L’auteur franco-ivoirien Flé Doumbia vient de publier la deuxième édition du livre "L’Union Européenne et l’Afrique (le G80) – La Photographie du Commerce, Exportateurs et Importateurs les Locomotives"(1) en versions anglaise et française, préfacé par l’ancien Ministre du Commerce et Développement irlandais Joe Costello. C’est un ouvrage de référence très fouillé, un outil de travail pour les opérateurs économiques et institutions de coopération, ainsi que tous ceux qui s’intéressent au commerce entre les deux continents et à l’importance de celui-ci dans le développement de l’Afrique. Depuis quelques années l’auteur plaide pour le renforcement des relations économiques entre l’ensemble des pays de l’Union européenne et l’Afrique. Avec la perspective des APE (Accords de partenariat économiques, récemment signés), il défend dans ses travaux le commerce UE-Afrique, accompagné par un partenariat industriel, comme un outil de développement pour l’Afrique, bénéfique aussi pour la croissance en Europe.
Nous avons eu l’occasion d’évoquer avec lui son ouvrage, le rapport entre développement et commerce et l’impact des APE.
Q – La deuxième édition de votre ouvrage vient de paraître. Il s’agit d’une collection de données statistiques et une analyse sur le secteur du commerce entre l’Europe et l’Afrique. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire vos recherches dans ce domaine spécifique? L’absence de statistiques régulières et fiables sur ce commerce?
FD – L’objectif principal, c’est la recherche d’une solution durable pour financer le développement de l’Afrique et aussi mettre à la disposition des décideurs et milieux d’affaires européens et africains (Institutions, Administrations, Grandes entreprises, PME PMI,…), un ouvrage de référence pour augmenter leur volume d’affaire. Il servira aussi au suivi du Commerce UE-Afrique, de l’après APE.
Je pense que le commerce est la voie la mieux indiquée pour mobiliser des ressources financières en faveur du développement de l’Afrique, car source de croissance, et de création d’emplois. Les pays comme la Chine ou l’Allemagne peuvent être cités en exemple. D’autre part, le commerce s’inscrit aussi dans la stratégie conjointe UE-Afrique, du Sommet de Lisbonne en 2007. Je propose un nouveau concept dans ce cadre, celui des locomotives européennes et africaines du commerce.
Les critères de sélection des locomotives sont précis. Parmi ceux-ci:
Une locomotive européenne, importe au moins un milliard de dollars de produits africains, d’une grande diversité.
Une locomotive africaine, exporte au moins un milliard de dollars de produits africains, et au mieux d’une grande diversité.
Un indicateur annuel permet de mesurer la diversité des produits importés ou exportés. Le seuil minimal pour les locomotives européennes est de 10%.
Ces locomotives contribuent à une dynamique de croissance pour les économies européennes et africaines.
Mes travaux ont permis ainsi d’identifier 39% de locomotives européennes sur les 28 pays et 37% de locomotives africaines sur les 54 pays. Avec cette édition, les locomotives européennes et africaines représentent respectivement 94% et 92% du volume d’affaire de l’UE et l’Afrique. J’ai analysé un volume d’affaire de près de 359 milliards de dollars, et un groupe de référence de 120 familles ou groupes de produits sur l’année 2013. Ce volume est reparti en près de 58% pour les exportations africaines vers l’Europe, et 42% pour les exportations européennes vers l’Afrique, et une balance commerciale de l’ordre de +58 milliards de dollars en faveur de l’Afrique. La moyenne de la balance de l’Afrique avec les locomotives européennes est de l’ordre de +6 milliards USD. La moyenne de la balance commerciale des locomotives africaines est de l’ordre de +3,5 milliard USD en leur faveur. L’activité des principales zones économiques africaines (Afrique du Nord, CEDEAO, CEMAC, COMESA, SADC, UEMOA)(2) est aussi analysée.
L’Europe et l’Afrique devraient travailler ensemble pour évoluer vers un seuil de 100% de locomotives européennes et africaines. Cela contribuera à la lutte contre la pauvreté et la réduction des flux migratoires.
Je qualifie ces locomotives comme les équipes nationales de l’UE, et de l’Afrique face à la mondialisation.
Q – Mais vous êtes d’accord qu’il nous manque des statistiques crédibles?
