Les agents de la police maritime exercent dans des conditions exécrables. Après la disparition de 4 policiers marins, le ministre des Transports, Mabri Toikeusse, est allé s’enquérir de la situation. Une véritable misère.
Des épouses anxieuses, des familles désemparées, des agents traumatisés. C’est la morgue chez les policiers-marins. Ils considèrent que l’histoire tragique de leurs quatre collègues disparus au large des côtes de Sassandra est aussi la leur. Cette situation qui a malheureusement entraîné cette catastrophe est la même que tous les membres de leur corporation vivent au quotidien. Ils savent que c’est le déficit d’équipements adéquats qui est la principale cause du drame. Pas d’armes, pas d’appareils nautiques, pas de systèmes de transmission, pas de moyens de communication, pas de moyens de locomotion etc. Les promesses d’équipements publics n’ont jamais été tenues. Selon eux, il s’agit d’une irresponsabilité de l’Etat ivoirien qui incline à penser qu’on a décidé de les jeter en pâture aux criminels et autres trafiquants de tous acabits. « On a toujours déploré les conditions de travail difficiles des agents mais on a du mal à trouver une oreille attentive» explique le capitaine François Bio, secrétaire général du Syndicat national des affaires maritimes. A l’occasion de ces évènements douloureux, nous avons cherché à en savoir davantage sur les conditions de travail de la police maritime ivoirienne. L’on a pu voir de plus près la galère des agents de ce corps paramilitaire notamment dans le Bas-Sassandra. A San Pedro, comme ailleurs, le constat est que les agents de la police maritime travaillent dans le dénuement total. Dans la cité portuaire, l’arrondissement d’attache des quatre agents portés disparus, c’est une villa d’une demi-dizaine de pièces appartenant à un particulier qui sert de bureaux. Il coûte 120.000 Fcfa par mois. La maison est exigüe et ne peut contenir plus 30 personnes. Mais depuis près de 12 mois, l’administration maritime n’a pas honoré les engagements relatifs au loyer. Le propriétaire, excédé, ne cesse de multiplier les menaces d’expulsion. Incompréhensible pour cette régie qui génère des ressources pour le compte du trésor public. Pour mettre un terme à cette situation, le commandant Mesmin Lerou a introduit plusieurs demandes de fonds soldées par des résultats insatisfaisants. «Ce local ne nous appartient pas et nous éprouvons du mal à respecter nos engagements contractuels. Nous demandons à l’Etat de nous aider», plaide le commandant Lerou qui précise que les autres antennes placées sous son autorité connaissent pratiquement les mêmes difficultés. Sur le plan opérationnel, la situation n’est guère meilleure. Un seul véhicule de liaison. Les pannes récurrentes ont finalement eu raison de cet engin maintenu sous cale. Conséquences, ils sont souvent nargués par les fraudeurs au fait des insuffisances de l’administration. D’ailleurs, ce manque de moyens de locomotion oblige les policiers-marins à composer avec les artisans-pêcheurs. Ils empruntent, du moins louent, régulièrement leurs pirogues pour effectuer des patrouilles en mer. Un paradoxe dans la mesure où ces derniers font partie des opérateurs à surveiller dans le cadre de la mission de surveillance des eaux lagunaires et maritimes. De fait, plusieurs marins avouent que cette alliance est contre-nature en ce qu’elle rend inefficace la protection des façades maritimes. Mais contre mauvaise fortune, ils se disent condamnés à faire bon cœur. Sur le quai du port de pêche, un peu excentré par rapport au port à conteneurs, sont alignées les embarcations de fortune en question.
“Etat, fais quelque chose !”
