Dans l’attente de la fin des discussions engagées depuis le 21 Janvier 2019, entre le gouvernement, les Partis Politiques et la société civile en vue de la réforme de la Commission électorale indépendante (Cei), Alain Dogou, vice-président de cette institution dans cette interview-vérité exclusive, s’interroge sur les causes des violences électorales, fait des graves révélations sur les fraudes électorales et se projette sur les éléments à intégrer dans le cadre des réflexions en cours.
Au moment où le gouvernement, la société civile et les partis politiques discutent de la réforme de la Cei, comment de l’intérieur de la Commission, vous percevez la dite réforme ?
Je vous remercie pour l’opportunité que vous m’offrez, d’échanger par le biais de votre journal, avec les Ivoiriens, sur la Cei, sur laquelle de nombreuses personnes interviennent, sans avoir pris la peine de lire, notre Constitution, le Code électoral et, la Loi modificative de 2014 portant création, organisation et fonctionnement de la Cei.
Pour répondre à votre question, le Commissaire central que je suis, observe que, depuis le 21 Janvier 2019, le Gouvernement a initié des rencontres avec les acteurs politiques et la société civile devant aboutir à un consensus sur la réforme de la Cei. J’attends comme tous nos compatriotes, les résultats de cette concertation.
En tant que citoyen, vous avez certainement une opinion sur cette réforme ?
Bien entendu. Je suis à ma quinzième année de membre de la Commission électorale, j’ai donc une opinion personnelle, par rapport aux acquis à capitaliser, mais aussi, par rapport aux dysfonctionnements structurels, opérationnels et, aux projections à faire pour améliorer le fonctionnement de l’Institution.
Justement, au niveau opérationnel, l’opposition politique, dans ses constats, a accusé la Cei d’avoir organisé des élections qui ont occasionné plusieurs morts.
C’est vrai que certains hommes politiques accusent la Cei d’avoir organisé des élections au cours desquelles, il y a eu des morts. Mais, la question fondamentale est de savoir : à qui profitent les violences pendant les scrutins ?
Est-ce à la Cei ou, aux candidats ?
Des agents électoraux convoyant les Procès-verbaux des résultats des bureaux de vote, ont été agressés et gravement blessés dans plusieurs circonscriptions électorales. A qui profite donc le crime ?
Aux candidats pour lesquels les résultats sur les procès-verbaux sont défavorables ou, à la Cei ?
Lorsque des loubards armés font irruption dans les bureaux de vote, agressent les membres dudit bureau, cassent les urnes et les isoloirs : à qui profite là-aussi le crime ?
À des candidats ou à la Cei ?
Lorsque, le jour du scrutin, dans les contrôles de routine, des forces de l’ordre saisissent dans certaines localités, des machettes et couteaux sur des électeurs potentiels ou des partisans d’un candidat : à qui profite le crime ?
La question fondamentale que je pose à ceux qui parlent de morts autour des scrutins : qui des Politiques ou de la Cei sont à l’origine des violences électorales ?
F.M : Mais, ne revient-il pas à la Cei de mettre en place un dispositif sécuritaire dissuasif pour prévenir les violences et les réprimer ?
Il est important de préciser que, relativement à la Loi, la Cei n’a aucune attribution en matière de sécurisation des électeurs et des candidats. Cependant, dans la mise en œuvre de certaines de ses attributions notamment, celle relative à « la garantie sur tout le territoire national et à tous les électeurs, du droit et de la liberté de vote », la Cei demande au gouvernement, de bien vouloir désigner des agents des forces de sécurité pour y veiller. La Cei indique simplement les lieux de vote et le nombre d’électeurs attendus dans chaque centre de vote. Les services de sécurité de l’Etat conçoivent un plan de sécurisation de l’élection et, le gouvernement dégage les moyens humains et logistiques pour la mise en œuvre dudit plan. La Cei qui n’a aucune compétence en matière de sécurité, n’a donc aucune responsabilité dans les violences au cours des scrutins.
Qui est donc responsable des violences électorales ?
A mon avis, il revient surtout, aux politiques et à la société civile, la responsabilité d’éduquer les militants et les citoyens, comme l’on a pu le constater au Sénégal, lors des dernières élections présidentielles de Février 2019 que la Cei a observées. Là-bas, ce sont les citoyens, les électeurs qui s’interpellent, pour que l’ordre indiqué dans le déroulement du scrutin, par le mode opératoire soit respecté. Si bien qu’un lieu de vote abritant dix-huit(18) bureaux de vote est sécurisé seulement par deux (02) agents des forces de l’ordre. En Côte d’Ivoire, dans un centre de vote ayant plus de cinq (05) bureaux de vote, l’on recommande un groupe d’intervention de la Police ou de la gendarmerie, c’est-à-dire, le même dispositif de prévention contre une attaque potentielle d’un groupe terroriste.
Les élections sont une activité civile et non un champ de bataille ou un ring pour des combattants. C’est donc pour nous, une question d’éducation civique et non, une attribution exclusive de la Cei qui, elle, subit au cours des élections, le déficit de formation civique de la population électorale en général et, des militants des partis politiques, en particulier.
Au-delà des violences électorales, l’on vous accuse aussi, de fraudes au profit de certains candidats, particulièrement ceux proches du pouvoir.
La Cei, relativement à la loi qui la crée, est organisatrice des élections, mais elle n’est pas le juge des élections en Côte d’Ivoire. La loi portant création de la Cei indique bien que : « les décisions de la Cei sont susceptibles de recours devant le juge compétent ». Ceux des politiques ou des candidats, qui sont convaincus que les dispositions légales et règlementaires n’ont pas été respectées par l’organe en charge de l’organisation des élections, peuvent donc faire des recours judiciaires. Cela a été observé récemment, dans certaines circonscriptions électorales comme à Port-Bouët, Lakota, Divo, Duékoué, Rubino et le juge des élections a tranché. C’est donc pour moi, un faux procès que l’on fait à la Cei sur la fraude au profit d’un candidat. Les vrais fraudeurs sont ailleurs.
Où sont-ils les fraudeurs ?
Les fraudeurs se retrouvent parmi les candidats et les électeurs.
Ce sont des accusations graves ?
Ce ne sont pas des accusations mais des constats vérifiés et pour preuves : aux dernières élections municipales et régionales, l’on a vu des candidats qui, après leur défaite, ont organisé des conférences de presse pour accuser la Cei, d’avoir « fraudé » et proclamé des vainqueurs qui n’en étaient pas. Ces candidats ont fait des recours devant la Chambre administrative de la Cour suprême et ont été déboutés.
