L’apport de la diaspora africaine dans les budgets nationaux est supérieur dans beaucoup de pays à l’aide au développement venu de l’occident. Sur cet apport, les transferts de fonds ont une part très importante. Cependant, une bonne part de l’argent envoyé par les immigrés africains reste dans les caisses des sociétés de transfert de fonds. Des coûts trop élevés que dénoncent les principaux concernés.
La diaspora africaine perd, environ, deux milliards d’euros par an, du fait des frais d’envoi élevés des services de transfert rapide d’argent, indique un rapport publié mi avril par l’ONG britannique Overseas Development Institute (ODI). D’ailleurs, l’organisation basée à Londres n’est pas la seule à faire ce constat. La diaspora africaine, dans son ensemble, appelle, de tous ses vœux, une baisse des charges liées au transfert d’argent l’Afrique. Pour Cherif Cissé, « les coûts sont trop élevés mais je ne m’en plains pas car j’ai connu bien pire ». En effet, le Sénégalais de 28 ans est en France depuis sept mois après un véritable parcours de combattant migratoire : trois ans en Libye sous Kadhafi, la guerre civile et la chasse aux Africains soupçonnés d’avoir pris parti par l’un des camps oblige Chérif Cissé à traverser la Méditerranée pour l’Italie, à bord de pirogue, avec l’escale à l’île désormais tristement célèbre de Lampedusa avant de rallier Catane. « Tout est relatif mais c’est vrai que c’est une bonne partie de mon budget », sourit-il. « J’envoie de l’argent plusieurs fois par mois, poursuit Chérif Cissé. Les sommes varient de 60 à 150 euros à chaque fois ». Abdoulaye Goudiaby, Guinéen de 65 ans, habitant dans le 10ème arrondissement de Paris, ne dit pas autre chose sur les tarifs élevés des frais de transfert de fonds vers l’Afrique. « Avant les années 2000 et l’arrivée de ces entreprises de transfert rapide d’argent, c’était plus compliqué car on envoyait par mandat poste, ce qui était vraiment plus cher. Même si la situation d’aujourd’hui n’est pas comparable, je pense qu’il est possible de mieux faire », estime-t-il. D’autres ressortissants subsahariens émettent un jugement identique. Le Malien Karim Dembélé, 43 ans, établi à Nanterre, a sa solution pour mieux supporter les frais de transfert : « J’envoie une somme conséquente d’un seul coup ainsi, je peux rester deux mois sans envoyer de nouveau ».
Les frais de transfert de fonds, en France, dépendent du lieu d’habitation. En banlieue et en province, ils sont différents, selon que l’agence soit « dédiée », c’est-à-dire liée directement à la maison mère, en sous-traitance comme à la Poste ou dans les cybers tenus par les Maghrébins et les Pakistanais. Ces derniers dépendent des Directives sur les services de paiement (PSD en anglais). Chérif Cissé habite à Rosny-Sous-Bois (Banlieue) et se déplace jusqu’à Paris pour trouver une agence de transfert d’argent « dédiée » et faire ses envois à la famille restée à Dakar, en Casamance et en Gambie. Karim Dembélé a adopté la même stratégie et se déplace à Paris car il « n’arrive pas à trouver des prix moins chers que ce qui se fait dans le 18ème arrondissement ». Ils sortent tous deux d’une agence d’envoi rapide d’argent du Boulevard de la Chapelle. « Ce sont pourtant les mêmes prix » nous dit-on dans l’une des 25 « agences dédiées » en Île-de-France.
« L’Afrique subsaharienne est la région la plus pauvre du monde mais elle essuie les frais de transfert les plus élevés. Les frais sont en moyenne de 12 % sur les transferts de 200 dollars, ce qui équivaut quasiment au double de la moyenne mondiale », s’indigne Overseas Development Institute. Interrogé par l’Afp à ce sujet, Western Union a affirmé gagner, en moyenne, 5 à 6 % sur les sommes envoyées à travers le monde. L’entreprise se justifie en affirmant que ses prix varient selon les pays à cause d’un certain nombre de facteurs, comme les coûts de protection du consommateur, les taxes locales ou la volatilité des taux de changes. Mais, d’après un doctorant sénégalais en économie sous anonymat, l’entreprise fait un mensonge par omission car la moyenne pour l’Afrique est de 12 %. Les transferts vers l’Asie sont plus faibles, ce qui explique la moyenne mondiale. L’ODI cite le « manque de concurrence » pour expliquer ces coûts élevés, puisque seules deux sociétés de transfert de fonds contrôlent le marché des virements à l’étranger. L’explication est simple pour le chercheur sénégalais : « les entreprises comme Western Union et Money Gram signent des contrats d’exclusivité avec les banques. Elles monopolisent entre 60 et 80 % du marché africain ».
