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Politique Publié le samedi 31 janvier 2009 | Le Patriote

A propos de la Médiation dans le conflit kroumen-burkinabè - Interview/ Dano Djédjé (Ministre de la Réconciliation nationale):“Personne ne doit être lésé !”

Nous avions souhaité l’avoir en interview sur sa médiation dans le conflit Kroumen-Burkinabè dans la région de Tabou. Objet de notre reportage paru le lundi 26 janvier dernier. Parce que le règlement définitif de ce conflit lui incombe, pour avoir été l’artisan de la paix dans cette région. Le Ministre de la Réconciliation nationale et des relations avec les Institutions ne s’y est pas soustrait. Mais au delà de Tabou, Sébastien Dano Djédjé explique son combat pour une Côte d’Ivoire réconciliée. Entretien.
Le Patriote : Bonjour Monsieur le Ministre, quelles sont les attributions de votre département dans le gouvernement issu de l’accord Politique de Ouagadougou?
Sébastien Dano Djédjé : Je voudrais avant tout vous féliciter et vous souhaiter une bonne et heureuse année 2009. C’est la toute première fois que j’accorde une interview au journal Le Patriote et je voudrais vous remercier d’être venu jusqu’à moi. Si nous n’avons pas pu nous voir avant c’est parce que nous étions occupés ou en déplacement. Dès que le temps le permettait, il n’y a pas de raison que je ne vous reçoive pas. Si vous avez souhaité me rencontrer c’est parce que vous vous intéressez au processus de sortie de crise que nous menons. C’est aussi parce que le sort de la population vous intéresse dans le sens positif de la sortie de crise. Recevez tous mes encouragements et mes remerciements.
Ceci dit, concernant les attributions du ministère, nous avons regroupé deux départements en un seul, il s’agit du département des institutions de la République et le département de la réconciliation nationale. Ici ce qui est à l’ordre du jour c’est le volet relatif à la réconciliation nationale. A cet effet, nous avons pour mission, la mise en œuvre de la politique du gouvernement en ce qui concerne la réconciliation nationale. Pour promouvoir l’unité nationale nous sommes appelés à développer des activités qui favorisent l’intégration sociale des non ivoiriens résidant sur le territoire national, et les naturalisés. En deuxième lieu, nous devrons œuvrer pour prévenir les conflits et les affrontements et toute manifestation à caractère tribal, raciste, religieux, xénophobes. Nous devrons promouvoir les valeurs communautaires, et sensibiliser à la démocratie, à la coexistence pacifique et à l’intégrité territoriale. Nous devrons aussi promouvoir des relations entre les citoyens et l’Etat. En somme, notre mission est de restaurer la cohésion nationale mis à l’épreuve depuis les évènements du 19 septembre 2002.Voilà en gros les attributions qui sont les nôtres dans le gouvernement du Premier ministre Soro Guillaume. Quels sont alors, M. le Ministre, les mécanismes sur lesquels vous vous appuyez dans la quête de la restauration de la cohésion ?
Je voudrais d’abord relever que la réconciliation, beaucoup en parle sans trop savoir ce que cela veut dire. Pour que tout le monde soit au même niveau de compréhension, je voudrais m’appesantir un peu sur ce point. En effet, la réconciliation, c’est mettre ensemble ce qui était unie à un moment donné. Nous considérons qu’en Côte d’Ivoire, avant le 19 septembre 2002 et malgré nos conflits internes, nous étions dans la cohésion nationale. Mais depuis cette date, il y a eu dislocation. Alors, la différence entre la réconciliation et la paix, c’est qu’on peut être en paix sans être réconcilié. Si vous voulez une paix durable, il faut qu’après la paix, on instaure un mécanisme de réconciliation. Je voudrais dire que la paix c’est accepter de tout laisser tomber et partager désormais le même idéal, les mêmes objectifs et les mêmes ambitions. Il faut donc bien faire la différence entre la réconciliation et la paix.
