Après l’initiative internationale de la muraille verte au Sahara afin d’endiguer les forces de la nature, voici venir la sécurisation de millions de km² de sable. Entreprise prioritaire certes. Mais à long terme, seule une solution politique et socioéconomique durable prévaudra pour cette population exsangue, devenue un terreau favorable à l’islamisme radical ?
L’opération « Barkhane » a été officiellement lancée, le 1er août dernier. Il s’agit du nouveau dispositif militaire français dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. Néanmoins, « elle repose sur une approche stratégique fondée sur une logique de partenariat avec les principaux pays de la Bande Sahelo-Saharienne (BSS) ». Cette précision émane du site même du ministère de la Défense français. L’époque d’une intervention unilatérale est-elle ainsi révolue ? Souvent taxée de néocolonialisme, la France entend désormais s’entourer de cadre juridique et institutionnel, soit par un mandat onusien ou des accords bi ou multilatéraux, avant de fouler le sol africain.
La Mauritanie, le Mali, le Burkina-Faso, le Niger et le Tchad composent ce nouveau G5 Sahel de 2,5 millions de km² soit cinq fois la superficie de la France. Cette fois-ci, le club du G20 créé en 2006 s’est énormément restreint. Pour rappel, cette mobilisation internationale pour la création d’une grande muraille verte, était une réponse contre l’avancée inexorable du désert de Sahara ; 1 km² par an en temps de sécheresse ; 250 km de recul depuis 1900 sur une bande de 6.000 km de large. La difficulté de mise en œuvre de ce projet pharaonique mettait déjà l’accent sur les risques sécuritaires et terroristes dans certaines régions, principalement au Mali et au Soudan. Sans doute que la lutte contre le terrorisme n’était pas encore la priorité du moment ?
Annoncé par le ministre de la Défense Jean-Yves le Drian, dès le début de l’année, reporté à son lancement à mai pour cause de résurgence terroriste au Mali, il a été enfin officialisé après la tournée fin juillet du président de la République François Hollande auprès de ses homologues africains. Environ 3.500 hommes, 6 avions de chasse, quelques drones et toute la logistique terrestre assureront cette mission dont les objectifs sont les suivants : appuyer les forces armées des pays partenaires de la BSS dans leur action contre les groupes armées terroristes ; contribuer à empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes dans la région. Cette nouvelle opération s’apparente davantage à une réorganisation avec un centre de commandement unifié. Le changement d’attitude de l’état-major de l’armée française se traduit jusque dans la recherche très imagée du nom des opérations. « Serval » est un petit félin moins féroce que ses cousins lions ou guépards ; tandis que l’intervention en Centrafrique porte le nom d’un papillon emblématique de la région : « Sangaris ». « Barkhane » est une dune mobile en forme de croissant, sans cesse modifiée au gré de la force du vent. Comme l’a déclaré le président François Hollande : « plutôt que d’avoir des bases lourdes et difficiles à manier en cas de crise, nous préférons avoir des installations qui peuvent être utilisées pour les interventions rapides et efficaces… ».
En 2008, le président Nicolas Sarkozy a dépoussiéré les accords de défense signés avec les anciennes colonies. Estimant qu’il pouvait alléger la présence militaire française sur le continent, il a décidé de fermer plusieurs bases. En même temps, il a inauguré une autre à Abou Dhabi qui « illustre les responsabilités que la France entend assumer aux côtés de ses partenaires privilégiés, sans une région névralgique ». Le printemps arabe et la montée en puissance d’AQMI en ont décidé autrement. Encore une fois, la réalité du terrain a prouvé que la France reste le pays qui a le plus d’expertise militaire sur le continent africain. Ses partenaires de l’Union Européenne se contentent de cette situation et restent très réservés quant au partage le fardeau financier d’une intervention comme au Mali. Ces dernières années, les mesures successives prises, par les gouvernements français de lutte contre le déficit chronique de son économie, restreignent considérablement le budget du ministère de la Défense. Ceci handicape sérieusement la capacité de projection de l’armée française dans ses Opérations Extérieures (OPEX). Alors que le continent africain, n’a toujours pas, les moyens d’assurer sa propre sécurité malgré la mise en place du plan RECAMP (Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix,) lancé en 1998. Une formation équivalente est d’ailleurs dispensée par les américains pour plusieurs États africains : Deployment Assistance Partnership Team (ADAPT).
