Défenseur acharné de Droits de l’Homme, le Dr. N’Gouan Patrick, est le président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO) et président de la Convention de la société civile. Dans cet entretien, il parle "des journées de consensus national" qui ont pour thème : contrat social et renaissance de la Côte d’Ivoire. Mais surtout, il se prononce sur la tenue des élections générales.
Le Patriote: Le 23 janvier dernier, vous avez procédé au lancement de la mission d’observation électorale. Quels sont les objectifs d’une telle mission?
N’Gouan Patrick: L’objectif général, c’est d’aider et de contribuer à préparer des élections pacifiques et démocratiques. Par rapport à cet objectif général, nous visons des objectifs intermédiaires. Il s’agit de faire en sorte que la préparation des élections se fasse de manière accélérée dans la transparence, afin d’aboutir à une paix durable. Cette fois, nous allons faire de l’observation à long terme qui est différent de l’observation à court terme.
LP: Pouvez-vous être un peu explicite?
N.P. : L’observation à court terme consiste à envoyer dans les bureaux ou centres de votes des observateurs le jour du scrutin. Ils observent le scrutin jusqu’au pointage des voix et font leur rapport pour voir s’il n’y pas de manigances ou manœuvres allant contre les principes de la transparence et de l’équité. Ce que nous voulons faire maintenant, c’est l’observation à long terme qui consiste à observer en amont tout le processus de préparation des élections pour savoir si tout se passe dans de bonnes conditions de transparence. Et de manière exhaustive tout le processus électoral qui comporte trois phases: la période pré électorale et la période post électorale.
L.P. : Peut-on s’entendre donc à des propositions concrètes pour éviter des tensions après les élections?
N.P. : Nous souhaitons qu’on nous facilite la tâche, nous observateurs nationaux, pour faire l’observation à long terme, c’est-à-dire désigner dans chaque localité une personne pour sa neutralité, son impartialité à observer objectivement ce qui se passe et qui est de nature à entacher la crédibilité et la transparence. Celle-ci devrait faire un rapport fidèle au bureau central qui se chargera d’appeler l’attention des acteurs sur tel ou tel aspect qui pourrait compromettre le bon déroulement du processus. Egalement, nous allons suivre le comportement des acteurs politiques, des militants. Nous avons une commission juridique pour analyser la pertinence des textes juridiques au regard des préoccupations de transparence et du caractère pacifique du déroulement des élections afin qu’on aille à des élections sereines.
LP : Quels moyens avez-vous pour imposer vos points de vue aux acteurs politiques et à la structure qui organise les élections?
NP : Le rôle d’un observateur n’est pas d’infliger une sanction. Son rôle consiste à regarder objectivement, en toute impartialité et de publier le résultat de son travail pour que les décideurs puissent l’apprécier et en tenir compte.
LP : L’histoire nous a démontré qu’à chaque élection, il y a des observateurs nationaux et internationaux dont le plus souvent les recommandations ne sont pas prises en compte. Vos observations ne vont-elles pas connaître le même sort?
NP : Je pense qu’elles seront prises en compte. Si la CEI nous donne l’accréditation, cela va d’avantage nous crédibiliser et nous souhaitons que la CEI le fasse très rapidement. Si nous disons par rapport au déroulement pacifique par exemple de l’enrôlement que dans telle localité, il y a tel problème avec des preuves, cela ne fera qu’aider la CEI dans son appréciation des choses. Dans le cas contraire, si nous relevons des points positifs par rapport à telle autre localité, cela ne fera qu’encourager la CEI ou les acteurs politiques impliqués dans l’organisation des élections.
LP : Croyez-vous en la tenue des élections cette année, 2009?
