Rien ne va plus dans la “Maison originelle” du premier président de la République de Côte d’Ivoire, le PDCI-RDA. Le président Bédié qui a succédé à feu Félix Houphouët-Boigny à la tête du plus vieux parti politique de notre pays n’a pas fait preuve d’une parfaite gestion des hommes et de l’héritage. Si bien que de nos jours, le parti est tiré vers le bas, dans la barbarie. Signe que le PDCI-RDA, façon Bédié, ne peut survivre aux exigences de la modernité. Analyse d’un pitoyable déclin annoncé.
Il répondait, le jeudi 5 mars 2009, dignement et de façon civilisée, à une convocation du Conseil de Discipline du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, Section du Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA). Mal lui en prit. Le ministre Niamien Yao, Secrétaire général-adjoint chargé de la Communication, au sein de son parti, a été proprement battu par des gros bras se réclamant de Bédié et conduits par Kouadio Konan Bertin dit KKB, président âgé mais visiblement peu sage de la jeunesse dudit parti. Le lendemain vendredi 6 mars, la Direction du PDCI a produit un communiqué laconique insinuant qu’il s’agissait “d’un incident entre deux frères qui se connaissent bien”. Et pourtant en sa qualité de membre de la Direction du PDCI-RDA, l’ambassadeur Niamien Yao était en droit d’attendre de la part des dirigeants de son parti, une réaction plus appropriée qu’appelle une telle attitude inacceptable du responsable de la jeunesse de son parti. Mieux, une réaction du président du PDCI, discret ou publique, aurait été la bienvenue. A ce jour, rien de tout cela. Et tout le monde est fondé à croire qu’en réagissant si froidement juste pour se dédouaner, la Direction du PDCI, sous la plume du Professeur Alphonse Djédjé Mady, n’a fait que tenter de banaliser cet acte grave dont KKB et ses camarades se sont rendus coupables.
En réalité, la bastonnade de l’ambassadeur Niamien Yao ne peut pas être un épiphénomène, un fait banal. Elle est annonciatrice de la fin de l’ère Bédié au PDCI-RDA. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la déclaration que l’ambassadeur Niamien bastonné se proposait de faire face au Conseil de discipline de l’ex-parti unique qui refuse de faire sa mue. Extraits : “Dans cette affaire que vous avez créée, écrit en effet Niamien Yao bien avant son agression au siège de son parti, sachez que ce qui doit prévaloir, c’est la vérité.
Pour ma part, je tiens à vous signaler que dans la marche actuelle de notre parti, votre tentative d’intimidation n’aura aucunement raison de ma foi dans un PDCI débarrassé des intrigues, de l’hypocrisie, de la peur, de l’acharnement et de la méchanceté”.
L’impossible banalisation de la déchéance
Après cette déclaration de principe, le ministre Niamien aurait pu s’adresser, toujours au Conseil de discipline de son parti dirigé par le président Noël Nemin, en poursuivant : “Je réponds à votre convocation en ayant le sentiment que le moment est venu pour vous, de passer le témoin à ma génération. C’est conscient de ce que ce moment est arrivé que j’ai décidé, face à votre volonté d’engager enfin le dialogue avec vos cadets, vos enfants que nous sommes, de venir humblement vous écouter, sans état d’âme et de vous dire la vérité, rien que la vérité”. Et comme s’il ne s’était pas fait suffisamment comprendre, le ministre Niamien va plus loin : “Nos militants veulent être réhabilités, ils veulent jouer un grand rôle dans ce nouvel ordre politique en gestation. Ils veulent voir leur parti et surtout leur Direction être à l’écoute de ce “vent venu de l’Ouest” qui fait qu’on peut être d’un parti et voter pour un adversaire sans que le ciel ne vous tombe dessus. Ils veulent voir les vieux céder la place aux jeunes, c’est un devoir militant (…). Nos militants veulent voir leur parti être capable de développer de nouveaux réflexes qui ont pour noms culture de diagnostic, culture de l’évaluation. Nos militants sont fatigués de voir leurs “papas et mamans” que vous êtes ridiculisés par les jeunes de leur âge”.