Le G 5 du Sahel
L’opération Serval de 2013 au Mali a pris fin en juillet. Seul, un millier d’hommes du contingent français resteront au Mali, principalement à Gao et à Tessalit au Nord. Quant à la Mauritanie, la présence militaire française, depuis 2009, n’a jamais été démentie. Le choix s’est stratégiquement porté sur ce pays pour plusieurs raisons. D’abord, la fermeture de leur base à Dakar a dégarni la façade Atlantique de son dispositif ; elle a dû se réorganiser pour maintenir une capacité d’intervention sur l’Ouest du continent. Ensuite, les geysers de pétrole d’Ouadane ont commencé à jaillir sur les périmètres de prospection alloués à la compagnie Total en 2010. Et enfin, l’enlèvement d’otages occidentaux et la présence d’AQMI ont conforté la France dans le choix de la ville d’Atar, qui s’est presque transformée en une petite ville de garnison française. Les forces spéciales de ces deux pays ont d’ailleurs mené en commun une incursion en profondeur dans le désert d’Akla (Tombouctou) en juillet 2010 ; un raid contre un camp d’AQMI sans que Bamako n’en soit averti !
Tandis que de Niamey et Ouagadougou décolleront les avions de reconnaissance et les drones de surveillance de l’opération Barkhane. Là encore, les missions seront renforcées mais américains et français ont déjà investi les lieux depuis bientôt dix ans. Le président George W Bush a toujours voulu installer des bases américaines à la lisière du Sahel ; mais ses homologues ont poliment refusé. Ceux qui acceptent préfèrent la discrétion, de peur d’attirer les terroristes. On observe souvent des appareils de type « Pilatus » décoller du sandcreeks de Ouagadougou pour des missions de reconnaissance ; mais également des officiers de l’US Army pour le programme ADAPT. Enfin, n’oublions pas que plus de 30% de l’approvisionnement d’uranium français proviennent des mines d’Arlit au Niger. Et qu’en 2011, deux jeunes français ont été enlevés à Niamey par AQMI avant d’être retrouvés morts dans le désert ; sans compter les quatre expatriés d’Areva sont qui restés en captivité jusqu’en novembre 2013. Les observateurs font souvent état de la présence des unités du Commandement des Opérations Spéciales (COS) au Niger et ce dès 2009. Cette mission dite opération Sabre passera sous l’égide de l’opération Barkhane.
La place prépondérante du Tchad
Le centre de coordination opérationnel se trouve maintenant au Tchad même si chaque pays sera doté d’une ou plusieurs bases avancées. Ce choix de l’état-major français pour Ndjamena relève de la présence militaire continue depuis l’opération Épervier de 1986. A l’époque, l’armée libyenne a franchi le 16ème parallèle pour envahir le Nord du Tchad, en violation de l’accord franco-libyen signé deux ans plus tôt. A propos de libyens, Claude Cheysson le ministre des Relations Extérieures de François Mitterrand s’est alors fendu de la fameuse phrase : « ils partent, nous partons, ils restent, nous restons, ils reviennent, nous revenons ». Et pourtant trois décennies plus tard, la France est toujours présente avec ses 1.200 soldats. En remontant le fil du temps, ce territoire revêt une charge symbolique pour la puissance colonisatrice. En 1900, son corps expéditionnaire tomba sur une résistance acharnée des hommes du seigneur de la guerre soudanais Rabah à Kousseri, aux portes de Ndjamena. D’ailleurs, la dénomination de la capitale tchadienne Fort-Lamy - nom du commandant Lamy mort au cours de cette bataille - ne fut remplacée qu’en 1973. Cette présence séculaire n’a été toutefois interrompue que par une exception de cinq années en réaction au rapt de l’ethnologue Françoise Claustre par Goukouni Oueddei en 1974. Géographiquement et militairement, le Tchad est un verrou stratégique entre l’Afrique du Nord et le bassin du Congo. Le gouverneur Félix Éboué en assura la protection en 1940 et a permis la reconquête du désert libyen face aux divisions blindées de l’Africa Korps du Rommel, pendant la 2nde Guerre Mondiale.