NP : Nous n’avons aucun moyen de le dire. Ce sont les acteurs responsables de l’organisation qui peuvent fixer un calendrier. C’est pour cela que nous attendons les journées de consensus national en avril pour demander à tous les acteurs impliqués dans la préparation des élections de nous aider à faire une évaluation transparente du processus électoral. Par exemple, dans le cadre du DDR et du démantèlement des milices, nous demanderons aux responsables du PNRRC et aux responsables du Centre de Commandement intégré de nous dire où nous en sommes. Egalement de manière transparente, il faut que la CEI nous dise où on en est avec l’enrôlement des électeurs, la liste électorale. Chacun des acteurs impliqués viendra aux journées de consensus national pour faire un bilan que nous allons apprécier ensemble. Et à partir des recommandations faites par ces structures, nous allons arrêter un chronogramme consensuel. En tout état de cause, nous souhaitons que la date des élections n’aille pas au delà de 2009. Le peuple a trop attendu.
LP : Y a-t-il un danger à aller au-delà de 2009?
NP : Tous les bailleurs de fonds attendent que les choses se clarifient pour établir des relations sereines, assez responsables et assez formelles avec le pays. Je pense par exemple à l’annulation de la dette. Il faut qu’on ait le point de décision, cela est possible. Une fois le point de décision connue, il faut avoir le point d’achèvement. Pensez-vous que les partenaires au développement vont annuler la dette sans avoir eu en face d’eux un gouvernement légal avec qui on peut prendre des engagements? Hier (jeudi dernier, ndlr) nous avons rencontré le Patronat ivoirien, les opérateurs économiques. Ce sont eux qui sont censés investir, créer des emplois, créer la richesse. Ces investisseurs ont besoin de faire des projections sur plusieurs années. Ils ont besoin de lisibilité. Le constat est simple, ils ne peuvent même pas faire de projection de 6 mois ou d’un an. Comment voulez-vous que des opérateurs économiques viennent investir, créer des entreprises, s’ils ne peuvent pas faire des projections dans 6 mois, dans un an. Pour cela, il faut qu’on aille aux élections, afin que tout le monde se mette au travail pour développer le pays.
LP : Le processus d’identification piétine, selon vous, est-ce la mauvaise foi des acteurs ou un problème d’ordre financier?
NP : Je ne suis pas sur le terrain. C’est pourquoi, je veux qu’on fasse un bilan du processus de préparation des élections aux journées de consensus national. Les pouvoirs publics évoquent le problème financier qui se traduit par le fait qu’on n’arrive pas à honorer les engagements pris vis-à-vis des agents de l’enrôlement. Ce que nous disons, c’est que si nous allons au consensus national pour y évaluer le niveau d’exécution, identifier les difficultés financières, les possibilités de financement potentiel venant de l’étranger ou de bailleurs de fonds et surtout les possibilités internes d’économies budgétaires à réaliser dans le budget de l’Etat pour convertir cela en financement des opérations électorales. Je vous dis que dans le budget de l’Etat, il y a beaucoup de dépenses qu’on aurait pu supprimer afin de réaliser des économies budgétaires, pour financer les élections.
LP : Lesquelles?
NP : Vous voyez par exemple, nous avons un gouvernement pléthorique. Avec 25 ministres, on peut diriger ce pays.
LP : Cela fait combien en terme d’économies?
NP : Je ne le sais pas, mais on peut réaliser beaucoup d’économies budgétaires. Vous avez des doubles emplois dus à la multiplicité des ministères. Il y a des missions inutiles. Vous avez des institutions dont la viabilité et l’opportunité sont sujettes à caution.
LP : La grande Médiature par exemple?
NP : Je n’en sais rien.
LP : Dans le cas des élections, il y a deux tendances aujourd’hui. Ceux qui veulent qu’on aille aux élections à une date raisonnable et ceux qui souhaitent qu’on prenne le temps nécessaire pour les préparer. Dans quel camp se situe la Convention de la société civile?
NP : La Convention estime que tout doit se faire par consensus. Elle ne cherche pas à donner raison à un camp ou à un autre. Aux journées du consensus national, chaque acteur va faire sa démonstration. Par respect pour nous-mêmes, par respect pour les institutions, les partenaires au développement, pour le peuple ivoirien, il faut qu’on se montre responsable en indiquant une date pour les élections. Une date mûrement réfléchie, décidée de manière consensuelle et communiquée à la population et à la communauté internationale.