Pour répondre maintenant à votre question en ce qui concerne les mécanismes que nous avons mis en œuvre pour que cette paix soit durable et se termine par la réconciliation, je dirais qu’il y a un certain nombre de points qu’il faut prendre en compte. Il s’agit de mettre ensemble une somme de démarches qui va aboutir à des résultats que nous allons appeler réconciliation. La somme de ces démarches est consignée ici sous le label du triptyque. Nous nous sommes inspiré de l’exemple Sud-Africain parce que c’est un peuple qui a beaucoup souffert mais qui s’est battu pour accéder à l’indépendance. Ce peuple dans sa quête de réconciliation a instauré le triptyque qu’on a appelé « Vérité-Repentence-Pardon ». De notre côté nous avons réfléchi et nous avons retenu ce qui pouvait convenir à la Côte d’Ivoire. Les négociations de Linas Marcoussis menés par les hommes politiques, ont permis de balayer tous les problèmes qui nous ont conduits aux évènements de 2002. A partir de là, nous, membres du gouvernement qu’est-ce que nous instaurons comme mécanisme pour parvenir à la réconciliation ? Nous avons donc retenu le mot Vérité. Au niveau de la repentance, ça été houleux. Parce qu’il était difficile de demander à quelqu’un dans la situation ou nous étions de venir se repentir. Les tensions étaient tellement vives qu’il aurait été maladroit de le faire. Nous avons opté donc pour la justice. Car si nous acceptons de nous dire la vérité, il faut que les dégâts soit réparés. C’est à ce prix là qu’on pourra parvenir au pardon. Notre triptyque est donc «Vérité- Justice-Pardon ». Une fois ce mécanisme mis en place, nous avons insisté sur le dialogue. Nous avons dit qu’il faut que notre peuple apprenne à dialoguer, le dialogue inter individu et intercommunautaire. Ce dialogue doit se faire dans l’humilité, la courtoisie et la considération. Nous avons ensuite résumé ces points par le slogan suivant : S’écouter pour mieux se parler ; se parler pour mieux se comprendre ; se comprendre pour mieux se connaître ; se connaitre pour mieux se tolérer et se tolérer pour mieux se pardonner. Si ces comportements ne sont pas adoptés sur le terrain, il serra difficile d’arriver aux résultats que nous souhaitons pour la Côte d’Ivoire. Pour y parvenir, nous avons choisi plusieurs voies dont la sensibilisation par le contact, en ciblant les ONG par exemple. Nous discutons avec les leaders d’opinions. Nous insistons aussi sur le rôle des médias dans le processus de sortie de crise. Pour utiliser les médias, il fallait impliquer les médias. C’est dans ce cadre que nous avons organisé des ateliers ou les médias étaient invités. Avec ces mêmes médias nous avons organisé des émissions. Nous organisons aussi des journées nationales de réconciliation. Nous avons mis en place aussi des comités locaux de réconciliation pour servir de relais et de structure de veille. On note aussi l’institution de la nuit de la réconciliation dont la dernière édition s’est déroulée le 4 décembre dernier. Quel bilan dressez vous de cette manifestation ?
En effet, nous avons aussi initié la grande nuit de la réconciliation qui distingue une fois l’an, les personnalités ou les groupes de personnes qui se sont illustrés de façon positive dans le processus de réconciliation et de paix. Ça peut être des personnes qui ont posé des actes concrets mais aussi des hommes à qui nous faisons appel pour nous aider. En terme de bilan, la première édition a été rehaussée par la présence du ministre de la Défense Sud Africain, M. Lokota. C’était la première édition et nous cherchions nos marques. On a décidé de primer toute la société ivoirienne. Des politiques, des religieux, des journalistes. Personne n’a été oublié. La deuxième édition qui vient d’avoir lieu a été rehaussée par la présence du ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du Burkina Faso, Son Excellence Alain Yoda. Cette fois-ci, nous avons restreint le nombre de lauréats à 57 au lieu de 300 comme la précédente fois. Nous l’avons fait pour la simple raison qu’il fallait que cette manifestation couvre toute la Côte d’Ivoire. Pour cela nous avons demandé aux préfets de nous aider à répertorier et à remercier des personnes qui ont posé des actes concrets en faveur de la paix et de la cohésion sociale. Que ce soit la prise en charge des agents du CNPRA (comité national de pilotage du redéploiement de l’administration, ndlr) ou la prise en charge des enseignants qu’on a envoyés sur le terrain. Voilà des activités que nous avons conduites dans le sens du processus de sortie de crise.