Fait assez récent, la percée de Boko Haram dans l’Etat de Borno ne cesse de progresser vers l’Est. A la fin du mois d’août, la ville de Dikwa fut tombée entre les mains des djihadistes. Or, elle se situe à équidistance de Maidiguri et de Ndjamena ; soit à environ 75km de la capitale tchadienne mais très proche de sa frontière. Tôt ou tard, les soldats de l’opération Barkhane stationnés au Tchad vont devoir certainement intervenir dans cette bande très étroite, à proximité du lac Tchad, que le Cameroun, le Nigeria et le Tchad ont en partage.
Quel bilan pour Serval
Ce fut indéniablement un succès militaire. Sans l’intervention de la France, Bamako serait sans doute aujourd’hui entre les mains des islamistes. Il existe toujours des poches de résistances dans les boucles du Niger mais les terroristes rescapés se sont enfuis vers la Libye ou le Nord de l’Algérie. Quelques 8.300 casques bleus sur un effectif de 10.000 hommes prévus, assurent maintenant une Opération de Maintien de la Paix (OMP) dans le cadre de la MINUSMA. Le manque de moyens de transport (véhicules, hélicoptères) rend difficile la sécurisation de ce vaste territoire, et ce en dépit de l’apport en hélicoptères du Bangladesh, des Pays-Bas, et peut-être du Salvador si les pièces fournies par les américains seront livrés à temps. Et les tensions financières sur le budget de l’ONU ne sont pas de nature à améliorer la situation. Et Bert Konderts le Représentant Spécial de l’ONU confesse lui-même que « le contexte politique et sécuritaire général est défavorable à la génération de la force de l’OMP ». Le Tchad, encore lui, déplore la perte d’une dizaine d’hommes de son contingent au sein de la MINUSMA, en septembre dernier. Et le président Idriss Déby est sorti de ses gongs pour déclarer urbi et orbi, « que ses soldats ont été envoyés au casse-pipe ». Pourquoi les tchadiens n’ont pas été relevés de leur position au Nord Mali pendant que d’autres unités sont cantonnés dans des zones moins dangereuses ? Si cette pratique discriminatoire ne cesse, le Tchad menace de se retirer. Que reste-il des forces africaines depuis que le Nigeria a rapatrié ses soldats pour faire face à la lutte contre Boko Haram ; mais également la défection de la Mauritanie à cause de tensions politiques entre Bamako et Nouakchott.
Le retour de la paix au Mali paraît envisageable sous certaines conditions, qui sont loin d’être réunies.
D’abord, politiquement, les pourparlers d’Alger, entre le gouvernement malien et les groupes politico-militaires touaregs, doivent déboucher sur un accord robuste et durable. Pourtant, les négociations s’étirent en longueur. Depuis le rétablissement du dialogue en juillet dernier, une première mouture d’un squelette d’accord de paix a été proposée le 25 septembre aux différentes parties. Les discussions reprennent le 11 octobre, suivi d’un comité restreint pour un dernier round de négociation. A ce rythme-là, aucun accord ne sera signé avant le 10 décembre. Entre les partisans d’un Mali unifié et ceux qui sont tentés par le séparatisme, le président Ibrahim Boubacar Keïta acceptera-t-il un compromis qui débouchera sur une certaine autonomie des peuples du Nord.
Ensuite, avec quelles ressources financières pourrait-on soutenir durablement le développement économique, dès lors qu’une certaine forme d’autonomie sera effective ? L’opération Serval a quelque peu dérangé le transit de la drogue au Nord de Gao. Elle a surtout rebattu les cartes et laissé la place vacante par les narco-djihadistes. Deux groupes signataires - MNLA et le MAA - des accords de paix de Ouagadougou se sont violemment affrontés en de mai dernier à Tabankor, au nez et à la barbe des militaires français et des casques bleus. Quel est le mobile de bataille rangée ? Le contrôle du transit de la drogue vers les pays du Maghreb pour financer le djihad ou tout simplement vivre!