LP : Au mois d’avril prochain, vous organiserez des journées de consensus national. Quelles sont les motivations de telles journées?
NP : Nous sortons d’une crise, la moindre des choses, c’est de tirer des leçons de celle-ci. Autrement, on serait des inconscients ou des irresponsables. Deuxième objectif, une fois qu’on a tiré des leçons, on décide de mettre en place un dispositif consensuel, efficace, indépendant de réconciliation. Ce dispositif doit gérer tous les problèmes de réconciliation nationale avec des moyens appropriés. Troisième objectif, c’est de préparer dans la sérénité les élections. Car à notre avis, les élections sont une condition nécessaire, mais pas suffisante pour la sortie de la crise, pour une paix durable. Quatrième et dernier objectif, les journées du consensus national, c’est comment construire la Côte d’Ivoire post-crise. C’est-à-dire qu’on fixera des objectifs de manière consensuelle à atteindre.
LP : C’est donc un projet de société qui sortira de ces assises?
NP : Ce n’est pas un projet de société mais plutôt un futur partagé. Par exemple, on se fixera pour objectif de diminuer le taux de pauvreté de tel à tel pour cent. Il en est de même pour le taux de chômage. Nous disons que si la Côte d’Ivoire doit être un pays émergent, on doit avoir tel nombre de routes bitumées, tel nombre d’infrastructures économiques, tel nombre de recherches en développement, la fabrication de telle ressource en produits finis, etc. C’est un ensemble d’indicateurs sur lesquels on peut s’entendre quel que soit le parti politique qui arrive au pouvoir. C’est une question de bon sens. Ce sont des éléments objectifs.
LP : En quoi les journées de consensus national seront différentes du Forum de réconciliation nationale organisé en 2001?
NP : Il y a au moins trois différences. Les journées de consensus national seront dirigées par la société civile et non par l’Etat ou les partis politiques. Tout le directoire est composé de personnalités reconnues pour leur neutralité, leur connaissance pour l’environnement ivoirien. Deuxièmement, c’est que la préparation va se faire de manière consensuelle sur la base d’un mécanisme d’échanges entre les participants et le comité de pilotage. On aura déjà un consensus sur un ensemble de sujets avant d’aller aux journées de consensus national. On n’y ira pas pour s’insulter. Enfin, nous allons certes pour faire la réconciliation, mais pour projeter la Côte d’Ivoire de demain. D’ici l’année 2040, il faut que nous soyons un pays émergent, et même industrialisé. La Corée du Sud n’a pas attendu 40 ans pour s’industrialiser. La Côte d’Ivoire peut faire autant.
LP : Les recommandations des journées de consensus national seront-elles imposables à l’Etat?
NP : Les recommandations des journées de consensus national vont être transformées en lois cadre par les processus appropriés, car les corps constitués, l’administration, les partis politiques, la chefferie traditionnelle, le monde religieux, les syndicats, le secteur privé, se seraient déjà mis d’accord sur ces recommandations. On demandera alors au Parlement d’en faire des lois cadres.
LP : Vous avez participé à l’élaboration du document stratégique de la réduction de la pauvreté. Quels sont les enjeux d’un tel document au plan économique et politique?
NP : Les enjeux sont plus économiques que politiques. C’est cela que je demande que tous les Ivoiriens de soutenir. Il s’agit de faire en sorte que la Côte d’Ivoire puisse redémarrer. Et que le redémarrage politique puisse se faire prioritairement au profit des populations. L’objectif à terme, c’est d’obtenir l’annulation de la dette. L’économie qu’on en fera devra être convertie pour la lutte contre la pauvreté.
LP : Avez-vous une garantie que cela sera fait?
