Gbonné, capitale du pays Toura, un jour de février 2012. Le yabele, la fête de l’igname et des masques bat son plein. Nous sommes au deuxième jour des festivités. La veille, l’étape des rameaux ou Paha Tan s’est déroulée. Ici le rameau est symbole de paix. C’est la matérialisation de l’attachement des Touras à la paix et à la cohabitation pacifique.
Au cours du Paha tan chacun des festivaliers se munit de rameau et participe à la procession qui fait le tour du village au son de chants divers. Cette danse est suivie dans la soirée par la danse du Zingonin nin. Les femmes et uniquement elles, la dansent pour saluer l’arrivée imminente des masques.
Ce deuxième jour donc du yabele, toutes les danses du village sont à l’œuvre. Tous les coins et recoins du village sont animés. Les femmes qui n’ont pas encore rejoint le groupe de danse de leur choix s’activent dans les cuisines. Normal. Une fête rime toujours avec bombance. Le yabele en pays Toura ne déroge pas à la règle. Brusquement, le ciel s’assombrit. A la surprise générale dans le ciel un peu trop clément ces derniers mois, apparaissent de gros nuages. C’est la pluie. Elle nese fera pas prier pour arroser le tout Gbonné, en l’espace d’une bonne demi-heure.
Cette édition du yabele, il fallait vraiment la faire. Et pour cause. Depuis fin octobre 2011, aucune goutte d’eau n’était venue appuyer les braves paysans de Gbonné dans les travaux champêtres. Conséquence, la famine guette les ménages pour cette année 2012. Pis, quelques jours seulement avant ces festivités un grave incendie a ravagé plantations, campements et cases dans au moins sept villages de la localité. A Yorogoué, Krogoalé, Gbonné soa, pour ne citer que ces quelques villages, l’impressionnant feu de brousse a semé la désolation sur son passage. L’ambiance quia donc précédé ces festivités n’était donc pas à la réjouissance mais plutôt aux lamentations et prières pour adoucir les cœurs d’âmes généreuses. Mais le yabele est une occasion pour implorer les mânes, leur exposer les attentes individuelles et collectives. Selon les populations de Gbonné et certains témoignages dignes de foi, les ancêtres sont toujours restées à l’écoute des supplications des Touras. Pour eux donc, la pluie de ce jour en est le témoignage éloquent.
Depuis 2002, en raison de la crise sociopolitique en Côte d’Ivoire on n’a plus célébré l’igname ici. La situation du pays qui a provoqué le stress permanent chez les populations ne se prêtait pas aux grandes cérémonies de réjouissances. Et pourtant, cette fête a toujours rythmé l’année chez le Touras, les Goh et une partie du peuple Dan, notamment le canton Gan, voisin des Touras.
« Nos parents ont toujours célébré l’igname de même que toutes les autres denrées de consommation », explique M.Bogbe Jean Pierre qui est agent à la mairie de Gbonné et fils de la localité. Finalement, c’est seulement l’igname qui a résisté à l’usure du temps certainement parce qu’il s’agit d’une spéculation rare mais surtout très prisée par les populations Touras. Il est cependant bien difficile de retrouver des mets à base d’igname dans les assiettes quotidiennes locales. Elle ne vient au devant de la scène que lorsque la fête est programmée. Mieux, au cours de la fête les plats d’igname ne foisonnent pas dans le village. L’igname est consommée dans le bois sacré. Il s’agit donc d’un rite initiatique dont l’igname n’est que le symbole.
A l’origine la prise de la première igname dans le bois sacré, est l’affaire d’enfants nés dans la période de l’entre- deux fêtes. C’est pour eux une espèce de baptême. Il s’agit de les confier aux ancêtres afin de bénéficier de leurs protections pour une vie bien remplie sur la terre des Hommes. A côté de cela, l’on les implore aussi pour la prospérité sociale et économique. Cette cérémonie se tient le troisième jour du yabele. Avant elle, plusieurs temps majeurs. Il y a d’abord dans la matinée le Kporo tan ou danse du noirci. C’est une danse guerrière. Tous les danseurs ou kporosimin (ceux qui ont pris le kporo) sont badigeonnés de noir. Les visages sont noircis, de même que l’ensemble du corps avec la sève du kporo, une espèce végétale en voie de disparition. Elle est aujourd’hui remplacée par le charbon de bois. Sans aller dans certains excès mystiques comme chez certains peuples de Côte d’Ivoire, les kporosimins ont le mérite de montrer à l’adversaire quelconque que le village regorge de jeunes valeureux prêts à le défendre au péril de leurs vies.