Certains, parmi les candidats « mauvais perdants », auraient pu même être traduits devant les tribunaux par la Cei pour tentative de fraude sur les documents électoraux.
En effet, ils ont falsifié des procès-verbaux, en ajoutant par exemple, sur leur exemplaire, le chiffre (1) pour donner "cent quatre-vingt" (180) là, où, tous les autres procès-verbaux de leurs adversaires, y compris ceux de la Cei et de la Cour suprême, marquaient : "quatre-vingt" (80) en face de leur nom. Sur leurs propres procès-verbaux, il est écrit en lettre : Quatre-vingt (80), comme sur les autres procès-verbaux. Ces candidats-là ont accusé la CEI, de leur avoir soustrait cent (100) voix alors que ce sont eux-mêmes qui ont « trafiqué » leur seul procès-verbal pour s’attribuer cent (100) voix.
Est-ce que le candidat-fraudeur gagnait l’élection avec les cent voix en plus ?
Les cas où des candidats ont « trafiqué » les procès-verbaux sont nombreux :
Dans le premier cas, avec les cent (100) voix, il serait déclaré vainqueur, puisqu’il a fait la même opération frauduleuse sur trois (03) procès-verbaux.
Dans un deuxième cas, le candidat s’est attribué cent (100) voix pour atteindre les 10% de suffrages exigés par le Code électoral, pour bénéficier du remboursement de sa caution, par le Trésor public.
Enfin, il y a un troisième cas plus grossier où, le candidat s’est attribué deux cent (200) voix, sans tenir compte du nombre d’électeurs inscrits dans le bureau de vote. Il avait obtenu en réalité cinquante-huit (58) voix et il ajouté le chiffre (2) sur son procès-verbal, ce qui donne : deux cent cinquante-huit (258). Seulement, le nombre d’électeurs inscrits dans ce bureau de vote est de deux cent quarante-deux (242). Lorsqu’on ajoute les suffrages recueillis par ses trois (03) adversaires, nous obtenons un nombre de suffrages exprimés qui approche le double du nombre d’électeurs inscrits.
Ce sont des cas très graves qui ne sont pas connus des Ivoiriens ?
Cela est vrai, et je le reconnais. Nous avons un véritable problème de communication externe à la Cei, si bien que, la suspicion demeure constante sur les actes que nous posons, alors que nous aurions pu dénoncer certaines pratiques frauduleuses de nos partenaires qui nous critiquent négativement. Le jour où la CeiI va dénoncer publiquement les pratiques frauduleuses des candidats, beaucoup de ceux qui glosent aujourd’hui vont devenir modestes.
Pourquoi vous n’aviez pas dénoncé les pratiques frauduleuses ?
La Cei a une administration très lourde qui a de nombreuses pesanteurs dans son fonctionnement. Ce n’est pas la volonté qui a manqué, mais nous avons un règlement intérieur contraignant, qui nous oblige à nous conformer à la décision majoritaire sans émettre une opinion dissidente publique.
Sinon, depuis les fraudes constatées pendant les enrôlements, il y aurait eu de nombreux candidats dont les dossiers auraient été rejetés.
Parce que les pratiques frauduleuses avaient déjà été constatées pendant les inscriptions sur les listes électorales ?
En effet, plusieurs candidats ont fait le constat que la victoire se prépare dès l’enrôlement. Ainsi, pendant que certains candidats mobilisaient leurs électeurs potentiels à se présenter dans les centres de recensements, d’autres avaient mis en place des systèmes frauduleux que nous avons, in fine, démantelé.
Comment ?
Là encore, les cas sont nombreux : nous avons un cas où, nous avons surpris des vrais agents recenseurs, en train d’enrôler nuitamment, des personnes dans un hôtel qui n’était pas retenu comme Centre d’enrôlement. Pour ce cas, la gendarmerie a été saisie.
Il y a d’autres cas, les plus nombreux, où les opérations d’enrôlement ont été opérées en l’absence des requérants. Il s’est agi des cas de changement de lieux de vote des anciens électeurs. Des agents recenseurs, notamment des opérateurs des tablettes biométriques, ont procédé ainsi et, certainement au bénéfice de potentiels candidats, à des transferts de nombreux électeurs par un clic de l’ordinateur.
Ces opérations frauduleuses ont été relevées par notre programme informatique de consolidation des résultats de terrain. Les tablettes biométriques de recensement sont paramétrées pour effectuer des enrôlements à des jours et, à des heures précis. Tous les enrôlements effectués après ces heures sont systématiquement mis en évidence, et rejetés par le système pendant le traitement.
Vous pouvez affirmer que la liste électorale ne comporte pas d’inscription frauduleuse ?
La technologie électorale évolue et, nous avons dans notre dispositif technique, mis des pare-feu pour traquer les fraudeurs. Il y a eu des enrôlements entre minuit et 05 heures du matin ; ces requérants-là ont été rejetés, et leurs noms n’ont pas été publiés sur la liste électorale provisoire. Ce qui est curieux, c’est qu’ils ne se sont pas présentés aux contentieux d’inscription pour se plaindre. Si bien que, relativement à votre question, je peux affirmer que, toutes les opérations frauduleuses d’inscription à partir de nos tablettes biométriques ont été rejetées. Les listes électorales définitives qui ont permis d’organiser les élections sont fiables. Les petits malins qui se sont enrôlés plusieurs fois, pour bénéficier de plusieurs cartes d’électeurs afin de voter à différents endroits, ont été tous "attrapés" par le système, grâce à leurs empreintes digitales.
Est-ce qu’il s’agit des électeurs fraudeurs que vous avez évoqués ?
Concernant les électeurs, nombreux sont ceux qui, se présentent dans les bureaux de vote avec des documents d’identification non autorisés par le code électoral, ou avec des pièces douteuses, dont certaines mentions ne correspondent pas avec celles figurant sur le listing électoral. Ils sont aussi nombreux, les électeurs qui, se présentaient avec les pièces d’identités de leurs parents décédés. Ils ont été systématiquement rejetés par les tablettes d’identification biométriques. Ces fraudeurs-là devraient être mis à la disposition de la Police pour être poursuivis, relativement à la législation en Côte d’Ivoire.
Je pense que, c’est parce que la Cei ne poursuit pas les fraudeurs en justice que ces derniers l’accusent afin de masquer leur forfaiture. Le jour où des électeurs ou des candidats seront poursuivis, reconnus coupables et condamnés pour fraude électorale, la leçon portera et les pratiques frauduleuses vont considérablement être réduites.
