– Récemment, dans une contribution publiée dans la presse, vous avez interpellé les gouvernants sur la gestion de la chose publique. Il nous revient que certaines personnes n’ont pas appréciez votre prise de position. Pouvez-vous ici brièvement nous dire le fond de notre pensée ?
Roland DAGHER : je ne ma suis adressé tout particulièrement à quelqu’un dans ce que j’ai nommé, « devoir de vérité ». J’ai parlé de l’ensemble de nos gouvernants, je n’ai pas indexé un parti politique. Il faut savoir faire la part des choses. Vous êtes un citoyen de ce pays comme moi, et vous constatez qu’il y a beaucoup de choses qui ne marchent pas dans le bon sens. Et cela dans tous les ministères. Chacun se reconnaîtra dans ce je dis. Mais je pense qu’il faut courageusement et humblement reconnaître les tares et chercher à les corriger pour le bien-être des populations que nous devons servir.
2 – Que reprochez-vous concrètement aux ministères et à leurs collaborateurs ?
La gestion du pays. Vous savez que nous traversons une crise financière aiguë. La situation n’est pas particulière à la Côte d’Ivoire. Mais il faut qu’à notre niveau, chacun fasse le travail qu’il a à faire, joue à fond sa partition. On ne lui demande pas de faire des miracles. Mais la réalité est que dans chaque ministère il y a des lacunes. Je ne dis pas que ministre es est personnellement responsable, mais je pense qu’il doit avoir l’œil sur tous ses collaborateurs et sur tout ce qui se passe. On comprend difficilement qu’aujourd’hui, la ville soit aussi sale, que la pauvreté augmente dans le pays, à un rythme aussi fou et que l’on ne se mette pas ensemble pour essayer de trouver des solutions au désarroi de notre jeunesse. Bref, il y a beaucoup de petits problèmes qui peuvent être réglés par l’ouverture et le dialogue. Aussi j’ai du mal à admettre que les fournisseurs de l’Etat fassent la grève de la faim autour du palais présidentiel. C’est pourquoi je souhaite que les uns et les autres se remuent, bougent un peu pour affronter cette population, en exprimant les difficultés, les peines et je crois que tout ira pour le mieux, parce que l’ivoirien est sage, est calme. Mais cessons de faire tous ces forums qui n’apportent rien au quotidien de nos concitoyens. Le quotidien, c’est que l’ivoirien a faim, il a envie de travailler, de retrouver sa dignité. Le Président Houphouet-Boigny, paix à son âme, disait que « l’homme qui a faim n’est pas un homme libre ». Réellement, ne sommes-nous pas aujourd’hui dans ce cas de figure ?
3 – vous avez peint tout à l’heure, un tableau sombre de la situation économique du pays avec notamment une paupérisation des populations qui tend à se généraliser. Comment en sortir ?
La solution, je ne cesse de la répéter, c’est la terre. Nous avons besoin impérativement de ramener notre jeunesse à la terre. Nos aînés ont assuré la prospérité de ce pays à partir du café et du cacao. Aujourd’hui, nous avons plus que le café et le cacao. Il y a le riz et le manioc que l’on peut exporter. Vous savez qu’aujourd’hui les aliments de bétail en Europe sont à base de manioc. Et il y a certains pays qui exportent ce produit. Pourquoi ne le ferions-nous pas ? Nous avons beaucoup de possibilités et de potentialités. C’est pourquoi, je voudrais inviter nos hommes politiques de se mettre ensemble pour se pencher sérieusement sur la question de la relance économique en mettant en confiance les fournisseurs. L’Etat doit de l’argent à ces derniers, il est pris par la question des élections. Mais je pense que l’on doit pouvoir faire la part des choses. Elections certes, mais avant tout, il va falloir rendre sa dignité à chaque individu. La dignité étant qu’un homme puisse manger à sa faim et survenir aux besoins de sa famille.
4 – Parlant justement des difficultés du pays, le Président Laurent Dona Fologo a émis le souhait, lors de la première session de l’année du Conseil Economique et Social (CES), que 2009 soit la dernière année de souffrances des Ivoiriens. Partagez vous ce vœu ?