Ce sont des dizaines de pirogues sur lesquelles flottent des drapeaux de tous genres. Aucune réglementation administrative sauf des numéros informels badigeonnés sur le flanc des bateaux traditionnels qui ne disposent ni de grille de protection, ni de commodité, ni d’éclairage adéquat, pas plus que les fonctionnalités nécessaires à la sécurité de la navigation maritime. C’est de ce quai long de 300 mètres environ qu’est partie la pirogue que les agents ont utilisée pour tenter d’arraisonner les navires asiatiques venus pêcher illégalement sur les côtes ivoiriennes qui ont commis le crime. La petite embarcation fabriquée à partir de bois de faible résistance et mise à disposition dans le cadre de l’expédition, était pilotée par John Etrou. Même si Bosco, l’un des propriétaires avance que ces pirogues peuvent aller jusqu’en Sierra-Leone et même en Mauritanie, il est pratiquement inimaginable que ces « trucs » puissent tenir lieu d’engins de répression et de contrôle. Devant le Directeur général des Affaires maritimes et portuaires (Dgamp) le lieutenant-colonel Bertin Tano Brou, John Etrou fait remarquer que les agents en mission n’avaient pas la capacité de réaction suffisante pour faire face à l’arsenal déployé par l’équipage des chalutiers. Le lieutenant Mamadou Fofana, un des trois rescapés confirme que son équipe n’avait en tout et pour tout que deux pistolets et deux Kalachnikov. «Comment peut-on prendre des pirogues de fortune pour freiner des mastodontes ?», s’interroge amer le lieutenant Mamadou Traoré. Mis en forme par les syndicats, plusieurs mémorandums circulent actuellement dans les milieux des affaires maritimes et portuaires pour sonner la charge. Ils expriment un profond mécontentement vis-à-vis des décideurs publics. En effet, la police maritime dans son ensemble est démunie. Elle disposait de deux vedettes qui sont aujourd’hui hors d’usage. Et le gouvernement, s’abritant derrière les difficultés de trésorerie, montre peu d’empressement à en acquérir. La situation est d’autant dramatique que des opérateurs ont offert une vedette qui n’attend qu’à être réparée. Là aussi, les autorités n’ont pas répondu aux attentes. L’affaire des marins disparus devrait relancer les discussions. Le projet défendu par les agents nécessitera sans doute quelques moyens mais il est plus que de saison. Et, si les propositions des syndicats ne sont pas examinées suffisamment, le gouvernement aura raté un rendez-vous de plus avec son histoire maritime. Ce sera d’autant plus inexcusable qu’il ne pourra cette fois-ci invoquer les problèmes de trésorerie comme il l’a toujours fait. Car au niveau géopolitique et économique, la Côte d’Ivoire a besoin d’une marine efficace. A ce sujet, l’adresse du patron de l’arrondissement de San Pedro au ministre des Transports, Toikeusse Mabri, est beaucoup plus qu’un plaidoyer. « Nous avons besoin de 2 zodiacs, 2 vedettes et de 2 patrouilleurs», dit le commandant Lerou. Et tous les policiers marins reprennent en chœur: “Etat fais quelque chose”.
