Abidjan, Dans les odeurs nauséabondes des poubelles, sur le sable brûlant des plages, et même sous des pluies torrides.... Ces femmes, issues de milieux pauvres, bravent des tonnes de déchets plastiques qui jonchent les rues et plages d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne, dont elles tirent, difficilement, leurs subsistances en contribuant à leur recyclage après tri.
Dame Wassé Gbané Solange est mère de six enfants. Elle porte une plaie béante et suintante, suite à une blessure mal traitée. Son handicap ne l’empêche pas de se retrouver, très tôt, tous les matins, sur la plage d’Anani, dans la commune de Port-Bouët, où elle ramasse et collecte les bouteilles de plastique qui jonchent le bord de mer.
Ces déchets, elle les trie, ensache les bouteilles de même couleur et rassemble les capuchons avant d’emballer le tout dans des filets de moustiquaires.
Elle les convoie ensuite, avec l’aide de sa mère et de sa fille, sur un site accessible à un tricycle, qui les porte au kiosque de l’entreprise de recyclage Coliba Africa qui les achète, trie à nouveau, puis les compacte pour faciliter leur transport à l’usine, en vue de leur broyage.
Malgré son handicap, dame Wassé Solange ne démord pas mais tient la barre de son acharnement pour rendre les plages propres.
« J’achète grâce à cette activité, mes médicaments pour soigner ma plaie qui a déjà subi deux greffes. Je viens aussi sur la plage pour rendre l’environnement propre parce que quand c’est sale, ce n’est pas joli à voir. C’est pourquoi je viens au bord de la mer pour me débrouiller et subvenir aux besoins de mes enfants et de ma famille », affirme-t-elle, interrogée par l’AIP.
Une autre collectrice, Eléonore Koffi, du quartier Banco dans la commune d’Attecoubé, souligne que cette activité lui permet d’être indépendante et de ne pas rester oisive.
Dorcadé Chimène, mère de quatre enfants, raconte que cela fait quelques semaines qu’elle travaille à l’usine de recyclage de Coliba Africa à Yopougon.
« Avant, je vendais du poisson à Abobo-Doumé. Mais toujours avoir les pieds dans l’eau gâte mes pieds. C’est pourquoi je suis venue ici pour travailler à l’usine pour résoudre les petits problèmes à la maison », affirme-t-elle.
Elle invite les jeunes femmes et les jeunes filles à faire comme elle, au lieu de « se promener et de traîner dans les rues avec les garçons ».
« Se promener dans la rue et demander toujours de l'argent aux gens, il n’y a rien dedans. Au moins si tu te débrouilles un peu, ça vaut mieux. C’est les deux mains qui se lavent. Dans la vie si tu fais une activité tu peux aider ton mari, ou si tu n’es pas mariée tu peux subvenir à tes propres besoins », conseille Chimène.
A Boribanan, un quartier de la commune d’Attécoubé, Forgo Bibata, 63 ans, mère d’un enfant, collecte les sachets plastiques depuis le décès de son mari, pour subvenir aux besoins de ses petits-enfants et les faire fréquenter l’école coranique, faute de moyens conséquents pour les inscrire dans un établissement scolaire conventionnel.
Elle explique que très tôt les matins, elle sillonne différents quartiers à la recherche de sachets plastiques qu’elle lave et revend à la zone industrielle de Yopougon, à l’ouest d’Abidjan.
Ces dames ne sont pas seules à exercer dans le secteur. Des hommes s’y adonnent également.
Zabré Sam, collecteur de bouteilles plastiques, âgé de 56 ans, logé dans un abri de fortune en Zone 4, à Marcory, qu’il assimile à son « lieu de travail », explique qu'il parcourt avec sa brouette tous les matins, les quartiers de Koumassi, Marcory et Zone 4 à la recherche de bouteilles plastiques.
Une activité difficilement rentable
La collecte de déchets plastiques constitue un gain difficilement rentable pour subvenir aux besoins des familles des collectrices. Car les déchets plastiques ne pesant pas assez lourd, il faut parcourir plusieurs kilomètres pour espérer collecter une quantité assez conséquente de ces « marchandises » pour « faire le poids ».
Wassé Solange témoigne que chaque mois, elle peut constituer 30 à 35 balles de moustiquaires de bouteilles plastiques. Une balle pouvant peser 40 à 65 kilogrammes, et le kilogramme de déchets plastiques coûtant 65 FCFA. Chaque mois donc, cette collectrice peut se retrouver avec entre 126 750 FCFA à 147 875 FCFA en dehors des charges concernant notamment le transport des balles par les tricycles à l’entreprise sise à Anani.
Forgo Bibata, pour sa part, souligne que dans une usine de Yopougon où elle livre, l’entreprise achète les sachets plastiques collectés à 100 FCFA le kilogramme. Cependant elle refuse de révéler son gain par mois, mais précise qu’elle gagne bien sa vie avec cette activité.
Quoique pour Zabré Sam, ces bouteilles plastiques qu’il collecte sont revendues à des particuliers qui viennent les acheter dans son bureau de fortune à 50 ou 75 FCFA la bouteille. « Je peux recevoir 2.000 FCFA, 1.500 FCFA par acheteuse par jour, et il peut arriver que je gagne soit 100.000 FCFA ou 150.000 FCFA par mois », affirme Zabré. Il ajoute qu’il gagne bien sa vie avec ce métier et, parfois, prend quelques jours de repos sous son abri de fortune pour se faire plaisir avec des plats délicieux et succulents.