Parfaitement. Mais commençons d’abord par changer nos habitudes. Comment voulez-vous que tout cela soit derrière nous quand nos habitudes n’ont pas changé ? Il faut commencer par moraliser la société. Aujourd’hui je demande à n’importe quel ivoirien de se poser la question essentielle : « est-ce que je fais bien ce que je devrais faire pour mon pays à la place où je suis ? » nous avons vu Obama, un homme issu d’une minorité, devenir Président des Etats-Unis, au cours d’une cérémonie haut en couleurs, suivie par le monde entier. C’est le résultat du travail, de la probité et de l’honnêteté. C’est tout un symbole, un message qui devrait interpeller tous les Ivoiriens, les inviter au changement des mentalités pour s’inscrire dans la modernité. Mais pourquoi chez nous les gens ne peuvent-ils pas faire le peu que l’on demande ? le minimum, c’est de faire son travail au quotidien sans attendre forcément une contrepartie. Aujourd’hui, ce n’est un secret pour personne que vous ne pouvez pas obtenir un document administratif sans verser quelque chose en retour. C’est cela qui doit changer si nous voulons aller de l’avant.
5 – L’une des solutions devant permettre à l’Etat de souffler financièrement, c’est l’unicité de caisses. L’entrée en vigueur de cette mesure prévue le 15 janvier dernier, vient d’être reportée au début du mois prochain. Quels commentaires faites-vous ?
Là aussi, il y a une part de responsabilité de nos jeunes frères de l’ex rébellion. Ils ont été acceptés dans la République et c’est une bonne chose que le Président a faite de leur tendre la main. Maintenant ils doivent savoir assumer leurs responsabilités en disant la vérité à tous ceux qui les ont soutenus dans les zones CNO. Vous savez que se sont environ 40 milliards de Fcfa qui sont prélevés chaque mois dans cette partie du territoire et qui ne sont pas reversés dans les caisses de l’Etat. Cette somme, sert-elle à payer les fonctionnaires qui exercent de l’autre côté de la République ? Voilà ce que devrait être l’unicité de caisse. Ceci dit, il ne faut pas désespérer des dates qui sont reportées de 15 jours ou même d’un mois. Nous sommes en train de sortir d’une grave crise et c’est l’ensemble, sans distinction de partis politiques que nous devons remettre tout le monde au travail et redonner ainsi la dignité à chacun, car ne l’oublions pas, c’est le travail qui confère la dignité à quelqu’un. Ce n’est ni la faim, ni le chômage, ni la pauvreté.
6 – Les élections viennent d’être encore reportées, le désarmement et l’indentification sont à la traîne etc. Si l’on vous demandait d’émettre un avis sur la conduite du processus de paix, que diriez-vous ?
C’est vrai, il y a un problème de date. Mais il ne faut perdre vue que nous sortons d’une guerre même si, Dieu Merci, celle-ci n’a pas excédé 6 mois. Aussi faut-il comprendre que les choses ne sont pas aussi faciles et que tout ne peut se faire du jour au lendemain. J’ai en mémoire une sortie récente du Premier Ministre, face aux représentants de la communauté internationale, qui devant l’empressement des uns et des autres à aller aux élections, a suggéré que l’on ait recours aux listes de 2000 sur lesquels tout le monde était d’accord. Aujourd’hui cette proposition est une piste à explorer. De deux choses, l’une. Soit on veut les élections tout de suite, alors on se met tous d’accord sur le listing de 2000, ou soit, nous voulons des consultations incontestables et on donne le temps de bien les organiser. C’est-à-dire au terme d’une transition de 12 à 18 mois par exemple qui aura l’avantage de ne pas mettre la pression, chaque mois, sur le ministre de ‘économie et des finances pour sortir des fonds pour les élections. Et pendant ce temps, on met tous les problèmes au pays en suspens. Oui, les élections sont urgentes et importantes pour la Côte d’Ivoire mais prenons le temps de les organiser normalement et paisiblement. S’agissant de l’identification, il faut poursuivre l’opération d’enrôlement car un pays sans statistiques démographiques ne peut pas bâtir une économie réelle.
7 – vous avez vu passer tous les régimes, de feu Félix Houphouët-Boigny à Laurent Gbagbo, en passant par Henri Konan Bédié et feu le Général Robert Guéi. Quelles appréciations faites-vous sur chacun ?