Alex ZAKA
L’opération « Barkhane » a été officiellement lancée, le 1er août dernier. Il s’agit du nouveau dispositif militaire français dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. Néanmoins, « elle repose sur une approche stratégique fondée sur une logique de partenariat avec les principaux pays de la Bande Sahelo-Saharienne (BSS) ». Cette précision émane du site même du ministère de la Défense français. L’époque d’une intervention unilatérale est-elle ainsi révolue ? Souvent taxée de néocolonialisme, la France entend désormais s’entourer de cadre juridique et institutionnel, soit par un mandat onusien ou des accords bi ou multilatéraux, avant de fouler le sol africain.
La Mauritanie, le Mali, le Burkina-Faso, le Niger et le Tchad composent ce nouveau G5 Sahel de 2,5 millions de km² soit cinq fois la superficie de la France. Cette fois-ci, le club du G20 créé en 2006 s’est énormément restreint. Pour rappel, cette mobilisation internationale pour la création d’une grande muraille verte, était une réponse contre l’avancée inexorable du désert de Sahara ; 1 km² par an en temps de sécheresse ; 250 km de recul depuis 1900 sur une bande de 6.000 km de large. La difficulté de mise en œuvre de ce projet pharaonique mettait déjà l’accent sur les risques sécuritaires et terroristes dans certaines régions, principalement au Mali et au Soudan. Sans doute que la lutte contre le terrorisme n’était pas encore la priorité du moment ?
Annoncé par le ministre de la Défense Jean-Yves le Drian, dès le début de l’année, reporté à son lancement à mai pour cause de résurgence terroriste au Mali, il a été enfin officialisé après la tournée fin juillet du président de la République François Hollande auprès de ses homologues africains. Environ 3.500 hommes, 6 avions de chasse, quelques drones et toute la logistique terrestre assureront cette mission dont les objectifs sont les suivants : appuyer les forces armées des pays partenaires de la BSS dans leur action contre les groupes armées terroristes ; contribuer à empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes dans la région. Cette nouvelle opération s’apparente davantage à une réorganisation avec un centre de commandement unifié. Le changement d’attitude de l’état-major de l’armée française se traduit jusque dans la recherche très imagée du nom des opérations. « Serval » est un petit félin moins féroce que ses cousins lions ou guépards ; tandis que l’intervention en Centrafrique porte le nom d’un papillon emblématique de la région : « Sangaris ». « Barkhane » est une dune mobile en forme de croissant, sans cesse modifiée au gré de la force du vent. Comme l’a déclaré le président François Hollande : « plutôt que d’avoir des bases lourdes et difficiles à manier en cas de crise, nous préférons avoir des installations qui peuvent être utilisées pour les interventions rapides et efficaces… ».
En 2008, le président Nicolas Sarkozy a dépoussiéré les accords de défense signés avec les anciennes colonies. Estimant qu’il pouvait alléger la présence militaire française sur le continent, il a décidé de fermer plusieurs bases. En même temps, il a inauguré une autre à Abou Dhabi qui « illustre les responsabilités que la France entend assumer aux côtés de ses partenaires privilégiés, sans une région névralgique ». Le printemps arabe et la montée en puissance d’AQMI en ont décidé autrement. Encore une fois, la réalité du terrain a prouvé que la France reste le pays qui a le plus d’expertise militaire sur le continent africain. Ses partenaires de l’Union Européenne se contentent de cette situation et restent très réservés quant au partage le fardeau financier d’une intervention comme au Mali. Ces dernières années, les mesures successives prises, par les gouvernements français de lutte contre le déficit chronique de son économie, restreignent considérablement le budget du ministère de la Défense. Ceci handicape sérieusement la capacité de projection de l’armée française dans ses Opérations Extérieures (OPEX). Alors que le continent africain, n’a toujours pas, les moyens d’assurer sa propre sécurité malgré la mise en place du plan RECAMP (Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix,) lancé en 1998. Une formation équivalente est d’ailleurs dispensée par les américains pour plusieurs États africains : Deployment Assistance Partnership Team (ADAPT).