NP : La Convention a participé à l’élaboration de ce document avec 14 représentants. Autant nous avons participé à l’élaboration du document stratégique de la réduction de la pauvreté – nous allons défendre et soutenir notre gouvernement pour qu’il obtienne le point d’achèvement – autant nous exigerons que la gestion des fonds résultant de l’annulation de la dette soit transparente. Et que la société civile puisse participer au mécanisme de suivi et de contrôle de l’utilisation de ces fonds
LP : Comment cela se passera-t-il concrètement?
NP : Nous allons demander aux bailleurs de fonds que la société civile soit intégrée au mécanisme de suivi.
LP : Quel regard en tant que président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO) sur la question de l’impunité?
NP : Dans tous les domaines, il y a l’impunité. Cela relève de la gouvernance. Une enquête a été faite à ce sujet par le secrétariat national chargé de la gouvernance et du renforcement des capacités. Les Ivoiriens n’ont pas confiance en leur administration, en leurs forces de l’ordre. Ils n’ont pas confiance aux institutions. Le classement mondial de la Côte d’Ivoire en matière de gouvernance n’est pas du tout honorable. C’est pourquoi aux journées de consensus national, nous allons proposer de nouvelles mesures de gouvernance institutionnelle et économique en Côte d’Ivoire pour assainir un ensemble de situation : la réforme de l’école, de la justice, de l’administration, de l’armée. Si ces recommandations sont transformées en lois cadres, elles vont permettre de corriger cette question d’impunité et de mal gouvernance.
LP : Avez-vous un mot à dire sur l’emprisonnement des responsables du café-cacao?
NP : Le secteur café cacao, mine et énergie pose de sérieux problèmes de gouvernance. Cela dit, que les gens qui sont détenus dans l’affaire café cacao soient jugés très rapidement et pour cela il faut qu’on prenne des dispositions appropriées. Ce n’est pas normal de les détenir dans les geôles sans jugement. Enfin, je souhaite une très bonne année à tous pour qu’en 2009 nous puissions sortir définitivement de la crise. Et qu’en avril, nous puissions, au cours des journées du consensus national, laver le linge sale en famille pour un nouveau «contrat social pour la renaissance de la Côte d’Ivoire», tel est le thème de ces assises.
Réalisé par Ibrahima B. Kamagaté
Le Patriote: Le 23 janvier dernier, vous avez procédé au lancement de la mission d’observation électorale. Quels sont les objectifs d’une telle mission?
N’Gouan Patrick: L’objectif général, c’est d’aider et de contribuer à préparer des élections pacifiques et démocratiques. Par rapport à cet objectif général, nous visons des objectifs intermédiaires. Il s’agit de faire en sorte que la préparation des élections se fasse de manière accélérée dans la transparence, afin d’aboutir à une paix durable. Cette fois, nous allons faire de l’observation à long terme qui est différent de l’observation à court terme.
LP: Pouvez-vous être un peu explicite?
N.P. : L’observation à court terme consiste à envoyer dans les bureaux ou centres de votes des observateurs le jour du scrutin. Ils observent le scrutin jusqu’au pointage des voix et font leur rapport pour voir s’il n’y pas de manigances ou manœuvres allant contre les principes de la transparence et de l’équité. Ce que nous voulons faire maintenant, c’est l’observation à long terme qui consiste à observer en amont tout le processus de préparation des élections pour savoir si tout se passe dans de bonnes conditions de transparence. Et de manière exhaustive tout le processus électoral qui comporte trois phases: la période pré électorale et la période post électorale.
L.P. : Peut-on s’entendre donc à des propositions concrètes pour éviter des tensions après les élections?
N.P. : Nous souhaitons qu’on nous facilite la tâche, nous observateurs nationaux, pour faire l’observation à long terme, c’est-à-dire désigner dans chaque localité une personne pour sa neutralité, son impartialité à observer objectivement ce qui se passe et qui est de nature à entacher la crédibilité et la transparence. Celle-ci devrait faire un rapport fidèle au bureau central qui se chargera d’appeler l’attention des acteurs sur tel ou tel aspect qui pourrait compromettre le bon déroulement du processus. Egalement, nous allons suivre le comportement des acteurs politiques, des militants. Nous avons une commission juridique pour analyser la pertinence des textes juridiques au regard des préoccupations de transparence et du caractère pacifique du déroulement des élections afin qu’on aille à des élections sereines.