Vous savez, les conditions d’hier ne sont forcément celles d’aujourd’hui. Quelle comparaison raisonnable peut-on faire entre le Président Houphouët qui lui, gérait une population de 5 à 6 millions d’habitants et l’actuel chef de l’Etat qui a, à charge 17 millions de concitoyens ? que peut-on dire du Président Bédié qui a gouverné avec les 12 chantiers de l’éléphant d’Afrique, qu’il n’a pu réaliser comme voulu, son ambition de balayer, de nettoyer la Côte d’Ivoire, et même du passage d’Allassane Dramane Ouattara à la tête du comité interministériel puis à la primature alors que le pays était pratiquement en cessation de paiement ? C’est dire que chacun a eu à gérer les problèmes de son époque. Mais si je dois faire une observation de plus, et ceux qui me connaissent savent que je n’ai pas pour habitude de caresser dans le sens du poil, je dirai que le Président Laurent Gbagbo est celui qui fait face à plus de difficultés qu’il gère à sa façon. C’est pourquoi, nous qui sommes à ses côtés, nous efforçons de nourrir notre amitié de la vérité. Et lorsque nous lui disons par exemple que tel ou tel ministère ne tourne pas bien, c’est tout simplement pour aider ce grand homme d’Etat dans ses actions de je laisserai plutôt le soin à l’Histoire de juger.
8 – Pour parler économie à présent, quel est aujourd’hui le poids de la communauté libanaise dans l’économie ivoirienne ?
Facilement 35 à 40%, et ça continue à se développer. Les Libanais ne sont jamais partis. Ils sont restés même au plus fort de la crise pendant que tous les autres délocalisaient leurs activités dans la sous région ou ailleurs. Et nous serons toujours là. Il faudra donc que les dirigeants et les ivoiriens de tous bords sachent que les libanais sont leurs vrais frères. Nous avons traversé une crise plus grave, plus difficile que la vôtre, avant de venir ici, nous installer et nous intégrer finalement dans le tissu socio-économique. J’ai pour habitude de dire que nous ne faisons pas partie d’une ethnie particulière, mais que nous appartenons à toutes les ethnies. Car, dans tous les coins de la Côte d’Ivoire, vous trouverez un libanais. Si nous avons pu résister économiquement pendant sept ans de crise, cela est dû en partie à cette communauté qui s’est investie a fond pour ce pays qu’elle aime tant.
9 – A combien peut-on chiffrer les emplois créées par cette communauté ?
Sensiblement égales à ceux de la fonction publique, sinon en peu plus.
10 – l’on vous a vu, il y a quelque temps, mener bataille contre la facture normalisée. Comment la communauté libanaise vit-elle aujourd’hui cette mesure ?
C’est une vieille histoire. Aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre et il n’y a plus de problèmes. A l’époque, j’avais simplement voulu faire comprendre qu’il fallait expliquer ce que c’était la facture normalisée. Mais je n’étais pas contre la mesure. Il y a eu des incompréhensions de part et d’autre. Ceci dit, il est normal qu’un pays veuille s’organiser, sortir de la fraude pour compter dans le concert des nations. Donc la facture normalisée est tout à fait normale comme l’indique si bien son nom.
11 – Vous êtes un homme d’affaires prospère ; pour ceux qui veulent vous ressembler, quelles sont les clés de la réussite ?
Prospère est un grand mot. Quant aux clés de succès, c’est de se lever chaque matin, aller à son boulot, faire l’effort de trouver une solution chaque fois qu’une difficulté surviendra, et ne jamais baisser les bras. Voilà la recette et je pense qu’il y a beaucoup de jeunes ivoiriens qui peuvent le faire mais ils ont seulement besoin d’un coup de pouce. A ce niveau, très bientôt le monterai un petit programme en faveur de tous ces jeunes. J’avais laissé Charles Blé Goudé, le président du Cojep, faire ce travail. Il est issu du milieu de la jeunesse, donc il le connaît bien, mais force est de reconnaître aujourd’hui, qu’il a besoin dans cette entreprise, d’être épaulé par les anciens que nous sommes. De sorte que la jeunesse couplée à la sagesse, nous garantisse le succès attendu. Il ne faut pas désespérer de la Côte d’Ivoire. Ce pays est un grand pays car malgré toutes les difficultés que nous traversons, depuis septembre 2002, nous restons toujours leader de la sous région. De même, les jeunes patriotes n’ont pas à se faire un mauvais complexe devant tous ceux qui les assimilent volontairement à des voyous, à des casseurs. Ils doivent plutôt être fiers d’avoir défendu vaillamment, à l’instar des patriotes français, lors de la seconde guerre mondiale, leur pays contre les agresseurs, les envahisseurs étrangers.
12 - Ce projet en faveur des jeunes, pouvez-vous le présenter brièvement ?
Prenez votre mal en patience. Je vous promets d’être les premiers à être avisés, et cela en temps opportun.
