La nation Arc-en-Ciel, si accueillante à la fin de l’apartheid, n’est plus encline à ouvrir le bras à ses migrants ; des voisins qui les ont hébergé au moment de leur lutte pour l’indépendance. Les dirigeants ont choisi une pente facile : dénoncer les immigrés plutôt qu’admettre leurs erreurs.
Les vieux démons de l’Afrique de Sud rejaillissent de nouveau à la surface : la chasse aux étrangers. Ces dernières semaines ont vu la résurgence d’une violence xénophobe contre les immigrés attirés par le mirage d’un pâturage plus vert que dans d’autres régions du continent africain. Evènements qualifiés d’ordinaires, banals, si le bilan n’était pas de six morts et près de 2.000 personnes déplacées ou obligées d’abandonner leur domicile. D’une passivité déconcertante, mais face à l’ampleur des indignations, le gouvernement a fini par déployer l’armée pour remettre de l’ordre. Les images passées en boucle sur les télévisions du monde sont édifiantes : des étrangers poursuivis par des jeunes armés de gourdins ou de pistolets dans les rues de Durban, de Johannesburg... Pourquoi cette fois-ci les médias internationaux se sont-ils approprié le sujet, alors qu’au mois de janvier 2015, le township de Soweto avait aussi flambé ? La cause : un adolescent sud-africain de 14 ans a été tué par balle par un épicier somalien lorsque celui-ci a tenté de marauder dans son échoppe. Représailles de quartier contre les Makwere-kwere (barbares en Zoulou) : six morts ! Des centaines de personnes - essentiellement des mozambicains, malawites, somaliens, zimbabwéens et éthiopiens – ont dû abandonner leurs foyers et leurs commerces en proie à des pillages.
Pogrom au pays de Nelson Mandela
Cette xénophobie sud-africaine, elle, est toute particulière et pour le moins paradoxale. Elle prend ses racines dans les 50 années d’Apartheid. En effet cette politique de ségrégation n’entretenait pas seulement l’antagonisme entre les blancs d’un côté et les « colored » de l’autre, mais aussi entre populations noires d’origines ethniques différentes. À la fin de l’Apartheid, on a projeté sa haine de l’autre sur un nouvel ennemi. Par mimétisme ou par manque de culture ? Un bouc-émissaire est tout trouvé pour tenter d’expliquer les conditions de vie déplorables de la majorité de la population : les immigrés qui volent nos femmes ; qui nous piquent notre travail ; qui profitent de notre système social !
A cette haine de son prochain, se greffe une forte criminalité qui ne cesse de progresser : le résultat obtenu est un cocktail parfois explosif mais toujours latent depuis plus d’une vingtaine d’années maintenant. Exemple : ce fait-divers qui a dérapé à Diepsloot en mai 2013. Un commerçant somalien qui cette fois-ci a tué deux personnes qu'il accusait de vouloir le voler, s’en suivît une émeute contre les étrangers. En remontant dans le temps, quelques épisodes de basses intensités jalonnent les grands évènements de cette nation Arc-En-Ciel, comme pour rappeler aux étrangers qu’ils y sont indésirables. Par exemple à la mort de Nelson Mandela en décembre 2013, une rumeur sourde circulait : « maintenant que Madiba, votre soi-disant protecteur, n’est plus il serait temps que vous pliez bagage ». Lors de la coupe du monde de football en 2010 : « le coup de sifflet final sonnera aussi le glas de ces ‘poux’ qui nous envahissent ». L’étalon macabre reste la chasse aux immigrés de 2008 qui a commencé à Alexandra – un township de Johannesburg - et qui s’est soldé par 62 morts.
La nation Arc-en-ciel, selon les termes du révérend Desmond Tutu, compte (estimation 2011) environ 53 millions d’habitants. Elle est composée de 80% de Noirs, de 9% de Métis, de 8% de Blancs et de 2,5% d’Indo-pakistanais. A cela s’ajoute, 2 millions d’étrangers en situation régulière c’est-à-dire qui ont un permis de travail ou qui ont obtenu l’asile. Selon les projections de l’UNHCR, il y aura 331.800 immigrés de plus en 2015 ventilés en 91.200 réfugiés et 240.600 demandeurs d’asile. Ce dernier chiffre est en hausse constante depuis l’adoption de la législation sur l’asile, votée et entrée en vigueur en 2000. Il existerait selon les diverses sources officieuses - en comptant les clandestins indétectables par les radars administratifs - 5 millions d’étrangers en Afrique du Sud. Ils sont souvent ostracisés car facilement trahis par leur accent anglais ou leur méconnaissance des 11 langues nationales mais également leur look.
