Depuis le lundi 17 février 2014, les cours sont perturbés dans nos universités suite à un communiqué du Ministère de tutelle relatif à la mise en place d’un Conseil d’Etudiants au sein des universités ivoiriennes à l’image de ce qui se passe, en la matière, dans certains pays développés. Ce projet a été perçu par certains responsables d’associations estudiantines comme une man?uvre de dissolution des associations en milieu universitaire. Ainsi, comme à l’accoutumée, des mots d’ordre ont été donnés et des cours ont été perturbés, des examens annulés, des étudiants délogés des amphithéâtres. Cette situation a également mobilisé la police universitaire qui depuis la réouverture des universités doit assurer la sécurité dans les universités. La confrontation à l’Université Félix Houphouët-Boigny (UFR des Sciences Médicales en particulier) a fait des blessés, dont un étudiant tombé dans le coma.
Sur la base de ce climat d’insécurité (la police nationale a même été appelée à la rescousse), de règlement de comptes entre étudiants et agents de la police universitaire, les enseignants ont décidé par voie syndicale de faire une grève. "Aujourd’hui, les étudiants sont la cible de la police universitaire ; demain ce pourrait être notre tour", selon certains enseignants !
Ainsi, les universités réhabilitées après la crise post-électorale ressemblent aux universités de violence d’autrefois. L’on est donc tenté de se demander pourquoi "le départ nouveau" (slogan de la réouverture des universités) est sur le point de se transformer en un "arrêt nouveau" c'est-à-dire de retour à la case départ.
Cette situation est liée à diverses raisons dont la méconnaissance de la violence qui régnait dans nos universités avant la crise post-électorale, la politique velléitaire des autorités de tutelles face aux premières violences enregistrées dans nos universités.
La méconnaissance de la violence qui régnait dans nos universités
Les mêmes causes produisent les mêmes effets, dit- on. L’état des lieux de la violence n’a pas été fait à la réouverture des universités qui souffraient encore d’une violence endémique. Le slogan " départ nouveau" avait besoin d’un contenu, notamment agir sur les facteurs de la violence en milieu universitaire. Mais, reléguant au second rang le facteur humain, l’on a pensé que seule la réhabilitation suffirait comme une baguette magique pour soigner les maux de nos universités. Avec le traumatisme de la crise post-électorale, tout était beau et le moment peu propice à la critique même constructive, en ces temps des émotions là.
Ainsi, nos universités ont rouvert leurs portes dans un environnement de violente latente.
La création d’une police universitaire peu formée dans un tel milieu était d’emblée un projet explosif !
C’est le lieu de rappeler que l’association Ivoirienne de Criminologie (AIC) dans une démarche de diagnostic de la violence à l’école en vue d’une meilleure prévention du phénomène a organisé le 29 novembre 2013 un panel sur le thème : Regards croisés sur la violence en milieu universitaire et scolaire : Quelles solutions durables ? Elle envisage mener des campagnes de sensibilisation sur le phénomène dans les universités et établissements secondaires de Côte d’Ivoire.
La réhabilitation des universités était une occasion en or pour restaurer l’autorité dans nos universités et prévenir les violences notamment celles organisées par certains étudiants à travers des mouvements associatifs. Dès le début, les autorités devaient, à la lumière du diagnostic de la violence qui existait dans nos universités, tenir un langage ferme envers les étudiants. Le projet du Conseil d’étudiants dont il est question aujourd’hui avait toute sa raison d’être.
La politique velléitaire des autorités de tutelle
Mais, les autorités ont tenu un langage ambigu relatif à l’existence des associations estudiantines. Or la situation exceptionnelle de la crise post-electorale était favorable à des mesures exceptionnelles comme la suspension de toutes les activités des organisations estudiantines qui se prennent pour des syndicats. La pilule serait bien passée.
Mais; en lieu et place d’une telle décision, des débats portaient sur la liberté d’association comme si nous étions dans une situation normale. Cette politique velleitaire a contribué à la renaissance de la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire) et la création de d’autres associations telles que le CEECI (Comité des Élèves et Étudiants de Côte d’Ivoire), l’ANECI (Alliance Nationale des Etudiants de Côte d’Ivoire).