Entretien réalisé par Yves De Sery
Paru dans le Matin d’Abidjan du 23 Janvier 2009
Roland DAGHER : je ne ma suis adressé tout particulièrement à quelqu’un dans ce que j’ai nommé, « devoir de vérité ». J’ai parlé de l’ensemble de nos gouvernants, je n’ai pas indexé un parti politique. Il faut savoir faire la part des choses. Vous êtes un citoyen de ce pays comme moi, et vous constatez qu’il y a beaucoup de choses qui ne marchent pas dans le bon sens. Et cela dans tous les ministères. Chacun se reconnaîtra dans ce je dis. Mais je pense qu’il faut courageusement et humblement reconnaître les tares et chercher à les corriger pour le bien-être des populations que nous devons servir.
2 – Que reprochez-vous concrètement aux ministères et à leurs collaborateurs ?
La gestion du pays. Vous savez que nous traversons une crise financière aiguë. La situation n’est pas particulière à la Côte d’Ivoire. Mais il faut qu’à notre niveau, chacun fasse le travail qu’il a à faire, joue à fond sa partition. On ne lui demande pas de faire des miracles. Mais la réalité est que dans chaque ministère il y a des lacunes. Je ne dis pas que ministre es est personnellement responsable, mais je pense qu’il doit avoir l’œil sur tous ses collaborateurs et sur tout ce qui se passe. On comprend difficilement qu’aujourd’hui, la ville soit aussi sale, que la pauvreté augmente dans le pays, à un rythme aussi fou et que l’on ne se mette pas ensemble pour essayer de trouver des solutions au désarroi de notre jeunesse. Bref, il y a beaucoup de petits problèmes qui peuvent être réglés par l’ouverture et le dialogue. Aussi j’ai du mal à admettre que les fournisseurs de l’Etat fassent la grève de la faim autour du palais présidentiel. C’est pourquoi je souhaite que les uns et les autres se remuent, bougent un peu pour affronter cette population, en exprimant les difficultés, les peines et je crois que tout ira pour le mieux, parce que l’ivoirien est sage, est calme. Mais cessons de faire tous ces forums qui n’apportent rien au quotidien de nos concitoyens. Le quotidien, c’est que l’ivoirien a faim, il a envie de travailler, de retrouver sa dignité. Le Président Houphouet-Boigny, paix à son âme, disait que « l’homme qui a faim n’est pas un homme libre ». Réellement, ne sommes-nous pas aujourd’hui dans ce cas de figure ?
3 – vous avez peint tout à l’heure, un tableau sombre de la situation économique du pays avec notamment une paupérisation des populations qui tend à se généraliser. Comment en sortir ?
La solution, je ne cesse de la répéter, c’est la terre. Nous avons besoin impérativement de ramener notre jeunesse à la terre. Nos aînés ont assuré la prospérité de ce pays à partir du café et du cacao. Aujourd’hui, nous avons plus que le café et le cacao. Il y a le riz et le manioc que l’on peut exporter. Vous savez qu’aujourd’hui les aliments de bétail en Europe sont à base de manioc. Et il y a certains pays qui exportent ce produit. Pourquoi ne le ferions-nous pas ? Nous avons beaucoup de possibilités et de potentialités. C’est pourquoi, je voudrais inviter nos hommes politiques de se mettre ensemble pour se pencher sérieusement sur la question de la relance économique en mettant en confiance les fournisseurs. L’Etat doit de l’argent à ces derniers, il est pris par la question des élections. Mais je pense que l’on doit pouvoir faire la part des choses. Elections certes, mais avant tout, il va falloir rendre sa dignité à chaque individu. La dignité étant qu’un homme puisse manger à sa faim et survenir aux besoins de sa famille.
4 – Parlant justement des difficultés du pays, le Président Laurent Dona Fologo a émis le souhait, lors de la première session de l’année du Conseil Economique et Social (CES), que 2009 soit la dernière année de souffrances des Ivoiriens. Partagez vous ce vœu ?