Pour la coordonnatrice du projet de formation des collecteurs de déchets plastiques, Marie Noël Amanlaman, il ne faut pas voir la collecte comme un simple business, mais plutôt un heureux élan vers l’assainissement de l’environnement.
Les avantages du recyclage
Le recyclage permet de lutter contre la pollution, de favoriser la création de nouveaux objets, de faire l’économie d’énergie et de réduire les émissions de carbone afin de contribuer un à développement durable, précise un site sur l’environnement " Minute conso".
Le recyclage permet également de créer de nouveaux objets, notamment des paillettes, des meubles en plastique et des écoles ou maisons construites avec des briques en plastique.
Selon l’Unicef, les briques produites par le plastique recyclé sont 40% moins chères que celles faites en terre. Elles durent des centaines d’années plus que les matériaux de construction conventionnels, et sont imperméables et résistants aux intempéries.
Marie Noel Amanlaman souligne que le recyclage est bon pour l’environnement car il réduit la pollution. Cependant, malgré les efforts, la collecte des déchets rencontre quelques difficultés.
Des freins à la collecte et au recyclage
La coordonnatrice du projet de formation des collecteurs de déchets plastiques à Coliba Afrique révèle que les populations n’adhèrent pas, dans leur majorité, au projet de recyclage des déchets plastiques alors que des box sont disponibles dans plusieurs quartiers d’Abidjan.
Aussi, déplore-t-elle, le fait que les bouteilles en plastique soient jetées dans les caniveaux et sur les rues, ce qui bouche les canalisations entraînant des inondations.
La collectrice Forgo Bibata, 63 ans, quant à elle, souligne que l’activité se fait souvent sous la pluie, dans les poubelles où elle respire des odeurs nauséabondes qui parfois la rendent malade. Pour cette dame, l’usine achète le kilogramme à 100 FCFA voire 250 FCFA. Mais elle déplore que parfois les usiniers ne paient pas automatiquement et qu’il faut attendre un mois ou des semaines pour avoir gain de cause.
Une autre collectrice, Eléonor Koffi, au quartier Banco, juge pour sa part, le prix du kilogramme de déchet plastique à 65 FCFA trop bas. Elle aurait souhaité que ce prix soit revu à la hausse à 100 Francs ou 150 FCFA le kilogramme.
Traitement dans les centres ou kiosques de tri
Avant l’envoi à l’usine, des kiosques ou centres de collecte et tri, dans différents quartiers d’Abidjan reçoivent et compactent les bouteilles.
Les bouteilles collectées sont recueillies par des centres de collecte et de tri qui se chargent de faire un premier traitement qui consiste à les mettre dans une presse à balle qui va les compacter.
Dans l’un des kiosques, au quartier Riviera 2 dans la commune huppée de Cocody, des lots de bouteilles collectées par les femmes sur les plages ou dans les poubelles font l’objet de triage en fonction des matières et des couleurs.
Le chef du kiosque, Jonas Gnagui, étudiant, employé par cette usine de recyclage explique qu’il est question d’aplatir avec une machine les bouteilles plastiques collectées. Une fois aplaties, elles sont assemblées, emballées et transportées à l’usine.
Un étudiant, Jonas Gnagui devenu chef d'équipe du recyclage à la Riviera
« Ces déchets sont des trésors lorsqu’ils sont recyclés mais ils constituent un danger lorsqu’ils ne le sont pas », relève l’étudiant. Ce dernier lance un appel à la population, en particulier aux jeunes, afin qu’ils se lancent dans la collecte des déchets plastiques pour produire plusieurs autres matières réutilisables.
Cependant certaines matières sont difficilement recyclables ou de mauvaise qualité, prévient-il.
Coliba Africa à Yopougon, dans l’antre de l’usine de recyclage
Des femmes employés de l'usine à l'œuvre pour le tri du plastique
A l’entrée de l’usine, sur la droite, des ouvrières, dans un vaste entrepôt, font le dernier tri des matières plastiques pour le recyclage.
La responsable de l’usine de Yopougon, Andréa Blé, explique qu’elle reçoit les déchets de bouteilles plastiques des différents kiosques de la société mais aussi de certaines entreprises qui fabriquent des bouteilles plastiques. Les déchets plastiques sont par la suite mis dans des machines en fonction de leur couleur pour être broyés, en faire des paillettes vertes, bleues, blanches ou grises qui sont emballées et exportées.
e produit plus de 400.000 tonnes de déchets plastiques chaque année, selon le ministère de l’Environnement et du développement durable. Plus de 50% de ces déchets sont déversés directement dans la rue tandis que moins de 20% sont triés et recyclés.
Selon le portail du gouvernement de Côte d’Ivoire, les déchets plastiques détruisent les paysages et envahissent les océans tandis que 300 autres millions de tonnes sont générés chaque année dans le monde. Le plastique met entre 100 et 400 ans pour se désagréger, note-t-on.
La Côte d’ivoire s'est résolument engagée à combattre la pollution plastique à travers de multiples initiatives, dont une loi interdisant leur fabrication et usage, non encore en vigueur, souligne-t-on.
Grâce à une initiative de l’Unicef, la Côte d’Ivoire a fait le pari de vider les décharges de leurs déchets plastiques, pour construire 210 salles de classe. Plusieurs entreprises de recyclage et de « start-up » se sont spécialisées dans la collecte et le recyclage de déchets plastiques.
En juin 2022, la Côte d’Ivoire a désigné son représentant dans le comité intergouvernemental de négociation pour la fin de la production plastique y compris en milieu marin.
(AIP)
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