Décédé le 1er février 2009, Diégou Bailly sera mis en terre aujourd’hui dans son village natal, Bayékou Gbassi. Retour sur la cérémonie d’hommage national de jeudi.
Je ne rendrai pas hommage. Les hommages posthumes et les oraisons funèbres sentent tous le soufre de la flagornerie. Ils mettent en discorde le cœur et la bouche de ceux qui les prononcent. En effet, pendant qu’ils pensent «bon débarras» au fond d’eux-mêmes, ils déversent des tonnes d’éloges sur le mort, un concurrent de moins dans la course impitoyable au pouvoir, aux honneurs et à la gloire. Nous sommes, tous ici- bas, des mendiants de la gloire et des esclaves de nos intérêts égoïstes. Donc pas d’hommage flagorneur. Je voudrais porter un témoignage en termes simples sur un homme simple…». Ces mots sont de Diégou Bailly, qui disait un adieu émouvant, en 1994, à celui qui l’avait mis sur le chemin du journalisme, le rédacteur en chef Paul Kalou.
Non, jeudi dernier, tous les hommages portaient le signe de la sincérité. Pas de flagornerie, et point de discorde entre le cœur et la bouche. Même le ministre de la Communication, Ibrahim Sy Savané, d’ordinaire si avare en mots, en des circonstances pareilles, «soumis à une éducation qui incite à l’économie des larmes et à la retenue face à la mort…» est allé de cette confession: «Comme chacun, sa mort et sa façon de mourir m’ont touché. Terriblement. Surtout que je l’avais vu peu avant son évacuation vers Tunis…Mais si nous avons les yeux secs, nous avons le cœur si triste. Et la peine va aller crescendo avec le chant de départ définitif qui va bientôt s’élever au-dessus de son village». Mais, interrogera-t-il : «Avons-nous raison d’être si tristes ?». Il n’y a pas pires misères que le souvenir des jours heureux auprès d’un homme au parcours édifiant.
Tout le sens de la cérémonie d’hommage à lui dédié. «Une grande première en Côte d’Ivoire», soulignera Alfred Dan Moussa, porte-parole du comité d’organisation. Pour lui, Diégou Bailly «fait inaugurer une nouvelle», car jamais journaliste ivoirien n’a eu droit à autant d’attention. Aussi remerciera-t-il tous ceux qui sont venus saluer la mémoire du journaliste écrivain ; celui- là qui n’a «jamais quitté le chemin du devoir d’informer et du droit du public à l’information». Au Président de la République, pour tout ce qu’il a fait pour l’illustre disparu, il ajoutera, entre autres : «Mille fois merci». De même qu’à la veuve, «une si grande dame !» ; «une épouse exemplaire».
Pour terminer, Dan Moussa a émis le souhait que Diégou Bailly soit établi au panthéon de l’excellence nationale pour garder sa mémoire vive, celle de «l’ardent défenseur de la démocratie» (Amos Beonaho, président de l’Unjci) afin de la soustraire de l’oubli, né du temps qui passe, passe… pour servir de modèle aux générations futures.
A ce propos, Frédéric Grah Mel, au nom des anciens de la prestigieuse Ecole de formation des journalistes de Lille, qui a aujourd’hui 85 ans, évoquera le souvenir du «jeune journaliste» de la 52e promotion, condisciple de Raphaël Lakpé.
Formé à la bonne Ecole, Diégou Bailly, selon lui, a «servi» à quelque chose, car «nul ne sert à rien quand il n’a rien appris». Aussi se désole-t-il de constater que, depuis la mort d’Houphouët-Boigny, il y ait eu si peu de Diégou Bailly, c’est-à-dire de journaliste «doué pour l’irrévérence» ; de «rédacteur féroce», «iconoclaste» qui savent se payer des audaces qui relèvent de leur sens aigu de ce que le défunt a appelé «le devoir d’irrévérence».
Le témoignage d’Odette Sauyet est allé dans ce sens, qui a retracé l’exemplaire parcours de cet «homme complexe» en trois périodes.
La première consacre l’homme du refus de jouer au «militant zélé» au temps béni du parti unique, et du «journalisme de développement», de participation responsable.
Pour garder son indépendance d’esprit, précisera-t-elle, il a préféré travailler dans des journaux d’expression libre : Nouvel Horizon (Alfred Kouakou) «après s’être retrouvé dans la rue pour ses idées» dans Ivoire Dimanche, premier hebdomadaire à avoir donné sa Une aux leaders de la gauche aux premiers moments des soubresauts qui annonçaient l’ère du multipartisme. La deuxième période dit sa présence constante sur tous les fronts à l’ère du “Printemps de la presse.
Tour à tour, présent sur tous les fronts, il se signalera, après l’expérience mi-mangue, mi-citron du Nouvel Horizon à Notre temps pour épouser l’ère du temps; Le jour, pour espérer la naissance d’une aube nouvelle, qui a mal tourné. Avec, pour point de départ, son investissement personnel dans la création de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire, Unjci, pour tenter de recréer la confraternité à la suite des grandes divisions au sein de la corporation, issues des prises de position à l’expérience du retour au multipartisme.