Quels sont selon vous, les dysfonctionnements qui doivent être corrigés par la réforme sur la Cei ?
Le premier président de la Cei, Monsieur Camille Hoguié, au moment de l’application de la première loi de 2001 portant création de la Cei, avait déjà indiqué qu’il y avait déjà des corrections à faire. Ces corrections sont intervenues en 2004, 2005 puis en 2014. Cependant, il y a toujours des améliorations à apporter notamment, dans la mise en place des Commissions régionales, préfectorales, sous-préfectorales et communales. Il devrait avoir à mon avis, un équilibre structurel à établir dans leur composition.
Ce sont, en réalité, les Commissions locales qui ont la charge pratique d’organiser le recensement électoral et le déroulement du scrutin. Je pense que leur composition doit être équilibrée pour inspirer davantage la confiance en l’Institution de tous les acteurs locaux.
Qu’attendez-vous par Commission locale à équilibrer ?
Je pense que, le déséquilibre constaté par la Cour africaine des droits de l’homme au niveau central est le même au niveau local. Relativement au Code électoral, au niveau des résultats de chaque élection, la Cei centrale est une chambre de proclamation des résultats officiels, préalablement proclamés dans chaque localité par les Commissions locales. C’est pour cela que, la dynamique recherchée pour la mise en place d’une commission centrale équilibrée doit être la même que, pour la composition et le fonctionnement des Commissions locales.
A mon avis, il faut surtout éviter d’écrire comme dans une décision présidentielle 2005 sur la Cei, que « les Commissions locales sont composées de la même manière que la Commission centrale ».
Pourquoi ?
Simplement parce que les partis politiques et les Organisations de la société civile membres de la Commission centrale de la Cei, n’ont pas toujours une représentation dans chaque région, département, sous-préfecture et commune en Côte d’Ivoire.
Il a été constaté que des partis politiques, n’ayant pas un maillage national, négocient avec des Partis plus importants, pour leur « prêter » des représentants à la Cei. Ces derniers, à la pratique, se comportent plus comme des représentants de ces grands partis politiques compromettant ainsi, l’équilibre de la commission locale.
Il est arrivé de constater qu’une même personne représente à la fois un parti politique au pouvoir au niveau départemental, et un parti politique de l’opposition au niveau de la sous-préfecture.
Dans certaines localités, ce sont les grands partis politiques qui « démarchent » auprès des petits partis représentés à la Cei, pour leur proposer leurs militants.
Les tractations politiques locales pour représenter des partis politiques entrainent, au niveau opérationnel, un déséquilibre permanent dans le fonctionnement et les prises de décisions dans certaines Commissions électorales locales. Tout cela contribue à la suspicion sur la Cei.
Ces pratiques dans la mise en place des Commissions locales sont totalement inconnues du public, si bien que la suspicion demeure constante sur la Cei centrale.
Il est de notoriété publique que, malgré la critique négative, nous avons organisé en 2016, des élections législatives dont les résultats ont été marqués par l’élection de soixante-quinze (75) députés sous la bannière « Indépendante ».
Cela veut dire qu’ils ont été élus, sans l’appui d’un appareil politique et, surtout, sans avoir de représentant à la Commission centrale de la Cei ni, dans aucune Commission électorale sous-préfectorale ou départementale de leur circonscription électorale. Soixante-quinze (75) députés, c’est-à-dire un peu moins du tiers et, plus du quart des membres de l’Assemblée nationale élus, sans être représenté à la Cei. Que faire de plus, malgré nos imperfections ?
En 2018, deux (02) Présidents de Conseillers régionaux ont été élus sous la bannière « Indépendante ». Plusieurs députés, maires et conseillers régionaux « Indépendants » sont passés, individuellement, au siège de la Cei, pour nous féliciter et nous indiquer, qu’ils avaient eu peur au départ, de se présenter en « Indépendant » à ces élections, en raison de tout ce qui se raconte de négatif sur la Cei.
Au constat, ils se sont présentés, ont battu campagne librement et ont été élu sans avoir mis les pieds une seule fois à la Cei.
Pourquoi alors selon vous, la classe politique est si inquiète lorsque l’on évoque le nom de la Cei ?
La question de la Cei a, pour source principale : la confiance à géométrie variable et la quête permanente de l’indépendance véritable de l’Institution.
Personne ne fait confiance en Afrique, à une Commission électorale. J’ai participé à une conférence des présidents des Commissions électorales en Afrique en avril 2018 à Abuja au Nigéria. J’avais pour voisins de table, les présidents des Commissions électorales de cinq (05) pays. J’ai demandé si, dans leur pays respectif, la Commission électorale bénéficiait de la confiance de tous les acteurs politiques. Ils ont répondu, les uns après les autres la même chose : « Lorsqu’ils gagnent, vous êtes la meilleure Commission. Quelques mois après, les mêmes, lorsqu’ils ont perdu une autre élection organisée par la même Commission électorale, vous accusent d’avoir favorisé les vainqueurs et, vous traitent de tous les noms ». Nous avons conclu nos entretiens par cette phrase : « Les politiciens africains sont partout les mêmes et, il n’y a pas non plus, de Commission électorale parfaite, qui inspire confiance de manière permanente à tous les acteurs politiques. Il faut simplement veiller, au respect scrupuleux des textes qui permettent d’organiser les élections ».
Vous reconnaissez quand même que la Cei n’est pas parfaite ?
La Cei est une œuvre humaine, elle doit nécessairement être renforcée dans sa composition et son fonctionnement. Pour rassurer, elle doit revoir considérablement son mode de communication. Ses membres doivent être à priori lavés de toutes suspicions. Son financement doit obéir à une logique autre que le financement ordinaire public car, le financement actuel de la Cei depuis sa création en 2001, est une forme de dépendance qui ne dit pas son nom. En octobre 2018, j’ai participé à une deuxième conférence à Abuja sur le Budget des élections en Afrique de l’Ouest. Le constat qui a été fait est le même : « Les véritables présidents des Commissions électorales en Afrique sont les ministres des Budgets ».
Comment cela est-il possible ?
C’est le constat fait à la pratique, à une exception près, le Sénégal, où pour des élections présidentielles prévues en Février 2019, la trésorerie est mise en place selon une procédure de décaissement annuelle sur cinq (05) ans, rigoureusement respectée. En Octobre 2018, 90% du financement de l’élection présidentielle de Février 2019, du Sénégal, étaient disponibles.