M. le Ministre, au plan social et communautaire, on a noté ces dernières années, des conflits qui ont opposé des communautés autochtones et allochtones dans nombreuses localités du pays. Comment votre département gère ces conflits de façon concrète?
En tant que journaliste vous savez que nous avons un pays exceptionnel en ce qui concerne le brassage ethnique. On cite aussi l’Inde en exemple, mais la Côte d’Ivoire occupe une place très importante dans ce sens. Avec 322.462 km2, on nous dit que nous avons soixante ethnies et ce n’est pas tout parce que les sociologues viennent de découper les ethnies, on doit être maintenant entre soixante et soixante dix. Si vous ajoutez à cela ceux qui nous viennent de l’extérieur que ce soit du Burkina, du Mali, du Ghana, contrairement à ce qu’on pense, les gens ne sont pas toujours homogènes. Parce que les gens viennent avec leur ethnie et s’ils occupaient un espace bien déterminé on aurait pu les dénombrer comme des ethnies de la Côte d’Ivoire. Quand on a un tel brassage qui est pour moi quelque chose de positif, on devrait s’attendre à ce qu’il y ait des altercations. Entre les Ivoiriens eux-mêmes au village, il y a déjà des altercations à plus forte raison au niveau d’un pays qui a accueilli tout ce monde. Nous ne devrons pas être surpris par les conflits, le plus important c’est de savoir les régler pour éviter que ça dégénère comme la situation que nous connaissons actuellement. Notre brassage est donc une richesse. Si des problèmes apparaissent il ne faut pas qu’on soit fébrile, c’est normal, il faut s’atteler à les résoudre.
Parlant de résolutions, M. le Ministre, vous avez été l’artisan de la réconciliation entre kroumen et Burkinabè à Tabou en 2006, après les évènements malheureux de 99. Comment s’est opérée cette réconciliation ?
Vous me posez là une très bonne question parce que je cherchais l’occasion pour expliquer cela. Très souvent, les journalistes écrivent sans nous approcher alors qu’il est bien de le faire même si on ne partage pas de ce qu’on a dit. Pour ce qui concerne la réconciliation entre kroumen et Burkinabè pour moi cela remonte à 2006. J’ai fait des tournées, en ma qualité de ministre de la Réconciliation à Sassandra, à San Pedro, à Guiglo, à Bloléquin etc. En passant à Tabou, j’ai constaté qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Parce que je suis arrivé dans un village où les gens m’ont accueilli avec un comportement étrange. Quand j’ai cherché à comprendre ce qui se passait, ils m’ont fait comprendre qu’ils pensaient que j’étais venu, en tant que ministre de la Réconciliation, pour réinstaller les Burkinabè bannis. Alors que j’étais juste parti me présenter à eux. Cette tournée m’a permis de me rendre compte que Tabou est une région très riche. Quand j’ai vu les plantations de palmiers à huile, de cacao, de café et d’hévéa, j’étais à la fois émerveillé et déçu. Emerveillé de constater que c’était une région très riche mais déçu parce que cette richesse ne se reflétait pas sur la population. J’ai vu des villages, je ne dirais pas sauvages mais quelconques qui ont besoin d’être développés. Je me suis interrogé de savoir comment cette région pouvait regorger d’autant de richesses et que les gens y vivent dans des conditions choquantes. La seconde fois que je me suis rendu dans la région c’était pour aller présenter les condoléances du gouvernement parce qu’il y avait eu un crime. Mais, ce qui m’a beaucoup plus choqué c’est qu’au mois d’avril 2006, il y a eu agression de la population dans le campement de Yaokro. Selon les informations, les plantations occupées par les baoulés appartenaient aux Burkinabè. Est-ce en guise de représailles que ces derniers ont attaqué ce campement ? Toujours est-il que lorsque je suis revenu, j’ai fait mon rapport que j’ai remis au gouvernement et je lui ai dit que nous sommes assis sur une poudrière. Et qu’il fallait qu’on agisse rapidement parce qu’il y avait des actions humanitaires à mener dans la région. Le Premier ministre de l’époque, Charles Konan Banny, a estimé qu’on pouvait confier ce dossier à d’autres personnes. Au lieu que ce soit moi qui ai fait le rapport qui m’occupe de ce dossier on a préféré le confier à d’autres en expliquant que cela relevait du foncier.