Pour Odette Sauyet, la dernière période porte le signe de la consécration, avec sa nomination au poste de président du Conseil national de la communication audio-visuelle (Cnca). Aussi remerciera-t-elle le Chef de l’Etat pour avoir reconnu les talents et le mérite de Diégou Bailly, «un homme de foi, de rigueur, sobre ; un bohème, un artiste, un homme humble et discret qui nous a quitté tranquillement».
C’est aussi, entre autres, l’image que garde, de lui, Eugène Dié Kacou, président du Conseil national de la presse (Cnp), qui est venu à cette cérémonie en habit des grands jours de peine «en vrai Akan». Pour porter témoignage, et non prononcer une oraison. Parce que, pour lui, comme pour les autres intervenants, Diégou Bailly meurt pour rester immortel dans la mémoire des uns et des autres; lui qui a vécu ses derniers moments «grâce à elle (Mawa)», son épouse.
Dans un chant dédié à la vie pour un homme qui n’a eu de cesse de chercher à la rendre belle, Pr Séry Bailly dira le «fendeur de brousse», «le redouté et énigmatique attaché viscéralement à la liberté» ; «l’insoumis» dont la présence n’est guère rassurante pour ceux qui ont une vocation à soumettre les autres. Il saluera aussi l’historien du quotidien et de la longue durée, le journaliste de grande culture, collectionneur de tableaux et de statuettes, qui a toujours donné une place de choix à la culture dans les journaux qu’il a eu à diriger ; l’authentique homme pénétré de «la culture du défi», en quête permanente de moyens nouveaux pour un ordre nouveau.
Les différents intervenants, comme les amis et frères de la mutuelle du village natal du défunt, diront le «garçon surdoué, premier dans toutes les matières» ; «fierté régionale et nationale» dont les actes posés pour le bien- être de ses frères du village ne se comptent plus. Mme Chantal Camara, au nom du Cnca, aura eu raison de dire que cet homme de vérité «a gagné son droit de partir malgré nous».
Des artistes et non des moindres : Aïcha Koné chantant «Tu es mon berger…» ; Bailly Spinto racontant quelques anecdotes sur l’homme et berçant le public de sa voix inimitable, Wêrêwêrê Liking dans un hymne dédié à l’Afrique debout, saluant à sa manière le défunt... ont tenu à lui dire l’ultime adieu ; l’adieu à un passionné de la vie ; l’adieu au chercheur de vérité : Diégou jerôme Bailly.
Michel Koffi
Je ne rendrai pas hommage. Les hommages posthumes et les oraisons funèbres sentent tous le soufre de la flagornerie. Ils mettent en discorde le cœur et la bouche de ceux qui les prononcent. En effet, pendant qu’ils pensent «bon débarras» au fond d’eux-mêmes, ils déversent des tonnes d’éloges sur le mort, un concurrent de moins dans la course impitoyable au pouvoir, aux honneurs et à la gloire. Nous sommes, tous ici- bas, des mendiants de la gloire et des esclaves de nos intérêts égoïstes. Donc pas d’hommage flagorneur. Je voudrais porter un témoignage en termes simples sur un homme simple…». Ces mots sont de Diégou Bailly, qui disait un adieu émouvant, en 1994, à celui qui l’avait mis sur le chemin du journalisme, le rédacteur en chef Paul Kalou.
Non, jeudi dernier, tous les hommages portaient le signe de la sincérité. Pas de flagornerie, et point de discorde entre le cœur et la bouche. Même le ministre de la Communication, Ibrahim Sy Savané, d’ordinaire si avare en mots, en des circonstances pareilles, «soumis à une éducation qui incite à l’économie des larmes et à la retenue face à la mort…» est allé de cette confession: «Comme chacun, sa mort et sa façon de mourir m’ont touché. Terriblement. Surtout que je l’avais vu peu avant son évacuation vers Tunis…Mais si nous avons les yeux secs, nous avons le cœur si triste. Et la peine va aller crescendo avec le chant de départ définitif qui va bientôt s’élever au-dessus de son village». Mais, interrogera-t-il : «Avons-nous raison d’être si tristes ?». Il n’y a pas pires misères que le souvenir des jours heureux auprès d’un homme au parcours édifiant.
Tout le sens de la cérémonie d’hommage à lui dédié. «Une grande première en Côte d’Ivoire», soulignera Alfred Dan Moussa, porte-parole du comité d’organisation. Pour lui, Diégou Bailly «fait inaugurer une nouvelle», car jamais journaliste ivoirien n’a eu droit à autant d’attention. Aussi remerciera-t-il tous ceux qui sont venus saluer la mémoire du journaliste écrivain ; celui- là qui n’a «jamais quitté le chemin du devoir d’informer et du droit du public à l’information». Au Président de la République, pour tout ce qu’il a fait pour l’illustre disparu, il ajoutera, entre autres : «Mille fois merci». De même qu’à la veuve, «une si grande dame !» ; «une épouse exemplaire».