LP : Quels moyens avez-vous pour imposer vos points de vue aux acteurs politiques et à la structure qui organise les élections?
NP : Le rôle d’un observateur n’est pas d’infliger une sanction. Son rôle consiste à regarder objectivement, en toute impartialité et de publier le résultat de son travail pour que les décideurs puissent l’apprécier et en tenir compte.
LP : L’histoire nous a démontré qu’à chaque élection, il y a des observateurs nationaux et internationaux dont le plus souvent les recommandations ne sont pas prises en compte. Vos observations ne vont-elles pas connaître le même sort?
NP : Je pense qu’elles seront prises en compte. Si la CEI nous donne l’accréditation, cela va d’avantage nous crédibiliser et nous souhaitons que la CEI le fasse très rapidement. Si nous disons par rapport au déroulement pacifique par exemple de l’enrôlement que dans telle localité, il y a tel problème avec des preuves, cela ne fera qu’aider la CEI dans son appréciation des choses. Dans le cas contraire, si nous relevons des points positifs par rapport à telle autre localité, cela ne fera qu’encourager la CEI ou les acteurs politiques impliqués dans l’organisation des élections.
LP : Croyez-vous en la tenue des élections cette année, 2009?
NP : Nous n’avons aucun moyen de le dire. Ce sont les acteurs responsables de l’organisation qui peuvent fixer un calendrier. C’est pour cela que nous attendons les journées de consensus national en avril pour demander à tous les acteurs impliqués dans la préparation des élections de nous aider à faire une évaluation transparente du processus électoral. Par exemple, dans le cadre du DDR et du démantèlement des milices, nous demanderons aux responsables du PNRRC et aux responsables du Centre de Commandement intégré de nous dire où nous en sommes. Egalement de manière transparente, il faut que la CEI nous dise où on en est avec l’enrôlement des électeurs, la liste électorale. Chacun des acteurs impliqués viendra aux journées de consensus national pour faire un bilan que nous allons apprécier ensemble. Et à partir des recommandations faites par ces structures, nous allons arrêter un chronogramme consensuel. En tout état de cause, nous souhaitons que la date des élections n’aille pas au delà de 2009. Le peuple a trop attendu.
LP : Y a-t-il un danger à aller au-delà de 2009?
NP : Tous les bailleurs de fonds attendent que les choses se clarifient pour établir des relations sereines, assez responsables et assez formelles avec le pays. Je pense par exemple à l’annulation de la dette. Il faut qu’on ait le point de décision, cela est possible. Une fois le point de décision connue, il faut avoir le point d’achèvement. Pensez-vous que les partenaires au développement vont annuler la dette sans avoir eu en face d’eux un gouvernement légal avec qui on peut prendre des engagements? Hier (jeudi dernier, ndlr) nous avons rencontré le Patronat ivoirien, les opérateurs économiques. Ce sont eux qui sont censés investir, créer des emplois, créer la richesse. Ces investisseurs ont besoin de faire des projections sur plusieurs années. Ils ont besoin de lisibilité. Le constat est simple, ils ne peuvent même pas faire de projection de 6 mois ou d’un an. Comment voulez-vous que des opérateurs économiques viennent investir, créer des entreprises, s’ils ne peuvent pas faire des projections dans 6 mois, dans un an. Pour cela, il faut qu’on aille aux élections, afin que tout le monde se mette au travail pour développer le pays.
LP : Le processus d’identification piétine, selon vous, est-ce la mauvaise foi des acteurs ou un problème d’ordre financier?