Enfin, dans cette adresse étouffée par l’agression physique, le Secrétaire général-adjoint du PDCI chargé de la Communication conclut : “Quoi qu’il advienne, et quoi que je devienne par vos décisions qui ne sont rien d’autre que des difficultés à surmonter dans ma noble ambition de diriger le PDCI-RDA après Bédié, pour redresser ce que votre génération a tordu en étant de bonne foi, je demeure PDCI-RDA. Je reste PDCI-RDA. Dans tous les cas et croyez-moi, l’histoire de notre parti montre bien que les bannis d’aujourd’hui peuvent être les messies de demain. Si Henri Konan Bédié après 1977 et 1999 a encore des chances de vous inspirer, après que vous l’ayez brûlé vif vous qui me jugez aujourd’hui, ce n’est pas interdit que demain, Dieu veuille me rétablir dans ma vérité et dans la vérité ». Niamien Yao n’est pas le seul haut cadre du PDCI-RDA qui résonne en terme de fin de carrière pour Bédié.
Fin de résistance à la démocratie
Le clou est enfoncé par le président du Conseil général de Dimbokro, l’ancien préfet N’Zi Paul David, actuel directeur de cabinet du président de la République. Refusant, contrairement, au ministre Niamien de se présenter devant le Conseil de discipline de son parti, il a écrit dans une lettre réceptionnée par le président Noêl Nemin : “Je préfère être radié sous Bédié pour que les prochains dirigeants me réhabilitent”. De ces musclés échanges de civilités entre la Direction du parti et ses deux hauts cadres, les choses paraissent suffisamment claires. Dans l’esprit de milliers de militants du PDCI-RDA, jeunes et vieux comme le ministre Niamien Yao et le préfet N’Zi Paul David pensent que l’ère Bédié se conjugue désormais au passé au PDCI-RDA. L’ère Bédié, “wa wué” (c’est fini, en Baoulé, dans la langue d’Henri Konan Bédié). Et les arguments ne manquent pas pour expliquer ce vent nouveau qui souffle sur l’ex-parti unique fondé pas le président Houphouët-Boigny.
Ce désir de changement au PDCI tire sa racine des évènements de 1990. Cette année-là, fortement ébranlé par le vent de liberté venu de l’Est, feu le Président Houphouët-Boigny cède face aux mouvements sociaux qui se multipliaient et autorise le multipartisme. Sous la pression des bailleurs de fonds dont la France, l’autocrate ivoirien fait appel à Alassane Dramane Ouattara, alors gouverneur de la BCEAO. Le rôle initial confié à Alassane Oauttara, en tant que technocrate, était de redresser la situation économique du pays après l’échec du plan Comoé Koffi, le dernier ministre de l’Economie d’Houphouët. Mais de l’intérieur du PDCI dont il avait été fait le n°2 après le congrès de 1991, Ouattara va être frappé au moins par trois faits :
D’abord l’état de santé de plus en plus dégradant d’un Houphouët croupissant sous le poids des ans, mais aussi le peu de confiance du Vieux en Bédié, pourtant désigné par lui pour lui succéder à la tête de l’Etat ne fait pas le poids et enfin, la lourdeur d’un parti, le PDCI-RDA, sclérosé par trente années de pouvoir absolu. Déjà à cette époque, l’on assistait à la naissance, au sein même du PDCI-RDA, d’une catégorie d’hommes politiques qui exigeaient la libération de la parole et qui se faisaient appeler “les rénovateurs” et dont le chef de file était feu Djéni Kobina. Eux, sans le crier haut et fort, n’étaient pas très favorables au plan de succession d’Houphouët.
La conjugaison de ces facteurs va faire naître chez Alassane Dramane Ouattara, des ambitions politiques, avec la ferme volonté de devenir président de la République de Côte d’Ivoire, en lieu et place du successeur constitutionnel qu’était Bédié. Ainsi à la mort du président Houphouët, Alassane entre en rébellion et tente de confisquer le pouvoir là où l’article 11 de la constitution l’attribuait à Bédié. Mais Bédié gagne ce premier combat de succession grâce à un Laurent Dona Fologo, viscéralement attaché aux valeurs républicaines. Qui ne se souvient en effet, de cette phrase mémorable : “Il n’y a pas le feu à la maison. La Constitution qui est la boussole de la République sera appliquée dans toute sa rigueur” lancée par Fologo en réponse à feu Philippe Yacé, ancien compagnon d’Houphouët lui aussi frustré d’avoir tout perdu au profit de Bédié et qui avait pris parti pour Alassane Dramane Oauttara ? Désillusionné, l’homme qui occupait les fonctions de Premier ministre en ce moment-là est contraint à la démission et s’éclipse momentanément. Mais peu importe, le mouvement de rénovation du PDCI était déjà enclenché et Bédié, en succédant à Houphouët, avait à composer avec lui pour ne pas sombrer ou à lui résister quelque temps avant de sombrer. De toute évidence, le successeur d’Houphouët choisit la seconde alternative, la plus mauvaise.
