Incontestablement, en dehors de tout débat politicien, l’élection d’Alassane Ouattara en avril 2011, après une grave crise électorale, est perçue comme l’acte fondateur d’une nouvelle Côte d’Ivoire. En appelant à voter Ouattara au second tour de l’élection présidentielle de 2010 et en lançant en 2014 l’Appel de Daoukro afin de porter en 2015, dans le cadre du RHDP, la candidature unique d’Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié se fait par deux fois le sauveur de la démocratie ivoirienne. L’histoire retiendra ce rôle historique joué par Bédié comme elle retiendra l’action d’Alassane Ouattara qui transforme la Côte d’Ivoire pour en faire le fer de lance de l’économie de l’Afrique de l’Ouest et lui redonner sa place sur la scène internationale .Le slogan « Ado-Solutions » donne sa pleine mesure dans les années 2011-2016 avec une croissance forte et durable et, comme apogée, en novembre 2016, l’adoption d’une nouvelle constitution et l’instauration de la IIIè République ivoirienne.
2016-2018 : le désenchantement ?
Entièrement préoccupés par la concurrence qu’ils se livrent au sein du RHDP et enivrés par la succession des victoires électorales de la coalition au pouvoir, les deux grands partis de gouvernement que sont le RDR et le PDCI sont incapables d’appréhender, en cette année 2016, le phénomène d’usure du pouvoir qui les frappe et d’en mesurer les signes palpables : la montée de l’abstention, les victoires des indépendants aux élections, la grogne sociale, les grèves des fonctionnaires, les mutineries qui créent un climat insurrectionnel dans certaines villes, les inondations tragiques de juin 2018, tout cela sur fond de crise économique avec l’effondrement des cours du cacao, ce qui témoigne des dangers d’une économie de la rente. Socle indispensable du progrès économie et social, la stabilité politique se fissure sous les coups répétés d’une effervescence électorale et l’exacerbation des concurrences à l’approche de 2020. Les populations, frappées d’étonnement, voient se dérouler sous leurs yeux, ce spectacle politicien avec la menace du retour des vieux affrontements. La possible libération conditionnelle de Laurent Gbagbo en septembre ranime la flamme du dernier carré des « Gbagbo, ou rien ». Si l’élection d’Alassane Ouattara en 2011 a bien été l’acte fondateur du Côte d’Ivoire nouvelle, les années pré-électorales 2018-2020 ouvrent le champ du possible d’un brusque retour en arrière, dont les premières victimes seront, comme d’habitude, les populations. Or, les Ivoiriens ont fait preuve, en 2010 et en 2015, d’une grande maturité politique en choisissant les urnes plutôt que les armes. Bédié, dans le droit fil de l’héritage de Félix Houphouët-Boigny, a tout fait pour préserver la paix. Ouattara s’inscrit dans cette même logique de paix.
2018-2020 : comment maintenir « un social des plus hardis » ?
Mais, Bédié et Ouattara sont soumis à la vive pression qu’exercent sur eux les noyaux durs de chaque camp. Leur rôle est de maintenir au sein du RHDP, mais aussi avec l’opposition, un esprit de dialogue. Houphouët-Boigny ne disait-il pas : « « Dans la recherche de la paix, de la vraie paix, de la paix juste et durable on ne doit pas hésiter un seul instant, à recourir, avec obstination au dialogue. » Mais, il disait aussi : « La finalité du développement n’est pas un « homo economicus » désincarné, mais l’homme, dans la rue, dans les champs, dans les usines, dans les bureaux, l’homme dans sa famille ». La Côte d’Ivoire n’est-elle pas devenue, finalement, un « pays riche désincarné » dans lequel continuent à vivre des populations pauvres ? Là encore, il faut relire Houphouët-Boigny : « « Ce que veut l’Ivoirien, c’est le partage de la richesse et non de la misère. Et pour ce faire, il doit, avant tout, contribuer à créer ces richesses. » Cette phrase prend toute sa signification sous l’éclairage de cette autre déclaration du Père de la nation : « Certes, nous ne sommes pas un pays socialiste, mais notre ambition est de réaliser par le travail, dans la discipline librement consentie, dans l’union étroite du cœur et des esprits, un social des plus hardis. » Ni Bédié ni Ouattara ne sont socialistes, ils appartiennent au camp des libéraux à une époque où l’Etat n’a plus les moyens de conduire « un social des plus hardis », s’il n’y a pas, d’abord création de richesses.