Pour terminer, Dan Moussa a émis le souhait que Diégou Bailly soit établi au panthéon de l’excellence nationale pour garder sa mémoire vive, celle de «l’ardent défenseur de la démocratie» (Amos Beonaho, président de l’Unjci) afin de la soustraire de l’oubli, né du temps qui passe, passe… pour servir de modèle aux générations futures.
A ce propos, Frédéric Grah Mel, au nom des anciens de la prestigieuse Ecole de formation des journalistes de Lille, qui a aujourd’hui 85 ans, évoquera le souvenir du «jeune journaliste» de la 52e promotion, condisciple de Raphaël Lakpé.
Formé à la bonne Ecole, Diégou Bailly, selon lui, a «servi» à quelque chose, car «nul ne sert à rien quand il n’a rien appris». Aussi se désole-t-il de constater que, depuis la mort d’Houphouët-Boigny, il y ait eu si peu de Diégou Bailly, c’est-à-dire de journaliste «doué pour l’irrévérence» ; de «rédacteur féroce», «iconoclaste» qui savent se payer des audaces qui relèvent de leur sens aigu de ce que le défunt a appelé «le devoir d’irrévérence».
Le témoignage d’Odette Sauyet est allé dans ce sens, qui a retracé l’exemplaire parcours de cet «homme complexe» en trois périodes.
La première consacre l’homme du refus de jouer au «militant zélé» au temps béni du parti unique, et du «journalisme de développement», de participation responsable.
Pour garder son indépendance d’esprit, précisera-t-elle, il a préféré travailler dans des journaux d’expression libre : Nouvel Horizon (Alfred Kouakou) «après s’être retrouvé dans la rue pour ses idées» dans Ivoire Dimanche, premier hebdomadaire à avoir donné sa Une aux leaders de la gauche aux premiers moments des soubresauts qui annonçaient l’ère du multipartisme. La deuxième période dit sa présence constante sur tous les fronts à l’ère du “Printemps de la presse.
Tour à tour, présent sur tous les fronts, il se signalera, après l’expérience mi-mangue, mi-citron du Nouvel Horizon à Notre temps pour épouser l’ère du temps; Le jour, pour espérer la naissance d’une aube nouvelle, qui a mal tourné. Avec, pour point de départ, son investissement personnel dans la création de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire, Unjci, pour tenter de recréer la confraternité à la suite des grandes divisions au sein de la corporation, issues des prises de position à l’expérience du retour au multipartisme.
Pour Odette Sauyet, la dernière période porte le signe de la consécration, avec sa nomination au poste de président du Conseil national de la communication audio-visuelle (Cnca). Aussi remerciera-t-elle le Chef de l’Etat pour avoir reconnu les talents et le mérite de Diégou Bailly, «un homme de foi, de rigueur, sobre ; un bohème, un artiste, un homme humble et discret qui nous a quitté tranquillement».
C’est aussi, entre autres, l’image que garde, de lui, Eugène Dié Kacou, président du Conseil national de la presse (Cnp), qui est venu à cette cérémonie en habit des grands jours de peine «en vrai Akan». Pour porter témoignage, et non prononcer une oraison. Parce que, pour lui, comme pour les autres intervenants, Diégou Bailly meurt pour rester immortel dans la mémoire des uns et des autres; lui qui a vécu ses derniers moments «grâce à elle (Mawa)», son épouse.
Dans un chant dédié à la vie pour un homme qui n’a eu de cesse de chercher à la rendre belle, Pr Séry Bailly dira le «fendeur de brousse», «le redouté et énigmatique attaché viscéralement à la liberté» ; «l’insoumis» dont la présence n’est guère rassurante pour ceux qui ont une vocation à soumettre les autres. Il saluera aussi l’historien du quotidien et de la longue durée, le journaliste de grande culture, collectionneur de tableaux et de statuettes, qui a toujours donné une place de choix à la culture dans les journaux qu’il a eu à diriger ; l’authentique homme pénétré de «la culture du défi», en quête permanente de moyens nouveaux pour un ordre nouveau.
Les différents intervenants, comme les amis et frères de la mutuelle du village natal du défunt, diront le «garçon surdoué, premier dans toutes les matières» ; «fierté régionale et nationale» dont les actes posés pour le bien- être de ses frères du village ne se comptent plus. Mme Chantal Camara, au nom du Cnca, aura eu raison de dire que cet homme de vérité «a gagné son droit de partir malgré nous».
Des artistes et non des moindres : Aïcha Koné chantant «Tu es mon berger…» ; Bailly Spinto racontant quelques anecdotes sur l’homme et berçant le public de sa voix inimitable, Wêrêwêrê Liking dans un hymne dédié à l’Afrique debout, saluant à sa manière le défunt... ont tenu à lui dire l’ultime adieu ; l’adieu à un passionné de la vie ; l’adieu au chercheur de vérité : Diégou jerôme Bailly.
Michel Koffi