Dimbokro - Considéré à tort ou à raison comme le centre nerveux de l’orpaillage illégal dans la région du N’zi, la localité de Bengassou veut aujourd’hui tourner le dos à cette activité interdite pour s’inscrire dans un processus de développement durable. Une incursion dans cette ville « riche mais pauvre ».
En cette journée de dimanche du mois d'août 2022, la population de Bengassou, dans la région du N'zi, s’est réveillée avec son train-train quotidien. La voie menant à ce chef-lieu de sous-préfecture à partir du village de Brou-Ahoussoukro, sur l’axe principal Dimbokro-Bocanda, vient de subir une cure de jouvence. Le conseil régional du N’zi a fermé les nids de poules et autres crevasses qui rendent difficile la circulation. Les innombrables vrombissements de motos des orpailleurs clandestins, pullulant dans la zone, ont laissé place à un "silence de cimetière".
La plupart des "fossoyeurs de l'environnement" ont déserté les sites d'exploitation à la suite de deux incursions d’envergure des éléments de la Brigade de répression des infractions au code minier (BRICM). Une brigade exclusivement chargée de la lutte contre l’orpaillage clandestin.
Mais de temps à autre, quelques rescapés, à l’allure suspecte, roulent à vive allure sur les engins à deux roues, en étant inconscients du danger qu’ils font courir aux autres usagers de la route. Les nuages de poussière qu’ils soulèvent, rappellent que la zone a été le théâtre des agissements de ces « hors-la-loi » à la recherche du métal précieux.
Le départ des orpailleurs clandestins n’a pas changé le cours de la vie à Bengassou
Malgré le départ massif des clandestins, le cours de la vie n’a pas changé dans une ville, à la fois « riche et pauvre », qui croule sous le poids des graves conséquences de cette activité illégale. Il s’agit notamment des maux tels que la cherté de la vie, la criminalité, la prostitution, l’abandon de l’école par les enfants et la misère qui sévissent dans le village. Sans oublier la dégradation de l’environnement qui a rendu les terres non arables.
« La vie est chère parce que le village était envahi par des orpailleurs clandestins », affirme un notable, Nanan Abo Brou, par ailleurs porte-parole de la chefferie. Il regrette que l’orpaillage illégal est devenu « une plaie » à Bengassou. Une contrée où les habitants autochtones, autrefois, cherchaient l’or, juste pour leur prestige et faire la différence entre le roi et ses administrés.
La vice-présidente des femmes de Bengassou, Esse N’zimla Paulette, ne dit pas autre chose. Elle déplore le fait que la construction de logements ne suit pas le rythme d’accroissement rapide de la population. Cette situation entraine une constante pénurie d’eau dans le village, souligne-t-elle. « La production agricole n’est pas importante et vu le grand nombre d’habitants, nous sommes obligés d’exporter. Et les coûts des denrées alimentaires sont très élevés », ajoute dame Esse.
Kouamé Akissi Charlène Deborah, venue « travailler », affirme : les gens pensent que « Bengassou est une mine d’or, qu’il y a beaucoup d’argent ». Alors que la bicoque est louée à 3000 FCFA par jour, se laver à 300 FCFA par seau d’eau et débourser 100 FCFA pour aller dans les toilettes. « Nous sommes obligées de nous déplacer en mototaxi qui coûte 1000 FCFA », fait-elle savoir, pour montrer la cherté du coût de la vie.
Au niveau scolaire, la situation n’est pas reluisante et l’inspecteur enseignement préscolaire et primaire de Bengassou, Thiam Oumar, qui dirige une circonscription pédagogique de 32 écoles révèle qu’à chaque rentrée scolaire, les parents inscrivent beaucoup d’enfants, mais, plusieurs enfants abandonnent les salles de classe au cours de l’année scolaire pour se retrouver sur les sites d’orpaillage à la recherche de gain facile.
« A la rentrée scolaire 2021-2022, 5300 écoliers ont été inscrits et jusqu’à la fin de l’année, il ne restait plus que 4300 au mois de juin et seuls 834 élèves ont composé à l’examen du certificat d’étude primaire élémentaire (CEPE) », a affirmé M Thiam, ajoutant qu’à toutes les périodes pendant l’année scolaire, l’inspection est obligée de passer de village en village pour sensibiliser les parents sur l’école tout en leur montrant que l’avenir de leurs enfants se trouve à l’école.
Un cadre de Bengassou, Tano Omoi Christian encourage ses parents à s’inscrire dans la voie de l’exploitation légale, car « l’Etat est le premier propriétaire de la terre. Celui qui veut l’exploiter doit se mettre en règle vis-à-vis de l’Etat ». Il déplore, par ailleurs, les dégâts causés par l’orpaillage tant au niveau des parents que sur la scolarité des enfants. M. Tano recommande, comme solution, une implication des cadres dans la sensibilisation pour le maintien des enfants à l’école. Il a appelé les parents à collaborer avec l’inspecteur de l'enseignement primaire qui connait mieux que quiconque les problèmes éducatifs.
Une volonté des populations de mettre fin à l’orpaillage illégal dans le village
Au regard de ces nombreuses conséquences néfastes, les populations de Bengassou affichent aujourd’hui une volonté sans faille de mettre fin à l’orpaillage clandestin.