Les actes de violence de ce mois de février 2014 ainsi que son cortège de perturbation de cours, de grève, ne sont pas des actes spontanés. Il y a eu des antécédents qui étaient en réalité un ballon d’essai. L’on a même frôlé le pire avec le lynchage manqué du Ministre de tutelle Cissé Bacongo en marge du colloque international d'hommage à la Grande chancelière le Professeur Henriette Dagri Diabaté. Ces actes de violence traduisaient l’état d’un milieu universitaire encore malade de violence. Mais face à ces signes avant-coureurs, comme d’habitude, la réaction a été de trouver des solutions d’urgence de façade. Une charte de non violence a été signée par des organisations estudiantines. C’était un acte d’engagement en vue d’observer la non-violence dans les universités à compter de la rentée 2012-2013. Le représentant du Ministre de l’enseignement supérieur à cette cérémonie n’avait-il pas raison d’affirmer qu’il ne faut pas signer une charte pour la signer, mais pour la faire vivre comme symbole de la non-violence, en milieu universitaire ?
Les violences survenues après cette charte ont inspiré l’idée d’un projet de création d’un observatoire de la non-violence et des menaces de sanctions disciplinaires à l’encontre des présumés auteurs.
Il faut sortir de cette pratique de gestion de violence qui consiste à vouloir régler dans l’urgence, de façon ponctuelle, ces situations et croiser les bras pour attendre une nouvelle manifestation de la violence. Le contexte actuel présente un risque de récupération politique des crises sempiternelles de nos universités qui risquent de toucher les établissements secondaires, caisses de résonance des violences universitaires.
Pour une véritable politique de prévention de la violence en milieu universitaire, il faut tout d’abord mettre fin à l’impunité. Les autorités de tutelle doivent assumer leurs décisions et être proactives. Le double langage ne fera que favoriser la violence. Une culture de non-violence est possible dans nos universités et cela dépend d’une responsabilité individuelle et collective.
Par ailleurs, il faut continuer à agir sur les problèmes classiques du monde universitaire qui sont entre autres des questions d’équipement des laboratoires, des bibliothèques, de constructions d’amphithéâtres, des difficultés de restauration, de logements, de déplacements et de connexion à internet. Ces problèmes classiques sont des facteurs de tensions dans nos universités.
A l’Université Félix Houphouët-Boigny par exemple, il n’existe qu’une trentaine d’amphithéâtres pour un effectif estimé à 60.000 étudiants. En ce qui concerne la police universitaire, mise aujourd’hui sur le banc des accusés, il faut parvenir à un consensus et en faire bon usage. Une fois l’accalmie, il faut mettre en ?uvre les projets de renforcement de capacités des agents de cette police. Une police universitaire non formée sera toujours source de violence.
L’implantation de cette police au sein des universités a souffert d’un déficit de communications. C’est à la faveur de cette crise que l’on commence à mieux expliquer le rôle de cette police pour favoriser un climat de collaboration entre les différents acteurs du milieu universitaire. Ne pouvait-on pas prévenir ces violences ? Et demain ?
Dr Ballo Yacouba
Criminologue, Président de l’Association Ivoirienne de Criminologie
Enseignant-Chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny
Ufr Criminologie
Sur la base de ce climat d’insécurité (la police nationale a même été appelée à la rescousse), de règlement de comptes entre étudiants et agents de la police universitaire, les enseignants ont décidé par voie syndicale de faire une grève. "Aujourd’hui, les étudiants sont la cible de la police universitaire ; demain ce pourrait être notre tour", selon certains enseignants !
Ainsi, les universités réhabilitées après la crise post-électorale ressemblent aux universités de violence d’autrefois. L’on est donc tenté de se demander pourquoi "le départ nouveau" (slogan de la réouverture des universités) est sur le point de se transformer en un "arrêt nouveau" c'est-à-dire de retour à la case départ.
Cette situation est liée à diverses raisons dont la méconnaissance de la violence qui régnait dans nos universités avant la crise post-électorale, la politique velléitaire des autorités de tutelles face aux premières violences enregistrées dans nos universités.
La méconnaissance de la violence qui régnait dans nos universités
Les mêmes causes produisent les mêmes effets, dit- on. L’état des lieux de la violence n’a pas été fait à la réouverture des universités qui souffraient encore d’une violence endémique. Le slogan " départ nouveau" avait besoin d’un contenu, notamment agir sur les facteurs de la violence en milieu universitaire. Mais, reléguant au second rang le facteur humain, l’on a pensé que seule la réhabilitation suffirait comme une baguette magique pour soigner les maux de nos universités. Avec le traumatisme de la crise post-électorale, tout était beau et le moment peu propice à la critique même constructive, en ces temps des émotions là.
Ainsi, nos universités ont rouvert leurs portes dans un environnement de violente latente.
La création d’une police universitaire peu formée dans un tel milieu était d’emblée un projet explosif !