Le prisme de lecture des années 2018-2020 doit être celui de la question sociale devenue la priorité absolue, afin de répondre aux attentes des populations qui rencontrent dans leur vie quotidienne de graves difficultés. Il existe bien un Programme Présidentiel d’Urgence (P.P.U.), doté d’un Fonds spécial d’un montant de 45 milliards de FCFA, qui permet des investissements rapides dans cinq secteurs prioritaires : l’accès à l’eau potable, à la santé, à l’éducation, à l’électricité et dans le domaine de la salubrité urbaine. Or, dans chacun de ces secteurs, les réalisations sont insuffisantes et les objectifs ne sont pas atteints. En 2016, un plan d’urgence de 1 000 milliards de FCFA a été annoncé afin de lutter contre les inondations à Abidjan. On sait que, le 22 décembre 2016, un accord a été signé entre la Banque Islamique de Développement (BID) et la République de Côte d’Ivoire, en vue du financement du Projet d’amélioration durable de la situation de l’assainissement et du drainage des eaux pluviales de la ville d’Abidjan. Le gouvernement a précisé qu’il « entend ainsi mieux protéger les populations contre les inondations, garantir la santé publique, sécuriser les infrastructures routières et protéger les forages d’eau potable contre d’éventuelles contaminations ». La part du dérèglement climatique dans ces inondations, avec des pluies diluviennes, est une réalité. Mais, le dynamisme d’Anne Désirée Ouloto, ministre de la Salubrité urbaine et de l'assainissement, n’est pas suffisant, si le gouvernement n’a pas la volonté de conduire des actions et d’en évaluer les résultats pour le bien-être des populations. Secteur par secteur, existe-t-il une réelle évaluation des actions conduites dans le cadre du PPU ? Désigner un coupable ou un responsable est loin de résoudre les difficultés souvent inhérentes à l’inertie de l’action publique, les responsabilités se diluant dans le labyrinthe des ministères, des administrations et des autorités locales. Beaucoup reste à faire dans les domaines de l’accès à la santé, l’éducation, l’électricité, l’emploi, le logement, l’eau potable, la sécurité alimentaire, la protection de l’environnement, la lutte contre la déforestation, la lutte contre la corruption, etc. Toutes les actions conduites dans ces différents secteurs contribuent à répondre aux attentes des populations, sans jamais s’arrêter, car les circonstances changent sans cesse.
2020 : l’élection se jouera sur la question sociale
La Côte d’Ivoire des années 2016-2018 n’est déjà plus celle des années 2011-2016. Celle des années 2018-2020 sera encore différente, avec, cependant, le même fil rouge : la question sociale. On doit reconnaître à l’actuel gouvernement d’avoir mis en place les conditions qui ont permis la création de richesses, selon la promesse libérale. Il lui reste à tenir la promesse républicaine, celle du partage des richesses, ce que le FMI nomme, de façon abstraite, une « croissance plus inclusive », ce que l’Ivoirien comprend, à juste titre, de façon plus concrète, comme « des réformes pour mon assiette ». Le débat sur l’alternance entre le PDCI et le RDR reste, pour les populations, une querelle politicienne. Elles attendent de lire la partie sociale des programmes électoraux, ainsi que l’émergence d’une figure charismatique capable de porter ces idées selon les principes mêmes de l’houphouétisme qui est de créer par le travail les conditions d’un « social des plus hardis ». Il est donc temps, afin de préserver la stabilité politique et l’unité nationale, que la question sociale soit la première préoccupation des partis politiques ivoiriens qui concourent à l’élection de leur candidat en 2020.
Christian Gambotti
Président du Think tank
Afrique & Partage
DG de la société Easy Concept For You
Directeur de la Collection
L’Afrique en Marche
2016-2018 : le désenchantement ?
Entièrement préoccupés par la concurrence qu’ils se livrent au sein du RHDP et enivrés par la succession des victoires électorales de la coalition au pouvoir, les deux grands partis de gouvernement que sont le RDR et le PDCI sont incapables d’appréhender, en cette année 2016, le phénomène d’usure du pouvoir qui les frappe et d’en mesurer les signes palpables : la montée de l’abstention, les victoires des indépendants aux élections, la grogne sociale, les grèves des fonctionnaires, les mutineries qui créent un climat insurrectionnel dans certaines villes, les inondations tragiques de juin 2018, tout cela sur fond de crise économique avec l’effondrement des cours du cacao, ce qui témoigne des dangers d’une économie de la rente. Socle indispensable du progrès économie et social, la stabilité politique se fissure sous les coups répétés d’une effervescence électorale et l’exacerbation des concurrences à l’approche de 2020. Les populations, frappées d’étonnement, voient se dérouler sous leurs yeux, ce spectacle politicien avec la menace du retour des vieux affrontements. La possible libération conditionnelle de Laurent Gbagbo en septembre ranime la flamme du dernier carré des « Gbagbo, ou rien ». Si l’élection d’Alassane Ouattara en 2011 a bien été l’acte fondateur du Côte d’Ivoire nouvelle, les années pré-électorales 2018-2020 ouvrent le champ du possible d’un brusque retour en arrière, dont les premières victimes seront, comme d’habitude, les populations. Or, les Ivoiriens ont fait preuve, en 2010 et en 2015, d’une grande maturité politique en choisissant les urnes plutôt que les armes. Bédié, dans le droit fil de l’héritage de Félix Houphouët-Boigny, a tout fait pour préserver la paix. Ouattara s’inscrit dans cette même logique de paix.
2018-2020 : comment maintenir « un social des plus hardis » ?