La stratification socioéconomique de la période postapartheid est la suivante. Les Blancs contrôlent l’économie, la finance, les multinationales et l’industrie agroalimentaire (grandes plantations ou fermes d’élevage). Ces derniers ont tendance à quitter les grandes villes en proie à la criminalité et préfèrent vivre dans des corridors sécurisés. Viennent ensuite la bourgeoisie noire appelée les « blacks diamonds ». Cette classe émergente est formée par deux groupes : d’abord celui qui a bénéficié des programmes d’affirmative action des années 1970. En effet, un noir américain Leon Sullivan, administrateur chez General Motors a incité les filiales américaines installées en Afrique du Sud à embaucher des cadres locaux moyennant des contreparties fiscales. Ensuite, sur le même principe, le gouvernement postapartheid (1994) a engagé la même politique par le biais du Black Economic Empowerment ; ce qui a permis aux dirigeants de l’ANC et de leurs proches de monter rapidement par l’ascenseur social. Les Blancs ont été alors priés de faire une petite place (départ anticipé à la retraite ou licenciement sec) pour que cette oligarchie noire puisse accéder très rapidement au pouvoir économico-politique. Les indo-pakistanais forment la classe moyenne avec une minorité de Noirs. Mais les oubliés de cette opulence sont formés de plus de 70% de la population à majorité noire, vivant dans les townships. Reste les damnés de la terre : les Blancs marginalisés, sans travail, qui vivent dans des taudis. Quelle place pour les immigrés ?
Les causes structurelles de la xénophobie
A la fin de l’Apartheid, le pays connut un manque cruel de main d’œuvre qualifiée. Cela à cause des Noirs qui n’ont pu bénéficier de la discrimination positive de 1971. Ceux qui sont partis à l’étranger pour fuir l’éducation au rabais. Dans les prochaines années, plus de la moitié des écoliers sortiront du système éducatif sans diplôme de fin d’études secondaires. Ce manque de population active qualifiée a provoqué un changement progressif : à une immigration destinée à l’industrie minière et agricole s’est alors substitué un flux de migrants cohabitant avec la population urbaine. Outre les frontaliers originaires du Malawi, Lesotho, Mozambique, Zimbabwe, d’autres venus de toute l’Afrique affluèrent pour s’installer dans les townships. Un appel d’air amplifié par l’ouverture initiée par le président Nelson Mandela. Il avait lancé la Reconstruction and Développement Program (RDP) c’est-à-dire des grands projets d’investissement en infrastructures qui a absorbé une partie de la population active, tandis que les étrangers ouvraient des petits commerces ou acceptaient les boulots jugés dégradant par les natives populations. Ces dernières années, les crises financières internationales telles que les subprimes de 2008 n’ont pas épargné les puissances émergentes. L’économie sud-africaine était en surchauffe et engendre aujourd’hui inévitablement un taux de chômage de plus de 25%. Il touche majoritairement les Sud-Africains noirs les moins qualifiés. Ceci ne fait qu’exacerber les ressentiments vis-à-vis de l’étranger qui sont déjà latents et répandus.
Florilège des réactions politiques
Les récentes émeutes xénophobes ont démarré à Durban dans la province du Kwazulu-Nata, fief des Zoulous l’ethnie majoritaire avec 12 millions d’âmes. Premier port du pays, donc une porte d’entrée privilégiée des clandestins (Afrique centrale et orientale) qui passent par la frontière mozambicaine. Même s’il n’est pas à l’origine des émeutes raciales, les propos du roi zoulou Goodwill Zwelithini à l’adresse des étrangers n’a fait qu’attiser cette haine latente : « faites vos valises et rentrez chez vous ». Il exerce en effet une autorité morale envers ses sujets qui subissent de plein fouet un dumping salarial dans l’industrie d’extraction face à des immigrés désireux travailler. L’un des fils du président Jacob Zuma (Zoulou) prénommé Edward n’y va pas par quatre chemins en appelant à déporter les étrangers, jugés dangereux : « certains viennent dans ce pays armés et contribuent aux problèmes de drogue ».