Dans tous les autres pays d’Afrique de l’ouest, y compris la Côte d’Ivoire, c’est la loi des finances de l’année des élections qui prévoit le financement. Les responsables des finances de la Cei sont logés à la même enseigne que ceux des autres administrations publiques pendant les conférences de programmation budgétaire. A titre d’exemple, si la Cei prévoit trois (03) formations des agents électoraux, il faut convaincre les agents des services financiers du ministère du Budget. Sinon, vous pouvez vous retrouver avec une seule formation et, des critiques d’incompétence notoire de la Cei le jour du scrutin, parce que des agents électoraux ne savent pas manipuler les tablettes biométriques d’identification des électeurs.
Contrairement aux dispositions du Code électoral qui prévoit une révision annuelle de la liste électorale, la Cei n’a pu faire cette révision en 2017 parce que, les services du ministère du Budget ont estimé qu’il n’y avait pas d’élections cette année-là. La ligne budgétaire pour la révision du fichier électoral a été simplement supprimée et même, les députés n’ont pas interpellé le commissaire du Gouvernement au moment du vote par l’Assemblée nationale de la loi des finances en 2017.
C’est une critique contre le gouvernement ?
Non, et pas forcément contre les gouvernements ivoiriens depuis 2001. C’est une pratique observée et dénoncée en octobre 2018, à Abuja, par les présidents des Commissions électorales d’Afrique de l’ouest. C’est donc pour moi, une interrogation pour la mise en place d’une Commission véritablement indépendante de tous les pouvoirs politiques, administratifs et financiers, et qui rassurerait tous les ivoiriens.
L’argent est le nerf de la guerre. Si la Cei n’est pas financée par une taxe spéciale à travers une régie et que, les présidents de la Commission électorale, depuis 2001, soient obligés parfois, de négocier difficilement des compléments budgétaires pour financer des activités régulières, elle sera toujours suspectée, quelle que soit la réforme qui sera adoptée.
La Commission électorale n’est pas une administration sous la tutelle d’un ministère technique, pour qu’on lui envoie, des notes de cadrage budgétaire, lui demandant des réductions de 10 à 20% des activités au dernier trimestre de l’année budgétaire. L’indépendance a un coût et il faudrait que, dans les négociations en cours, les ivoiriens l’assument pleinement.
Plusieurs sources rapportent que les Organisations de la société civile réclament la présidence de la Commission électorale centrale et de toutes les représentations locales de la Cei ?
Je voudrais indiquer que, dans le premier projet de loi sur la Cei en 2001, il était indiqué que le Président de la Commission électorale devrait être un juriste. Au Parlement, les députés ont fait un amendement, en demandant simplement qu’il soit ivoirien. Les arguments évoqués à l’époque étaient que, la Cei n’était pas une juridiction et qu’on n’avait pas besoin d’être juriste pour être honnête. Certains avaient même indiqué qu’il y avait des juristes malhonnêtes. Dix-huit (18) ans plus tard, l’on pourrait faire un raisonnement analogique et s’interroger, si le fait d’appartenir à une Organisation de la société civile garantit votre honnêteté ou, vous dispense de la malhonnêteté ?
Et la présidence des Commissions locales par la Société civile, qu’en pensez-vous ?
Là encore, je voudrais indiquer que la Cei en 2016 et 2018, a concédé, une partie du volet relatif à la sensibilisation de la population aux Organisations de la société civile, notamment à leurs faitières. Le constat fait avec le corps préfectoral sur le terrain est que, la société civile constituée n’existe pas dans 90% des circonscriptions administratives. Il est vrai que certaines Organisations de la société civile sont représentées au niveau des régions et, à un degré moindre, dans les départements. Mais, elles sont quasi inexistantes dans les sous-préfectures.
Or la Cei, c’est cinq cent quarante-neuf (549) commissions locales dont trente-une (31) Commissions régionales ; quatre-vingt-deux (82) Commissions départementales ; cinquante-huit (58) Commissions communales et surtout, trois cent soixante-dix-huit (378) Commissions sous-préfectorales. D’où proviendraient les représentants de la Société civile à Tienko, Goulia, Goudouko, et à Niambézaria ?
C’est donc le même constat fait avec les représentants des partis politiques au niveau local ?
Il serait pour moi risqué, d’autoriser des représentants des organisations de la société civile dans les 549 Commissions électorales locales.
Le risque est qu’il pourrait avoir des personnes militantes ou sympathisantes des Partis Politiques, désignées pour représenter des Organisations de la Société Civile, notamment dans les Sous-préfectures où elles sont pratiquement inexistantes.
Les Commissions ainsi constituées seraient déséquilibrées à la pratique, en faveur des Partis Politiques qui ont « prêté » leurs militants à certaines Organisations de la société civile.
Par le passé, il est arrivé que des représentants de certaines structures membres de la Cei ne résident pas dans la localité. Cela a eu pour conséquence, in fine, leur défection. L’on ne peut donc pas envisager des désignations de représentants de la société civile dans les localités où ils ne résident pas. Etre membre de la Cei est différent de l’observation d’un scrutin qui se fait en un seul jour.
Tous ceux qui habitent dans les sous-préfectures n’appartiennent pas forcement à des formations politiques ?
Cela est vrai mais, il y a une interrogation incidente, à savoir : Le fait pour un citoyen de ne pas militer dans un Parti Politique fait-il de lui, de facto, un membre de la Société Civile ? Il y a une autre question préjudicielle qui s’impose, à savoir : doit-on forcement militer dans une Organisation de la société civile pour être considéré comme membre de la société dite civile ?
La recherche de définition de la société civile à mon avis, nous amènera à rechercher la définition du sympathisant et de son influence dans la société. Un instituteur, un infirmier, une sage-femme qui travaillent dans une sous-préfecture et qui ne militent pas dans des partis politiques, peuvent-ils représenter la société dite civile, nonobstant leur sympathie affichée ou non, pour un parti politique ou un leader politique ?
Finalement, la réforme d’une Cei qui rassure tout le monde est-elle impossible ?
Après dix-huit (18) ans de fonctionnement, il y a, à mon avis, un bilan-diagnostic de la création de la Cei à faire. A partir du bilan, il faudrait capitaliser les acquis, revoir le mode de désignation des membres, équilibrer sa composition et rendre la Cei véritablement indépendante. Il faudrait aussi mener la réflexion sur des possibilités d’appels à candidatures d’Ivoiriens compétents, sans distinction de provenance, au niveau de la Cei centrale et des Commissions locales.
En réalité, il n’y a pas de Commission électorale standard qui satisfasse tous les acteurs politiques et la société civile. Il y a simplement un équilibre à trouver, pour réduire les suspicions et, surtout, une société à éduquer dans le sens du renforcement de la démocratie.
