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Société Publié le vendredi 10 octobre 2025 | BBC

« Le jeu en vaut-il la chandelle ? » : le Cameroun va voter malgré la menace séparatiste dans les régions anglophones

« Le jeu en vaut-il la chandelle ? » : le Cameroun va voter malgré la menace séparatiste dans les régions anglophones
© BBC
« Le jeu en vaut-il la chandelle ? » : le Cameroun va voter malgré la menace séparatiste dans les régions anglophones
Les Camerounais se préparent à voter dimanche, alors que les séparatistes des régions anglophones menacent la population de ces zones de représailles.

La campagne électorale pour la présidentielle du 12 octobre au Cameroun, égrène ses dernières heures dans le pays. Les meetings se succèdent et s'intensifient ces derniers jours, les candidats voulant mettre le paquet, convaincre les indécis et avoir toute la chance, chacun de son côté.

Environ 8 millions de Camerounais se préparent ainsi à élire, ce dimanche, le prochain président de la République. Le chef de l'Etat sortant Paul Biya est candidat à sa propre succession pour briguer un septième mandat. Il affronte neuf autres candidats dans cette course à la présidence.

Mais, pendant que chants et danses se déroulent au rythme de cette campagne devant les promesses et discours des candidats dans la plupart des villes du Cameroun, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, la zone anglophone du pays, demeurent dans l'incertitude. La situation reste tendue dans les deux régions.

Le conflit armé qui dure dans les régions anglophones depuis 2016, pourrait empêcher de nombreux électeurs de voter pour la deuxième fois. En 2018, les séparatistes anglophones avaient déjà empêché la tenue de l'élection présidentielle dans la région.

Cherchant à créer un État indépendant, ils interdisent le vote dans les zones qu'ils considèrent comme leur territoire. Des milliers de personnes pourraient ne pas voter dimanche.

Menace sur la présidentielle dans la zone anglophone, peur de populations

Les séparatistes, dans les deux régions anglophones au Cameroun, demandent à la population de boycotter l'élection présidentielle en s'abstenant d'aller voter ce dimanche. Ils ont décrété un confinement d'un mois sur le territoire qu'ils réclament.

Les habitants dans la région restent chez eux, craignant les représailles de ces combattants qui, en 2018, avaient pris des mesures punitives contre ceux qui n'avaient pas respecté leur mot d'ordre de boycott de la présidentielle à l'époque.

« Nous avons vu des gens être sortis de chez eux et massacrés de sang-froid, avant, pendant et même bien après les élections, lorsqu'ils ont été identifiés. Et je me suis demandé, sans vouloir parler au nom de tout le monde, si cela valait la peine de prendre ce risque », a confié Samah Abang-Mugwa, un résident à BBC.

Depuis le début de la campagne électorale, beaucoup se sont montrés prudents dans la zone à cause de la tension qui reste palpable. Si certains peuvent arborer ouvertement les t-shirts de leur candidat ou parti politique, d'autres préfèrent mettre des masques pour ne pas être reconnus.

La peur des représailles oblige à rester discret. « J'ai mis une casquette et un cache-nez, pas pour le style, mais pour éviter qu'on me reconnaisse sur les photos », confie un militant à la BBC.

James, qui n'est pas son vrai nom, est une victime des séparatistes, qui a aussi parlé à la BBC. Il a fui sa ville natale anglophone, où il dit avoir été blessé par balle. Tout simplement parce qu'il n'a pas obéit à l'idéologie des séparatistes.

Il montre sa jambe droite qui a été amputée après l'incident. Cependant, ces souvenirs douloureux ne l'empêchent de vouloir accomplir son devoir civique dimanche prochain, loin de chez lui.

« Je me suis battu pour faire transférer mon nom sur les listes électorales de mon lieu de résidence actuel, afin de pouvoir voter, car je n'oublie pas mon droit et mon devoir civiques en tant que citoyen de ce magnifique triangle. Je veux simplement que la vie continue », dit-il.

L'absence d'activités politiques reste marquante pendant ces moments de campagne électorale. Seules les affiches de Paul Biya, le président sortant, trônent dans les rues.

Une élection « illégitime » sans la communauté anglophone ?

Le conflit dans les régions anglophones est un obstacle majeur pour la tenue de la présidentielle du 12 octobre. Il en va de la crédibilité et de la transparence de cette élection dans les zones, selon des acteurs de la société civile dans le pays.