La dictature, mère du coup d’Etat
Bédié prend donc le pouvoir d’Etat le 7 décembre 1993 et organise rapidement, aussitôt, un congrès extraordinaire pour s’emparer de l’appareil du PDCI-RDA. Cette victoire momentanée sur ses adversaires intérieurs gonfle-t-il définitivement la tête à Bédié ? Nul ne sait, mais on retrouve l’homme de Daoukro traquant Alassane Ouattara jusqu’à le contraindre à l’exil forcé. Ses partisans sont proprement matés en Côte d’Ivoire là où ils demandaient un peu d’ouverture au PDCI. Se croyant ainsi donc tout puissant, N’Zuéba s’installe dans une arrogance inqualifiable. Depuis son exil, Alassane Ouattara rumine-t-il vengeance en prévenant que “le moment venu, je frapperai ce régime moribond et il tombera” ? Bédié n’en a cure. Bien au contraire, il devient de plus en plus arrogant et ne fait rien dans ce climat de tension aggravé par les actes de mauvaise gouvernance sous son pouvoir. Le 24 décembre 1999, ce qui n’était au départ qu’une simple revendication de prime de quelques soldats emporte le régime Bédié. Lui qui se croyait si puissant tombe facilement comme un fruit mûr. La Côte d’Ivoire venait de connaître le premier coup d’Etat de son histoire. Feu le général Robert Guéi et les « jeunes gens » (mutins) prennent le pouvoir. Bédié rejoint Alassane Ouattara en exil.
Tout le monde pense alors que c’en est fini pour le PDCI-RDA. Ce d’autant plus que les principaux dignitaires sont arrêtés et jetés en prison avant d’être relâchés par la gunte militaire. Mais c’était sans compter encore une fois avec le courage et la détermination de Laurent Dona Fologo. Alors que beaucoup de ceux qui vocifèrent aujourd’hui autour de Bédié avaient vendu le PDCI au général Guéi, aidé par les quelques militants qui ont refusé de pactiser avec le “diable”, dont le jeune Niamien Yao, Fologo racole petit à petit les morceaux et reconstitue le parti de feu le président Houphouët-Boigny.
Ingratitude contre fidélité et don de soi
L’ex-Secrétaire général du PDCI-RDA, devenu président par intérim pendant l’exil de Bédié, poussera même le courage politique jusqu’à refuser la caution du PDCI à la candidature du général Guéi à l’élection présidentielle de 2000.
Le PDCI redevient alors, grâce à l’action de Fologo, à nouveau incontournable sur l’échiquier politique national. Grâce à Fologo, le parti sera associé à la réunion de Yamoussoukro, en prélude aux élections de 2000, sous la médiation des présidents togolais Eyadéma et béninois Kérékou. Elle réunira autour d’une même table, le général Robert Guéi, alors chef de la gunte militaire au pouvoir, le président Gbagbo alors président du FPI, le Premier ministre Alassane Ouattara, président du RDR et Laurent Dona Fologo, alors Secrétaire général et président par intérim du PDCI. Cette réunion sera sanctionnée par la signature d’un accord qui stipulait que les autres partis politiques s’engageaient à travailler main dans la main avec celui qui gagnerait l’élection présidentielle de 2000.
Pour le reste, Fologo a redonné vie au PDCI-RDA, en l’absence de Bédié. Fologo a créé les conditions du retour de Bédié sur la scène politique nationale. Et pourtant, c’est à Fologo que Bédié va s’en prendre dès son retour en Côte d’Ivoire. En effet, dès qu’il retrouve le fauteuil de son parti maintenu au chaud par Fologo, Bédié s’attache à ceux qui, hier, avaient vendu le PDCI à Guéi. Il ira même jusqu’à humilier l’intérimaire au cours d’une parodie de congrès de son parti et à le pousser à la porte de sortie. Contre sa fidélité à l’héritier d’Houphouët, contre son don de soi, Fologo recueille de l’ingratitude. Il sort du PDCI et crée son parti, démontrant encore une fois que sous Bédié, le PDCI-RDA est frappé d’une incapacité chronique à la modernisation, d’un refus maladif de la démocratie.