Les réactions tardives des hommes politiques de l’ANC et du gouvernement ne sont pas de nature à faire baisser cette tension permanente. Gwede Mantashe, le Secrétaire Général de l’ANC encourageait, l’année dernière, le gouvernement à « durcir l’application des lois sur l’immigration », ce qui fut déjà fait et demanda instamment la création de centre de rétention pour mieux contrôler les étrangers illégaux.
Quelques jours après l’incident de Soweto en janvier 2015 (cf paragraphe plus haut), quelle fut la réaction de madame Lindiwe Zulu, ministre des PME ? Renforcer la réglementation à l’encontre de ces commerçants accusés de pratiquer une concurrence déloyale. « Les étrangers doivent comprendre qu’ils sont ici grâce à notre bonne volonté » et que « notre priorité, c’est d’abord et avant tout notre peuple » a-t-elle déclarée.
L’avenir de la SADC en question
Ainsi donc, l’ambition de leadership politique régionale et continentale de l’Afrique du Sud s’est évanouit dans les limbes de ses difficultés économiques et des turpitudes des successeurs de Madiba. Qui en sont les responsables ? La classe dirigeante qui a mené une politique néolibérale en laissant la majorité de la population au bord du chemin et ce, dans des conditions de vie innommables. Au lieu de prendre de la hauteur, les hommes politiques instrumentalisent cette misère en poussant les pauvres à se débarrasser des immigrés. Rappelons tout de même que l’Afrique du Sud n’entend pas céder sur sa prééminence économique vis-à-vis des 15 pays membres de la SADC, la communauté économique d’Afrique Australe. Le processus d’intégration très contraignant pour les voisins a désormais du plomb dans l’aile. Selon le chronogramme imposé par la nation Arc-en-Ciel, le marché commun devrait se réaliser au plus tard en 2015, tandis que l’union monétaire devrait se réaliser en 2016 et l’union économique en 2018. Elle lorgnait déjà sur les 245 millions de consommateurs potentiels. Monsieur Jacob Zuma en appelle aujourd’hui à l’Union Africaine. Son pays inonde tous ses voisins de ses produits industriels alors qu’il refuse d’accueillir les travailleurs étrangers. La Zone de Libre-Echange (ZLE), visant à supprimer les barrières tarifaires avantagent outrageusement le pays le plus industrialisé. Devinez lequel ? Quant au protocole sur la circulation des personnes, il avait été élaboré depuis 2005 mais l’Afrique du Sud n’a jamais voulu le ratifier car il garantit la réciprocité de circulation et l’autorisation de travailler de chaque ressortissant dans n’importe quel pays membre.
Alex ZAKA
Encadré : la bombe à retardement de l’immigration
En 2014 environ 207.000 migrants ont bravé la Méditerranée pour rejoindre l’Europe, alors que 1,4 million y rentrent légalement par les frontières avant de disparaître des statistiques. Prés de 3.419 individus ont perdu la vie dans cette tentative désespérée. Que nous réserve l’année 2015 ? Déjà 900 noyades, série en-cours ! A travers le continent africain, 12 millions de personnes (UNHCR 2014) ont fui leur domicile pour un déplacement à l’intérieur du même pays ; et plus 3 millions ont traversé les frontières pour se réfugier ailleurs. Les migrants n’abandonnent pas leur domicile par choix mais avant tout parce qu’ils sont contraints : d’abord par les violences (guerre, violation de droits…), ensuite par les changements climatiques et enfin à cause des difficultés économiques. La xénophobie contre les immigrés n’est pas l’apanage de l’Afrique du Sud. L’Angola – première puissance économique continentale selon le nouveau calcul international – chasse ses étrangers depuis des années : sénégalais, guinéens, maliens…
Le système capitaliste a-t-il trouvé ses limites ? Triomphant du communisme à la chute de l’URSS, les américains étaient persuadés qu’ils n’auront plus d’ennemis et que le business allait enfin régner sur toute la planète. Ben Laden leur a d’abord prouvé le contraire. Ensuite vive la mondialisation ! « Ouvrez vos frontières pour faire circuler les marchandises, les capitaux, l’information » prônait l’oncle Sam, par la contrainte de l’OMC et d’autres organismes du même acabit, s’il le faut. Par contre le déplacement de l’homme à travers la planète sera limité et contrôlé.
Eriger des barbelés aux frontières pour protéger cette forteresse capitaliste, multiplier les patrouilles pour empêcher les rafiots remplis de migrants semblent dérisoires face aux centaines de millions de gens qui aspirent à travailler ou simplement manger. La cocotte-minute sautera un jour ou l’autre ; c’est une question de temps !