Les élections, comme on le dit, ce n’est pas la guerre, et ne devraient pas engendrer une guerre. Chacun doit en être conscient avant de s’engager dans le jeu politique.
Par R. K.
Au moment où le gouvernement, la société civile et les partis politiques discutent de la réforme de la Cei, comment de l’intérieur de la Commission, vous percevez la dite réforme ?
Je vous remercie pour l’opportunité que vous m’offrez, d’échanger par le biais de votre journal, avec les Ivoiriens, sur la Cei, sur laquelle de nombreuses personnes interviennent, sans avoir pris la peine de lire, notre Constitution, le Code électoral et, la Loi modificative de 2014 portant création, organisation et fonctionnement de la Cei.
Pour répondre à votre question, le Commissaire central que je suis, observe que, depuis le 21 Janvier 2019, le Gouvernement a initié des rencontres avec les acteurs politiques et la société civile devant aboutir à un consensus sur la réforme de la Cei. J’attends comme tous nos compatriotes, les résultats de cette concertation.
En tant que citoyen, vous avez certainement une opinion sur cette réforme ?
Bien entendu. Je suis à ma quinzième année de membre de la Commission électorale, j’ai donc une opinion personnelle, par rapport aux acquis à capitaliser, mais aussi, par rapport aux dysfonctionnements structurels, opérationnels et, aux projections à faire pour améliorer le fonctionnement de l’Institution.
Justement, au niveau opérationnel, l’opposition politique, dans ses constats, a accusé la Cei d’avoir organisé des élections qui ont occasionné plusieurs morts.
C’est vrai que certains hommes politiques accusent la Cei d’avoir organisé des élections au cours desquelles, il y a eu des morts. Mais, la question fondamentale est de savoir : à qui profitent les violences pendant les scrutins ?
Est-ce à la Cei ou, aux candidats ?
Des agents électoraux convoyant les Procès-verbaux des résultats des bureaux de vote, ont été agressés et gravement blessés dans plusieurs circonscriptions électorales. A qui profite donc le crime ?
Aux candidats pour lesquels les résultats sur les procès-verbaux sont défavorables ou, à la Cei ?
Lorsque des loubards armés font irruption dans les bureaux de vote, agressent les membres dudit bureau, cassent les urnes et les isoloirs : à qui profite là-aussi le crime ?
À des candidats ou à la Cei ?
Lorsque, le jour du scrutin, dans les contrôles de routine, des forces de l’ordre saisissent dans certaines localités, des machettes et couteaux sur des électeurs potentiels ou des partisans d’un candidat : à qui profite le crime ?
La question fondamentale que je pose à ceux qui parlent de morts autour des scrutins : qui des Politiques ou de la Cei sont à l’origine des violences électorales ?
F.M : Mais, ne revient-il pas à la Cei de mettre en place un dispositif sécuritaire dissuasif pour prévenir les violences et les réprimer ?
Il est important de préciser que, relativement à la Loi, la Cei n’a aucune attribution en matière de sécurisation des électeurs et des candidats. Cependant, dans la mise en œuvre de certaines de ses attributions notamment, celle relative à « la garantie sur tout le territoire national et à tous les électeurs, du droit et de la liberté de vote », la Cei demande au gouvernement, de bien vouloir désigner des agents des forces de sécurité pour y veiller. La Cei indique simplement les lieux de vote et le nombre d’électeurs attendus dans chaque centre de vote. Les services de sécurité de l’Etat conçoivent un plan de sécurisation de l’élection et, le gouvernement dégage les moyens humains et logistiques pour la mise en œuvre dudit plan. La Cei qui n’a aucune compétence en matière de sécurité, n’a donc aucune responsabilité dans les violences au cours des scrutins.
Qui est donc responsable des violences électorales ?
A mon avis, il revient surtout, aux politiques et à la société civile, la responsabilité d’éduquer les militants et les citoyens, comme l’on a pu le constater au Sénégal, lors des dernières élections présidentielles de Février 2019 que la Cei a observées. Là-bas, ce sont les citoyens, les électeurs qui s’interpellent, pour que l’ordre indiqué dans le déroulement du scrutin, par le mode opératoire soit respecté. Si bien qu’un lieu de vote abritant dix-huit(18) bureaux de vote est sécurisé seulement par deux (02) agents des forces de l’ordre. En Côte d’Ivoire, dans un centre de vote ayant plus de cinq (05) bureaux de vote, l’on recommande un groupe d’intervention de la Police ou de la gendarmerie, c’est-à-dire, le même dispositif de prévention contre une attaque potentielle d’un groupe terroriste.
Les élections sont une activité civile et non un champ de bataille ou un ring pour des combattants. C’est donc pour nous, une question d’éducation civique et non, une attribution exclusive de la Cei qui, elle, subit au cours des élections, le déficit de formation civique de la population électorale en général et, des militants des partis politiques, en particulier.
Au-delà des violences électorales, l’on vous accuse aussi, de fraudes au profit de certains candidats, particulièrement ceux proches du pouvoir.
La Cei, relativement à la loi qui la crée, est organisatrice des élections, mais elle n’est pas le juge des élections en Côte d’Ivoire. La loi portant création de la Cei indique bien que : « les décisions de la Cei sont susceptibles de recours devant le juge compétent ». Ceux des politiques ou des candidats, qui sont convaincus que les dispositions légales et règlementaires n’ont pas été respectées par l’organe en charge de l’organisation des élections, peuvent donc faire des recours judiciaires. Cela a été observé récemment, dans certaines circonscriptions électorales comme à Port-Bouët, Lakota, Divo, Duékoué, Rubino et le juge des élections a tranché. C’est donc pour moi, un faux procès que l’on fait à la Cei sur la fraude au profit d’un candidat. Les vrais fraudeurs sont ailleurs.
Où sont-ils les fraudeurs ?
Les fraudeurs se retrouvent parmi les candidats et les électeurs.
Ce sont des accusations graves ?
Ce ne sont pas des accusations mais des constats vérifiés et pour preuves : aux dernières élections municipales et régionales, l’on a vu des candidats qui, après leur défaite, ont organisé des conférences de presse pour accuser la Cei, d’avoir « fraudé » et proclamé des vainqueurs qui n’en étaient pas. Ces candidats ont fait des recours devant la Chambre administrative de la Cour suprême et ont été déboutés.
Certains, parmi les candidats « mauvais perdants », auraient pu même être traduits devant les tribunaux par la Cei pour tentative de fraude sur les documents électoraux.