Comme Niamien Yao et N’Zi Paul David, de nombreux cadres du vieux parti assistent, la mort dans l’âme, aux dérives de Bédié qui, dans sa volonté aveugle de reconquête du pouvoir d’Etat par tous les moyens, se jette mains et pieds liés dans les bras de ses bourreaux d’hier et se fait complice des mêmes qui ont attaqué la Côte d’Ivoire. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Et depuis la naissance de “l’alliance contre nature” dans le Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), les choses se gâtent autour de Bédié. Tous les hauts cadres du PDCI-RDA qui n’ont pas accepté le coup d’Etat de 1999, en ce qu’il est non seulement contraire à la morale républicaine, mais viole aussi la pensée de l’Houphouétisme, refusent, par grappes entières, de suivre Bédié dans cette voie sans issue. D’où la naissance de plusieurs mouvements de contestation au sein du PDCI.
Abandonné par les anciens, handicapé par l’âge
Si N’Zuéba peut se réjouir d’avoir définitivement vaincu Fologo qui a créé son parti politique, il est cependant confronté à une fronde intérieure de plus en plus forte, diversifiée, multiforme et multicolore. En un mot, à l’intérieur de son parti, Bédié est encerclé par des mouvements et des courants de pensée novateurs qui contestent sa suprématie et ses méthodes. De véritables volcans qui ne tarderont pas à exploser et qui bouillonnent d’idées et de plans pour la mise à la retraite de Bédié.
Au nombre de ces mouvements, on peut citer : “Le PDCI Nouvelle Vision” conduit par le docteur Bohoussou Kouadio mais dont le vrai patron est sensé être le ministre d’Etat Emile Constant Bombet, candidat officiel du PDCI à l’élection de 2000 ; “Le GREC” du contre Amiral à la retraite Lamine Fadika ; le mouvement de soutien au Premier ministre Charles Banny dont le chef de file est l’actuel ministre de la Santé, le docteur Allah Kouadio ; la Jeunesse du RDA dont le chef de file est Niamien Yao. Personne, de nos jours, ne peut dire avec exactitude quelle est la nature des connexions entre ces mouvements et courants de pensée. Mais il est facile de deviner que la conjugaison de leurs actions finira par couler N’Zuéba. La certitude est d’autant plus établie que dans cette fournaise, certains hauts responsables du PDCI-RDA ont pris leur distance par rapport à Bédié. Ceux-là, sans être de façon formelle à la tête d’un mouvement, ne contribuent pas moins à l’affaiblissement de Bédié. C’est le cas de Félix Akoto Yao, député et président du Conseil général de Sakassou, qui s’est déjà déclaré candidat à l’élection présidentielle à venir. C’est le cas aussi de N’Zi Paul David, directeur de cabinet du président de la République et président du Conseil général de Dimbokro qui prépare ses parents à “voter pour Laurent Gbagbo” à la prochaine présidentielle. C’est le cas encore de N’Dri Apollinaire, gouverneur du District de Yamoussoukro déjà engagé dans un mouvement de soutien au président de la République.
A tous ces mouvements qui préparent déjà l’après-Bédié, s’ajoutent l’action ou le silence de nombre d’anciens du vieux parti. Profondément attachés aux fondements de la Nation et soucieux de préserver le pays à la construction duquel ils ont contribué aux côtés de feu le président Houphouët-Boigny, ces anciens se sont démarqués de Bédié pour soutenir et défendre les Institutions républicaines : Mathieu Ekra, Maurice Sery Gnoleba, Camille Alliali, Timothée Ahoua NGuetta, Denis Bra Kanon, Dibonan Koné, Maître Faustin Yao, … manquent tous cruellement à l’appel pour le soutien à Bédié.
Enfin, à tous ces facteurs de démobilisation, indicateurs de déchéance, se greffe un handicap naturel, celui de l’âge. Le 5 mai prochain, Bédié aura 75 ans. Logiquement, à cet âge, on doit aspirer à un repos mérité. Surtout quand on a été comme Bédié. La politique est une activité exigeante. Bédié l’a appris à ses dépens au cours de son meeting à Tiapoum où il a manqué de s’affaisser, physiquement à bout. Ce n’est donc pas un effet de mode quand le ministre tabassé, Niamien Yao, crie haut et fort que le moment est arrivé pour que la génération de Bédié passe la main à sa génération. C’est la loi de la nature et la piètre tentative de règlement des contradictions internes par la violence, “l’arme des faibles , vient démontrer que Bédié n’échappera pas à cette loi divine. Au PDCI-RDA, l’ère Bédié est finie.