FD – Tout à fait. Cela vient en complément, le livre apporte aussi de sérieux éléments d’évaluation et d’appréciation aux décideurs européens et africains pour une bonne conduite de leurs activités.
Q – Vous dites dans votre livre que vous voyez le commerce comme le moteur des relations économiques entre l’Europe et l’Afrique, plutôt que l’aide au développement. Alors, pensez-vous qu’à l’avenir le premier peut remplacer la deuxième?
FD – Les deux restent encore complémentaires, car l’aide au développement doit servir à la mise en place des infrastructures de base nécessaires pour l’économie, même si elle a montré ses limites. Le commerce est le levier dont dispose l’Europe pour contribuer efficacement au développement de l’Afrique. Il touche de nombreux secteurs de l’économie, une grande partie des populations et contribue aux recettes des Etats. Il sera aussi bénéfique pour l’Europe, en termes de croissance, et d’emplois. C’est du gagnant-gagnant. En effet, l’Afrique dispose d’un marché potentiel intérieur important. L’UE est un pôle du commerce mondial, qui alimente la croissance d’autres zones (Asie, Amériques, …).
J’ai constaté par exemple que les locomotives européennes ne réalisent leur volume d’affaire, qu’avec en moyenne 36% des pays africains. Ils ont donc une marge importante, pour accroître leur part de marché. De même, les locomotives africaines ne réalisent leur volume d’affaire, qu’avec en moyenne 38% des pays européens.
D’ailleurs, un des résultats importants de mes travaux a été, par exemple, d’élaborer un indicateur (un indice d’une valeur entre 0 et 100), une sorte de boussole annuelle attribuée à chacun des 82 pays (UE (28), Afrique (54)), pour un meilleur suivi du commerce entre l’UE et l’Afrique. Il permet de sélectionner les locomotives, et devrait être complémentaire à la règle adoptée pour les pays occidentaux, qui consiste à transférer un pourcentage (0,7%) de leur PIB pour financer le développement. Il va permettre de financer le commerce avec l’Afrique en complément de l’aide au développement.
Q – En lisant votre livre, on remarque, néanmoins, la continuité d’un vieux cliché: l’Afrique exporte toujours des matières premières à faible valeur ajouté et elle importe des produits manufacturés. Qu’est-ce qu’on peut faire pour changer cette donne?
FD – Il faudra favoriser la mise en place d’un partenariat industriel, comme je le développe dans mon livre. Si j’avais une proposition à faire, je dirais, par exemple, qu’il faudrait orienter le principal outil européen de l’aide au développement, le FED, dans le sens de servir de garantie pour les investissements industriels destinés à améliorer la transformation des produits africains. Cette garantie serait destinée aux industriels, investissant dans la transformation locale afin de couvrir une partie des risques d’investissements. Un système de co-entreprise, qui semble-t-il, est favorisé avec les pays d’Afrique du Nord: Maroc, Tunisie, Algérie, Egypte, peut aussi être appliqué.
Ces schémas peuvent être utilisés pour toute implantation d’usine, qui prendra en compte les intérêts réciproques, européens et africains. Un travail d’information et de sensibilisation devra aussi être fait auprès des industriels européens et africains, sur la question. Tout cela pouvant conduire à la création d’emplois, et l’émergence d’une classe moyenne de consommateurs en Afrique.
L’Europe y gagnera aussi pour la croissance de son économie, en consolidant ses positions face à ses concurrents chinois, américains, indiens, ou autres; elle bénéficiera du potentiel que lui offre le marché intérieur africain pour ses produits.
Enfin, l’Afrique doit pouvoir compter sur elle-même, en engageant une réflexion, sur la mutualisation des pôles de compétences qui existent déjà dans ses différentes zones (Afrique du Nord, SADC, CEDEAO, COMESA, CEMAC, UEMOA), pour la mise en place ou le développement de son industrie de transformation.
Q – Voyez-vous un rôle pour les transferts de technologie dans ce partenariat industriel que vous proposez?
FD – Oui, bien sûr. Mais dans un premier temps, il faut envisager un apport de technologie, pour donner une plus grande valeur ajoutée aux matières premières africaines. Le transfert de technologie pourra être fait dans la suite. Par exemple, le secteur de l’agro-industrie, est celui où l’on pourrait mettre en oeuvre ce partenariat, avec pour objectif initial de satisfaire à la demande du marché intérieur. J’ai constaté dans mes travaux que l’Afrique importe une part importante de ses besoins pour certaines branches identifiées. Le volume d’affaire global de cette activité se répartit en 17% d’exportations africaines, et 83% d’importations. Ces branches sont portées par l’Afrique du Sud, le Maroc, et la Côte d’Ivoire.