En effet, ils ont falsifié des procès-verbaux, en ajoutant par exemple, sur leur exemplaire, le chiffre (1) pour donner "cent quatre-vingt" (180) là, où, tous les autres procès-verbaux de leurs adversaires, y compris ceux de la Cei et de la Cour suprême, marquaient : "quatre-vingt" (80) en face de leur nom. Sur leurs propres procès-verbaux, il est écrit en lettre : Quatre-vingt (80), comme sur les autres procès-verbaux. Ces candidats-là ont accusé la CEI, de leur avoir soustrait cent (100) voix alors que ce sont eux-mêmes qui ont « trafiqué » leur seul procès-verbal pour s’attribuer cent (100) voix.
Est-ce que le candidat-fraudeur gagnait l’élection avec les cent voix en plus ?
Les cas où des candidats ont « trafiqué » les procès-verbaux sont nombreux :
Dans le premier cas, avec les cent (100) voix, il serait déclaré vainqueur, puisqu’il a fait la même opération frauduleuse sur trois (03) procès-verbaux.
Dans un deuxième cas, le candidat s’est attribué cent (100) voix pour atteindre les 10% de suffrages exigés par le Code électoral, pour bénéficier du remboursement de sa caution, par le Trésor public.
Enfin, il y a un troisième cas plus grossier où, le candidat s’est attribué deux cent (200) voix, sans tenir compte du nombre d’électeurs inscrits dans le bureau de vote. Il avait obtenu en réalité cinquante-huit (58) voix et il ajouté le chiffre (2) sur son procès-verbal, ce qui donne : deux cent cinquante-huit (258). Seulement, le nombre d’électeurs inscrits dans ce bureau de vote est de deux cent quarante-deux (242). Lorsqu’on ajoute les suffrages recueillis par ses trois (03) adversaires, nous obtenons un nombre de suffrages exprimés qui approche le double du nombre d’électeurs inscrits.
Ce sont des cas très graves qui ne sont pas connus des Ivoiriens ?
Cela est vrai, et je le reconnais. Nous avons un véritable problème de communication externe à la Cei, si bien que, la suspicion demeure constante sur les actes que nous posons, alors que nous aurions pu dénoncer certaines pratiques frauduleuses de nos partenaires qui nous critiquent négativement. Le jour où la CeiI va dénoncer publiquement les pratiques frauduleuses des candidats, beaucoup de ceux qui glosent aujourd’hui vont devenir modestes.
Pourquoi vous n’aviez pas dénoncé les pratiques frauduleuses ?
La Cei a une administration très lourde qui a de nombreuses pesanteurs dans son fonctionnement. Ce n’est pas la volonté qui a manqué, mais nous avons un règlement intérieur contraignant, qui nous oblige à nous conformer à la décision majoritaire sans émettre une opinion dissidente publique.
Sinon, depuis les fraudes constatées pendant les enrôlements, il y aurait eu de nombreux candidats dont les dossiers auraient été rejetés.
Parce que les pratiques frauduleuses avaient déjà été constatées pendant les inscriptions sur les listes électorales ?
En effet, plusieurs candidats ont fait le constat que la victoire se prépare dès l’enrôlement. Ainsi, pendant que certains candidats mobilisaient leurs électeurs potentiels à se présenter dans les centres de recensements, d’autres avaient mis en place des systèmes frauduleux que nous avons, in fine, démantelé.
Comment ?
Là encore, les cas sont nombreux : nous avons un cas où, nous avons surpris des vrais agents recenseurs, en train d’enrôler nuitamment, des personnes dans un hôtel qui n’était pas retenu comme Centre d’enrôlement. Pour ce cas, la gendarmerie a été saisie.
Il y a d’autres cas, les plus nombreux, où les opérations d’enrôlement ont été opérées en l’absence des requérants. Il s’est agi des cas de changement de lieux de vote des anciens électeurs. Des agents recenseurs, notamment des opérateurs des tablettes biométriques, ont procédé ainsi et, certainement au bénéfice de potentiels candidats, à des transferts de nombreux électeurs par un clic de l’ordinateur.
Ces opérations frauduleuses ont été relevées par notre programme informatique de consolidation des résultats de terrain. Les tablettes biométriques de recensement sont paramétrées pour effectuer des enrôlements à des jours et, à des heures précis. Tous les enrôlements effectués après ces heures sont systématiquement mis en évidence, et rejetés par le système pendant le traitement.
Vous pouvez affirmer que la liste électorale ne comporte pas d’inscription frauduleuse ?
La technologie électorale évolue et, nous avons dans notre dispositif technique, mis des pare-feu pour traquer les fraudeurs. Il y a eu des enrôlements entre minuit et 05 heures du matin ; ces requérants-là ont été rejetés, et leurs noms n’ont pas été publiés sur la liste électorale provisoire. Ce qui est curieux, c’est qu’ils ne se sont pas présentés aux contentieux d’inscription pour se plaindre. Si bien que, relativement à votre question, je peux affirmer que, toutes les opérations frauduleuses d’inscription à partir de nos tablettes biométriques ont été rejetées. Les listes électorales définitives qui ont permis d’organiser les élections sont fiables. Les petits malins qui se sont enrôlés plusieurs fois, pour bénéficier de plusieurs cartes d’électeurs afin de voter à différents endroits, ont été tous "attrapés" par le système, grâce à leurs empreintes digitales.
Est-ce qu’il s’agit des électeurs fraudeurs que vous avez évoqués ?
Concernant les électeurs, nombreux sont ceux qui, se présentent dans les bureaux de vote avec des documents d’identification non autorisés par le code électoral, ou avec des pièces douteuses, dont certaines mentions ne correspondent pas avec celles figurant sur le listing électoral. Ils sont aussi nombreux, les électeurs qui, se présentaient avec les pièces d’identités de leurs parents décédés. Ils ont été systématiquement rejetés par les tablettes d’identification biométriques. Ces fraudeurs-là devraient être mis à la disposition de la Police pour être poursuivis, relativement à la législation en Côte d’Ivoire.
Je pense que, c’est parce que la Cei ne poursuit pas les fraudeurs en justice que ces derniers l’accusent afin de masquer leur forfaiture. Le jour où des électeurs ou des candidats seront poursuivis, reconnus coupables et condamnés pour fraude électorale, la leçon portera et les pratiques frauduleuses vont considérablement être réduites.
Quels sont selon vous, les dysfonctionnements qui doivent être corrigés par la réforme sur la Cei ?