Boga Sivori bogasivo@yahoo.fr
Il répondait, le jeudi 5 mars 2009, dignement et de façon civilisée, à une convocation du Conseil de Discipline du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, Section du Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA). Mal lui en prit. Le ministre Niamien Yao, Secrétaire général-adjoint chargé de la Communication, au sein de son parti, a été proprement battu par des gros bras se réclamant de Bédié et conduits par Kouadio Konan Bertin dit KKB, président âgé mais visiblement peu sage de la jeunesse dudit parti. Le lendemain vendredi 6 mars, la Direction du PDCI a produit un communiqué laconique insinuant qu’il s’agissait “d’un incident entre deux frères qui se connaissent bien”. Et pourtant en sa qualité de membre de la Direction du PDCI-RDA, l’ambassadeur Niamien Yao était en droit d’attendre de la part des dirigeants de son parti, une réaction plus appropriée qu’appelle une telle attitude inacceptable du responsable de la jeunesse de son parti. Mieux, une réaction du président du PDCI, discret ou publique, aurait été la bienvenue. A ce jour, rien de tout cela. Et tout le monde est fondé à croire qu’en réagissant si froidement juste pour se dédouaner, la Direction du PDCI, sous la plume du Professeur Alphonse Djédjé Mady, n’a fait que tenter de banaliser cet acte grave dont KKB et ses camarades se sont rendus coupables.
En réalité, la bastonnade de l’ambassadeur Niamien Yao ne peut pas être un épiphénomène, un fait banal. Elle est annonciatrice de la fin de l’ère Bédié au PDCI-RDA. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la déclaration que l’ambassadeur Niamien bastonné se proposait de faire face au Conseil de discipline de l’ex-parti unique qui refuse de faire sa mue. Extraits : “Dans cette affaire que vous avez créée, écrit en effet Niamien Yao bien avant son agression au siège de son parti, sachez que ce qui doit prévaloir, c’est la vérité.
Pour ma part, je tiens à vous signaler que dans la marche actuelle de notre parti, votre tentative d’intimidation n’aura aucunement raison de ma foi dans un PDCI débarrassé des intrigues, de l’hypocrisie, de la peur, de l’acharnement et de la méchanceté”.
L’impossible banalisation de la déchéance
Après cette déclaration de principe, le ministre Niamien aurait pu s’adresser, toujours au Conseil de discipline de son parti dirigé par le président Noël Nemin, en poursuivant : “Je réponds à votre convocation en ayant le sentiment que le moment est venu pour vous, de passer le témoin à ma génération. C’est conscient de ce que ce moment est arrivé que j’ai décidé, face à votre volonté d’engager enfin le dialogue avec vos cadets, vos enfants que nous sommes, de venir humblement vous écouter, sans état d’âme et de vous dire la vérité, rien que la vérité”. Et comme s’il ne s’était pas fait suffisamment comprendre, le ministre Niamien va plus loin : “Nos militants veulent être réhabilités, ils veulent jouer un grand rôle dans ce nouvel ordre politique en gestation. Ils veulent voir leur parti et surtout leur Direction être à l’écoute de ce “vent venu de l’Ouest” qui fait qu’on peut être d’un parti et voter pour un adversaire sans que le ciel ne vous tombe dessus. Ils veulent voir les vieux céder la place aux jeunes, c’est un devoir militant (…). Nos militants veulent voir leur parti être capable de développer de nouveaux réflexes qui ont pour noms culture de diagnostic, culture de l’évaluation. Nos militants sont fatigués de voir leurs “papas et mamans” que vous êtes ridiculisés par les jeunes de leur âge”.
Enfin, dans cette adresse étouffée par l’agression physique, le Secrétaire général-adjoint du PDCI chargé de la Communication conclut : “Quoi qu’il advienne, et quoi que je devienne par vos décisions qui ne sont rien d’autre que des difficultés à surmonter dans ma noble ambition de diriger le PDCI-RDA après Bédié, pour redresser ce que votre génération a tordu en étant de bonne foi, je demeure PDCI-RDA. Je reste PDCI-RDA. Dans tous les cas et croyez-moi, l’histoire de notre parti montre bien que les bannis d’aujourd’hui peuvent être les messies de demain. Si Henri Konan Bédié après 1977 et 1999 a encore des chances de vous inspirer, après que vous l’ayez brûlé vif vous qui me jugez aujourd’hui, ce n’est pas interdit que demain, Dieu veuille me rétablir dans ma vérité et dans la vérité ». Niamien Yao n’est pas le seul haut cadre du PDCI-RDA qui résonne en terme de fin de carrière pour Bédié.
