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Politique Publié le lundi 2 mars 2009 | Le Patriote

Policiers, gendarmes, militaires volent, tuent et rackettent - L’Armée se gangstérise…

“La société militaire ivoirienne se gangstérise ». Cette affirmation n’est pas tirée d’un documentaire. Il ne ‘agit pas non plus d’une diatribe d’opposant. Ces propos sont du Commissaire du gouvernement, le capitaine de frégate, Ange Kessi Bernard, commandant du tribunal militaire d’Abidjan. Plus prosaïque, le jeudi 24 avril 2008, à la presse, il confiait: « La société militaire est envahie de délinquants ». Le tribunal militaire, selon ses déclarations, a poursuivi de 2001à 2008, 4144 gendarmes, 224 policiers et 155 militaires pour les infractions contre les biens, les homicides, les meurtres, les viols, les coups et blessures volontaires, les vols, les détournements, le racket, la corruption etc.
Comme le fleuve sorti de son lit, la « Grande muette » déborde désormais. L’inclinaison est dangereuse. Braquages, attaques à main armée, tueries, vols, viols, extorsions de fonds, escroqueries, menaces de mort, séquestrations… sont, désormais les faits d’agents des forces de l’ordre. Il ne se passe pratiquement plus de jour sans qu’un élément des Forces de défense et de sécurité (FDS) ne soit mêlé de près ou de loin à de telles infractions. « Extorsion de fonds, séquestrations.. : 3 agents de la Police criminelle arrêtés », titrait dans sa parution du mardi 17 février 2009, Notre voie, organe du parti au pouvoir. En effet, informés d’une transaction entre deux opérateurs économiques, Keita Amara, indicateur de Police et les lieutenants Dembélé, Mahé et un sergent-chef surnommé « kilo », arrêtent les deux opérateurs puis les séquestrent, les menacent de mort avant d’extorquer à l’un d’eux la somme de 3 millions de FCFA. Le Commissaire Néglé César (ex-Directeur de la police criminelle, qui vient d’être affecté à la tête de la DST) ne nie pas les faits. « Les agents fautifs ont reçu des demandes d’explication et sont actuellement écroués à l’Ecole de Police (..) », précise-t-il. Le mal semble être cependant plus profond à ce qu’il paraît. Et les mesures de répressions sont, quelques fois, de pure perte de temps.

Les vendeurs de Concours

C’est un commerce illicite mais parmi les plus juteux. Comme bien d’autres concours d’entrée à la fonction publique. Pour rentrée à l’Ecole nationale de gendarmerie et à l’Ecole nationale de police, il faut, bien souvent, payer cash. Si à la gendarmerie, ce commerce est plus discret, à la Police, c’est pratiquement comme des tomates sur les étales. Les coûts oscillent aujourd’hui entre 600.000 FCFA et 1.200.000 FCFA. Au départ et à la fin de la chaîne, des agents de Police et de gendarmerie.
« Pour l’entrée de mon jeune frère en 2008 dans le corps des sous-officiers de la Police, j’ai d’abord déboursé la somme de 500.000 FCFA. A 72 heures de la proclamation des résultats, l’agent de Police auquel une amie m’avait confié, m’a réclamé 350.000 FCFA complémentaires au risque de voir mon frère échouer. J’ai dû faire des pieds et des mains pour trouver cet argent. C’est cet agent qui m’a demandé d’aller regarder la liste des admis et le nom de mon frère s’y trouvait. Un an auparavant, j’avais dépensé 600.000 FCFA sans succès », témoigne, sous le sceau de l’anonymat, cette jeune cadre, membre d’un cabinet ministériel. Avec des témoignages de ce genre, on pourrait écrire des tonnes de livres. Tant bien que mal, les différents réseaux fonctionnent. Quelques fois, des victimes qui réclament sans succès leur « investissement », l’opération ayant foiré, saisissent le Tribunal militaire. De guerre lasse ! En juillet 2008, six policiers dont un Commissaire et une femme officier sont mis aux arrêts et inculpés « d’escroquerie, d’abus de confiance, de complicité d’escroquerie et de corruption ». Les faits mis à leur charge sont liés aux concours d’entrée à l’Ecole nationale de police. Ces agents de police faisaient partie d’un puissant réseau d’escroquerie et de corruption qui extorquait de fortes sommes d’argent aux candidats au concours, leur garantissant la réussite. Finalement, le commissaire Konan Kouassi, du commissariat de Bonoua, le Lieutenant Sanogo Djénéba, le capitaine-major Tanoh Koutou Jean-François, le sous-lieutenant Tokalo Bi Zinvo et le sergent-chef Minlin Say sont tombés dans les filets du tribunal militaire suite à de nombreuses plaintes.

