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Société Publié le mardi 24 septembre 2013 | L’intelligent d’Abidjan

Interview / Gofaga Coulibaly, président de l’Ordre des urbanistes : ‘‘L’opération de déguerpissement a eu des ratés’’

Gofaga Coulibaly est urbaniste agréé spécialiste en développement local, responsable du bureau d’étude et de planification urbaine (Bepu). En sa qualité aussi de président de l’Ordre national des urbanistes de Côte d’Ivoire, il nous dresse dans cette interview, les maux qui minent le secteur de l’urbanisme en Côte d’Ivoire en l’occurrence les quartiers précaires et la démographie galopante dans les villes. Ce spécialiste de la question profite de l’occasion pour indiquer des pistes, afin de remédier aux problèmes qui frappent la grande agglomération que constitue Abidjan.

En quoi consiste le métier d’urbaniste ?
L’urbaniste est un concepteur, un technicien et un organisateur de l’espace urbain. Il est à la fois un professionnel de la planification de la ville et de son développement ainsi que de l’aménagement urbain. L’urbaniste est aussi un professionnel de l’aménagement du territoire qui œuvre dans le domaine de la planification, de la conception et de la gestion de l’occupation du sol à l’échelle d’un site, d’une agglomération, d’une région ou d’un pays. Ses interventions visent à assurer la qualité de vie et l’harmonisation des activités humaines, dans une perspective de développement durable, en tenant compte des besoins des citoyens et des collectivités ainsi que des caractéristiques des milieux naturels et bâtis. Le travail de l’urbaniste vise, par ailleurs, à définir et mettre en forme le projet territorial des collectivités locales. Son rôle est d’anticiper les dynamiques d’urbanisation en apportant aux élus locaux une aide à la décision politique leur permettant d’arbitrer sur les localisations les plus cohérentes (activité, emploi, logement, réseaux de transport) pour la gestion optimale des mobilités, de mener une action foncière adéquate et de conduire des projets de renouvellement urbain. La profession d’urbaniste s’exerce dans une grande variété de structures publiques, parapubliques et privées. Qu’elle soit exercée au sein du secteur de la consultance privée ou en collectivité locale, la profession est étroitement liée au processus de décision publique et doit être définie comme une activité d’aide à la décision politique.

Vous avez été élu le 23 février 2013, sous quel signe placez-vous votre mandat ?
Nous plaçons notre mandat sous le signe de la continuité du travail déjà entamé par nos prédécesseurs, mais également dans un esprit de modernisation et de reconnaissance véritable du métier. Nous constatons toujours en effet, que beaucoup d’ivoiriens n’ont pas encore une nette connaissance de ce métier. Notre souci sera donc de le promouvoir véritablement auprès de tous les acteurs du développement territorial en général et du développement urbain en particulier, de faire jouer aux urbanistes leur véritable rôle dans le processus de développement socio-économique du pays.

On sait que la ville d’Abidjan et d’autres grandes villes de la Côte d’Ivoire ont des plans directeurs qui datent des années 70, notamment Abidjan, Yamoussoukro, Bouaké et Daloa. Etes-vous d’avis avec ceux qui pensent à une ré-urbanisation de ces grandes villes ?
Pour nous, il ne s’agit pas d’une ré-urbanisation des grandes villes. Il faut tout simplement, comme le stipulent les textes réglementaires, réviser tous les plans d’urbanisme directeurs qui ont atteint ou dépassé l’horizon réglementaire de 10 ou 15 ans. Pour information, l’Etat a engagé cette année la révision des plans d’urbanisme directeurs des 32 chefs-lieux de région dont font partie les villes que vous avez citées. Nous apprécions beaucoup cette initiative du Gouvernement qui marque ainsi un intérêt à la question urbaine. Cependant, nous voulons profiter de cette occasion pour attirer l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’élaborer une Stratégie Nationale de Développement Urbain (SNDU), qui devra être le véritable référentiel de la politique urbaine nationale. Il est vrai que nos villes ont urgemment besoin du renouvellement de leurs plans d’urbanisme directeurs, mais nous estimons que ce renouvellement donnerait des résultats beaucoup plus probants si ces plans s’appuyaient sur une politique publique urbaine qui définirait notamment une vision stratégique nationale de notre armature urbaine. Notre armature urbaine est constituée d’un ensemble de villes qui doivent avoir des objectifs de développement différents les unes par rapport aux autres en fonction de leur environnement socio économique, tout en les arrimant aux objectifs de la politique nationale d’aménagement du territoire et de l’aménagement du territoire communautaire (espace UEMOA). C’est donc cette Stratégie Nationale de Développement Urbain (SNDU) qui aurait pu définir ces objectifs et être un cadre de référence pour les futurs schémas et plans d’urbanisme directeurs. Nous pensons qu’il n’est pas trop tard et qu’il est encore possible d’élaborer cet important outil de référence nationale dans le secteur.