Comment avez vous repris le dossier en main ?
Le problème est resté non résolu jusqu’à ce que les cadres de la région me fassent appel pour venir parrainer ou présider des séminaires. C’est ainsi que je me suis retrouvé à nouveau à Tabou au mois de juin 2006. J’ai invité l’Ambassadeur du Burkina en Côte d’Ivoire ainsi que toutes les communautés autochtones comme allogènes. Ce séminaire s’est appesanti sur le cas des Burkinabè bannis. Et c’est à l’occasion que les kroumen et les chefs de communauté Burkinabè, séance tenante, m’ont demandé de m’occuper de ce dossier. Voici comment j’ai repris en main ce dossier. Je pense que cette confiance se justifie par le fait que je sois non seulement Ministre de la Réconciliation, mais aussi parce que je viens de Gagnoa, donc proche de la région. C’était donc une mission et un défi à la fois pour moi. J’ai donc commencé à travailler avec les cadres. Nous avons d’abord eu au moins cinq réunions ici à Abidjan. Parce que je ne pouvais pas aller sur le terrain sans avoir l’appui des cadres. Lorsque je suis allé sur le terrain, je me suis rendu compte qu’il y avait trois types de démarches à entreprendre. Il fallait d’abord mettre les populations en confiance, briser le mur de méfiance et de suspicion. Deuxièmement, il fallait réaffirmer l’autorité des chefs coutumiers, de villages et communautés étrangères. Il était nécessaire qu’un chef parle au nom des autres et ne pas laisser le désordre prospérer. Cette démarche a eu le mérite de ramener la considération mutuelle entre les deux entités opposées. En troisième lieu, du côté des Burkinabè (Dagari, Lobi ndlr), il fallait prendre en compte leurs besoins de survie. Parce que ce sont des gens qui n’ont que leurs bras et la terre pour vivre. Tant qu’ils n’avaient pas accès aux plantations, ils erraient à San Pedro, Sassandra, à Gagnoa et à Soubré et ne pouvaient pas s’asseoir tranquille et manger dignement. Comment la population a accueilli cette démarche ?
Dès que j’ai présenté les choses de cette façon, les populations ont été à l’aise et heureuses de m’accueillir. J’ai pu aussi me rendre compte que si les tentations de résolutions avaient échoué avant moi, c’est parce que les gens voulaient imposer la paix. Les Kroumen n’acceptaient pas cette façon de faire et même aujourd’hui encore, ils n’accepteront pas cela. C’est ainsi que j’ai conduit plusieurs missions de médiation dans plusieurs villages. En fait, la médiation était à faire dans le camp des kroumen, puisque les Burkinabè étaient derrière moi et demandaient pardon. Vous savez, les kroumen ont leur méthode. Lorsque vous discutez, à un moment ils demandent à se retirer pour décider. Ils entrent donc en conclave et peuvent mettre une journée avant de venir vous dire ce qu’ils décident. On tient peu compte de l’autorité. L’Ambassadeur Emile Ilboudo et moi en avons fait les frais parce qu’on s’est réunis pendant un jour et demi. Et généralement quand ils revenaient, ils ne disaient pas autre chose que ce qu’ils ont dit la veille. C’était peut-être des mesures d’usure pour nous décourager mais j’avais moi aussi opté de ne pas partir sans trouver une solution au conflit. Patiemment, nous les avons travaillés au corps et obtenu le premier accord en novembre 2006 dans le village de Klotou. Mais, c’est après un marathon éprouvant parce que j’y étais presque toutes les semaines. J’ai été aidé en cela, par le Ministre Diby Koffi qui mettait les moyens à ma disposition à l’époque. Le Ministre Diby savait que si le problème venait à être réglé à Tabou, les activités agricoles allaient booster le développement. Toute la zone de la région qui va de Tabou jusqu’à Grand Béreby compte environ douze tribus. Sur ces douze tribus, nous avons convaincu onze qui ont accepté la levée du bannissement des Burkinabè. Selon ces tribus, c’est leur tradition qui exigeait cette sanction vis-à-vis des Burkinabè. Pour eux, si les Burkinabè étaient venus le jour du drame demandé pardon, les choses se seraient passées autrement. Ce qui a mis le feu aux poudres c’est le fait qu’ils aient pris fait et cause pour leur frère qui était malmené.