Q – Pensez-vous que les Accords de Partenariat Économique (APE) récemment signés pourront jouer un rôle important dans ce passage de l’aide au commerce comme moteur de l’activité économique en Afrique?
FD – En effet, ces accords vont certainement jouer un rôle, car ils présentent d’énormes possibilités de débouchés pour les produits africains. Lorsque l’on regarde l’exemple des pays africains qui ont signé des accords avec l’UE, comme l’Afrique du Sud (Accord commerce et développement), ou ceux de l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte) – Accords d’association, ils représentent ensemble 53% du volume d’affaire global de l’Afrique avec l’UE. Ils ont en moyenne, un indice d’exportation de 52% (cela signifie qu’ils exportent une grande diversité de produits vers l’Europe). Ils exportent aussi des produits industriels vers l’Europe, même si en moyenne, la balance commerciale est en faveur de l’UE. On peut en déduire que cela va engendrer un volume d’affaire important.
Pour les APE, même si l’on considère que les pays signataires ont leur spécificité, je pense que cela apportera certainement une évolution dans leur volume d’affaire avec l’UE. Toutefois, la capacité des pays africains à exporter des produits finis reste un point à améliorer, pour faire des APE un outil véritable de développement pour les pays africains. Une attention sera portée dans mes travaux sur le suivi et l’évolution du commerce de l’après APE.
Q – Et cela pourra avoir un effet bénéfique sur le commerce intra-africain qui ne marche pas aussi bien qu’on le souhaiterait, à votre avis?
FD – Tout à fait, c’est justement un des points de mes travaux. Le taux du commerce intra-Afrique est de l’ordre de 11% du commerce global de l’Afrique avec le reste du monde. Ce taux est faible, lorsque l’on le compare aux taux d’autres zones qui sont de l’ordre de 80% ou plus.
Mon ouvrage présente les produits que chacun des pays africains exporte vers l’Europe et ceux qu’il importe. Ces produits africains peuvent aussi être exportés vers d’autres pays africains qui en ont besoin. Par exemple, dans le secteur préparations de poissons, viandes, …, les importations africaines de l’UE ne représentent que 19% de la capacité d’exportation de l’Afrique vers l’UE. L’Afrique peut donc satisfaire ses besoins par le commerce intra-Afrique. Le COMESA et l’Afrique du Nord peuvent fournir tout le reste de l’Afrique.
Les importateurs et exportateurs africains qui auront lu l’ouvrage prendront connaissance de leurs possibilités de coopération commerciales avec les autres régions africaines. Cela augmentera le commerce intra-Afrique. On peut prévoir que l’évolution du commerce liée à l’avènement des APE, aura un impact sur le commerce intra-Afrique.
Q – Après une première édition en 2012, vous publiez maintenant la deuxième édition. Vous travaillez déjà à la prochaine édition? Quand est-ce qu’elle verra le jour?
FD – Effectivement les travaux de la prochaine édition sont en cours. D’une édition à l’autre, il faut affiner les travaux et prendre en compte les observations éventuelles. On peut s’attendre à une publication au début de l’année prochaine. Encore une fois cela servira à faire un suivi du commerce et son amélioration, en tant qu’instrument du développement pour l’Afrique et de croissance pour l’Europe. Il s’inscrit d’ailleurs dans la stratégie de l’Europe. Cet ouvrage servira autant un décideur d’une institution, qu’une grande entreprise, une PME ou PMI. En effet, l’Europe et l’Afrique sont deux continents voisins, liés par l’histoire, les langues. Ils ont besoin l’un de l’autre pour l’avenir, l’UE avec son pouvoir d’achat, son poids dans l’économie mondiale, son élargissement; et l’Afrique avec son potentiel économique et son économie en croissance. Avec l’évolution de l’économie mondiale, leur coopération a besoin d’un nouveau souffle, et d’une adaptation. Le commerce me semble être un élément essentiel de cette adaptation, qui aura un bénéfice réciproque pour l’un et pour l’autre. Mes travaux et le concept que je propose sont une contribution à cela, au service des stratégies des deux partenaires.