Selon les prévisions démographiques, d’ici 2050, la population ivoirienne avoisinera les 40 millions d’habitants, dont 10 millions pour la seule ville d’Abidjan. Quelles stratégies prévoyez-vous pour maitriser cette implosion démographique?
Si l’on s’en tient à vos chiffres, vous remarquerez que l’agglomération d’Abidjan seule accueillera le ¼ de la population de toute la Côte d’Ivoire, ce qui est très important. Avec le niveau de développement actuel de la ville, abriter un tel nombre de la population poserait à coup sûr des problèmes dans l’occupation spatiale et occasionnerait une forte pression sur les équipements et les infrastructures. Déjà, aujourd’hui avec environ 5 millions d’habitants (selon les estimations les plus réalistes), vous constatez vous-même les problèmes auxquels la ville est confrontée (manque de logement, dégradation des équipements et infrastructures, prolifération de quartiers d’habitat précaire, insécurité urbaine, difficultés de mobilité urbaine tant au niveau de la circulation que du transport collectif urbain, etc..). Pour nous, l’une des solutions est le renforcement de la politique de décentralisation avec un fort appui au développement économique local. Cela permettra de réduire l’exode rural, surtout l’exode sur Abidjan. Il faut donc atténuer la politique de macrocéphalie où, la ville d’Abidjan abrite plus de 70% des activités économiques du pays. Il faut une meilleure répartition des activités à travers la mise en place d’une politique d’aménagement et de développement du territoire nationale appropriée. Cela passe donc par la création de plusieurs zones de développement économique à l’intérieur du pays qui participeront ainsi à une meilleure répartition de la population sur le territoire national et réduiront la forte pression sur Abidjan.

Quelle politique actuelle faudrait-il pour la décongestion de la grande métropole qui est Abidjan avec ¼ de la population ivoirienne ?
D’abord, il faut à notre pays une véritable politique d’aménagement et de développement du territoire. Il faut aller au delà de l’équipement du territoire pour arriver au développement du territoire. Ensuite, outre la mise en œuvre d’une politique d’aménagement et de développement du territoire appropriée, comme évoquée précédemment, il faut surtout travailler à créer dans l’agglomération d’Abidjan plusieurs pôles économiques et administratifs. C’est peut-être parce que la population d’Abidjan est obligée d’aller travailler au Plateau ou à Treichville, Vridi que l’on a l’impression qu’Abidjan est congestionnée. Mais si l’on crée de nouveaux pôles d’activités notamment à Cocody, Abobo et Yopougon, les déplacements pendulaires diminueraient et la mobilité urbaine sera beaucoup plus aisée.

Quelle appréciation faites-vous de l’opération pays propre décidée par le gouvernement, et dirigée en son temps par la ministre Anne Désirée Ouloto ?
Cette opération a été une bonne chose après la crise post-électorale car, elle a permis de redorer l’image de notre capitale économique. Cependant, nous avons déploré le manque d’une vision d’aménagement dans cette opération. Nous estimons qu’il aurait été intéressant que les autorités travaillent avec les techniciens comme les urbanistes pour faire des propositions d’aménagement des espaces du domaine public déguerpis. Cela aurait évité le retour des certains occupants. Aujourd’hui, le constat est que des espaces déguerpis ont été de nouveau recolonisés par des activités commerciales.

L’accès difficile à un habitat décent donne naissance à un autre type d’habitats : les bidonvilles et quartiers précaires comme Boribana, Zoé Bruno, Biabou, Derrière rail, Mon mari m’a laissée. Quel est votre avis sur la question et comment peut-on juguler cette situation ?
La problématique de la prolifération actuelle des quartiers précaires reste une préoccupation pour nous urbanistes, parce que l’existence de ces quartiers est un indicateur, d’une part, de l’inexistence d’une politique publique urbaine, et d’autre part, de la non application des plans d’urbanisme directeur. En 1992, on dénombrait à Abidjan 72 quartiers précaires. En 2012, les estimations des organismes internationaux indiquent environ 90 quartiers d’habitat précaire. A côté de ces quartiers, depuis plus d’une décennie, il y a l’émergence des quartiers lotis sous-équipés qui prennent de plus en plus l’allure de véritables ghettos. L’existence de ces quartiers lotis sous-équipés montre le faible niveau d’investissements dans le secteur urbain depuis plus de deux décennies. Notre crainte est que les pratiques actuelles, avec les lotissements non viabilisés donc sous-équipés qui s’ajoutent aux quartiers d’habitat précaire, nous fassent assister au développement de quartiers sous intégrés favorisant de plus en plus l’exclusion urbaine. Ce qu’il faut faire pour juguler cette situation, c’est, d’une part reprendre en main le développement urbain de nos villes, et d’autre part, engager des opérations de régularisation de ces quartiers. La régularisation des quartiers d’habitat précaire se fait de deux façons. Soit le quartier est bâti sur un site urbanisable et non destiné à aucun équipement structurant au regard du schéma directeur d’urbanisme ; dans ce cas, on engage une opération de restructuration urbaine. Soit le quartier est bâti sur un site non urbanisable, des terrains déclarés non aedificandi (bas fonds marécageux, flancs de collines, sous les lignes électriques de haute tension, etc.), alors dans ce cas, on engage une opération de déplacement/relogement. Dans le dernier cas, la difficulté qui se présente le plus souvent, c’est de trouver un site de recasement.

La Côte d’Ivoire ambitionne devenir un grand pôle de développement, un projet de construction de logements sociaux a été lancé par le gouvernement. Quel sera la contribution des urbanistes ?
Les urbanistes sont étroitement associés à ce vaste projet de construction de logements sociaux. Nous accompagnons tous les opérateurs sélectionnés dans la réalisation des études techniques notamment la conception des plans d’aménagement des sites d’accueil des logements. Nous avons même baissé nos honoraires pour accompagner l’Etat.

M.Sanogo
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