Braquages, attaques
à main à armée : modes opératoires

Comme en la matière, il n’y a pas de corrompus sans corrupteurs, les plaignants se retrouvent également sous le coup de la loi. Pour ne pas se retrouver sous les projecteurs des médias, beaucoup de victimes renoncent à porter plainte.
Ce ne sont plus des pratiques que les militaires, policiers et gendarmes s’interdisent. A la sous-direction des enquêtes criminelles de la Police criminelle, des agents des FDS sont identifiés comme les éléments les plus dangereux de la pègre. Non seulement, ils manient avec dextérité les armes à feu mais ils tuent, en général, froidement. Et le phénomène de FDS-braqueurs gagne en intensité, croît dangereusement. Il y a quelques mois, dans le secteur d’Abobo Sagbè, le sergent de police, Diomandé Boffiafa et son complice Kouassi Yao Bernabé, ont été neutralisés par une équipe du Centre du commandement des opérations de sécurité (Cecos) et des agents d’une société privée. Ce sous-officier avait braqué un chauffeur de taxi-compteur (immatriculé 1465 ET 01). Ce dernier a été contraint de changer de direction. Malheureusement, les quidams tombent sur un barrage tenu par les agents d’une société privée, le policier ne se fait pas prier pour ouvrir le feu. La détonation de son arme alerte une patrouille du Cecos, non loin des lieux. L’action concertée des deux structures permet de mettre le grappin sur l’indélicat policier et son complice. « Derrière des tirs trop précis de bandits se trouvent en général, un FDS », indique un Commissaire de police qui a fait ses classes à la Police judiciaire devenue aujourd’hui, Police criminelle.
La Direction de la police criminelle a encore ce souvenir douloureux de l’année écoulée où l’un de ses officiers a été froidement abattu à la Rue des jardins par la bande au Mdl Aubin. Ces bandits, quelques semaines plus tard, ont confondu le gendarme, leur chef, à la barre. Le tribunal n’est donc pas allé de main morte, infligeant 20 ans de prison au Maréchal des logis. Dans le répertoire de cette vague d’horreurs, un gang dirigé par un gendarme et un militaire, avaient tué un acheteur de produits avant de le déposséder de son argent. L’acte était si effroyable que le Commandement supérieur avait mis le holà. Les fins limiers de la Police avaient tissé leur toile et le gang est tombé dans le filet.
S’ils ne sont pas directement acteurs, bandits embusqués prêts à ouvrir le feu surtout sur une éventuelle intervention d’une patrouille, policiers, gendarmes ou militaires, louent souvent leurs armes à des gangs.
Par moment, ils infiltrent le réseau PC radio et indiquent les positions des unités sur le terrain. Ce qui rend plus complexe la guerre aux bandits qui bénéficient de la complicité d’agents véreux. «Sur le terrain, ils se signalent comme des agents déjà en intervention. Lorsque ces agents ne sont pas pris la main dans le sac, ce sont leurs complices qui, en général, les dénoncent », explique un sous officier de la Force d’intervention rapide (FIR) logée à la Préfecture de police d’Abidjan. Pour contourner l’infiltration du réseau, les dossiers sensibles sont désormais gérés par un groupe restreint. L’alerte et l’actionnement des équipes sont de plus en plus donnés par téléphone cellulaire. Les braquages commandités, c’est-à-dire réalisés en intelligence avec des agents des forces de l’ordre sont devenus monnaie courante. Le plus retentissant de l’année 2008 aura été celui qui implique un ex-garde de corps de Laurent Gbagbo, le lieutenant Bahiré Jean Louis, plus connu sous le sobriquet « Gbagbadè ».
« Lorsque j'ai été braqué, j'ai poursuivi les gangsters à bord de la voiture de ma fille et une équipe du 36ème Arrondissement m'a rejoint. Alors que le troisième bandit a été maîtrisé, le lieutenant Bahiré Jean Louis dit Gbagbadê est venu l'abattre malgré mon interpellation car il pouvait nous aider dans les enquêtes surtout que ses deux complices ont été abattus par les policiers. A ma grande surprise, Gbagbadê s'est mis à fouiller les poches des bandits tués. Il a retiré mes 11 millions braqués, et s'est mis à les distribuer. Il a pris sa part et remis le reste à ses collègues malgré ma protestation. Après ça, ils sont partis. Je porte plainte contre le lieutenant Affro Kouamé Euloge, affecté à Bonoua, et le lieutenant Bahiré Jean Louis qui vient d'être affecté ailleurs sans que mon argent ne me soit restitué. Je ne peux pas accepter que des individus comme le lieutenant Bahiré, ancien garde du corps du Président Laurent Gbagbo, ternisse l'image du chef de l'Etat ", s'est indigné dans un Quotidien de la place, Jichi Sam Mohamed, la victime.