A.Z
Les vieux démons de l’Afrique de Sud rejaillissent de nouveau à la surface : la chasse aux étrangers. Ces dernières semaines ont vu la résurgence d’une violence xénophobe contre les immigrés attirés par le mirage d’un pâturage plus vert que dans d’autres régions du continent africain. Evènements qualifiés d’ordinaires, banals, si le bilan n’était pas de six morts et près de 2.000 personnes déplacées ou obligées d’abandonner leur domicile. D’une passivité déconcertante, mais face à l’ampleur des indignations, le gouvernement a fini par déployer l’armée pour remettre de l’ordre. Les images passées en boucle sur les télévisions du monde sont édifiantes : des étrangers poursuivis par des jeunes armés de gourdins ou de pistolets dans les rues de Durban, de Johannesburg... Pourquoi cette fois-ci les médias internationaux se sont-ils approprié le sujet, alors qu’au mois de janvier 2015, le township de Soweto avait aussi flambé ? La cause : un adolescent sud-africain de 14 ans a été tué par balle par un épicier somalien lorsque celui-ci a tenté de marauder dans son échoppe. Représailles de quartier contre les Makwere-kwere (barbares en Zoulou) : six morts ! Des centaines de personnes - essentiellement des mozambicains, malawites, somaliens, zimbabwéens et éthiopiens – ont dû abandonner leurs foyers et leurs commerces en proie à des pillages.
Pogrom au pays de Nelson Mandela
Cette xénophobie sud-africaine, elle, est toute particulière et pour le moins paradoxale. Elle prend ses racines dans les 50 années d’Apartheid. En effet cette politique de ségrégation n’entretenait pas seulement l’antagonisme entre les blancs d’un côté et les « colored » de l’autre, mais aussi entre populations noires d’origines ethniques différentes. À la fin de l’Apartheid, on a projeté sa haine de l’autre sur un nouvel ennemi. Par mimétisme ou par manque de culture ? Un bouc-émissaire est tout trouvé pour tenter d’expliquer les conditions de vie déplorables de la majorité de la population : les immigrés qui volent nos femmes ; qui nous piquent notre travail ; qui profitent de notre système social !
A cette haine de son prochain, se greffe une forte criminalité qui ne cesse de progresser : le résultat obtenu est un cocktail parfois explosif mais toujours latent depuis plus d’une vingtaine d’années maintenant. Exemple : ce fait-divers qui a dérapé à Diepsloot en mai 2013. Un commerçant somalien qui cette fois-ci a tué deux personnes qu'il accusait de vouloir le voler, s’en suivît une émeute contre les étrangers. En remontant dans le temps, quelques épisodes de basses intensités jalonnent les grands évènements de cette nation Arc-En-Ciel, comme pour rappeler aux étrangers qu’ils y sont indésirables. Par exemple à la mort de Nelson Mandela en décembre 2013, une rumeur sourde circulait : « maintenant que Madiba, votre soi-disant protecteur, n’est plus il serait temps que vous pliez bagage ». Lors de la coupe du monde de football en 2010 : « le coup de sifflet final sonnera aussi le glas de ces ‘poux’ qui nous envahissent ». L’étalon macabre reste la chasse aux immigrés de 2008 qui a commencé à Alexandra – un township de Johannesburg - et qui s’est soldé par 62 morts.
La nation Arc-en-ciel, selon les termes du révérend Desmond Tutu, compte (estimation 2011) environ 53 millions d’habitants. Elle est composée de 80% de Noirs, de 9% de Métis, de 8% de Blancs et de 2,5% d’Indo-pakistanais. A cela s’ajoute, 2 millions d’étrangers en situation régulière c’est-à-dire qui ont un permis de travail ou qui ont obtenu l’asile. Selon les projections de l’UNHCR, il y aura 331.800 immigrés de plus en 2015 ventilés en 91.200 réfugiés et 240.600 demandeurs d’asile. Ce dernier chiffre est en hausse constante depuis l’adoption de la législation sur l’asile, votée et entrée en vigueur en 2000. Il existerait selon les diverses sources officieuses - en comptant les clandestins indétectables par les radars administratifs - 5 millions d’étrangers en Afrique du Sud. Ils sont souvent ostracisés car facilement trahis par leur accent anglais ou leur méconnaissance des 11 langues nationales mais également leur look.