(1) Editions Sides, 300 pages, Prix: 120€, en librairie
(2) Afrique du Nord (Algérie, Egypte, Libye, Maroc, Tunisie), 5 pays
CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), 15 pays
CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale), 6 pays
COMESA (Marché Commun de l’Afrique Orientale et Australe), 19 pays
SADC (Communauté de Développement de l’Afrique Australe), 15 pays
UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine), 8 pays
Nous avons eu l’occasion d’évoquer avec lui son ouvrage, le rapport entre développement et commerce et l’impact des APE.
Q – La deuxième édition de votre ouvrage vient de paraître. Il s’agit d’une collection de données statistiques et une analyse sur le secteur du commerce entre l’Europe et l’Afrique. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire vos recherches dans ce domaine spécifique? L’absence de statistiques régulières et fiables sur ce commerce?
FD – L’objectif principal, c’est la recherche d’une solution durable pour financer le développement de l’Afrique et aussi mettre à la disposition des décideurs et milieux d’affaires européens et africains (Institutions, Administrations, Grandes entreprises, PME PMI,…), un ouvrage de référence pour augmenter leur volume d’affaire. Il servira aussi au suivi du Commerce UE-Afrique, de l’après APE.
Je pense que le commerce est la voie la mieux indiquée pour mobiliser des ressources financières en faveur du développement de l’Afrique, car source de croissance, et de création d’emplois. Les pays comme la Chine ou l’Allemagne peuvent être cités en exemple. D’autre part, le commerce s’inscrit aussi dans la stratégie conjointe UE-Afrique, du Sommet de Lisbonne en 2007. Je propose un nouveau concept dans ce cadre, celui des locomotives européennes et africaines du commerce.
Les critères de sélection des locomotives sont précis. Parmi ceux-ci:
Une locomotive européenne, importe au moins un milliard de dollars de produits africains, d’une grande diversité.
Une locomotive africaine, exporte au moins un milliard de dollars de produits africains, et au mieux d’une grande diversité.
Un indicateur annuel permet de mesurer la diversité des produits importés ou exportés. Le seuil minimal pour les locomotives européennes est de 10%.
Ces locomotives contribuent à une dynamique de croissance pour les économies européennes et africaines.
Mes travaux ont permis ainsi d’identifier 39% de locomotives européennes sur les 28 pays et 37% de locomotives africaines sur les 54 pays. Avec cette édition, les locomotives européennes et africaines représentent respectivement 94% et 92% du volume d’affaire de l’UE et l’Afrique. J’ai analysé un volume d’affaire de près de 359 milliards de dollars, et un groupe de référence de 120 familles ou groupes de produits sur l’année 2013. Ce volume est reparti en près de 58% pour les exportations africaines vers l’Europe, et 42% pour les exportations européennes vers l’Afrique, et une balance commerciale de l’ordre de +58 milliards de dollars en faveur de l’Afrique. La moyenne de la balance de l’Afrique avec les locomotives européennes est de l’ordre de +6 milliards USD. La moyenne de la balance commerciale des locomotives africaines est de l’ordre de +3,5 milliard USD en leur faveur. L’activité des principales zones économiques africaines (Afrique du Nord, CEDEAO, CEMAC, COMESA, SADC, UEMOA)(2) est aussi analysée.
L’Europe et l’Afrique devraient travailler ensemble pour évoluer vers un seuil de 100% de locomotives européennes et africaines. Cela contribuera à la lutte contre la pauvreté et la réduction des flux migratoires.
Je qualifie ces locomotives comme les équipes nationales de l’UE, et de l’Afrique face à la mondialisation.
Q – Mais vous êtes d’accord qu’il nous manque des statistiques crédibles?
FD – Tout à fait. Cela vient en complément, le livre apporte aussi de sérieux éléments d’évaluation et d’appréciation aux décideurs européens et africains pour une bonne conduite de leurs activités.
Q – Vous dites dans votre livre que vous voyez le commerce comme le moteur des relations économiques entre l’Europe et l’Afrique, plutôt que l’aide au développement. Alors, pensez-vous qu’à l’avenir le premier peut remplacer la deuxième?