C’est le lieu de rappeler que l’association Ivoirienne de Criminologie (AIC) dans une démarche de diagnostic de la violence à l’école en vue d’une meilleure prévention du phénomène a organisé le 29 novembre 2013 un panel sur le thème : Regards croisés sur la violence en milieu universitaire et scolaire : Quelles solutions durables ? Elle envisage mener des campagnes de sensibilisation sur le phénomène dans les universités et établissements secondaires de Côte d’Ivoire.
La réhabilitation des universités était une occasion en or pour restaurer l’autorité dans nos universités et prévenir les violences notamment celles organisées par certains étudiants à travers des mouvements associatifs. Dès le début, les autorités devaient, à la lumière du diagnostic de la violence qui existait dans nos universités, tenir un langage ferme envers les étudiants. Le projet du Conseil d’étudiants dont il est question aujourd’hui avait toute sa raison d’être.
La politique velléitaire des autorités de tutelle
Mais, les autorités ont tenu un langage ambigu relatif à l’existence des associations estudiantines. Or la situation exceptionnelle de la crise post-electorale était favorable à des mesures exceptionnelles comme la suspension de toutes les activités des organisations estudiantines qui se prennent pour des syndicats. La pilule serait bien passée.
Mais; en lieu et place d’une telle décision, des débats portaient sur la liberté d’association comme si nous étions dans une situation normale. Cette politique velleitaire a contribué à la renaissance de la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire) et la création de d’autres associations telles que le CEECI (Comité des Élèves et Étudiants de Côte d’Ivoire), l’ANECI (Alliance Nationale des Etudiants de Côte d’Ivoire).
Les actes de violence de ce mois de février 2014 ainsi que son cortège de perturbation de cours, de grève, ne sont pas des actes spontanés. Il y a eu des antécédents qui étaient en réalité un ballon d’essai. L’on a même frôlé le pire avec le lynchage manqué du Ministre de tutelle Cissé Bacongo en marge du colloque international d'hommage à la Grande chancelière le Professeur Henriette Dagri Diabaté. Ces actes de violence traduisaient l’état d’un milieu universitaire encore malade de violence. Mais face à ces signes avant-coureurs, comme d’habitude, la réaction a été de trouver des solutions d’urgence de façade. Une charte de non violence a été signée par des organisations estudiantines. C’était un acte d’engagement en vue d’observer la non-violence dans les universités à compter de la rentée 2012-2013. Le représentant du Ministre de l’enseignement supérieur à cette cérémonie n’avait-il pas raison d’affirmer qu’il ne faut pas signer une charte pour la signer, mais pour la faire vivre comme symbole de la non-violence, en milieu universitaire ?
Les violences survenues après cette charte ont inspiré l’idée d’un projet de création d’un observatoire de la non-violence et des menaces de sanctions disciplinaires à l’encontre des présumés auteurs.
Il faut sortir de cette pratique de gestion de violence qui consiste à vouloir régler dans l’urgence, de façon ponctuelle, ces situations et croiser les bras pour attendre une nouvelle manifestation de la violence. Le contexte actuel présente un risque de récupération politique des crises sempiternelles de nos universités qui risquent de toucher les établissements secondaires, caisses de résonance des violences universitaires.
Pour une véritable politique de prévention de la violence en milieu universitaire, il faut tout d’abord mettre fin à l’impunité. Les autorités de tutelle doivent assumer leurs décisions et être proactives. Le double langage ne fera que favoriser la violence. Une culture de non-violence est possible dans nos universités et cela dépend d’une responsabilité individuelle et collective.
Par ailleurs, il faut continuer à agir sur les problèmes classiques du monde universitaire qui sont entre autres des questions d’équipement des laboratoires, des bibliothèques, de constructions d’amphithéâtres, des difficultés de restauration, de logements, de déplacements et de connexion à internet. Ces problèmes classiques sont des facteurs de tensions dans nos universités.
A l’Université Félix Houphouët-Boigny par exemple, il n’existe qu’une trentaine d’amphithéâtres pour un effectif estimé à 60.000 étudiants. En ce qui concerne la police universitaire, mise aujourd’hui sur le banc des accusés, il faut parvenir à un consensus et en faire bon usage. Une fois l’accalmie, il faut mettre en ?uvre les projets de renforcement de capacités des agents de cette police. Une police universitaire non formée sera toujours source de violence.
L’implantation de cette police au sein des universités a souffert d’un déficit de communications. C’est à la faveur de cette crise que l’on commence à mieux expliquer le rôle de cette police pour favoriser un climat de collaboration entre les différents acteurs du milieu universitaire. Ne pouvait-on pas prévenir ces violences ? Et demain ?
Dr Ballo Yacouba
Criminologue, Président de l’Association Ivoirienne de Criminologie
Enseignant-Chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny
Ufr Criminologie