NP : Je ne suis pas sur le terrain. C’est pourquoi, je veux qu’on fasse un bilan du processus de préparation des élections aux journées de consensus national. Les pouvoirs publics évoquent le problème financier qui se traduit par le fait qu’on n’arrive pas à honorer les engagements pris vis-à-vis des agents de l’enrôlement. Ce que nous disons, c’est que si nous allons au consensus national pour y évaluer le niveau d’exécution, identifier les difficultés financières, les possibilités de financement potentiel venant de l’étranger ou de bailleurs de fonds et surtout les possibilités internes d’économies budgétaires à réaliser dans le budget de l’Etat pour convertir cela en financement des opérations électorales. Je vous dis que dans le budget de l’Etat, il y a beaucoup de dépenses qu’on aurait pu supprimer afin de réaliser des économies budgétaires, pour financer les élections.
LP : Lesquelles?
NP : Vous voyez par exemple, nous avons un gouvernement pléthorique. Avec 25 ministres, on peut diriger ce pays.
LP : Cela fait combien en terme d’économies?
NP : Je ne le sais pas, mais on peut réaliser beaucoup d’économies budgétaires. Vous avez des doubles emplois dus à la multiplicité des ministères. Il y a des missions inutiles. Vous avez des institutions dont la viabilité et l’opportunité sont sujettes à caution.
LP : La grande Médiature par exemple?
NP : Je n’en sais rien.
LP : Dans le cas des élections, il y a deux tendances aujourd’hui. Ceux qui veulent qu’on aille aux élections à une date raisonnable et ceux qui souhaitent qu’on prenne le temps nécessaire pour les préparer. Dans quel camp se situe la Convention de la société civile?
NP : La Convention estime que tout doit se faire par consensus. Elle ne cherche pas à donner raison à un camp ou à un autre. Aux journées du consensus national, chaque acteur va faire sa démonstration. Par respect pour nous-mêmes, par respect pour les institutions, les partenaires au développement, pour le peuple ivoirien, il faut qu’on se montre responsable en indiquant une date pour les élections. Une date mûrement réfléchie, décidée de manière consensuelle et communiquée à la population et à la communauté internationale.
LP : Au mois d’avril prochain, vous organiserez des journées de consensus national. Quelles sont les motivations de telles journées?
NP : Nous sortons d’une crise, la moindre des choses, c’est de tirer des leçons de celle-ci. Autrement, on serait des inconscients ou des irresponsables. Deuxième objectif, une fois qu’on a tiré des leçons, on décide de mettre en place un dispositif consensuel, efficace, indépendant de réconciliation. Ce dispositif doit gérer tous les problèmes de réconciliation nationale avec des moyens appropriés. Troisième objectif, c’est de préparer dans la sérénité les élections. Car à notre avis, les élections sont une condition nécessaire, mais pas suffisante pour la sortie de la crise, pour une paix durable. Quatrième et dernier objectif, les journées du consensus national, c’est comment construire la Côte d’Ivoire post-crise. C’est-à-dire qu’on fixera des objectifs de manière consensuelle à atteindre.
LP : C’est donc un projet de société qui sortira de ces assises?
NP : Ce n’est pas un projet de société mais plutôt un futur partagé. Par exemple, on se fixera pour objectif de diminuer le taux de pauvreté de tel à tel pour cent. Il en est de même pour le taux de chômage. Nous disons que si la Côte d’Ivoire doit être un pays émergent, on doit avoir tel nombre de routes bitumées, tel nombre d’infrastructures économiques, tel nombre de recherches en développement, la fabrication de telle ressource en produits finis, etc. C’est un ensemble d’indicateurs sur lesquels on peut s’entendre quel que soit le parti politique qui arrive au pouvoir. C’est une question de bon sens. Ce sont des éléments objectifs.
LP : En quoi les journées de consensus national seront différentes du Forum de réconciliation nationale organisé en 2001?