Le G 5 du Sahel
L’opération Serval de 2013 au Mali a pris fin en juillet. Seul, un millier d’hommes du contingent français resteront au Mali, principalement à Gao et à Tessalit au Nord. Quant à la Mauritanie, la présence militaire française, depuis 2009, n’a jamais été démentie. Le choix s’est stratégiquement porté sur ce pays pour plusieurs raisons. D’abord, la fermeture de leur base à Dakar a dégarni la façade Atlantique de son dispositif ; elle a dû se réorganiser pour maintenir une capacité d’intervention sur l’Ouest du continent. Ensuite, les geysers de pétrole d’Ouadane ont commencé à jaillir sur les périmètres de prospection alloués à la compagnie Total en 2010. Et enfin, l’enlèvement d’otages occidentaux et la présence d’AQMI ont conforté la France dans le choix de la ville d’Atar, qui s’est presque transformée en une petite ville de garnison française. Les forces spéciales de ces deux pays ont d’ailleurs mené en commun une incursion en profondeur dans le désert d’Akla (Tombouctou) en juillet 2010 ; un raid contre un camp d’AQMI sans que Bamako n’en soit averti !
Tandis que de Niamey et Ouagadougou décolleront les avions de reconnaissance et les drones de surveillance de l’opération Barkhane. Là encore, les missions seront renforcées mais américains et français ont déjà investi les lieux depuis bientôt dix ans. Le président George W Bush a toujours voulu installer des bases américaines à la lisière du Sahel ; mais ses homologues ont poliment refusé. Ceux qui acceptent préfèrent la discrétion, de peur d’attirer les terroristes. On observe souvent des appareils de type « Pilatus » décoller du sandcreeks de Ouagadougou pour des missions de reconnaissance ; mais également des officiers de l’US Army pour le programme ADAPT. Enfin, n’oublions pas que plus de 30% de l’approvisionnement d’uranium français proviennent des mines d’Arlit au Niger. Et qu’en 2011, deux jeunes français ont été enlevés à Niamey par AQMI avant d’être retrouvés morts dans le désert ; sans compter les quatre expatriés d’Areva sont qui restés en captivité jusqu’en novembre 2013. Les observateurs font souvent état de la présence des unités du Commandement des Opérations Spéciales (COS) au Niger et ce dès 2009. Cette mission dite opération Sabre passera sous l’égide de l’opération Barkhane.
La place prépondérante du Tchad
Le centre de coordination opérationnel se trouve maintenant au Tchad même si chaque pays sera doté d’une ou plusieurs bases avancées. Ce choix de l’état-major français pour Ndjamena relève de la présence militaire continue depuis l’opération Épervier de 1986. A l’époque, l’armée libyenne a franchi le 16ème parallèle pour envahir le Nord du Tchad, en violation de l’accord franco-libyen signé deux ans plus tôt. A propos de libyens, Claude Cheysson le ministre des Relations Extérieures de François Mitterrand s’est alors fendu de la fameuse phrase : « ils partent, nous partons, ils restent, nous restons, ils reviennent, nous revenons ». Et pourtant trois décennies plus tard, la France est toujours présente avec ses 1.200 soldats. En remontant le fil du temps, ce territoire revêt une charge symbolique pour la puissance colonisatrice. En 1900, son corps expéditionnaire tomba sur une résistance acharnée des hommes du seigneur de la guerre soudanais Rabah à Kousseri, aux portes de Ndjamena. D’ailleurs, la dénomination de la capitale tchadienne Fort-Lamy - nom du commandant Lamy mort au cours de cette bataille - ne fut remplacée qu’en 1973. Cette présence séculaire n’a été toutefois interrompue que par une exception de cinq années en réaction au rapt de l’ethnologue Françoise Claustre par Goukouni Oueddei en 1974. Géographiquement et militairement, le Tchad est un verrou stratégique entre l’Afrique du Nord et le bassin du Congo. Le gouverneur Félix Éboué en assura la protection en 1940 et a permis la reconquête du désert libyen face aux divisions blindées de l’Africa Korps du Rommel, pendant la 2nde Guerre Mondiale.
