dernier, à la rentrée politique de l’ex-parti au pouvoir à la place FICGAYO, les spectateurs et autres invités ont fait la remarque suivante. Dès les premières heures, les organisateurs ont distribué des ‘’flyers’’ sur lesquels figurait au recto comme au verso le portrait de Laurent Gbagbo. Ensuite, à quelques minutes du meeting, ce sont des prospectus avec en première page une photo de l’ex-chef d’Etat et à l’opposée celle de Pascal Affi, qui ont été remis aux militants et sympathisants qui ont fait le déplacement. Et lorsque le meeting tirait vers sa fin, comme par enchantement, la photo de Laurent Gbagbo avait disparu. Seul le large portrait d’Affi N’Guessan arborant un sourire triomphal, paraissaient sur les dernières affiches offertes aux militants et sympathisants présents ce jour-là à Yopougon. Le jeu de prestidigitateur dont l’auditoire a été témoin dimanche denier est symptomatique deux réalités. Il démontre, à la première lecture, un changement de cap radical de la haute direction au sujet de l’élection présidentielle de 2015. Tout porte à croire que les dirigeants actuels du FPI ont décidé de jouer à fond la carte Pascal Affi N’Guessan. Il ne s’agit plus maintenant de sauver à tous prix le soldat Gbagbo, englué dans une procédure judiciaire interminable à La Haye. Mais de changer de stratégie pour mieux aborder la question de la reconquête du pouvoir. Pascal Affi N’Guessan et ses camarades savent qu’ils ne peuvent se payer le luxe d’être absent à la mère des élections qu’est la présidentielle s’ils veulent continuer d’exister en tant que parti politique. D’où la nécessité de préparer dès maintenant l’esprit de la base à l’éventualité d’une participation du FPI à l’élection présidentielle de 2015 sans Laurent Gbagbo. Mais avec lui, Affi N’Guessan comme champion. Cependant, faire accepter cette option n’est pas aussi simple qu’il peut le paraitre. Car, une large majorité des inconditionnels de l’ex-parti au pouvoir – et c’est cela la deuxième réalité – n’a pas encore tourné la page Laurent Gbagbo. Nombreux sont ceux dans le ‘’Ggagboland’’ qui rêvent toujours d’un match retour à Abidjan avec leur champion adoré. A ce sujet, le FPI est victime de ses propres turpitudes. Après avoir longtemps entretenu l’illusion d’un retour triomphal du « Machiavel des lagunes », Pascal Affi N’Guessan, Miaka Oureto et les autres sont aujourd’hui rattrapés par l’implacable réalité. Comment faire sortir tous les gbagbophiles indécrottables que constitue le gros lot des militants FPI de leur rêve éveillé ? Que faut-il faire pour les ramener dans notre monde ? Apparemment, les membres du Comité central actuel semblent ne pas avoir l’antidote. C’est la raison pour laquelle ils procèdent par doses homéopathiques, tout en priant qu’au bout de la thérapie le grand malade qu’est la base retrouve toute sa lucidité. Mais, est-ce le bon traitement ? Il faut en douter. Car, pour des cas aussi désespérés que ceux des militants et sympathisants FPI, il faut un véritable traitement de choc. Et celui-ci passe nécessairement par la vérité qui est : « Laurent Gbagbo ne sera pas libéré de sitôt ou ne le sera jamais ». Mais, ce n’est pas demain la veille que les nouveaux gardiens du temple FPI auront le courage décrire la situation de façon aussi crue. Au risque de passer pour des traitres ou pour des Brutus. Comme on peut le constater, la tâche n’est pas aisée pour les caciques de la direction actuelle du FPI qui ont choisi Pascal Affi N’Guessan pour la prochaine bataille présidentielle. Car en face d’eux, il y a des militants qui refusent de faire le deuil de Laurent Gbagbo. Mais l’ancien prisonnier de Bouna et ses amis ont avec eux pour réussir cette entreprise un allié de taille : le temps. Ils ont encore 19 mois pour convaincre. Souhaitons-leur bonne chance !
Jean-Claude Coulibaly
Jean-Claude Coulibaly