Y’avait-il une explication au refus de la tribu Ompo ?
C’était en effet la seule fausse note. La tribu Ompo m’avait demandé un délai de réflexion que je ne pouvais pas refuser séance tenante. Pour moi, le résultat était bon à prendre, parce que nous avions onze sur douze et ce n’était pas rien. Seulement, j’espérais que les semaines qui suivent cela allait se faire rapidement. Nous avions fait la cérémonie au mois de décembre 2006 en présence de Nana Bibi II, des ministres de l’Economie et de l’Intérieur sans les Ompo. La fête fut belle.
Aviez vous songé à y installer des comités de suivi de cette réconciliation ?
Oui nous avions déjà installé ces comités et je les ai instruits de continuer le travail avec le préfet. Pour éviter que les mêmes causes produisent les mêmes effets et à la lumière des enseignements tirés de ce conflit, un document a été élaboré qu’on a appelé le code de cohabitation pacifique pour régir la vie des deux communautés. Ce document est aujourd’hui critiqué, il n’est certainement pas parfait mais il était adapté au contexte de l’époque. A l’époque, nous avons insisté sur la notion du tutorat. Pour des gens qui sont partis depuis six ans, il est évident que leurs plantations sont envahies par la forêt quand elles ne sont pas entretenues par des villageois. Il faut bien les leur rendre mais pour le faire, à qui s’adresser. Cette question justifie le sens du tutorat parce que c’est le tuteur qui sait là ou vous travailliez. Tous les problèmes qui se poseront seront réglés par lui et avec lui. Et nous avons dit à l’époque qu’il fallait répertorier tous ceux qui étaient à Tabou et qui avaient des plantations avant la date du bannissement. Ce recensement allait nous permettre d’éviter que des opportunistes s’infiltrent. Les Burkinabè n’en voulaient pas au départ mais pour nous, c’était pour faciliter le règlement de la crise. C’est donc pour tout cela que nous avons mis des comités locaux dans chaque village en plus du comité local du département. Ce comité comprend les chefs de village, et les différentes communautés, des jeunes et des femmes. Le refus de la tribu Ompo sonne donc comme une mission inachevée pour vous, Monsieur le Ministre ?
Malheureusement oui, je le reconnais. Nous avons encore des difficultés avec la tribu Ompo et ça me préoccupe énormément parce que je ne peux pas faire la paix à moitié. Je ne peux pas non plus obligé les Ompo à accepter de force les Burkinabè. Je continue de négocier. Pour vous dire la vérité, les Kroumen étaient venus rendre visite au Président de la République. Lors des préparatifs de cette rencontre, nous leur avons posé comme condition de nous dire ce qu’ils décidaient pour les Burkinabè qui n’avaient pas encore accès aux villages de la tribu Ompo. Mais ils ont tout fait pour contourner mes conditions. Mais, je continue ma mission, surtout par conviction. Et je suis obligé de réussir cette mission. Parce que ce n’est pas normal que le pauvre paysan qui vit de la terre ne puisse pas accéder à sa plantation. C’est la même préoccupation pour Bloléquin et partout où les choses ne sont pas encore totalement entrées dans l’ordre.
Qu’est ce qui pose problème réellement au niveau de la tribu Ompo ?
Pour vous dire la vérité, je suis un peu gêné par les activités un peu désordonné au niveau de la tribu Ompo. Il y a des personnes qui se sentent l’âme de négociateurs, qui pillulent un peu dans la région et qui racontent n’importe quoi. Ce qui crée d’autres frictions. Ce désordre ne me facilite pas la tâche. Ce sont des gens que nous connaissons et qui sont là bas parce qu’ils ont besoin de quelque chose. Mais aux dernières nouvelles les gens sont disposés à nous accueillir. Je devais repartir avant la fin de l’année dernière mais je n’ai pas eu le temps. Ce qui est sûr c’est que les gens sont à pied d’œuvre, surtout l’ONG Gratta qui s’investit pour que cette situation connaisse un dénouement. C’est un enjeu, ce n’est pas facile parce qu’au moment où on s’évertue à régler ce problème, il y en a qui attisent le feu.