Fin de résistance à la démocratie
Le clou est enfoncé par le président du Conseil général de Dimbokro, l’ancien préfet N’Zi Paul David, actuel directeur de cabinet du président de la République. Refusant, contrairement, au ministre Niamien de se présenter devant le Conseil de discipline de son parti, il a écrit dans une lettre réceptionnée par le président Noêl Nemin : “Je préfère être radié sous Bédié pour que les prochains dirigeants me réhabilitent”. De ces musclés échanges de civilités entre la Direction du parti et ses deux hauts cadres, les choses paraissent suffisamment claires. Dans l’esprit de milliers de militants du PDCI-RDA, jeunes et vieux comme le ministre Niamien Yao et le préfet N’Zi Paul David pensent que l’ère Bédié se conjugue désormais au passé au PDCI-RDA. L’ère Bédié, “wa wué” (c’est fini, en Baoulé, dans la langue d’Henri Konan Bédié). Et les arguments ne manquent pas pour expliquer ce vent nouveau qui souffle sur l’ex-parti unique fondé pas le président Houphouët-Boigny.
Ce désir de changement au PDCI tire sa racine des évènements de 1990. Cette année-là, fortement ébranlé par le vent de liberté venu de l’Est, feu le Président Houphouët-Boigny cède face aux mouvements sociaux qui se multipliaient et autorise le multipartisme. Sous la pression des bailleurs de fonds dont la France, l’autocrate ivoirien fait appel à Alassane Dramane Ouattara, alors gouverneur de la BCEAO. Le rôle initial confié à Alassane Oauttara, en tant que technocrate, était de redresser la situation économique du pays après l’échec du plan Comoé Koffi, le dernier ministre de l’Economie d’Houphouët. Mais de l’intérieur du PDCI dont il avait été fait le n°2 après le congrès de 1991, Ouattara va être frappé au moins par trois faits :
D’abord l’état de santé de plus en plus dégradant d’un Houphouët croupissant sous le poids des ans, mais aussi le peu de confiance du Vieux en Bédié, pourtant désigné par lui pour lui succéder à la tête de l’Etat ne fait pas le poids et enfin, la lourdeur d’un parti, le PDCI-RDA, sclérosé par trente années de pouvoir absolu. Déjà à cette époque, l’on assistait à la naissance, au sein même du PDCI-RDA, d’une catégorie d’hommes politiques qui exigeaient la libération de la parole et qui se faisaient appeler “les rénovateurs” et dont le chef de file était feu Djéni Kobina. Eux, sans le crier haut et fort, n’étaient pas très favorables au plan de succession d’Houphouët.
La conjugaison de ces facteurs va faire naître chez Alassane Dramane Ouattara, des ambitions politiques, avec la ferme volonté de devenir président de la République de Côte d’Ivoire, en lieu et place du successeur constitutionnel qu’était Bédié. Ainsi à la mort du président Houphouët, Alassane entre en rébellion et tente de confisquer le pouvoir là où l’article 11 de la constitution l’attribuait à Bédié. Mais Bédié gagne ce premier combat de succession grâce à un Laurent Dona Fologo, viscéralement attaché aux valeurs républicaines. Qui ne se souvient en effet, de cette phrase mémorable : “Il n’y a pas le feu à la maison. La Constitution qui est la boussole de la République sera appliquée dans toute sa rigueur” lancée par Fologo en réponse à feu Philippe Yacé, ancien compagnon d’Houphouët lui aussi frustré d’avoir tout perdu au profit de Bédié et qui avait pris parti pour Alassane Dramane Oauttara ? Désillusionné, l’homme qui occupait les fonctions de Premier ministre en ce moment-là est contraint à la démission et s’éclipse momentanément. Mais peu importe, le mouvement de rénovation du PDCI était déjà enclenché et Bédié, en succédant à Houphouët, avait à composer avec lui pour ne pas sombrer ou à lui résister quelque temps avant de sombrer. De toute évidence, le successeur d’Houphouët choisit la seconde alternative, la plus mauvaise.