Le premier président de la Cei, Monsieur Camille Hoguié, au moment de l’application de la première loi de 2001 portant création de la Cei, avait déjà indiqué qu’il y avait déjà des corrections à faire. Ces corrections sont intervenues en 2004, 2005 puis en 2014. Cependant, il y a toujours des améliorations à apporter notamment, dans la mise en place des Commissions régionales, préfectorales, sous-préfectorales et communales. Il devrait avoir à mon avis, un équilibre structurel à établir dans leur composition.
Ce sont, en réalité, les Commissions locales qui ont la charge pratique d’organiser le recensement électoral et le déroulement du scrutin. Je pense que leur composition doit être équilibrée pour inspirer davantage la confiance en l’Institution de tous les acteurs locaux.
Qu’attendez-vous par Commission locale à équilibrer ?
Je pense que, le déséquilibre constaté par la Cour africaine des droits de l’homme au niveau central est le même au niveau local. Relativement au Code électoral, au niveau des résultats de chaque élection, la Cei centrale est une chambre de proclamation des résultats officiels, préalablement proclamés dans chaque localité par les Commissions locales. C’est pour cela que, la dynamique recherchée pour la mise en place d’une commission centrale équilibrée doit être la même que, pour la composition et le fonctionnement des Commissions locales.
A mon avis, il faut surtout éviter d’écrire comme dans une décision présidentielle 2005 sur la Cei, que « les Commissions locales sont composées de la même manière que la Commission centrale ».
Pourquoi ?
Simplement parce que les partis politiques et les Organisations de la société civile membres de la Commission centrale de la Cei, n’ont pas toujours une représentation dans chaque région, département, sous-préfecture et commune en Côte d’Ivoire.
Il a été constaté que des partis politiques, n’ayant pas un maillage national, négocient avec des Partis plus importants, pour leur « prêter » des représentants à la Cei. Ces derniers, à la pratique, se comportent plus comme des représentants de ces grands partis politiques compromettant ainsi, l’équilibre de la commission locale.
Il est arrivé de constater qu’une même personne représente à la fois un parti politique au pouvoir au niveau départemental, et un parti politique de l’opposition au niveau de la sous-préfecture.
Dans certaines localités, ce sont les grands partis politiques qui « démarchent » auprès des petits partis représentés à la Cei, pour leur proposer leurs militants.
Les tractations politiques locales pour représenter des partis politiques entrainent, au niveau opérationnel, un déséquilibre permanent dans le fonctionnement et les prises de décisions dans certaines Commissions électorales locales. Tout cela contribue à la suspicion sur la Cei.
Ces pratiques dans la mise en place des Commissions locales sont totalement inconnues du public, si bien que la suspicion demeure constante sur la Cei centrale.
Il est de notoriété publique que, malgré la critique négative, nous avons organisé en 2016, des élections législatives dont les résultats ont été marqués par l’élection de soixante-quinze (75) députés sous la bannière « Indépendante ».
Cela veut dire qu’ils ont été élus, sans l’appui d’un appareil politique et, surtout, sans avoir de représentant à la Commission centrale de la Cei ni, dans aucune Commission électorale sous-préfectorale ou départementale de leur circonscription électorale. Soixante-quinze (75) députés, c’est-à-dire un peu moins du tiers et, plus du quart des membres de l’Assemblée nationale élus, sans être représenté à la Cei. Que faire de plus, malgré nos imperfections ?
En 2018, deux (02) Présidents de Conseillers régionaux ont été élus sous la bannière « Indépendante ». Plusieurs députés, maires et conseillers régionaux « Indépendants » sont passés, individuellement, au siège de la Cei, pour nous féliciter et nous indiquer, qu’ils avaient eu peur au départ, de se présenter en « Indépendant » à ces élections, en raison de tout ce qui se raconte de négatif sur la Cei.
Au constat, ils se sont présentés, ont battu campagne librement et ont été élu sans avoir mis les pieds une seule fois à la Cei.
Pourquoi alors selon vous, la classe politique est si inquiète lorsque l’on évoque le nom de la Cei ?
La question de la Cei a, pour source principale : la confiance à géométrie variable et la quête permanente de l’indépendance véritable de l’Institution.
Personne ne fait confiance en Afrique, à une Commission électorale. J’ai participé à une conférence des présidents des Commissions électorales en Afrique en avril 2018 à Abuja au Nigéria. J’avais pour voisins de table, les présidents des Commissions électorales de cinq (05) pays. J’ai demandé si, dans leur pays respectif, la Commission électorale bénéficiait de la confiance de tous les acteurs politiques. Ils ont répondu, les uns après les autres la même chose : « Lorsqu’ils gagnent, vous êtes la meilleure Commission. Quelques mois après, les mêmes, lorsqu’ils ont perdu une autre élection organisée par la même Commission électorale, vous accusent d’avoir favorisé les vainqueurs et, vous traitent de tous les noms ». Nous avons conclu nos entretiens par cette phrase : « Les politiciens africains sont partout les mêmes et, il n’y a pas non plus, de Commission électorale parfaite, qui inspire confiance de manière permanente à tous les acteurs politiques. Il faut simplement veiller, au respect scrupuleux des textes qui permettent d’organiser les élections ».
Vous reconnaissez quand même que la Cei n’est pas parfaite ?
La Cei est une œuvre humaine, elle doit nécessairement être renforcée dans sa composition et son fonctionnement. Pour rassurer, elle doit revoir considérablement son mode de communication. Ses membres doivent être à priori lavés de toutes suspicions. Son financement doit obéir à une logique autre que le financement ordinaire public car, le financement actuel de la Cei depuis sa création en 2001, est une forme de dépendance qui ne dit pas son nom. En octobre 2018, j’ai participé à une deuxième conférence à Abuja sur le Budget des élections en Afrique de l’Ouest. Le constat qui a été fait est le même : « Les véritables présidents des Commissions électorales en Afrique sont les ministres des Budgets ».
Comment cela est-il possible ?
C’est le constat fait à la pratique, à une exception près, le Sénégal, où pour des élections présidentielles prévues en Février 2019, la trésorerie est mise en place selon une procédure de décaissement annuelle sur cinq (05) ans, rigoureusement respectée. En Octobre 2018, 90% du financement de l’élection présidentielle de Février 2019, du Sénégal, étaient disponibles.
Dans tous les autres pays d’Afrique de l’ouest, y compris la Côte d’Ivoire, c’est la loi des finances de l’année des élections qui prévoit le financement. Les responsables des finances de la Cei sont logés à la même enseigne que ceux des autres administrations publiques pendant les conférences de programmation budgétaire. A titre d’exemple, si la Cei prévoit trois (03) formations des agents électoraux, il faut convaincre les agents des services financiers du ministère du Budget. Sinon, vous pouvez vous retrouver avec une seule formation et, des critiques d’incompétence notoire de la Cei le jour du scrutin, parce que des agents électoraux ne savent pas manipuler les tablettes biométriques d’identification des électeurs.