Qui sont ces personnes, Monsieur le Ministre ?
Je ne peux pas vous le dire mais je sais que le règlement de cette crise n’arrange pas beaucoup de gens. Monsieur le ministre, nous avons publié lundi dernier un reportage sur Tabou qui a eu le mérite de révéler l’achat des plantations des Burkinabè par des personnes qui se trouvent être pour certaines, de hautes personnalités de ce pays. Comment comptez vous résoudre cette équation?
Votre constat est juste. Je vous ai dit tantôt que nous, au Ministère de la Réconciliation, nous disons, Vérité, Justice et Pardon. La vérité c’est quoi dans le cas d’espèce. C’est de savoir qui était l’exploitant de la terre ? L’autochtone intervient et l’exploitant intervient aussi. Moi, je ne veux léser personne. Et personne ne doit être lésé. Si par extraordinaire, comme vous disposez de faits tirés de votre reportage, des plantations avaient été vendues à d’autres personnes par le propriétaire terrien, qui voulait vivre de sa terre pendant l’absence de l’exploitant, ce qui me parait logique selon la loi de 98, le minimum est que celui qui sort perdant soit dédommagé. C’est ma démarche et c’est ce que j’appelle la justice. Il n’est pas question de brimer où de spolier qui que ce soit. Le Burkinabè de la région de Tabou qui faisait partie des bannis et qui revient après l’accord que nous avons obtenu doit être traité avec justice. Je crois savoir que l’un des cadres que vous avez interrogé, parce que c’est quelqu’un que je connais, a dit qu’il n’était pas au courant de tout ça mais qu’il s’engage à dédommager les planteurs concernés par sa plantation. Je crois que c’est dans ce sens que tout le monde doit aller de sorte que personne ne soit lésé dans cette affaire.
Je ne peux pas accepter qu’un autre conflit éclate demain parce qu’on aura mal réglé cette petite affaire. On sait combien coûte aujourd’hui une parcelle ou une plantation. Quand on fait les routes par exemple, on détruit des choses mais l’Etat dédommage. Pourquoi on n’appliquerait pas cela aux autres. J’exhorte donc ceux qui ont acheté ces plantations par méconnaissance à dédommager ceux qui doivent être dédommagés. S’ils peuvent les réinsérer quelque part pourquoi pas ? Parce que nous cherchons les voies et moyens pour que les étrangers vivent en harmonie avec les Ivoiriens. Il ne faut pas que ces petits problèmes particuliers viennent troubler notre quiétude. Est-ce qu’on peut espérer une implication personnelle de votre part dans ces négociations ?
Les gens ne m’ont pas compris quand j’avais demandé qu’on fasse le recensement. Ce fichier nous aurait aujourd’hui permis de savoir qui est rentré et qui n’est pas là. Cette base était essentielle pour les négociations. Je vais encore prendre attache avec le préfet et le sous préfet. Dans votre reportage, j’ai lu que c’est quelque deux cents personnes qui sont concernées par cette affaire de plantations vendues. Ce chiffre n’est rien du tout par rapport à la masse de population qui était dehors avant 2006. J’ai été très heureux, quand j’ai lu le reportage, de constater que même la tribu Ompo qui était farouchement opposée au retour des Burkinabè, accepte le retour de certains. Cela veut dire qu’il y a de l’espoir. On me disait également qu’il y a trois autres villages qui étaient prêts à accueillir les Burkinabè. Mais, comme il y a des alliances traditionnelles qu’ils concluent souvent, ils n’osent pas faire le pas. C’est à nous de les amener à faire le pas. Mon souhait est que les journalistes nous aident en évitant de politiser le conflit Burkinabè Kroumen. Je parle surtout aux Ivoiriens. Parce qu’il s’agit de la vie des hommes. Que ce soit à Bloléquin ou à Gagnoa, il faut éviter de politiser ces conflits. Nous nous battons pour que chacun gagne son pain. Le débat politique doit se situer au niveau du bien être des populations. Mais de grâce, pour des gens qui vivent dans la détresse et pour qui nous faisons des efforts, s’il y a deux cents qui souffrent encore, faisons en sorte qu’ils puissent réintégrer leurs plantations. Il faut donc que les journalistes nous aident dans les écrits à être le plus conciliant possible. Monsieur le Ministre, vous l’avez reconnu plus haut, il n’y a pas que Tabou, ni seulement les Burkinabè qui soient en conflit. A Guiglo, et à Bloléquin, ils sont des milliers, les allogènes qui attendent eux aussi d’être réintégrés dans les campements ?
