La semaine dernière, dans un quartier populaire, je vis trois adultes, la soixantaine tous, assis, à même le sol, en train de causer et de rire. Vêtus plus que modestement ils passaient leur temps à rire. Tout heureux. Je les regardais et je les écoutais, presque trente minutes, sans me faire remarquer, avant de continuer mon chemin. C’est une pratique courante chez moi. Je monte dans un taxi-compteur ou communal pour un quartier populaire ou même populeux afin de mieux sentir le peuple et surtout pour créer des personnages de romans. J’ai toujours méprisé la littérature bourgeoise, celle qui ne s’adresse qu’à une minorité de lecteurs et à des personnages venant des milieux aisés. Ce matin-là, j’étais si heureux de voir ces trois personnages vivre de si peu. Ils étaient si maigres que je les savais vraiment démunis. Il leur était impossible de s’acquitter de la popote convenable. Ce sont des personnes qui ne pratiquaient pas de régime pour diminuer de poids ou de voir leur ventre grossir. Ce qui me passionne dans le cas des démunis ou des blessés de la vie, comme pour reprendre le mot du Pape Jean-Paul 2. Quand je les vois bavarder, rire, jouer entre eux, écouter de la musique, je me dis que la vie est belle et n’est pas aussi difficile à vivre. Les hommes pauvres sont si heureux car ils ne sont pas portés, par leur éducation, leur mentalité, à la recherche effrénée d’un poste de responsabilité, d’un peu plus d’argent à gaspiller, de rêves de belles voitures qui coûtent plus que le budget annuel de plusieurs hôpitaux de villes moyennes ou petites. Dans les quartiers moyens ou riches, les gens ne vivent pas heureux. Ils ne dorment pas bien. Toute l’énergie est concentrée sur la haine d’un rival à faire descendre de son piédestal. La plupart des cadres vivent toujours de : « Ôte-toi pour que je m’y mette. » Personne n’apprécie son prochain. Chacun est le meilleur, le plus beau et veut devenir le plus puissant. Gagner toujours un peu plus à chaque heure de la journée devient un grand combat qui ne laisse aucun répit à l’organisme, donc à la santé. L’homme des quartiers pauvres laisse sa vie dans la main de Dieu. Pour lui, le destin de l’homme se trouve dans la main de Dieu. La grande philosophe de l’Inde, Raja Jao, disait : « Regardez l’Indien. Il est calme, mesuré, jamais pressé. Pour lui, tout arrive à temps dans la vie de l’homme. Aller au-devant de quelque chose, c’est se créer des problèmes et des problèmes. » Sékou Touré, le premier président de la République de Guinée disait que la vie de l’homme va de un à cent ans et celui du pays à mille ans. Voir toujours la vie avec sagesse et humilité. Il est bon pour les gens des quartiers aisés, se croyant toujours pauvres de quelque chose, de se rendre régulièrement dans les quartiers pauvres pour se mirer à la réalité quotidienne. Ils auront, à la longue des visites ou des promenades, de l’humilité, du réalisme, de moins de méchanceté et beaucoup d’amour pour leurs concitoyens. Etre heureux n’est pas si compliqué, réduire tout simplement son aspiration dévorante à une situation professionnelle ou politique. Quand on voit dans un quartier populaire que beaucoup ne mangent que de l’attiéké ou de la banane braisée avec de l’arachide grillée, on se dit qu’il est possible de bien économiser ou de faire un placement à la bourse. Avec les moyens financiers de beaucoup de cadres il est bon que la bourse devienne la grande affaire du pays. Placer régulièrement de l’argent dans des sociétés cotée en bourse sera une occasion de ne plus se « battre » contre un ennemi imaginaire ou vrai. C’est fonder une activité matérielle et financière pour éviter des ennuis de toutes sortes. L’Afrique manque d’épargne. Il est urgent que des campagnes soient lancées afin de pousser les riches à faire des placements. Il est facile de rire avec la vie en adoptant un minimum de modestie. Allez devant un bar de n’importe quel quartier populaire. La musique est à fond sonore mais aussi tonitruante. Les gens dansent en chantant. Ils sont si heureux. On ne cherche pas loin le bonheur. Un peu comme le disait le Christ. A chaque jour suffit son bonheur. Tout ce qui compte, c’est la vie. Se réveiller tous les jours en vie suffit pleinement. La Fontaine a écrit une fable exceptionnelle. Il s’agit de « Le savetier et le financier. » Le financier voyant le savetier, en face de lui, travailler en chantant, demanda un échange de fonction entre eux. Il n’arrivait pas à comprendre qu’un homme très pauvre soit dans la joie perpétuelle et que lui, bourré de fric, dort peu, a même de l’insomnie et ne fait que réfléchir. Le savetier accepta de venir à sa place. Au bout de quelques jours le savetier vint reprendre sa place. Il avait perdu la joie de vivre. Le bonheur se trouve dans la pauvreté. Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Par Isaïe Biton Koulibaly
Par Isaïe Biton Koulibaly