Contrairement aux dispositions du Code électoral qui prévoit une révision annuelle de la liste électorale, la Cei n’a pu faire cette révision en 2017 parce que, les services du ministère du Budget ont estimé qu’il n’y avait pas d’élections cette année-là. La ligne budgétaire pour la révision du fichier électoral a été simplement supprimée et même, les députés n’ont pas interpellé le commissaire du Gouvernement au moment du vote par l’Assemblée nationale de la loi des finances en 2017.
C’est une critique contre le gouvernement ?
Non, et pas forcément contre les gouvernements ivoiriens depuis 2001. C’est une pratique observée et dénoncée en octobre 2018, à Abuja, par les présidents des Commissions électorales d’Afrique de l’ouest. C’est donc pour moi, une interrogation pour la mise en place d’une Commission véritablement indépendante de tous les pouvoirs politiques, administratifs et financiers, et qui rassurerait tous les ivoiriens.
L’argent est le nerf de la guerre. Si la Cei n’est pas financée par une taxe spéciale à travers une régie et que, les présidents de la Commission électorale, depuis 2001, soient obligés parfois, de négocier difficilement des compléments budgétaires pour financer des activités régulières, elle sera toujours suspectée, quelle que soit la réforme qui sera adoptée.
La Commission électorale n’est pas une administration sous la tutelle d’un ministère technique, pour qu’on lui envoie, des notes de cadrage budgétaire, lui demandant des réductions de 10 à 20% des activités au dernier trimestre de l’année budgétaire. L’indépendance a un coût et il faudrait que, dans les négociations en cours, les ivoiriens l’assument pleinement.
Plusieurs sources rapportent que les Organisations de la société civile réclament la présidence de la Commission électorale centrale et de toutes les représentations locales de la Cei ?
Je voudrais indiquer que, dans le premier projet de loi sur la Cei en 2001, il était indiqué que le Président de la Commission électorale devrait être un juriste. Au Parlement, les députés ont fait un amendement, en demandant simplement qu’il soit ivoirien. Les arguments évoqués à l’époque étaient que, la Cei n’était pas une juridiction et qu’on n’avait pas besoin d’être juriste pour être honnête. Certains avaient même indiqué qu’il y avait des juristes malhonnêtes. Dix-huit (18) ans plus tard, l’on pourrait faire un raisonnement analogique et s’interroger, si le fait d’appartenir à une Organisation de la société civile garantit votre honnêteté ou, vous dispense de la malhonnêteté ?
Et la présidence des Commissions locales par la Société civile, qu’en pensez-vous ?
Là encore, je voudrais indiquer que la Cei en 2016 et 2018, a concédé, une partie du volet relatif à la sensibilisation de la population aux Organisations de la société civile, notamment à leurs faitières. Le constat fait avec le corps préfectoral sur le terrain est que, la société civile constituée n’existe pas dans 90% des circonscriptions administratives. Il est vrai que certaines Organisations de la société civile sont représentées au niveau des régions et, à un degré moindre, dans les départements. Mais, elles sont quasi inexistantes dans les sous-préfectures.
Or la Cei, c’est cinq cent quarante-neuf (549) commissions locales dont trente-une (31) Commissions régionales ; quatre-vingt-deux (82) Commissions départementales ; cinquante-huit (58) Commissions communales et surtout, trois cent soixante-dix-huit (378) Commissions sous-préfectorales. D’où proviendraient les représentants de la Société civile à Tienko, Goulia, Goudouko, et à Niambézaria ?
C’est donc le même constat fait avec les représentants des partis politiques au niveau local ?
Il serait pour moi risqué, d’autoriser des représentants des organisations de la société civile dans les 549 Commissions électorales locales.
Le risque est qu’il pourrait avoir des personnes militantes ou sympathisantes des Partis Politiques, désignées pour représenter des Organisations de la Société Civile, notamment dans les Sous-préfectures où elles sont pratiquement inexistantes.
Les Commissions ainsi constituées seraient déséquilibrées à la pratique, en faveur des Partis Politiques qui ont « prêté » leurs militants à certaines Organisations de la société civile.
Par le passé, il est arrivé que des représentants de certaines structures membres de la Cei ne résident pas dans la localité. Cela a eu pour conséquence, in fine, leur défection. L’on ne peut donc pas envisager des désignations de représentants de la société civile dans les localités où ils ne résident pas. Etre membre de la Cei est différent de l’observation d’un scrutin qui se fait en un seul jour.
Tous ceux qui habitent dans les sous-préfectures n’appartiennent pas forcement à des formations politiques ?
Cela est vrai mais, il y a une interrogation incidente, à savoir : Le fait pour un citoyen de ne pas militer dans un Parti Politique fait-il de lui, de facto, un membre de la Société Civile ? Il y a une autre question préjudicielle qui s’impose, à savoir : doit-on forcement militer dans une Organisation de la société civile pour être considéré comme membre de la société dite civile ?
La recherche de définition de la société civile à mon avis, nous amènera à rechercher la définition du sympathisant et de son influence dans la société. Un instituteur, un infirmier, une sage-femme qui travaillent dans une sous-préfecture et qui ne militent pas dans des partis politiques, peuvent-ils représenter la société dite civile, nonobstant leur sympathie affichée ou non, pour un parti politique ou un leader politique ?
Finalement, la réforme d’une Cei qui rassure tout le monde est-elle impossible ?
Après dix-huit (18) ans de fonctionnement, il y a, à mon avis, un bilan-diagnostic de la création de la Cei à faire. A partir du bilan, il faudrait capitaliser les acquis, revoir le mode de désignation des membres, équilibrer sa composition et rendre la Cei véritablement indépendante. Il faudrait aussi mener la réflexion sur des possibilités d’appels à candidatures d’Ivoiriens compétents, sans distinction de provenance, au niveau de la Cei centrale et des Commissions locales.
En réalité, il n’y a pas de Commission électorale standard qui satisfasse tous les acteurs politiques et la société civile. Il y a simplement un équilibre à trouver, pour réduire les suspicions et, surtout, une société à éduquer dans le sens du renforcement de la démocratie.
Les élections, comme on le dit, ce n’est pas la guerre, et ne devraient pas engendrer une guerre. Chacun doit en être conscient avant de s’engager dans le jeu politique.
Par R. K.