Création, Structuration et Valorisation des écosystèmes industriels, condition indispensable pour une croissance soutenue et la création d’emplois sur le continent
Le constat : une Afrique sous-industrialisée
Le constat suivant doit nous faire réfléchir : l'Afrique, qui demeure essentiellement agricole, este le continent le moins industrialisé et sa contribution à la valeur ajoutée manufacturière mondiale, qui stagne à 1,9 % environ, reste faible. Or, l'Afrique dispose d'un énorme potentiel d'industrialisation, ce que souligne l'Agenda 2063 de l'Union africaine.
Les Nations Unies ont proclamé la période 2016-2025 comme la troisième Décennie du
développement industriel de l'Afrique. L’industrialisation est une condition indispensable pour bâtir une croissance soutenue, durable et inclusive, créer des emplois pour le plus grand nombre, notamment les jeunes qui, chaque année, arrivent plus nombreux sur le marché du travail, accélérer l’égalité des genres et lutter contre la pauvreté.
Quels sont nos atouts ?
Un capital humain de plus en plus éduqué, des ressources naturelles et des perspectives de développement, notamment avec la ZLECAf, qui attirent les investisseurs.
Quelles sont nos faiblesses ?
L’absence de diversification économique, des infrastructures de transport limitées, des compétences professionnelles insuffisantes dans certains secteurs, un système éducatif et des dispositifs de formation professionnelle parfois peu performants, un climat des affaires instable, des industries naissantes insuffisamment soutenues, une
administration bureaucratique et peu productive. Quels sont les impacts négatifs Pôle de compétitivité : définition et mission de la sous-industrialisation pour l’Afrique ?
Des économies africaines tributaires de produits de base non transformés, ce qui les rend vulnérables aux fluctuations de la demande mondiale ;
une incapacité à répondre à la demande intérieure, ce qui nous oblige à importer ce que nous pourrions produire ; une intégration trop faible de l'industrie africaine dans les chaînes de valeur mondiales (CVM) ; un commerce intra-africain encore insuffisant.
Politique industrielle : un maître-mot, la cohérence
Un maître-mot doit nous guider dans la mise en œuvre des politiques
d’industrialisation : la cohérence. Une politique industrielle ne doit pas se limiter à la création d’une filière productive sans que ne soit pensé un dispositif global que l’on appellera « écosystème industriel » ou « pôle de compétitivité ». L’industrialisation ne peut réussir sans la capacité de toutes les parties prenantes à travailler ensemble : l’Etat, les services publics, les pouvoirs locaux, le secteur privé, les banques, les centres de recherche, le système éducatif, les organismes de formation, etc. La priorité doit être donnée à la cohérence des écosystèmes industriels. Imagine-t-on une entreprise qui s’installerait ex-nihilo loin des lieux de production, sans accès à l’énergie, sans infrastructure routière accessible, sans étude de marché, sans mobilisation des ressources, etc. Un environnement favorable à l’industrialisation est nécessaire, soit en partant d’un écosystème industriel existant et qu’il faut moderniser, soit en identifiant des secteurs qui ont un potentiel de croissance élevé. La réflexion est la même, que ce soit pour la création de champions nationaux de dimension internationale ou le développement d’un réseau dense de PME et de PMI. C’est d’ailleurs ce réseau dense de PME et de PMI qui permettra de créer des emplois pour le plus grand nombre, mieux que les champions nationaux.
Notre responsabilité, en tant que décideurs politiques, enseignants, chercheurs, est de créer les conditions qui rassurent les investisseurs et favorisent l’émergence d’une génération de jeunes entrepreneurs. Notre système éducatif doit permettre l’acquisition d’une culture entrepreneuriale.
Seul l’esprit entrepreneurial permet la création d’écosystèmes industriels performants. Nous disposons d’un système éducatif, certes performant mais qu’il faut encore améliorer, notamment dans l’enseignement professionnel ; nous avons les ressources naturelles suffisantes ; nous possédons un capital humain jeune, créatif et dynamique ; nous assistons à l’émergence de startups dans des secteurs stratégiques ; nous investissons dans la transformation numérique et l’Intelligence artificielle ; nous améliorons le financement des entreprises (aides de l’Etat, concours bancaires).
Est-ce suffisant ?
Non, car un patchwork d’éléments positifs ne constitue pas un écosystème cohérent. Comment créer un écosystème industriel cohérent, compétitif et résilient ?