Mais, Bédié et Ouattara sont soumis à la vive pression qu’exercent sur eux les noyaux durs de chaque camp. Leur rôle est de maintenir au sein du RHDP, mais aussi avec l’opposition, un esprit de dialogue. Houphouët-Boigny ne disait-il pas : « « Dans la recherche de la paix, de la vraie paix, de la paix juste et durable on ne doit pas hésiter un seul instant, à recourir, avec obstination au dialogue. » Mais, il disait aussi : « La finalité du développement n’est pas un « homo economicus » désincarné, mais l’homme, dans la rue, dans les champs, dans les usines, dans les bureaux, l’homme dans sa famille ». La Côte d’Ivoire n’est-elle pas devenue, finalement, un « pays riche désincarné » dans lequel continuent à vivre des populations pauvres ? Là encore, il faut relire Houphouët-Boigny : « « Ce que veut l’Ivoirien, c’est le partage de la richesse et non de la misère. Et pour ce faire, il doit, avant tout, contribuer à créer ces richesses. » Cette phrase prend toute sa signification sous l’éclairage de cette autre déclaration du Père de la nation : « Certes, nous ne sommes pas un pays socialiste, mais notre ambition est de réaliser par le travail, dans la discipline librement consentie, dans l’union étroite du cœur et des esprits, un social des plus hardis. » Ni Bédié ni Ouattara ne sont socialistes, ils appartiennent au camp des libéraux à une époque où l’Etat n’a plus les moyens de conduire « un social des plus hardis », s’il n’y a pas, d’abord création de richesses.
Le prisme de lecture des années 2018-2020 doit être celui de la question sociale devenue la priorité absolue, afin de répondre aux attentes des populations qui rencontrent dans leur vie quotidienne de graves difficultés. Il existe bien un Programme Présidentiel d’Urgence (P.P.U.), doté d’un Fonds spécial d’un montant de 45 milliards de FCFA, qui permet des investissements rapides dans cinq secteurs prioritaires : l’accès à l’eau potable, à la santé, à l’éducation, à l’électricité et dans le domaine de la salubrité urbaine. Or, dans chacun de ces secteurs, les réalisations sont insuffisantes et les objectifs ne sont pas atteints. En 2016, un plan d’urgence de 1 000 milliards de FCFA a été annoncé afin de lutter contre les inondations à Abidjan. On sait que, le 22 décembre 2016, un accord a été signé entre la Banque Islamique de Développement (BID) et la République de Côte d’Ivoire, en vue du financement du Projet d’amélioration durable de la situation de l’assainissement et du drainage des eaux pluviales de la ville d’Abidjan. Le gouvernement a précisé qu’il « entend ainsi mieux protéger les populations contre les inondations, garantir la santé publique, sécuriser les infrastructures routières et protéger les forages d’eau potable contre d’éventuelles contaminations ». La part du dérèglement climatique dans ces inondations, avec des pluies diluviennes, est une réalité. Mais, le dynamisme d’Anne Désirée Ouloto, ministre de la Salubrité urbaine et de l'assainissement, n’est pas suffisant, si le gouvernement n’a pas la volonté de conduire des actions et d’en évaluer les résultats pour le bien-être des populations. Secteur par secteur, existe-t-il une réelle évaluation des actions conduites dans le cadre du PPU ? Désigner un coupable ou un responsable est loin de résoudre les difficultés souvent inhérentes à l’inertie de l’action publique, les responsabilités se diluant dans le labyrinthe des ministères, des administrations et des autorités locales. Beaucoup reste à faire dans les domaines de l’accès à la santé, l’éducation, l’électricité, l’emploi, le logement, l’eau potable, la sécurité alimentaire, la protection de l’environnement, la lutte contre la déforestation, la lutte contre la corruption, etc. Toutes les actions conduites dans ces différents secteurs contribuent à répondre aux attentes des populations, sans jamais s’arrêter, car les circonstances changent sans cesse.
2020 : l’élection se jouera sur la question sociale
La Côte d’Ivoire des années 2016-2018 n’est déjà plus celle des années 2011-2016. Celle des années 2018-2020 sera encore différente, avec, cependant, le même fil rouge : la question sociale. On doit reconnaître à l’actuel gouvernement d’avoir mis en place les conditions qui ont permis la création de richesses, selon la promesse libérale. Il lui reste à tenir la promesse républicaine, celle du partage des richesses, ce que le FMI nomme, de façon abstraite, une « croissance plus inclusive », ce que l’Ivoirien comprend, à juste titre, de façon plus concrète, comme « des réformes pour mon assiette ». Le débat sur l’alternance entre le PDCI et le RDR reste, pour les populations, une querelle politicienne. Elles attendent de lire la partie sociale des programmes électoraux, ainsi que l’émergence d’une figure charismatique capable de porter ces idées selon les principes mêmes de l’houphouétisme qui est de créer par le travail les conditions d’un « social des plus hardis ». Il est donc temps, afin de préserver la stabilité politique et l’unité nationale, que la question sociale soit la première préoccupation des partis politiques ivoiriens qui concourent à l’élection de leur candidat en 2020.
Christian Gambotti
Président du Think tank
Afrique & Partage
DG de la société Easy Concept For You
Directeur de la Collection
L’Afrique en Marche