La dictature, mère du coup d’Etat
Bédié prend donc le pouvoir d’Etat le 7 décembre 1993 et organise rapidement, aussitôt, un congrès extraordinaire pour s’emparer de l’appareil du PDCI-RDA. Cette victoire momentanée sur ses adversaires intérieurs gonfle-t-il définitivement la tête à Bédié ? Nul ne sait, mais on retrouve l’homme de Daoukro traquant Alassane Ouattara jusqu’à le contraindre à l’exil forcé. Ses partisans sont proprement matés en Côte d’Ivoire là où ils demandaient un peu d’ouverture au PDCI. Se croyant ainsi donc tout puissant, N’Zuéba s’installe dans une arrogance inqualifiable. Depuis son exil, Alassane Ouattara rumine-t-il vengeance en prévenant que “le moment venu, je frapperai ce régime moribond et il tombera” ? Bédié n’en a cure. Bien au contraire, il devient de plus en plus arrogant et ne fait rien dans ce climat de tension aggravé par les actes de mauvaise gouvernance sous son pouvoir. Le 24 décembre 1999, ce qui n’était au départ qu’une simple revendication de prime de quelques soldats emporte le régime Bédié. Lui qui se croyait si puissant tombe facilement comme un fruit mûr. La Côte d’Ivoire venait de connaître le premier coup d’Etat de son histoire. Feu le général Robert Guéi et les « jeunes gens » (mutins) prennent le pouvoir. Bédié rejoint Alassane Ouattara en exil.
Tout le monde pense alors que c’en est fini pour le PDCI-RDA. Ce d’autant plus que les principaux dignitaires sont arrêtés et jetés en prison avant d’être relâchés par la gunte militaire. Mais c’était sans compter encore une fois avec le courage et la détermination de Laurent Dona Fologo. Alors que beaucoup de ceux qui vocifèrent aujourd’hui autour de Bédié avaient vendu le PDCI au général Guéi, aidé par les quelques militants qui ont refusé de pactiser avec le “diable”, dont le jeune Niamien Yao, Fologo racole petit à petit les morceaux et reconstitue le parti de feu le président Houphouët-Boigny.
Ingratitude contre fidélité et don de soi
L’ex-Secrétaire général du PDCI-RDA, devenu président par intérim pendant l’exil de Bédié, poussera même le courage politique jusqu’à refuser la caution du PDCI à la candidature du général Guéi à l’élection présidentielle de 2000.
Le PDCI redevient alors, grâce à l’action de Fologo, à nouveau incontournable sur l’échiquier politique national. Grâce à Fologo, le parti sera associé à la réunion de Yamoussoukro, en prélude aux élections de 2000, sous la médiation des présidents togolais Eyadéma et béninois Kérékou. Elle réunira autour d’une même table, le général Robert Guéi, alors chef de la gunte militaire au pouvoir, le président Gbagbo alors président du FPI, le Premier ministre Alassane Ouattara, président du RDR et Laurent Dona Fologo, alors Secrétaire général et président par intérim du PDCI. Cette réunion sera sanctionnée par la signature d’un accord qui stipulait que les autres partis politiques s’engageaient à travailler main dans la main avec celui qui gagnerait l’élection présidentielle de 2000.
Pour le reste, Fologo a redonné vie au PDCI-RDA, en l’absence de Bédié. Fologo a créé les conditions du retour de Bédié sur la scène politique nationale. Et pourtant, c’est à Fologo que Bédié va s’en prendre dès son retour en Côte d’Ivoire. En effet, dès qu’il retrouve le fauteuil de son parti maintenu au chaud par Fologo, Bédié s’attache à ceux qui, hier, avaient vendu le PDCI à Guéi. Il ira même jusqu’à humilier l’intérimaire au cours d’une parodie de congrès de son parti et à le pousser à la porte de sortie. Contre sa fidélité à l’héritier d’Houphouët, contre son don de soi, Fologo recueille de l’ingratitude. Il sort du PDCI et crée son parti, démontrant encore une fois que sous Bédié, le PDCI-RDA est frappé d’une incapacité chronique à la modernisation, d’un refus maladif de la démocratie.