Ensuite, c’est la première apparition des masques. Les masques sont des esprits. Ils assurent la médiation entre la divinité et les humains. Les masques vivent en forêt. Leur arrivée au village à la faveur de cette fête est impressionnante. C’est une colonne de masques aussi divers les uns des autres qui pointent à l’horizon, descendant des hauts sommets des montagnes. Nous sommes en zone montagneuse, faut-il le préciser. Avec une discipline dans laquelle tout esprit cartésien se perdrait immanquablement, ils traversent le village en direction de la forêt sacrée. Une fois tous les masques dans l’enclos, le plus grand d’entre eux procède au rituel qui consiste à bénir les plats d’igname, implorer la protection des mânes et présenter aux ancêtres les attentes communes du peuple. Les petits morceaux sont alors portés à la bouche des enfants dans l’enclos pour les petits garçons, les fillettes ne consommant leur première igname qu’à l’orée de cette forêt sacrée.
C’est ensuite la première manifestation publique des masques qui va déboucher le lendemain, quatrième jour, sur la grande parade de masques. Ici, deux masques impressionnent par la discipline et le respect qu’ils imposent aux autres. L’un est le premier qui ouvre la marche. Nul autre masque n’a le droit de lui passer devant. Le second grand masque est celui qui ferme la marche. Après lui, plus aucun masque ne doit sortir de la forêt. Lorsque les masques déferlent sur la grande place publique du village, ils sont accompagnés par des groupes de danse. Le gros des populations étant confiné dans le rôle de spectateurs.
En raison de leur rôle social chez les Toura et de leur omniprésence dans le déroulement de la fête des ignames et tenant compte de la rareté de la denrée dans cette région, beaucoup d’observateurs pensent sérieusement à changer le nom de la manifestation.
« Cela permettra de situer notre fête dans son vrai contexte et de ne pas la confondre avec ce qui se fait ailleurs », précise Bogbé Jean pierre.
SYLVAIN GONETY OLIMPIO
Au cours du Paha tan chacun des festivaliers se munit de rameau et participe à la procession qui fait le tour du village au son de chants divers. Cette danse est suivie dans la soirée par la danse du Zingonin nin. Les femmes et uniquement elles, la dansent pour saluer l’arrivée imminente des masques.
Ce deuxième jour donc du yabele, toutes les danses du village sont à l’œuvre. Tous les coins et recoins du village sont animés. Les femmes qui n’ont pas encore rejoint le groupe de danse de leur choix s’activent dans les cuisines. Normal. Une fête rime toujours avec bombance. Le yabele en pays Toura ne déroge pas à la règle. Brusquement, le ciel s’assombrit. A la surprise générale dans le ciel un peu trop clément ces derniers mois, apparaissent de gros nuages. C’est la pluie. Elle nese fera pas prier pour arroser le tout Gbonné, en l’espace d’une bonne demi-heure.
Cette édition du yabele, il fallait vraiment la faire. Et pour cause. Depuis fin octobre 2011, aucune goutte d’eau n’était venue appuyer les braves paysans de Gbonné dans les travaux champêtres. Conséquence, la famine guette les ménages pour cette année 2012. Pis, quelques jours seulement avant ces festivités un grave incendie a ravagé plantations, campements et cases dans au moins sept villages de la localité. A Yorogoué, Krogoalé, Gbonné soa, pour ne citer que ces quelques villages, l’impressionnant feu de brousse a semé la désolation sur son passage. L’ambiance quia donc précédé ces festivités n’était donc pas à la réjouissance mais plutôt aux lamentations et prières pour adoucir les cœurs d’âmes généreuses. Mais le yabele est une occasion pour implorer les mânes, leur exposer les attentes individuelles et collectives. Selon les populations de Gbonné et certains témoignages dignes de foi, les ancêtres sont toujours restées à l’écoute des supplications des Touras. Pour eux donc, la pluie de ce jour en est le témoignage éloquent.