Parfaitement. Mais commençons d’abord par changer nos habitudes. Comment voulez-vous que tout cela soit derrière nous quand nos habitudes n’ont pas changé ? Il faut commencer par moraliser la société. Aujourd’hui je demande à n’importe quel ivoirien de se poser la question essentielle : « est-ce que je fais bien ce que je devrais faire pour mon pays à la place où je suis ? » nous avons vu Obama, un homme issu d’une minorité, devenir Président des Etats-Unis, au cours d’une cérémonie haut en couleurs, suivie par le monde entier. C’est le résultat du travail, de la probité et de l’honnêteté. C’est tout un symbole, un message qui devrait interpeller tous les Ivoiriens, les inviter au changement des mentalités pour s’inscrire dans la modernité. Mais pourquoi chez nous les gens ne peuvent-ils pas faire le peu que l’on demande ? le minimum, c’est de faire son travail au quotidien sans attendre forcément une contrepartie. Aujourd’hui, ce n’est un secret pour personne que vous ne pouvez pas obtenir un document administratif sans verser quelque chose en retour. C’est cela qui doit changer si nous voulons aller de l’avant.
5 – L’une des solutions devant permettre à l’Etat de souffler financièrement, c’est l’unicité de caisses. L’entrée en vigueur de cette mesure prévue le 15 janvier dernier, vient d’être reportée au début du mois prochain. Quels commentaires faites-vous ?
Là aussi, il y a une part de responsabilité de nos jeunes frères de l’ex rébellion. Ils ont été acceptés dans la République et c’est une bonne chose que le Président a faite de leur tendre la main. Maintenant ils doivent savoir assumer leurs responsabilités en disant la vérité à tous ceux qui les ont soutenus dans les zones CNO. Vous savez que se sont environ 40 milliards de Fcfa qui sont prélevés chaque mois dans cette partie du territoire et qui ne sont pas reversés dans les caisses de l’Etat. Cette somme, sert-elle à payer les fonctionnaires qui exercent de l’autre côté de la République ? Voilà ce que devrait être l’unicité de caisse. Ceci dit, il ne faut pas désespérer des dates qui sont reportées de 15 jours ou même d’un mois. Nous sommes en train de sortir d’une grave crise et c’est l’ensemble, sans distinction de partis politiques que nous devons remettre tout le monde au travail et redonner ainsi la dignité à chacun, car ne l’oublions pas, c’est le travail qui confère la dignité à quelqu’un. Ce n’est ni la faim, ni le chômage, ni la pauvreté.
6 – Les élections viennent d’être encore reportées, le désarmement et l’indentification sont à la traîne etc. Si l’on vous demandait d’émettre un avis sur la conduite du processus de paix, que diriez-vous ?
C’est vrai, il y a un problème de date. Mais il ne faut perdre vue que nous sortons d’une guerre même si, Dieu Merci, celle-ci n’a pas excédé 6 mois. Aussi faut-il comprendre que les choses ne sont pas aussi faciles et que tout ne peut se faire du jour au lendemain. J’ai en mémoire une sortie récente du Premier Ministre, face aux représentants de la communauté internationale, qui devant l’empressement des uns et des autres à aller aux élections, a suggéré que l’on ait recours aux listes de 2000 sur lesquels tout le monde était d’accord. Aujourd’hui cette proposition est une piste à explorer. De deux choses, l’une. Soit on veut les élections tout de suite, alors on se met tous d’accord sur le listing de 2000, ou soit, nous voulons des consultations incontestables et on donne le temps de bien les organiser. C’est-à-dire au terme d’une transition de 12 à 18 mois par exemple qui aura l’avantage de ne pas mettre la pression, chaque mois, sur le ministre de ‘économie et des finances pour sortir des fonds pour les élections. Et pendant ce temps, on met tous les problèmes au pays en suspens. Oui, les élections sont urgentes et importantes pour la Côte d’Ivoire mais prenons le temps de les organiser normalement et paisiblement. S’agissant de l’identification, il faut poursuivre l’opération d’enrôlement car un pays sans statistiques démographiques ne peut pas bâtir une économie réelle.
7 – vous avez vu passer tous les régimes, de feu Félix Houphouët-Boigny à Laurent Gbagbo, en passant par Henri Konan Bédié et feu le Général Robert Guéi. Quelles appréciations faites-vous sur chacun ?