Aussi, les populations ont-elles salué les différentes descentes d’envergure effectuées depuis 2020 par la BRICM, surtout les deux dernières qui ont lieu en juin 2022, ont permis d’arrêter l’invasion de la sous-préfecture par des gens venus d’horizons divers pour la pratique de l’extraction illégale de l’or.
Mais elles avouent que leur salut ne viendra que des autorités qui ont durci le ton quant à la pratique de cette activité d’extraction illégale de l’or dans la sous-préfecture. Elles encouragent les populations à s’inscrire dans la légalité. « Nous ne voulons plus de l’orpaillage clandestin dans notre village », a dit le porte-parole de la chefferie, Abo Brou, entouré de certains notables et des jeunes. Il a relevé l’irrespect des populations vis-à-vis de l’autorité coutumière, estimant que cela a favorisé l’orpaillage illégal à Bengassou.
La chefferie affirme n’avoir aucune influence sur les contrats que les propriétaires terriens signent avec les orpailleurs pour céder leurs terres. « Je n’ai jamais cautionné la pratique de cette activité dans le village », fait remarquer chef Abo. Il déplore cette indiscipline des habitants qui posent des actes sans se soucier des conséquences.
La perte de l’influence de la chefferie est accentuée par la solidarité qu’affichent ces personnes venues en nombre incalculable surtout quand elles savent que le sous-sol du village regorge de minerais. « Nous restons impuissants face à eux et voilà où ce phénomène nous a mené !» déplore le chef Abo avant d’ajouter que le préfet Soro Fatogoma avait conseillé, au début, à la population d’éviter cette activité clandestine et demandé que le village de s’organiser pour la pratiquer selon la voie légale.
Mais au dire du chef, les habitants n’ont pas compris. « Aujourd’hui, les conséquences sont là. Le village est endeuillé. Nous sommes devenus plus pauvres qu’avant. On a souillé le sous-sol et on ne peut plus travailler la terre. Des trous par-ci, des trous par-là», explique-t-il. Le garant de la tradition affirme que l’espoir des populations réside dans ce que le gouvernement ne lâchera pas prise et que la maréchaussée vienne régulièrement dans la localité pour que la paix soit au rendez-vous dans le bourg.
Le chef Abo indique que leur « plus grand regret, c’est de n’avoir pas pu s’organiser en suivant la voie légale ». Cela, affirme-t-il, leur aurait amener à signer des protocoles d’accord qui certainement allaient faire gagner un peu d’argent pour pouvoir construire des logements dans le village.
Une volonté des populations de s’inscrire dans la légalité dans l’orpaillage clandestin
Les autorités traditionnelles qui ont mesuré l’ampleur des dégâts causés par l’activité illégale, ont décidé d’assainir le milieu de l’orpaillage dans le village pour gagner des « retombées heureuses ».
La chefferie a autorisé l’installation d’un exploitant qui, selon elle, possède des « papiers légaux ». Pour marquer son passage, l’opérateur économique a procédé, mi-mai 2022, à la pose de la première pierre d’une école primaire dans le village. Un protocole d’accord sera bientôt paraphé devant le sous-préfet, par la chefferie traditionnelle, le président de la mutuelle de développement, les propriétaires terriens et les jeunes, les paysans et la notabilité, fait savoir la notabilité.
Les populations espèrent qu’avec l’« union sacrée » formée autour de cette activité pour sa légalisation, tout rentrera dans l’ordre. Et la chefferie souhaite que les propriétaires terriens et la jeunesse s’abstiennent de donner les terres aux clandestins, tout en plaidant pour que le gouvernement, par l’intermédiaire du sous-préfet, continue la sensibilisation des populations.
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Le tout nouveau président des jeunes, Ehoussou Brou Charles, soutient que la jeunesse a pris des dispositions pour éviter l’orpaillage clandestin. D’ailleurs, il n’y a plus de travailleurs sur les lieux, ajoute-t-il. D'ailleurs, ne voulant plus que la population souffre à cause des orpailleurs clandestins, les jeunes refusent l’installation de tous ceux qui « n’ont pas de papiers ». « Je suis en train de mener ce combat et je sais que ça va bien se passer aussi », rassure M. Ehoussou qui a annoncé la création d'une brigade de surveillance des terres.
Koné Moussa, qui fait partie de cette brigade de surveillance des terres mise en place par les villageois raconte : « Au début, ce n’était pas facile. Les gens se cachaient pour venir travailler. Nous avons mis la pression et actuellement, il n’y a personnes sur les sites ».
Des spécialistes de la santé affirment que l’orpaillage clandestin pose un vrai problème de santé publique. Ils indexent les effets néfastes des produits utilisé dans l'extraction de l'or, notamment le mercure, sur les populations vulnérables, en particulier les femmes et les enfants qui en sont constamment exposées, en raison de la manipulation et du chauffage de ce métal. Ils ont indiqué que le mercure est un métal lourd très toxique, dangereux pour la santé et pour l’environnement. Il s’accumule dans l’organisme où il peut notamment provoquer des troubles des systèmes nerveux, immunitaire ou reproducteur, font-ils savoir.
ik/kp