La cohérence des écosystèmes industriels repose sur 10 piliers :
1. Le rôle de l’Etat.
2. L’amélioration du climat des affaires.
3. L’échange permanent entre tous les acteurs d’une même filière industrielle (l’Etat, les pouvoirs locaux, l’administration, les investisseurs, le système bancaire, etc.). 4. La gouvernance des entreprises (compétence des chefs d’entreprise).
5. La formation des salariés.
6. La promotion/commercialisation.
7. Les infrastructures de transport
8. L’innovation (technologie, transformation digitale, Intelligence artificielle).
9. L’accès aux financements (aides de l’Etat, prêts bancaires).
10. Une production industrielle « décarbonnée ».
Les « pôles de compétitivité »
Parmi les mesures que je préconise figure la création des « Pôles de compétitivité ».
Un pôle de compétitivité rassemble sur un territoire bien identifié et sur une thématique ciblée, des entreprises, petites et grandes, des laboratoires de recherche et des établissements de formation. Les forces en présence au sein d’un pôle de compétitivité sont multiples et se retrouvent dans des projets collaboratifs : recherche, développement, création de nouveaux produits destinés au marché national, exportation. Les pouvoirs publics nationaux et régionaux, les banques, sont étroitement associés à cette dynamique. Toutes les forces sont nécessaires à l’essor d’écosystèmes dynamiques et créateurs de richesse, moteurs de croissance et fournisseurs d’emplois.
Tout pôle de compétitivité repose sur un ancrage territorial fort, des structures existantes (tissu industriel, campus, infrastructures collectives, etc.) et un fort potentiel de développement.
La filière de l’anacarde
Si je prends la filière de l’anacarde, c’est un secteur d’activité qui demande la création d’un pôle de compétitivité qui part du producteur à l’unité de transformation en retenant à chaque fois l’objectif de performance : performance agricole (modernisation, productivité, respect des normes environnementales) et performance industrielle (transformation, marketing, commercialisation, exportation). Un pôle de compétitivité aide tous les acteurs à mieux maîtriser les déterminants directs (compréhension du marché, compétence des dirigeants, élévation des qualifications professionnelles, accès aux financements, stockage, sécurisation des revenus pour le producteur, sécurisation de l’approvisionnement pour l’industriel ou le négociant sur le marché des matières premières, infrastructures de transport, etc.) et les déterminants indirects (environnement des affaires, stabilité macroéconomique, fluctuation des marchés mondiaux, etc.). Actuellement, l’anacarde voit se développer, sous l’impulsion de l’Etat, une filière du stockage avec l’ARRE et de la transformation.
L’Etat joue ainsi pleinement son rôle d’Etat-stratège, en rupture avec son rôle d’Etat-providentiel qui se contente de secourir un secteur d’activité en difficulté au dernier moment.
Je crois beaucoup à l’industrialisation de l’Afrique à travers un panafricanisme
économique pragmatique, tel que le défend l’Union Africaine avec le projet de la Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine). L’industrialisation du continent permettra d’accroître les opportunités économiques, les possibilités d'emploi et de revenus décents dans l’économie formelle en misant sur des produits destinés au marché intérieur ou à l’exportation.
L’industrialisation est un moyen d’offrir des perspectives d’émancipation à tous les Africains, c’est aussi un outil puissant pour consolider l’égalité des genres, lutter efficacement contre la pauvreté, renforcer la cohésion sociale et la résilience de nos économies.
L’industrialisation du continent a longtemps été retardée pour quatre raisons : la faiblesse des marchés intérieurs, la force des appareils productifs occidentaux, la dynamique industrielle des pays asiatiques, en particulier la Chine, et les difficultés de financement rencontrées par les économies africaines.
L’Afrique est à un tournant de son évolution : il est urgent pour elle de s’industrialiser et développer les filières de transformation, plutôt que de favoriser les filières d’exportation des matières premières brutes.
En même temps, le consommateur africain doit être responsabilisé dans le choix de ce qu’il achète.
Ce n’est pas uniquement un outil industriel qu’il faut créer, c’est aussi un changement culturel qu’il faut opérer.
Professeur Justin N’Goran Koffi
Professeur Titulaire des Universités
Praticien des Hôpitaux
Directeur Général de l’ARRE