Vous savez, les conditions d’hier ne sont forcément celles d’aujourd’hui. Quelle comparaison raisonnable peut-on faire entre le Président Houphouët qui lui, gérait une population de 5 à 6 millions d’habitants et l’actuel chef de l’Etat qui a, à charge 17 millions de concitoyens ? que peut-on dire du Président Bédié qui a gouverné avec les 12 chantiers de l’éléphant d’Afrique, qu’il n’a pu réaliser comme voulu, son ambition de balayer, de nettoyer la Côte d’Ivoire, et même du passage d’Allassane Dramane Ouattara à la tête du comité interministériel puis à la primature alors que le pays était pratiquement en cessation de paiement ? C’est dire que chacun a eu à gérer les problèmes de son époque. Mais si je dois faire une observation de plus, et ceux qui me connaissent savent que je n’ai pas pour habitude de caresser dans le sens du poil, je dirai que le Président Laurent Gbagbo est celui qui fait face à plus de difficultés qu’il gère à sa façon. C’est pourquoi, nous qui sommes à ses côtés, nous efforçons de nourrir notre amitié de la vérité. Et lorsque nous lui disons par exemple que tel ou tel ministère ne tourne pas bien, c’est tout simplement pour aider ce grand homme d’Etat dans ses actions de je laisserai plutôt le soin à l’Histoire de juger.
8 – Pour parler économie à présent, quel est aujourd’hui le poids de la communauté libanaise dans l’économie ivoirienne ?
Facilement 35 à 40%, et ça continue à se développer. Les Libanais ne sont jamais partis. Ils sont restés même au plus fort de la crise pendant que tous les autres délocalisaient leurs activités dans la sous région ou ailleurs. Et nous serons toujours là. Il faudra donc que les dirigeants et les ivoiriens de tous bords sachent que les libanais sont leurs vrais frères. Nous avons traversé une crise plus grave, plus difficile que la vôtre, avant de venir ici, nous installer et nous intégrer finalement dans le tissu socio-économique. J’ai pour habitude de dire que nous ne faisons pas partie d’une ethnie particulière, mais que nous appartenons à toutes les ethnies. Car, dans tous les coins de la Côte d’Ivoire, vous trouverez un libanais. Si nous avons pu résister économiquement pendant sept ans de crise, cela est dû en partie à cette communauté qui s’est investie a fond pour ce pays qu’elle aime tant.
9 – A combien peut-on chiffrer les emplois créées par cette communauté ?
Sensiblement égales à ceux de la fonction publique, sinon en peu plus.
10 – l’on vous a vu, il y a quelque temps, mener bataille contre la facture normalisée. Comment la communauté libanaise vit-elle aujourd’hui cette mesure ?
C’est une vieille histoire. Aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre et il n’y a plus de problèmes. A l’époque, j’avais simplement voulu faire comprendre qu’il fallait expliquer ce que c’était la facture normalisée. Mais je n’étais pas contre la mesure. Il y a eu des incompréhensions de part et d’autre. Ceci dit, il est normal qu’un pays veuille s’organiser, sortir de la fraude pour compter dans le concert des nations. Donc la facture normalisée est tout à fait normale comme l’indique si bien son nom.
11 – Vous êtes un homme d’affaires prospère ; pour ceux qui veulent vous ressembler, quelles sont les clés de la réussite ?
Prospère est un grand mot. Quant aux clés de succès, c’est de se lever chaque matin, aller à son boulot, faire l’effort de trouver une solution chaque fois qu’une difficulté surviendra, et ne jamais baisser les bras. Voilà la recette et je pense qu’il y a beaucoup de jeunes ivoiriens qui peuvent le faire mais ils ont seulement besoin d’un coup de pouce. A ce niveau, très bientôt le monterai un petit programme en faveur de tous ces jeunes. J’avais laissé Charles Blé Goudé, le président du Cojep, faire ce travail. Il est issu du milieu de la jeunesse, donc il le connaît bien, mais force est de reconnaître aujourd’hui, qu’il a besoin dans cette entreprise, d’être épaulé par les anciens que nous sommes. De sorte que la jeunesse couplée à la sagesse, nous garantisse le succès attendu. Il ne faut pas désespérer de la Côte d’Ivoire. Ce pays est un grand pays car malgré toutes les difficultés que nous traversons, depuis septembre 2002, nous restons toujours leader de la sous région. De même, les jeunes patriotes n’ont pas à se faire un mauvais complexe devant tous ceux qui les assimilent volontairement à des voyous, à des casseurs. Ils doivent plutôt être fiers d’avoir défendu vaillamment, à l’instar des patriotes français, lors de la seconde guerre mondiale, leur pays contre les agresseurs, les envahisseurs étrangers.
12 - Ce projet en faveur des jeunes, pouvez-vous le présenter brièvement ?
Prenez votre mal en patience. Je vous promets d’être les premiers à être avisés, et cela en temps opportun.
Entretien réalisé par Yves De Sery
Paru dans le Matin d’Abidjan du 23 Janvier 2009