NP : Il y a au moins trois différences. Les journées de consensus national seront dirigées par la société civile et non par l’Etat ou les partis politiques. Tout le directoire est composé de personnalités reconnues pour leur neutralité, leur connaissance pour l’environnement ivoirien. Deuxièmement, c’est que la préparation va se faire de manière consensuelle sur la base d’un mécanisme d’échanges entre les participants et le comité de pilotage. On aura déjà un consensus sur un ensemble de sujets avant d’aller aux journées de consensus national. On n’y ira pas pour s’insulter. Enfin, nous allons certes pour faire la réconciliation, mais pour projeter la Côte d’Ivoire de demain. D’ici l’année 2040, il faut que nous soyons un pays émergent, et même industrialisé. La Corée du Sud n’a pas attendu 40 ans pour s’industrialiser. La Côte d’Ivoire peut faire autant.
LP : Les recommandations des journées de consensus national seront-elles imposables à l’Etat?
NP : Les recommandations des journées de consensus national vont être transformées en lois cadre par les processus appropriés, car les corps constitués, l’administration, les partis politiques, la chefferie traditionnelle, le monde religieux, les syndicats, le secteur privé, se seraient déjà mis d’accord sur ces recommandations. On demandera alors au Parlement d’en faire des lois cadres.
LP : Vous avez participé à l’élaboration du document stratégique de la réduction de la pauvreté. Quels sont les enjeux d’un tel document au plan économique et politique?
NP : Les enjeux sont plus économiques que politiques. C’est cela que je demande que tous les Ivoiriens de soutenir. Il s’agit de faire en sorte que la Côte d’Ivoire puisse redémarrer. Et que le redémarrage politique puisse se faire prioritairement au profit des populations. L’objectif à terme, c’est d’obtenir l’annulation de la dette. L’économie qu’on en fera devra être convertie pour la lutte contre la pauvreté.
LP : Avez-vous une garantie que cela sera fait?
NP : La Convention a participé à l’élaboration de ce document avec 14 représentants. Autant nous avons participé à l’élaboration du document stratégique de la réduction de la pauvreté – nous allons défendre et soutenir notre gouvernement pour qu’il obtienne le point d’achèvement – autant nous exigerons que la gestion des fonds résultant de l’annulation de la dette soit transparente. Et que la société civile puisse participer au mécanisme de suivi et de contrôle de l’utilisation de ces fonds
LP : Comment cela se passera-t-il concrètement?
NP : Nous allons demander aux bailleurs de fonds que la société civile soit intégrée au mécanisme de suivi.
LP : Quel regard en tant que président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO) sur la question de l’impunité?
NP : Dans tous les domaines, il y a l’impunité. Cela relève de la gouvernance. Une enquête a été faite à ce sujet par le secrétariat national chargé de la gouvernance et du renforcement des capacités. Les Ivoiriens n’ont pas confiance en leur administration, en leurs forces de l’ordre. Ils n’ont pas confiance aux institutions. Le classement mondial de la Côte d’Ivoire en matière de gouvernance n’est pas du tout honorable. C’est pourquoi aux journées de consensus national, nous allons proposer de nouvelles mesures de gouvernance institutionnelle et économique en Côte d’Ivoire pour assainir un ensemble de situation : la réforme de l’école, de la justice, de l’administration, de l’armée. Si ces recommandations sont transformées en lois cadres, elles vont permettre de corriger cette question d’impunité et de mal gouvernance.
LP : Avez-vous un mot à dire sur l’emprisonnement des responsables du café-cacao?
NP : Le secteur café cacao, mine et énergie pose de sérieux problèmes de gouvernance. Cela dit, que les gens qui sont détenus dans l’affaire café cacao soient jugés très rapidement et pour cela il faut qu’on prenne des dispositions appropriées. Ce n’est pas normal de les détenir dans les geôles sans jugement. Enfin, je souhaite une très bonne année à tous pour qu’en 2009 nous puissions sortir définitivement de la crise. Et qu’en avril, nous puissions, au cours des journées du consensus national, laver le linge sale en famille pour un nouveau «contrat social pour la renaissance de la Côte d’Ivoire», tel est le thème de ces assises.
Réalisé par Ibrahima B. Kamagaté