Depuis 2002, en raison de la crise sociopolitique en Côte d’Ivoire on n’a plus célébré l’igname ici. La situation du pays qui a provoqué le stress permanent chez les populations ne se prêtait pas aux grandes cérémonies de réjouissances. Et pourtant, cette fête a toujours rythmé l’année chez le Touras, les Goh et une partie du peuple Dan, notamment le canton Gan, voisin des Touras.
« Nos parents ont toujours célébré l’igname de même que toutes les autres denrées de consommation », explique M.Bogbe Jean Pierre qui est agent à la mairie de Gbonné et fils de la localité. Finalement, c’est seulement l’igname qui a résisté à l’usure du temps certainement parce qu’il s’agit d’une spéculation rare mais surtout très prisée par les populations Touras. Il est cependant bien difficile de retrouver des mets à base d’igname dans les assiettes quotidiennes locales. Elle ne vient au devant de la scène que lorsque la fête est programmée. Mieux, au cours de la fête les plats d’igname ne foisonnent pas dans le village. L’igname est consommée dans le bois sacré. Il s’agit donc d’un rite initiatique dont l’igname n’est que le symbole.
A l’origine la prise de la première igname dans le bois sacré, est l’affaire d’enfants nés dans la période de l’entre- deux fêtes. C’est pour eux une espèce de baptême. Il s’agit de les confier aux ancêtres afin de bénéficier de leurs protections pour une vie bien remplie sur la terre des Hommes. A côté de cela, l’on les implore aussi pour la prospérité sociale et économique. Cette cérémonie se tient le troisième jour du yabele. Avant elle, plusieurs temps majeurs. Il y a d’abord dans la matinée le Kporo tan ou danse du noirci. C’est une danse guerrière. Tous les danseurs ou kporosimin (ceux qui ont pris le kporo) sont badigeonnés de noir. Les visages sont noircis, de même que l’ensemble du corps avec la sève du kporo, une espèce végétale en voie de disparition. Elle est aujourd’hui remplacée par le charbon de bois. Sans aller dans certains excès mystiques comme chez certains peuples de Côte d’Ivoire, les kporosimins ont le mérite de montrer à l’adversaire quelconque que le village regorge de jeunes valeureux prêts à le défendre au péril de leurs vies.
Ensuite, c’est la première apparition des masques. Les masques sont des esprits. Ils assurent la médiation entre la divinité et les humains. Les masques vivent en forêt. Leur arrivée au village à la faveur de cette fête est impressionnante. C’est une colonne de masques aussi divers les uns des autres qui pointent à l’horizon, descendant des hauts sommets des montagnes. Nous sommes en zone montagneuse, faut-il le préciser. Avec une discipline dans laquelle tout esprit cartésien se perdrait immanquablement, ils traversent le village en direction de la forêt sacrée. Une fois tous les masques dans l’enclos, le plus grand d’entre eux procède au rituel qui consiste à bénir les plats d’igname, implorer la protection des mânes et présenter aux ancêtres les attentes communes du peuple. Les petits morceaux sont alors portés à la bouche des enfants dans l’enclos pour les petits garçons, les fillettes ne consommant leur première igname qu’à l’orée de cette forêt sacrée.
C’est ensuite la première manifestation publique des masques qui va déboucher le lendemain, quatrième jour, sur la grande parade de masques. Ici, deux masques impressionnent par la discipline et le respect qu’ils imposent aux autres. L’un est le premier qui ouvre la marche. Nul autre masque n’a le droit de lui passer devant. Le second grand masque est celui qui ferme la marche. Après lui, plus aucun masque ne doit sortir de la forêt. Lorsque les masques déferlent sur la grande place publique du village, ils sont accompagnés par des groupes de danse. Le gros des populations étant confiné dans le rôle de spectateurs.
En raison de leur rôle social chez les Toura et de leur omniprésence dans le déroulement de la fête des ignames et tenant compte de la rareté de la denrée dans cette région, beaucoup d’observateurs pensent sérieusement à changer le nom de la manifestation.
« Cela permettra de situer notre fête dans son vrai contexte et de ne pas la confondre avec ce qui se fait ailleurs », précise Bogbé Jean pierre.
SYLVAIN GONETY OLIMPIO