La stratification socioéconomique de la période postapartheid est la suivante. Les Blancs contrôlent l’économie, la finance, les multinationales et l’industrie agroalimentaire (grandes plantations ou fermes d’élevage). Ces derniers ont tendance à quitter les grandes villes en proie à la criminalité et préfèrent vivre dans des corridors sécurisés. Viennent ensuite la bourgeoisie noire appelée les « blacks diamonds ». Cette classe émergente est formée par deux groupes : d’abord celui qui a bénéficié des programmes d’affirmative action des années 1970. En effet, un noir américain Leon Sullivan, administrateur chez General Motors a incité les filiales américaines installées en Afrique du Sud à embaucher des cadres locaux moyennant des contreparties fiscales. Ensuite, sur le même principe, le gouvernement postapartheid (1994) a engagé la même politique par le biais du Black Economic Empowerment ; ce qui a permis aux dirigeants de l’ANC et de leurs proches de monter rapidement par l’ascenseur social. Les Blancs ont été alors priés de faire une petite place (départ anticipé à la retraite ou licenciement sec) pour que cette oligarchie noire puisse accéder très rapidement au pouvoir économico-politique. Les indo-pakistanais forment la classe moyenne avec une minorité de Noirs. Mais les oubliés de cette opulence sont formés de plus de 70% de la population à majorité noire, vivant dans les townships. Reste les damnés de la terre : les Blancs marginalisés, sans travail, qui vivent dans des taudis. Quelle place pour les immigrés ?
Les causes structurelles de la xénophobie
A la fin de l’Apartheid, le pays connut un manque cruel de main d’œuvre qualifiée. Cela à cause des Noirs qui n’ont pu bénéficier de la discrimination positive de 1971. Ceux qui sont partis à l’étranger pour fuir l’éducation au rabais. Dans les prochaines années, plus de la moitié des écoliers sortiront du système éducatif sans diplôme de fin d’études secondaires. Ce manque de population active qualifiée a provoqué un changement progressif : à une immigration destinée à l’industrie minière et agricole s’est alors substitué un flux de migrants cohabitant avec la population urbaine. Outre les frontaliers originaires du Malawi, Lesotho, Mozambique, Zimbabwe, d’autres venus de toute l’Afrique affluèrent pour s’installer dans les townships. Un appel d’air amplifié par l’ouverture initiée par le président Nelson Mandela. Il avait lancé la Reconstruction and Développement Program (RDP) c’est-à-dire des grands projets d’investissement en infrastructures qui a absorbé une partie de la population active, tandis que les étrangers ouvraient des petits commerces ou acceptaient les boulots jugés dégradant par les natives populations. Ces dernières années, les crises financières internationales telles que les subprimes de 2008 n’ont pas épargné les puissances émergentes. L’économie sud-africaine était en surchauffe et engendre aujourd’hui inévitablement un taux de chômage de plus de 25%. Il touche majoritairement les Sud-Africains noirs les moins qualifiés. Ceci ne fait qu’exacerber les ressentiments vis-à-vis de l’étranger qui sont déjà latents et répandus.
Florilège des réactions politiques
Les récentes émeutes xénophobes ont démarré à Durban dans la province du Kwazulu-Nata, fief des Zoulous l’ethnie majoritaire avec 12 millions d’âmes. Premier port du pays, donc une porte d’entrée privilégiée des clandestins (Afrique centrale et orientale) qui passent par la frontière mozambicaine. Même s’il n’est pas à l’origine des émeutes raciales, les propos du roi zoulou Goodwill Zwelithini à l’adresse des étrangers n’a fait qu’attiser cette haine latente : « faites vos valises et rentrez chez vous ». Il exerce en effet une autorité morale envers ses sujets qui subissent de plein fouet un dumping salarial dans l’industrie d’extraction face à des immigrés désireux travailler. L’un des fils du président Jacob Zuma (Zoulou) prénommé Edward n’y va pas par quatre chemins en appelant à déporter les étrangers, jugés dangereux : « certains viennent dans ce pays armés et contribuent aux problèmes de drogue ».
Les réactions tardives des hommes politiques de l’ANC et du gouvernement ne sont pas de nature à faire baisser cette tension permanente. Gwede Mantashe, le Secrétaire Général de l’ANC encourageait, l’année dernière, le gouvernement à « durcir l’application des lois sur l’immigration », ce qui fut déjà fait et demanda instamment la création de centre de rétention pour mieux contrôler les étrangers illégaux.
