Au cours de la dernière décennie, l'accès à l'école primaire s'est amélioré dans le monde entier et notamment en Afrique subsaharienne. La plupart des pays à faibles revenus et à revenus intermédiaires ont accompli d'énormes progrès dans la promotion de la scolarisation et affichent désormais des taux de scolarisation dans le cycle primaire proches de ceux des pays à revenus élevés.
Cependant, les données sur les acquis scolaires dans le cycle primaire mettent en lumière une réalité douloureuse : l'inscription des enfants à l'école ne garantit pas forcément leur instruction.
En 2019, la Banque Mondiale, sur une base de données élaborées conjointement avec l'Institut de statistique de l'UNESCO, a estimé que 53% des enfants des pays à revenus faibles ou intermédiaires ne pouvaient, à la fin de l’école primaire, ni lire ni comprendre une histoire simple. Dans les pays pauvres, ce taux pouvait atteindre 80%.
En Côte d’Ivoire précisément, le Programme d'Analyse des Systèmes Éducatifs de la Confemen (PASEC 2019), révèle que les enfants achèvent le cycle primaire avec des lacunes importantes en français et en mathématiques. En effet, 59,5% d’élèves du primaire n'ont pas les compétences de base requises en lecture, et 41,2% ne maîtrisent pas non plus lesdites compétences en mathématiques.
Pour combler ces écarts, le gouvernement ivoirien s’est associé à l’organisation TaRL Africa (Teaching at the Right Level Africa), et à l’initiative “Transformer l'Éducation dans les Communauté de Cacao” (TRECC), pour mettre en place une approche pédagogique innovante d’apprentissage accéléré, développée par l’ONG indienne d’éducation Pratham. Une approche qui a déjà fait ses preuves en Inde mais aussi, depuis 2016, dans de nombreux pays du continent africain.
Le Programme d’Enseignement Ciblé, ou PEC, est l’adaptation au contexte ivoirien de l’approche pédagogique Teaching at the Right Level. Pendant 1h30 par jour, comprise dans leur emploi du temps scolaire, les élèves du CE1 au CM2 sont regroupés par niveau réel d’apprentissage et non par année scolaire, pour mener des activités ludiques. Lesquelles ont pour effet de développer leurs compétences en lecture, écriture, et calcul. Le PEC met en valeur les espaces scolaires à travers des activités permettant aux élèves de se regrouper facilement, d’utiliser les murs et le sol de la classe, de mettre à profit les espaces extérieurs de l’école. L’accélération de l’apprentissage est favorisée par le dispositif suivant : les bancs sont mis de côté, le temps que dure la pratique. Puis, les élèves et les enseignants s’installent à même le sol, ce qui permet aux élèves d’entrer en confiance et d’être plus libres pour s’exprimer. Cette façon de faire contribue aussi à développer leurs compétences sociales, en plus de celles relevant du domaine strictement scolaire.
Cette approche a été introduite en Côte d’Ivoire au cours de l’année scolaire 2018-2019, et a fait ses preuves dès la phase pilote. En effet, après six mois d’intervention dans 50 écoles, les élèves ont montré des progrès remarquables en langue française et en mathématiques. Si au début de sa mise en œuvre il n’y avait que 14% des élèves capables de lire un texte court (de la taille d’un paragraphe), à la fin de l’expérimentation, ce sont 51% d’entre eux qui parvenaient à lire un texte comme il se doit. Concernant le calcul, le pourcentage d’élèves pouvant résoudre des opérations de soustraction est passé de 12% à 63%. Depuis, le programme ne fait que grandir, avec l’objectif d’une expansion à l’échelle nationale soutenue en grande partie par l'initiative CLEF (Child Learning and Education Facility), qui doit permettre d’atteindre plus de 5000 écoles dans les 5 prochaines années. Aujourd’hui, le PEC est mis en œuvre dans environ 1000 écoles dans les régions de San Pedro, Soubré, Daloa, Bouaflé et Divo, avec des résultats prometteurs enregistrés à la fin de cette année 2021-2022. En effet, l’on est passé de 13% d’élèves capables de lire un paragraphe à 36,5%. Et de 21,5% d’élèves capables d'effectuer une opération de soustraction à 51% d’élèves à même de le faire.
Cependant, même si les résultats d’une telle initiative sont encourageants, le chemin pour atteindre ceux assignés aux Objectifs de Développement Durable (ODD 4) de l’ONU, d’ici à 2030, qui visent “Une éducation de qualité”, est encore long. Les ODD doivent donc continuer d’être au premier plan des initiatives gouvernementales à travers le monde et de donner la marche à suivre pour parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous. Ces objectifs sont interconnectés. Il est donc important d’atteindre chacun d’entre eux, à travers chacune de leurs cibles, dans les prochaines années. Cependant, sachant que de nombreux paramètres sont à prendre en compte, si rien n'est fait urgemment face aux enjeux de la qualité de l'éducation en Côte d'Ivoire, il est fort probable que les résultats de l’ODD 4 ne soient pas atteints d'ici à 2030. Le PEC s’avère être une solution efficace et prometteuse, qu’il appartient aux pouvoirs publics ivoiriens de faire grandir afin d’en faire bénéficier tous les enfants du pays. Restons donc optimistes !
Amos Dembélé
Directeur Pays
TaRL Africa - Côte d’Ivoire