Vous savez lorsque j’ai été nommé, la Côte d’Ivoire était dans tous les sens. La mission était très difficile. Nous avons dû organiser de nombreuses tournées pour éviter que nos communautés s’empoignent parce qu’il y avait beaucoup de rumeurs qu’il fallait gérer. Heureusement, nous avons réussi, puisqu’il n’y a pas eu d’affrontement entre les ethnies ni entre les religieux. Aujourd’hui, il est plus question de régler les problèmes de survie. Cela est valable à Sikensi, à San Pedro et un peu partout. Et c’est tous les jours que les gens se soulèvent contre tel individu ou groupe d’individus. Savez vous qu’à San Pedro par exemple, la population s’est révoltée contre une entreprise agro industrielle. Les jeunes estiment qu’ils veulent travailler et que cette entreprise ne leur en donne pas l’occasion. Au lieu de négocier ils ont préféré procéder par la force. La aussi, grâce au comité de réconciliation, des solutions ont pu être trouvées. Pour consolider la paix dans cette région, nous avons bénéficié de l’appui du GTZ qui nous a permis de mettre en place de petits projets et à ce niveau, nous insistons pour que les bénéficiaires soient issus d’un brassage ethnique et non uniquement des Kroumen ou des Burkinabè. C’est une façon de consolider la cohésion.
Et le cas de Bloléquin, Monsieur le Ministre ?
Bloléquin est le gros problème que nous avons aussi dans cette partie de l’ouest. Nous y avons consacré beaucoup de temps mais, le problème demeure toujours. Contrairement aux autres zones, à Bloléquin, on a affaire à des jeunes qui ont manié les armes. Ils réclament même aujourd’hui un statut d’ex combattants et souhaitent être traités comme tels. Or, ce ne sont pas des combattants. S’il y a quelque chose à faire là-bas c’est au gouvernement de le faire. En ce qui nous concerne, nous y avons apporté à plusieurs reprises, le message du gouvernement en matière de réconciliation nationale. La dernière sortie que nous avons effectuée là bas avec le Ministre de la Solidarité et des Déplacés de guerre, le Ministre de la Reconstruction et en présence des bailleurs de fonds, était d’amener les populations à accepter le retour des planteurs qui avaient été chassés de la région. Les Guérés ont dit que si les allogènes retournent dans les forêts classées eux aussi iront occuper cette foret. Tout simplement parce qu’eux aussi avaient été chassés de là, il y a entre dix et vingt ans. Voilà le débat qu’ils ont posé. Ce qui semble logique. Nous avons donc menés des discussions en essayant de couper la poire en deux. Dans un premier temps, ils ont proposé que les allogènes paient des loyers. Cette proposition n’a pas été retenue. Finalement, ils ont proposé que puisqu’ils occupent déjà ces terres abandonnées, que les propriétaires leur concèdent un tiers de leur exploitation. Lorsqu’on a résolu ce problème, c’était au tour des eaux et forêts d’entrer dans la danse. Comme la forêt leur appartient ils ont dit qu’ils acceptaient désormais les allogènes dans cette forêt pour une période de dix ans. En plus, ils ont exigé le paiement de 12.500 FCFA par hectare. Tout le monde était content de cet accord et c’est ainsi que nous nous sommes quittés. Je peux vous assurer qu’on travaille avec le préfet à trouver des solutions. Et que l’ensemble des problèmes nous préoccupe.
Alexandre Lebel Ilboudo
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