Les statistiques des organes en charge de l'organisation des élections au Cameroun indiquent que le taux de participation dans les deux régions anglophones était de 15 % du corps électoral, avant le conflit. En 2018, ce taux était estimé à 9 % contre 54 % sur le plan national.

Pour Aya Abine, un acteur de la société civile camerounaise, la légitimité de cette élection pourrait être remise en question si la communauté anglophone n'y participe pas pleinement.

« Les résultats seront bien sûr, très illégitimes, car il s'agit de Camerounais. À moins que l'État, à l'instar des combattants séparatistes, ne dise qu'ils n'ont pas leur place ici. S'ils ont leur place ici, et c'est le cas, ils sont Camerounais et doivent élire leurs dirigeants ».

Et de se demander : « Mais comment peuvent-ils élire leurs dirigeants sous la menace des armes ? C'est là tout le problème ».

Le gouvernement rassure et appelle à aller voter

La menace de violences et de représailles est là. La tension est palpable dans les deux régions. Une aubaine pour les principaux adversaires de Paul Biya dans cette élection, notamment Issa Tchiroma Bakary, Bello Bouba Maigari et Cabral Libii, de pointer du doigt la responsabilité de l'Etat.

Pour ces derniers, le gouvernement Biya n'a pas géré correctement ce conflit qui continue de handicaper les populations dans les régions.

Mais, Paul Biya et son gouvernement battent du revers de la main ces critiques et indiquent qu'ils ont déployé des efforts considérables pour résoudre la fin de ce conflit. Ils citent en exemple le dialogue national de 2019.

Les violences ont connu une escalade récemment dans les principales villes des régions, avec des affrontements quotidiens entre forces armées et combattants séparatistes qui s'opposent à la tenue de l'élection présidentielle.

Cependant, le gouverneur de la région Nord-Ouest, Adolphe Lele Lafrique a minimisé ces affrontements. Pour lui, ce sont des « actes isolés » limités à quelques localités. « Toutes les mesures ont été prises pour sécuriser le processus électoral ».

Le gouvernement, quant à lui, exhorte les habitants des deux régions à se rendre aux urnes le jour du scrutin. Les responsables du gouvernement n'ont pas répondu aux demandes d'interview de la BBC.

Un conflit qui a fait des milliers de victimes

La crise, qualifiée par l'ONU de « l'une des plus négligées au monde », continue de creuser un malaise profond au sein de cette communauté et de provoquer le déchirement du tissu de la société camerounaise.

Elle a commencé en 2016 avec les revendications des avocats anglophones qui protestent contre l'imposition des magistrats francophones dans leur zone en l'absence des textes juridiques en anglais. Ils ont été rejoints par des enseignants qui dénoncent la marginalisation du système éducatif anglophone.

L'Etat camerounais a répondu avec une répression sévère, avec en toile de fond des arrestations, une coupure d'Internet, la militarisation des zones, etc. Une partie de la population s'est donc radicalisée, avec la naissance des groupes séparatistes qui, le 1er octobre 2017, proclament l'indépendance des deux régions qu'ils appellent « Ambazonie ».

Ce qui était des revendications corporatistes au départ, s'est mué en conflit armé, faisant des milliers de morts.

Les organisations internationales de défense des droits humains ont déjà accusé les forces gouvernementales de violations des droits humains et d'autres atrocités.

Human Rights Watch a évoqué notamment des exécutions extrajudiciaires, des incendies de villages et des attaques contre des écoles dont les auteurs sont des deux côtés, forces gouvernementales et combattants séparatistes.

Selon l'ONU, au moins 6 000 personnes ont été tuées et près d'un demi-million d'autres déplacées en raison du conflit anglophone qui s'est intensifié en 2017.

Le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA) estime à 700 000 le nombre de déplacés internes. Le HCR de son côté, recense 87 000 réfugiés camerounais au Nigeria.

Malgré la situation précaire qui règne dans les deux régions, les populations nourrissent l'espoir d'une paix et de la sécurité. Beaucoup espèrent la fin du conflit dans les régions, afin que les gens puissent enfin rentrer chez eux.

Quant au scrutin de dimanche, reste à savoir si les populations suivront l'appel du gouvernement d'aller voter, bravant ainsi les menaces séparatistes.


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