FD – Les deux restent encore complémentaires, car l’aide au développement doit servir à la mise en place des infrastructures de base nécessaires pour l’économie, même si elle a montré ses limites. Le commerce est le levier dont dispose l’Europe pour contribuer efficacement au développement de l’Afrique. Il touche de nombreux secteurs de l’économie, une grande partie des populations et contribue aux recettes des Etats. Il sera aussi bénéfique pour l’Europe, en termes de croissance, et d’emplois. C’est du gagnant-gagnant. En effet, l’Afrique dispose d’un marché potentiel intérieur important. L’UE est un pôle du commerce mondial, qui alimente la croissance d’autres zones (Asie, Amériques, …).
J’ai constaté par exemple que les locomotives européennes ne réalisent leur volume d’affaire, qu’avec en moyenne 36% des pays africains. Ils ont donc une marge importante, pour accroître leur part de marché. De même, les locomotives africaines ne réalisent leur volume d’affaire, qu’avec en moyenne 38% des pays européens.
D’ailleurs, un des résultats importants de mes travaux a été, par exemple, d’élaborer un indicateur (un indice d’une valeur entre 0 et 100), une sorte de boussole annuelle attribuée à chacun des 82 pays (UE (28), Afrique (54)), pour un meilleur suivi du commerce entre l’UE et l’Afrique. Il permet de sélectionner les locomotives, et devrait être complémentaire à la règle adoptée pour les pays occidentaux, qui consiste à transférer un pourcentage (0,7%) de leur PIB pour financer le développement. Il va permettre de financer le commerce avec l’Afrique en complément de l’aide au développement.
Q – En lisant votre livre, on remarque, néanmoins, la continuité d’un vieux cliché: l’Afrique exporte toujours des matières premières à faible valeur ajouté et elle importe des produits manufacturés. Qu’est-ce qu’on peut faire pour changer cette donne?
FD – Il faudra favoriser la mise en place d’un partenariat industriel, comme je le développe dans mon livre. Si j’avais une proposition à faire, je dirais, par exemple, qu’il faudrait orienter le principal outil européen de l’aide au développement, le FED, dans le sens de servir de garantie pour les investissements industriels destinés à améliorer la transformation des produits africains. Cette garantie serait destinée aux industriels, investissant dans la transformation locale afin de couvrir une partie des risques d’investissements. Un système de co-entreprise, qui semble-t-il, est favorisé avec les pays d’Afrique du Nord: Maroc, Tunisie, Algérie, Egypte, peut aussi être appliqué.
Ces schémas peuvent être utilisés pour toute implantation d’usine, qui prendra en compte les intérêts réciproques, européens et africains. Un travail d’information et de sensibilisation devra aussi être fait auprès des industriels européens et africains, sur la question. Tout cela pouvant conduire à la création d’emplois, et l’émergence d’une classe moyenne de consommateurs en Afrique.
L’Europe y gagnera aussi pour la croissance de son économie, en consolidant ses positions face à ses concurrents chinois, américains, indiens, ou autres; elle bénéficiera du potentiel que lui offre le marché intérieur africain pour ses produits.
Enfin, l’Afrique doit pouvoir compter sur elle-même, en engageant une réflexion, sur la mutualisation des pôles de compétences qui existent déjà dans ses différentes zones (Afrique du Nord, SADC, CEDEAO, COMESA, CEMAC, UEMOA), pour la mise en place ou le développement de son industrie de transformation.
Q – Voyez-vous un rôle pour les transferts de technologie dans ce partenariat industriel que vous proposez?
FD – Oui, bien sûr. Mais dans un premier temps, il faut envisager un apport de technologie, pour donner une plus grande valeur ajoutée aux matières premières africaines. Le transfert de technologie pourra être fait dans la suite. Par exemple, le secteur de l’agro-industrie, est celui où l’on pourrait mettre en oeuvre ce partenariat, avec pour objectif initial de satisfaire à la demande du marché intérieur. J’ai constaté dans mes travaux que l’Afrique importe une part importante de ses besoins pour certaines branches identifiées. Le volume d’affaire global de cette activité se répartit en 17% d’exportations africaines, et 83% d’importations. Ces branches sont portées par l’Afrique du Sud, le Maroc, et la Côte d’Ivoire.
Q – Pensez-vous que les Accords de Partenariat Économique (APE) récemment signés pourront jouer un rôle important dans ce passage de l’aide au commerce comme moteur de l’activité économique en Afrique?