« Abus de position dominante »
Les opérateurs de transferts d’argent sont « en situation d’abus de position dominante, estime le doctorant sénégalais en économie. Nous devons libéraliser le secteur. Nous avons un problème de bancarisation ». Le taux de bancarisation est faible dans des pays comme le Sénégal. L’inversion de la tendance fait dire au chercheur sénégalais que « la diaspora sénégalaise pourrait ne plus passer par des opérateurs non bancaires qui dégagent des marges bénéficiaires avant celles des banques ». Ainsi, les émigrés africains perdent entre 1,4 et 2,3 milliards de dollars par an en frais de transferts excessifs. L’ODI qui sort ces chiffres base ses calculs sur l’écart entre les frais de virement appliqués à l’Afrique et ceux en vigueur dans d’autres régions, ainsi que sur l’objectif international du G8 et G20 de réduire les frais à 5 %. Un tour auprès des différents opérateurs de transfert d’argent qui ont pignon sur rue dans le 18ème arrondissement de Paris permet d’en avoir le cœur net. Pour Money Gram, il faut payer 10 euros de frais pour 200 euros d’envoi. Les frais s’élèvent à 7,90 euros chez Western Union pour la même somme. Pour l’Inde le Népal et le Pakistan, c’est seulement à 500 euros qu’on dépense 11 euros de frais de transfert. Cependant, les pays d’Asie du Sud ont presque les mêmes tarifs que ceux de l’Afrique subsaharienne. Ce qui n’est pas le cas pour les transferts d’argent vers la Chine. Ils ont la spécificité d’être plus élevés que ceux vers l’Afrique pour les mêmes sommes d’argent.
Des solutions pas toujours légales
Il apparaît que l’alignement des frais pour l’ensemble de la diaspora africaine sur la moyenne mondiale produirait suffisamment « de revenus pour financer la scolarisation de quelque 14 millions d’enfants, soit presque la moitié des enfants non scolarisés en Afrique subsaharienne, et pour fournir de l’eau potable à 21 millions de personnes », estime ODI. Dans certaines arrières boutiques du 18 ème arrondissement de Paris, un système moins couteux est clandestinement mis en place par des membres de la diaspora. Il est basé sur la « confiance » (aucun papier de dépôt d’argent n’est fourni) et concerne un réseau de connaissances plus ou moins restreint. Certes illégal, ce système attire les émigrés africains car il n’est pas soumis à la « double peine » des frais encaissés par les entreprises spécialistes de transfert de fonds et par les banques avec lesquelles elles sont en contrat. L’alignement des frais de transfert d’argent vers l’Afrique sur la moyenne mondiale permettrait à la diaspora africaine à l’étranger de mieux participer aux projets et politiques des pays d’origine et d’y peser.
Moussa DIOP
La diaspora africaine perd, environ, deux milliards d’euros par an, du fait des frais d’envoi élevés des services de transfert rapide d’argent, indique un rapport publié mi avril par l’ONG britannique Overseas Development Institute (ODI). D’ailleurs, l’organisation basée à Londres n’est pas la seule à faire ce constat. La diaspora africaine, dans son ensemble, appelle, de tous ses vœux, une baisse des charges liées au transfert d’argent l’Afrique. Pour Cherif Cissé, « les coûts sont trop élevés mais je ne m’en plains pas car j’ai connu bien pire ». En effet, le Sénégalais de 28 ans est en France depuis sept mois après un véritable parcours de combattant migratoire : trois ans en Libye sous Kadhafi, la guerre civile et la chasse aux Africains soupçonnés d’avoir pris parti par l’un des camps oblige Chérif Cissé à traverser la Méditerranée pour l’Italie, à bord de pirogue, avec l’escale à l’île désormais tristement célèbre de Lampedusa avant de rallier Catane. « Tout est relatif mais c’est vrai que c’est une bonne partie de mon budget », sourit-il. « J’envoie de l’argent plusieurs fois par mois, poursuit Chérif Cissé. Les sommes varient de 60 à 150 euros à chaque fois ». Abdoulaye Goudiaby, Guinéen de 65 ans, habitant dans le 10ème arrondissement de Paris, ne dit pas autre chose sur les tarifs élevés des frais de transfert de fonds vers l’Afrique. « Avant les années 2000 et l’arrivée de ces entreprises de transfert rapide d’argent, c’était plus compliqué car on envoyait par mandat poste, ce qui était vraiment plus cher. Même si la situation d’aujourd’hui n’est pas comparable, je pense qu’il est possible de mieux faire », estime-t-il. D’autres ressortissants subsahariens émettent un jugement identique. Le Malien Karim Dembélé, 43 ans, établi à Nanterre, a sa solution pour mieux supporter les frais de transfert : « J’envoie une somme conséquente d’un seul coup ainsi, je peux rester deux mois sans envoyer de nouveau ».