Braquage d’Azito

Cet opérateur économique dans une correspondance adressée au ministre Désiré Tagro et dont nous avons pris connaissance, est formel : «ce braquage a été commandité et exécuté avec la complicité de ces agents de la Police». Les conclusions de l’enquête du commissaire Gnépa Kola Philippe commandée par la hiérarchie, rejoignent la conviction de la victime. «A ce stade de l’enquête, il ne fait l’ombre d’aucun doute que le butin du vol a été emporté par les officiers en l’occurrence Afro Kouamé, Adjè Esmel et Bahiré Jean Claude….Il est impossible et même invraisemblable que des officiers puissent se permettre de fouiller les poches des gangsters abattus et de récupérer une si importante somme d’argent…Dans tous les cas, leur présence simultanée et même concertée dans cette zone, laisse à désirer », peut-on y lire.
Autre méfait, le braquage à la carrière d’Azito. Le mercredi 7 janvier 2009, la course a pris fin pour Gnenené Gnenené Marie Aristide,28 ans, soldat au premier bataillon de commandos parachutistes (1er BCP) d’Akouédo. Il a été pris la main dans le sac.
Il n’a pas eu le temps d’accomplir son forfait, à la carrière d’Azito (Yopougon) lorsqu’il a été mis aux arrêts par des éléments du Cecos. Son complice lui, a réussi à prendre les jambes à son coup.
«Ils (Gnenené et son compagnon, ndlr) sont venus d’abord, en tenue civile, avec dans leur main, un petit sac. Et se sont mis à me poser des questions que je trouvais provocantes. Et comme je répliquais, celui-ci (Gnenené) m’a fait savoir qu’il est militaire, et qu’il retournait chez lui, porter sa tenue militaire pour venir me faire des misères. C’est ce qu’il a fait. Laissant son collègue ici, il est revenu une trentaine de minutes après, vêtu d’un pantalon treillis et d’un T-shirt, avec en main, une Kalachnikov. Pendant ce temps, nous avions déjà alerté le Cecos, discrètement», témoigne le vigile. Tout en précisant que c’est au cours des échanges (très musclés) entre lui et le soldat que le Cecos est arrivé sur les lieux. « Il me demandait de lui montrer le bureau de mon patron. Ce que j’ai refusé, malgré ses menaces», ajoute le vigile.
En plus des militaires et des policiers, la Maréchaussée a pris sa place dans les méfaits. Selon un gendarme de la promotion 2002-2004, deux éléments de sa classe répondant au nom de Koffi Goué et Diallo Siriki en janvier sont allés tirer des rafales en l’air à Yopougon dans un espace où des jeunes jouaient aux cartes. Ils ont récupéré le pactole avant de se fondre dans la nature. Ces braqueurs identifiés ont été mis aux arrêts et ont séjourné à la Maison d’arrêt d’Abidjan (MACA) jusqu’en 2007. Sortis des geôles, ils ont reçu de nouvelles affectations sur la ligne de front. La commission de discipline et d’enquête, au moment où ils s’y attendaient le moins, les a radiés des effectifs de la Gendarmerie nationale.
Dans les fumoirs, il n’est plus rare de retrouver parmi des abonnés, des militaires consommateurs et vendeurs de drogue. « Au sein de l’escadron commando d’Abobo, il y a des consommateurs de drogue. Par moment, leurs attitudes les trahissent », confie un agent des lieux.
La situation est si inquiétante pour la Gendarmerie nationale qu’elle a décidé d’affronter directement le problème à travers le sujet de culture générale de l’examen professionnel, BA1 (Brevet d’arme). Lisez ce sujet : «A partir de votre expérience de la vie, avec l'éducation acquise partout où vous êtes passé, avec la formation rigoureuse qui vous est transmise à chaque étape de votre carrière de Gendarme, comment vous sentez-vous ? Quelles idées vous remplissent la tête ? Quelle déduction faites-vous lorsque vous découvrez dans un quotidien national des photos de Gendarmes qui ont braqué, tué et emporté une importante somme d'argent pour n'acheter qu'un amas de ferrailles appelé « BMW »? Analysez ». L’année dernière, le même sujet était au menu. Certainement une approche didactique. Aux grands maux, les grands remèdes. Le mal est profond, on le voit.


Coulibaly Brahima
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