Quelques jours après l’incident de Soweto en janvier 2015 (cf paragraphe plus haut), quelle fut la réaction de madame Lindiwe Zulu, ministre des PME ? Renforcer la réglementation à l’encontre de ces commerçants accusés de pratiquer une concurrence déloyale. « Les étrangers doivent comprendre qu’ils sont ici grâce à notre bonne volonté » et que « notre priorité, c’est d’abord et avant tout notre peuple » a-t-elle déclarée.
L’avenir de la SADC en question
Ainsi donc, l’ambition de leadership politique régionale et continentale de l’Afrique du Sud s’est évanouit dans les limbes de ses difficultés économiques et des turpitudes des successeurs de Madiba. Qui en sont les responsables ? La classe dirigeante qui a mené une politique néolibérale en laissant la majorité de la population au bord du chemin et ce, dans des conditions de vie innommables. Au lieu de prendre de la hauteur, les hommes politiques instrumentalisent cette misère en poussant les pauvres à se débarrasser des immigrés. Rappelons tout de même que l’Afrique du Sud n’entend pas céder sur sa prééminence économique vis-à-vis des 15 pays membres de la SADC, la communauté économique d’Afrique Australe. Le processus d’intégration très contraignant pour les voisins a désormais du plomb dans l’aile. Selon le chronogramme imposé par la nation Arc-en-Ciel, le marché commun devrait se réaliser au plus tard en 2015, tandis que l’union monétaire devrait se réaliser en 2016 et l’union économique en 2018. Elle lorgnait déjà sur les 245 millions de consommateurs potentiels. Monsieur Jacob Zuma en appelle aujourd’hui à l’Union Africaine. Son pays inonde tous ses voisins de ses produits industriels alors qu’il refuse d’accueillir les travailleurs étrangers. La Zone de Libre-Echange (ZLE), visant à supprimer les barrières tarifaires avantagent outrageusement le pays le plus industrialisé. Devinez lequel ? Quant au protocole sur la circulation des personnes, il avait été élaboré depuis 2005 mais l’Afrique du Sud n’a jamais voulu le ratifier car il garantit la réciprocité de circulation et l’autorisation de travailler de chaque ressortissant dans n’importe quel pays membre.
Alex ZAKA
Encadré : la bombe à retardement de l’immigration
En 2014 environ 207.000 migrants ont bravé la Méditerranée pour rejoindre l’Europe, alors que 1,4 million y rentrent légalement par les frontières avant de disparaître des statistiques. Prés de 3.419 individus ont perdu la vie dans cette tentative désespérée. Que nous réserve l’année 2015 ? Déjà 900 noyades, série en-cours ! A travers le continent africain, 12 millions de personnes (UNHCR 2014) ont fui leur domicile pour un déplacement à l’intérieur du même pays ; et plus 3 millions ont traversé les frontières pour se réfugier ailleurs. Les migrants n’abandonnent pas leur domicile par choix mais avant tout parce qu’ils sont contraints : d’abord par les violences (guerre, violation de droits…), ensuite par les changements climatiques et enfin à cause des difficultés économiques. La xénophobie contre les immigrés n’est pas l’apanage de l’Afrique du Sud. L’Angola – première puissance économique continentale selon le nouveau calcul international – chasse ses étrangers depuis des années : sénégalais, guinéens, maliens…
Le système capitaliste a-t-il trouvé ses limites ? Triomphant du communisme à la chute de l’URSS, les américains étaient persuadés qu’ils n’auront plus d’ennemis et que le business allait enfin régner sur toute la planète. Ben Laden leur a d’abord prouvé le contraire. Ensuite vive la mondialisation ! « Ouvrez vos frontières pour faire circuler les marchandises, les capitaux, l’information » prônait l’oncle Sam, par la contrainte de l’OMC et d’autres organismes du même acabit, s’il le faut. Par contre le déplacement de l’homme à travers la planète sera limité et contrôlé.
Eriger des barbelés aux frontières pour protéger cette forteresse capitaliste, multiplier les patrouilles pour empêcher les rafiots remplis de migrants semblent dérisoires face aux centaines de millions de gens qui aspirent à travailler ou simplement manger. La cocotte-minute sautera un jour ou l’autre ; c’est une question de temps !
A.Z