Les frais de transfert de fonds, en France, dépendent du lieu d’habitation. En banlieue et en province, ils sont différents, selon que l’agence soit « dédiée », c’est-à-dire liée directement à la maison mère, en sous-traitance comme à la Poste ou dans les cybers tenus par les Maghrébins et les Pakistanais. Ces derniers dépendent des Directives sur les services de paiement (PSD en anglais). Chérif Cissé habite à Rosny-Sous-Bois (Banlieue) et se déplace jusqu’à Paris pour trouver une agence de transfert d’argent « dédiée » et faire ses envois à la famille restée à Dakar, en Casamance et en Gambie. Karim Dembélé a adopté la même stratégie et se déplace à Paris car il « n’arrive pas à trouver des prix moins chers que ce qui se fait dans le 18ème arrondissement ». Ils sortent tous deux d’une agence d’envoi rapide d’argent du Boulevard de la Chapelle. « Ce sont pourtant les mêmes prix » nous dit-on dans l’une des 25 « agences dédiées » en Île-de-France.
« L’Afrique subsaharienne est la région la plus pauvre du monde mais elle essuie les frais de transfert les plus élevés. Les frais sont en moyenne de 12 % sur les transferts de 200 dollars, ce qui équivaut quasiment au double de la moyenne mondiale », s’indigne Overseas Development Institute. Interrogé par l’Afp à ce sujet, Western Union a affirmé gagner, en moyenne, 5 à 6 % sur les sommes envoyées à travers le monde. L’entreprise se justifie en affirmant que ses prix varient selon les pays à cause d’un certain nombre de facteurs, comme les coûts de protection du consommateur, les taxes locales ou la volatilité des taux de changes. Mais, d’après un doctorant sénégalais en économie sous anonymat, l’entreprise fait un mensonge par omission car la moyenne pour l’Afrique est de 12 %. Les transferts vers l’Asie sont plus faibles, ce qui explique la moyenne mondiale. L’ODI cite le « manque de concurrence » pour expliquer ces coûts élevés, puisque seules deux sociétés de transfert de fonds contrôlent le marché des virements à l’étranger. L’explication est simple pour le chercheur sénégalais : « les entreprises comme Western Union et Money Gram signent des contrats d’exclusivité avec les banques. Elles monopolisent entre 60 et 80 % du marché africain ».
« Abus de position dominante »
Les opérateurs de transferts d’argent sont « en situation d’abus de position dominante, estime le doctorant sénégalais en économie. Nous devons libéraliser le secteur. Nous avons un problème de bancarisation ». Le taux de bancarisation est faible dans des pays comme le Sénégal. L’inversion de la tendance fait dire au chercheur sénégalais que « la diaspora sénégalaise pourrait ne plus passer par des opérateurs non bancaires qui dégagent des marges bénéficiaires avant celles des banques ». Ainsi, les émigrés africains perdent entre 1,4 et 2,3 milliards de dollars par an en frais de transferts excessifs. L’ODI qui sort ces chiffres base ses calculs sur l’écart entre les frais de virement appliqués à l’Afrique et ceux en vigueur dans d’autres régions, ainsi que sur l’objectif international du G8 et G20 de réduire les frais à 5 %. Un tour auprès des différents opérateurs de transfert d’argent qui ont pignon sur rue dans le 18ème arrondissement de Paris permet d’en avoir le cœur net. Pour Money Gram, il faut payer 10 euros de frais pour 200 euros d’envoi. Les frais s’élèvent à 7,90 euros chez Western Union pour la même somme. Pour l’Inde le Népal et le Pakistan, c’est seulement à 500 euros qu’on dépense 11 euros de frais de transfert. Cependant, les pays d’Asie du Sud ont presque les mêmes tarifs que ceux de l’Afrique subsaharienne. Ce qui n’est pas le cas pour les transferts d’argent vers la Chine. Ils ont la spécificité d’être plus élevés que ceux vers l’Afrique pour les mêmes sommes d’argent.
Des solutions pas toujours légales
Il apparaît que l’alignement des frais pour l’ensemble de la diaspora africaine sur la moyenne mondiale produirait suffisamment « de revenus pour financer la scolarisation de quelque 14 millions d’enfants, soit presque la moitié des enfants non scolarisés en Afrique subsaharienne, et pour fournir de l’eau potable à 21 millions de personnes », estime ODI. Dans certaines arrières boutiques du 18 ème arrondissement de Paris, un système moins couteux est clandestinement mis en place par des membres de la diaspora. Il est basé sur la « confiance » (aucun papier de dépôt d’argent n’est fourni) et concerne un réseau de connaissances plus ou moins restreint. Certes illégal, ce système attire les émigrés africains car il n’est pas soumis à la « double peine » des frais encaissés par les entreprises spécialistes de transfert de fonds et par les banques avec lesquelles elles sont en contrat. L’alignement des frais de transfert d’argent vers l’Afrique sur la moyenne mondiale permettrait à la diaspora africaine à l’étranger de mieux participer aux projets et politiques des pays d’origine et d’y peser.
Moussa DIOP