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Société Publié le jeudi 26 février 2009 | L’intelligent d’Abidjan

N`Dri Adrien (PCA de SOS Détenus Côte d`Ivoire) à propos des évadés de la prison d`Abengourou : "Ils sont partis pour sauver leur vie"

Monsieur N’Dri Adrien, président du conseil d'administration de l'ONG SOS Détenus Côte d'Ivoire, nous a accordé un entretien relatif à l'évasion des 88 bandits qui se sont échappés de la maison d'arrêt et de correction d'Abengourou le dimanche 22 février dernier. Pour ce défenseur des droits des personnes soumises à la garde à vue ou à la détention, l'évasion des prisonniers répond au souci de préservation de leur intégrité physique, dangereusement menacée depuis leur détention. Il parle ici des conditions de détention à la prison d’Abengourou.


88 détenus se sont évadés de la prison où exerce votre ONG. Quel commentaire faites-vous ?

Les gens sont envoyés à la mort et face à la mort ils ont choisi de se sauver. Il est impensable - pour le PCA de SOS Détenus Côte d'Ivoire que je suis - que des détenus soient entassés dans une prison d’une capacité de 145 places et se retrouvent à plus de 480. J’accuse les autorités gouvernementales, les magistrats et tous les intervenants dans le fonctionnement et l'organisation du milieu carcéral en Côte d'Ivoire. Sur 145 places prévues, la prison d'Abengourou était, avant l'évasion, à environ 500 prisonniers, soit plus de 300% du taux d'occupation prévu. C’est inadmissible et inacceptable de détenir des êtres humains dans de telles conditions. Et pourtant, la loi de 1969 notamment le décret de 1969, fait obligation aux magistrats de visiter les établissements pénitentiaires pour se rendre compte des conditions de vie et de détention des pensionnaires. Mais, ils n’y vont jamais. Ils se contentent plutôt d'envoyer des gens. Et cela est considéré comme une infraction au regard de leurs obligations. Les autorités, le préfet, le maire et les autres sont aussi assujettis au même décret. Malheureusement, eux aussi n'y vont presque jamais. Nous apportons donc notre soutien à tous les détenus qui sont partis pour sauver leur vie sans oublier également ceux qui sont restés. Nous demandons à l'Etat et particulièrement au Président de la République qui est très informé des conditions de détention dans les maisons d'arrêt et de correction pour y avoir lui-même séjourné, de prendre toutes les dispositions appropriées le plus rapidement possible afin d'humaniser les conditions de détention en Côte d'Ivoire. SOS Détenus Côte d'Ivoire invite le gouvernement à trouver une solution au surpeuplement des prisons, car nous ne comprenons pas que depuis dix ans, il n'y a pas encore eu de grâce présidentielle à Abengourou, pour décongestionner et lutter contre le surpeuplement carcéral.


Que déplorez-vous dans cette institution pénitentiaire ?

Nous avons constaté la torture qui est proscrite par tous les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme. Il y a plusieurs résolutions de l’ONU qui proscrivent la torture. Or, il y a des surveillants à la MAC d’Abengourou qui pratiquent la torture. Ensuite, nous avons constaté que les détenus n’ont pas droit à la presse. C'est-à-dire que monsieur le journaliste, les cinq cents (500) personnes détenues à la maison d’arrêt d’Abengourou n’ont jamais vu votre journal l’intelligent d’Abidjan ou un autre. Alors même que le droit à l’information est un droit inaliénable. Il n’y a aucun texte de loi, aucun décret qui interdit que quelqu’un qui est détenu se forme ou s’informe. Je ne sais pas sur quel instrument juridique se fonde le régisseur. Mais il interdit formellement aux personnes soumises à l’emprisonnement ici à Abengourou d’avoir accès à la presse, même lorsque ces derniers manifestent le besoin de s’en procurer à leurs propres frais. A l’inverse, les détenus de la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan ont accès aux journaux, à la télé et à la radio. Alors même qu’il n’existe qu’un seul régime pénitentiaire en Côte d’Ivoire, au regard du décret de 1969. Je relève que ce décret ne prévoit pas un régime pénitentiaire spécial pour la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan. Ce sont là des conditions de détention déshumanisantes. Comme on le voit, les personnes détenues dans les prisons ivoiriennes sont réduites à l’état de sous-homme et livrées à la merci des régisseurs et des surveillants qui ont droit de vie et de mort sur elles. Cela est inacceptable parce que contraire aux règles élémentaires de traitement des détenus prescrites par les résolutions de l’ONU. Je voudrais aussi relever que les dotations de l’Etat pour l’alimentation des détenus, dotations largement insuffisantes, sont détournées, dans la plupart des cas, par les régisseurs.