Comme Niamien Yao et N’Zi Paul David, de nombreux cadres du vieux parti assistent, la mort dans l’âme, aux dérives de Bédié qui, dans sa volonté aveugle de reconquête du pouvoir d’Etat par tous les moyens, se jette mains et pieds liés dans les bras de ses bourreaux d’hier et se fait complice des mêmes qui ont attaqué la Côte d’Ivoire. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Et depuis la naissance de “l’alliance contre nature” dans le Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), les choses se gâtent autour de Bédié. Tous les hauts cadres du PDCI-RDA qui n’ont pas accepté le coup d’Etat de 1999, en ce qu’il est non seulement contraire à la morale républicaine, mais viole aussi la pensée de l’Houphouétisme, refusent, par grappes entières, de suivre Bédié dans cette voie sans issue. D’où la naissance de plusieurs mouvements de contestation au sein du PDCI.
Abandonné par les anciens, handicapé par l’âge
Si N’Zuéba peut se réjouir d’avoir définitivement vaincu Fologo qui a créé son parti politique, il est cependant confronté à une fronde intérieure de plus en plus forte, diversifiée, multiforme et multicolore. En un mot, à l’intérieur de son parti, Bédié est encerclé par des mouvements et des courants de pensée novateurs qui contestent sa suprématie et ses méthodes. De véritables volcans qui ne tarderont pas à exploser et qui bouillonnent d’idées et de plans pour la mise à la retraite de Bédié.
Au nombre de ces mouvements, on peut citer : “Le PDCI Nouvelle Vision” conduit par le docteur Bohoussou Kouadio mais dont le vrai patron est sensé être le ministre d’Etat Emile Constant Bombet, candidat officiel du PDCI à l’élection de 2000 ; “Le GREC” du contre Amiral à la retraite Lamine Fadika ; le mouvement de soutien au Premier ministre Charles Banny dont le chef de file est l’actuel ministre de la Santé, le docteur Allah Kouadio ; la Jeunesse du RDA dont le chef de file est Niamien Yao. Personne, de nos jours, ne peut dire avec exactitude quelle est la nature des connexions entre ces mouvements et courants de pensée. Mais il est facile de deviner que la conjugaison de leurs actions finira par couler N’Zuéba. La certitude est d’autant plus établie que dans cette fournaise, certains hauts responsables du PDCI-RDA ont pris leur distance par rapport à Bédié. Ceux-là, sans être de façon formelle à la tête d’un mouvement, ne contribuent pas moins à l’affaiblissement de Bédié. C’est le cas de Félix Akoto Yao, député et président du Conseil général de Sakassou, qui s’est déjà déclaré candidat à l’élection présidentielle à venir. C’est le cas aussi de N’Zi Paul David, directeur de cabinet du président de la République et président du Conseil général de Dimbokro qui prépare ses parents à “voter pour Laurent Gbagbo” à la prochaine présidentielle. C’est le cas encore de N’Dri Apollinaire, gouverneur du District de Yamoussoukro déjà engagé dans un mouvement de soutien au président de la République.
A tous ces mouvements qui préparent déjà l’après-Bédié, s’ajoutent l’action ou le silence de nombre d’anciens du vieux parti. Profondément attachés aux fondements de la Nation et soucieux de préserver le pays à la construction duquel ils ont contribué aux côtés de feu le président Houphouët-Boigny, ces anciens se sont démarqués de Bédié pour soutenir et défendre les Institutions républicaines : Mathieu Ekra, Maurice Sery Gnoleba, Camille Alliali, Timothée Ahoua NGuetta, Denis Bra Kanon, Dibonan Koné, Maître Faustin Yao, … manquent tous cruellement à l’appel pour le soutien à Bédié.
Enfin, à tous ces facteurs de démobilisation, indicateurs de déchéance, se greffe un handicap naturel, celui de l’âge. Le 5 mai prochain, Bédié aura 75 ans. Logiquement, à cet âge, on doit aspirer à un repos mérité. Surtout quand on a été comme Bédié. La politique est une activité exigeante. Bédié l’a appris à ses dépens au cours de son meeting à Tiapoum où il a manqué de s’affaisser, physiquement à bout. Ce n’est donc pas un effet de mode quand le ministre tabassé, Niamien Yao, crie haut et fort que le moment est arrivé pour que la génération de Bédié passe la main à sa génération. C’est la loi de la nature et la piètre tentative de règlement des contradictions internes par la violence, “l’arme des faibles , vient démontrer que Bédié n’échappera pas à cette loi divine. Au PDCI-RDA, l’ère Bédié est finie.
Boga Sivori bogasivo@yahoo.fr