FD – En effet, ces accords vont certainement jouer un rôle, car ils présentent d’énormes possibilités de débouchés pour les produits africains. Lorsque l’on regarde l’exemple des pays africains qui ont signé des accords avec l’UE, comme l’Afrique du Sud (Accord commerce et développement), ou ceux de l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte) – Accords d’association, ils représentent ensemble 53% du volume d’affaire global de l’Afrique avec l’UE. Ils ont en moyenne, un indice d’exportation de 52% (cela signifie qu’ils exportent une grande diversité de produits vers l’Europe). Ils exportent aussi des produits industriels vers l’Europe, même si en moyenne, la balance commerciale est en faveur de l’UE. On peut en déduire que cela va engendrer un volume d’affaire important.
Pour les APE, même si l’on considère que les pays signataires ont leur spécificité, je pense que cela apportera certainement une évolution dans leur volume d’affaire avec l’UE. Toutefois, la capacité des pays africains à exporter des produits finis reste un point à améliorer, pour faire des APE un outil véritable de développement pour les pays africains. Une attention sera portée dans mes travaux sur le suivi et l’évolution du commerce de l’après APE.
Q – Et cela pourra avoir un effet bénéfique sur le commerce intra-africain qui ne marche pas aussi bien qu’on le souhaiterait, à votre avis?
FD – Tout à fait, c’est justement un des points de mes travaux. Le taux du commerce intra-Afrique est de l’ordre de 11% du commerce global de l’Afrique avec le reste du monde. Ce taux est faible, lorsque l’on le compare aux taux d’autres zones qui sont de l’ordre de 80% ou plus.
Mon ouvrage présente les produits que chacun des pays africains exporte vers l’Europe et ceux qu’il importe. Ces produits africains peuvent aussi être exportés vers d’autres pays africains qui en ont besoin. Par exemple, dans le secteur préparations de poissons, viandes, …, les importations africaines de l’UE ne représentent que 19% de la capacité d’exportation de l’Afrique vers l’UE. L’Afrique peut donc satisfaire ses besoins par le commerce intra-Afrique. Le COMESA et l’Afrique du Nord peuvent fournir tout le reste de l’Afrique.
Les importateurs et exportateurs africains qui auront lu l’ouvrage prendront connaissance de leurs possibilités de coopération commerciales avec les autres régions africaines. Cela augmentera le commerce intra-Afrique. On peut prévoir que l’évolution du commerce liée à l’avènement des APE, aura un impact sur le commerce intra-Afrique.
Q – Après une première édition en 2012, vous publiez maintenant la deuxième édition. Vous travaillez déjà à la prochaine édition? Quand est-ce qu’elle verra le jour?
FD – Effectivement les travaux de la prochaine édition sont en cours. D’une édition à l’autre, il faut affiner les travaux et prendre en compte les observations éventuelles. On peut s’attendre à une publication au début de l’année prochaine. Encore une fois cela servira à faire un suivi du commerce et son amélioration, en tant qu’instrument du développement pour l’Afrique et de croissance pour l’Europe. Il s’inscrit d’ailleurs dans la stratégie de l’Europe. Cet ouvrage servira autant un décideur d’une institution, qu’une grande entreprise, une PME ou PMI. En effet, l’Europe et l’Afrique sont deux continents voisins, liés par l’histoire, les langues. Ils ont besoin l’un de l’autre pour l’avenir, l’UE avec son pouvoir d’achat, son poids dans l’économie mondiale, son élargissement; et l’Afrique avec son potentiel économique et son économie en croissance. Avec l’évolution de l’économie mondiale, leur coopération a besoin d’un nouveau souffle, et d’une adaptation. Le commerce me semble être un élément essentiel de cette adaptation, qui aura un bénéfice réciproque pour l’un et pour l’autre. Mes travaux et le concept que je propose sont une contribution à cela, au service des stratégies des deux partenaires.
(1) Editions Sides, 300 pages, Prix: 120€, en librairie
(2) Afrique du Nord (Algérie, Egypte, Libye, Maroc, Tunisie), 5 pays
CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), 15 pays
CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale), 6 pays
COMESA (Marché Commun de l’Afrique Orientale et Australe), 19 pays
SADC (Communauté de Développement de l’Afrique Australe), 15 pays
UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine), 8 pays