Fait assez récent, la percée de Boko Haram dans l’Etat de Borno ne cesse de progresser vers l’Est. A la fin du mois d’août, la ville de Dikwa fut tombée entre les mains des djihadistes. Or, elle se situe à équidistance de Maidiguri et de Ndjamena ; soit à environ 75km de la capitale tchadienne mais très proche de sa frontière. Tôt ou tard, les soldats de l’opération Barkhane stationnés au Tchad vont devoir certainement intervenir dans cette bande très étroite, à proximité du lac Tchad, que le Cameroun, le Nigeria et le Tchad ont en partage.
Quel bilan pour Serval
Ce fut indéniablement un succès militaire. Sans l’intervention de la France, Bamako serait sans doute aujourd’hui entre les mains des islamistes. Il existe toujours des poches de résistances dans les boucles du Niger mais les terroristes rescapés se sont enfuis vers la Libye ou le Nord de l’Algérie. Quelques 8.300 casques bleus sur un effectif de 10.000 hommes prévus, assurent maintenant une Opération de Maintien de la Paix (OMP) dans le cadre de la MINUSMA. Le manque de moyens de transport (véhicules, hélicoptères) rend difficile la sécurisation de ce vaste territoire, et ce en dépit de l’apport en hélicoptères du Bangladesh, des Pays-Bas, et peut-être du Salvador si les pièces fournies par les américains seront livrés à temps. Et les tensions financières sur le budget de l’ONU ne sont pas de nature à améliorer la situation. Et Bert Konderts le Représentant Spécial de l’ONU confesse lui-même que « le contexte politique et sécuritaire général est défavorable à la génération de la force de l’OMP ». Le Tchad, encore lui, déplore la perte d’une dizaine d’hommes de son contingent au sein de la MINUSMA, en septembre dernier. Et le président Idriss Déby est sorti de ses gongs pour déclarer urbi et orbi, « que ses soldats ont été envoyés au casse-pipe ». Pourquoi les tchadiens n’ont pas été relevés de leur position au Nord Mali pendant que d’autres unités sont cantonnés dans des zones moins dangereuses ? Si cette pratique discriminatoire ne cesse, le Tchad menace de se retirer. Que reste-il des forces africaines depuis que le Nigeria a rapatrié ses soldats pour faire face à la lutte contre Boko Haram ; mais également la défection de la Mauritanie à cause de tensions politiques entre Bamako et Nouakchott.
Le retour de la paix au Mali paraît envisageable sous certaines conditions, qui sont loin d’être réunies.
D’abord, politiquement, les pourparlers d’Alger, entre le gouvernement malien et les groupes politico-militaires touaregs, doivent déboucher sur un accord robuste et durable. Pourtant, les négociations s’étirent en longueur. Depuis le rétablissement du dialogue en juillet dernier, une première mouture d’un squelette d’accord de paix a été proposée le 25 septembre aux différentes parties. Les discussions reprennent le 11 octobre, suivi d’un comité restreint pour un dernier round de négociation. A ce rythme-là, aucun accord ne sera signé avant le 10 décembre. Entre les partisans d’un Mali unifié et ceux qui sont tentés par le séparatisme, le président Ibrahim Boubacar Keïta acceptera-t-il un compromis qui débouchera sur une certaine autonomie des peuples du Nord.
Ensuite, avec quelles ressources financières pourrait-on soutenir durablement le développement économique, dès lors qu’une certaine forme d’autonomie sera effective ? L’opération Serval a quelque peu dérangé le transit de la drogue au Nord de Gao. Elle a surtout rebattu les cartes et laissé la place vacante par les narco-djihadistes. Deux groupes signataires - MNLA et le MAA - des accords de paix de Ouagadougou se sont violemment affrontés en de mai dernier à Tabankor, au nez et à la barbe des militaires français et des casques bleus. Quel est le mobile de bataille rangée ? Le contrôle du transit de la drogue vers les pays du Maghreb pour financer le djihad ou tout simplement vivre!
Alex ZAKA