Avez-vous des preuves ?

Nous savons de quoi nous parlons. On n’a pas besoin de preuves. Le bon sens seul suffit. On connaît le salaire d’un régisseur, salaire qui n’a rien à avoir avec son niveau de vie très élevé. Même les dotations en produits pharmaceutiques sont aussi détournées.


Vous parliez des violations flagrantes des droits de l’Homme dans les prisons, aviez-vous des statistiques à ce sujet ?

Nous n’avons pas de statistiques. Cela dit, nous sommes au fait de tout ce qui se passe dans les prisons ivoiriennes grâce à nos investigations mais aussi et surtout aux témoignages d’anciens détenus. D’autre part, je voudrais dire que certains administrateurs de notre ONG ont déjà été soumis à la garde à vue ou à l’emprisonnement. Donc, nous sommes très bien informés sur les conditions de vie et de détention dans les prisons en Côte d’Ivoire.


Par rapport à l’actualité, les prisons de Bouaké et d’Abidjan ont connu des heures chaudes avec l’évasion des prisonniers. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

Les informations ne sont pas concordantes parce que la version officielle nous dit qu’il n’y a pas eu d’évasion, ni de morts, mais quelques blessés. D’autres sources, notamment la presse, nous ont fait cas de morts, de blessés et même de violences exercées sur les détenus. Notre ONG est à pied d’œuvre pour s’informer et voir ce qui s’est réellement passé avant de se prononcer.


S’il advenait que vos investigations confirment qu’il y a eu violation des droits de l’Homme que ferait l’ONG ?

Nous allons protester et, éventuellement, saisir les juridictions nationales ou internationales compétentes, pour que les responsabilités soient situées et que les fautifs soient sanctionnés. Parce que nous n’accepterons jamais que pour un motif quelconque, des violences soient exercées contre des personnes. Il faut qu’on soit clair sur ce point : l’emprisonnement ou la détention, c’est la privation d’un seul droit, le droit d’aller et venir librement ; ce n’est donc pas la privation de tous les droits de la personne ! La détention ne signifie pas qu’on perd le droit à l’intégrité physique ou à la vie.


Parlant de votre mode de fonctionnement, vous aviez évoqué les investigations, ce qui nécessite des moyens. En somme, disposez-vous d’assez de moyens pour la conduite de vos opérations ?

Nous avons la volonté comme moyen. Quelqu’un a dit que vouloir c’est pouvoir et puisque nous voulons, nous pouvons atteindre nos objectifs. Pour les investigations, nous avons nos relais et des relations au sein de l’administration pénitentiaire.


Depuis la naissance de SOS détenus Côte d’Ivoire, quelles sont les actions déjà menées sur le terrain ? Aviez-vous déjà visité les maisons d’arrêt de l’intérieur du pays ?

Nous n’avons pas encore visité de maisons d’arrêt. Nous sommes au stade de l’organisation. Néanmoins, nous avons déjà interpellé le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme sur les violations graves et massives des droits de l’Homme dans les maisons d’arrêt et de correction. Plusieurs autres organisations nationales et internationales sont également saisies de cette situation préoccupante, notamment la médiature de la République et la Commission Nationale des Droits de l’Homme qui sont en train de traiter notre saisine. Nous avons fait une saisine concernant les violations graves et massives des droits de l’Homme à la maison d’arrêt et de correction d’Abengourou (MACA) que nous connaissons bien et sur laquelle nous travaillons déjà, parce que c’est la prison où se trouve le siège de notre organisation.


Ernest Famin, correspondant régional
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