Lanciné Bakayoko, envoyé spécial
L’impuissance de l’Etat
«50% des bateaux qui pêchent dans nos eaux sont des bateaux pirates. N’ayant aucune autorisation, ils profitent du fait que notre pays ne dispose pas de système de surveillance efficace pour mener toutes formes de pêche.» Ces révélations ont été faites en 2008 à la télévision nationale par Alphonse Douati. Pour le ministre de la Production animale et des Ressources halieutiques, ce phénomène est dû à la crise que traverse la Côte d’Ivoire. Selon lui, Il n’est pas possible à la marine nationale de disposer d’armement adéquat, même d’acquérir des pièces de rechange pour remettre en état des bateaux patrouilleurs. «L’an dernier, on a trouvé un financement pour l’équiper. Mais l’essentiel a été impossible, le minimum a pu être fait à Abidjan à la Carena. Sachant que la Côte d’Ivoire est sous embargo, les bateaux pirates viennent pêcher dans nos eaux sans être inquiétés. Car la marine n’a aucune possibilité de les traquer», a lâché Alphonse Douati visiblement dépassé par cette situation. Aujourd’hui, le résultat de l’impuissance de l’Etat est là. Quatre gardes-côtes sont portés disparus depuis le 11 mars au large de des côtes de Sassandra. Alors qu’ils étaient allés arraisonner sans équipements conventionnels, des navires pirates lourdement armés et ayant à leur bord des Chinois. Les opérateurs de la filière au cours des deux dernières années avaient attiré l’attention de la tutelle et des pouvoirs publics sur la dangerosité de ce phénomène des bateaux clandestins qui a pris des proportions inquiétantes dans les eaux territoriales ivoiriennes. A côté de cela, les armateurs et les marins-pêcheurs ont fustigé l’octroi abusif des licences de pêche aux opérateurs chinois qui ne respectent pas toujours les techniques recommandées pour la pêche. Toute chose qui a fortement mis en danger la flore aquatique dans la mesure où la pêche se pratiquait dans les zones interdites. La reproduction des animaux était gravement menacée. Devant la gravité du problème, le ministre avait procédé à la suspension d’un mois de deux navires chinois (Far west I et Far west II) qui pratiquaient le «chalut-bœuf», une méthode de pêche interdite.
Cissé Cheick Ely
Des épouses anxieuses, des familles désemparées, des agents traumatisés. C’est la morgue chez les policiers-marins. Ils considèrent que l’histoire tragique de leurs quatre collègues disparus au large des côtes de Sassandra est aussi la leur. Cette situation qui a malheureusement entraîné cette catastrophe est la même que tous les membres de leur corporation vivent au quotidien. Ils savent que c’est le déficit d’équipements adéquats qui est la principale cause du drame. Pas d’armes, pas d’appareils nautiques, pas de systèmes de transmission, pas de moyens de communication, pas de moyens de locomotion etc. Les promesses d’équipements publics n’ont jamais été tenues. Selon eux, il s’agit d’une irresponsabilité de l’Etat ivoirien qui incline à penser qu’on a décidé de les jeter en pâture aux criminels et autres trafiquants de tous acabits. « On a toujours déploré les conditions de travail difficiles des agents mais on a du mal à trouver une oreille attentive» explique le capitaine François Bio, secrétaire général du Syndicat national des affaires maritimes. A l’occasion de ces évènements douloureux, nous avons cherché à en savoir davantage sur les conditions de travail de la police maritime ivoirienne. L’on a pu voir de plus près la galère des agents de ce corps paramilitaire notamment dans le Bas-Sassandra. A San Pedro, comme ailleurs, le constat est que les agents de la police maritime travaillent dans le dénuement total. Dans la cité portuaire, l’arrondissement d’attache des quatre agents portés disparus, c’est une villa d’une demi-dizaine de pièces appartenant à un particulier qui sert de bureaux. Il coûte 120.000 Fcfa par mois. La maison est exigüe et ne peut contenir plus 30 personnes. Mais depuis près de 12 mois, l’administration maritime n’a pas honoré les engagements relatifs au loyer. Le propriétaire, excédé, ne cesse de multiplier les menaces d’expulsion. Incompréhensible pour cette régie qui génère des ressources pour le compte du trésor public. Pour mettre un terme à cette situation, le commandant Mesmin Lerou a introduit plusieurs demandes de fonds soldées par des résultats insatisfaisants. «Ce local ne nous appartient pas et nous éprouvons du mal à respecter nos engagements contractuels. Nous demandons à l’Etat de nous aider», plaide le commandant Lerou qui précise que les autres antennes placées sous son autorité connaissent pratiquement les mêmes difficultés. Sur le plan opérationnel, la situation n’est guère meilleure. Un seul véhicule de liaison. Les pannes récurrentes ont finalement eu raison de cet engin maintenu sous cale. Conséquences, ils sont souvent nargués par les fraudeurs au fait des insuffisances de l’administration. D’ailleurs, ce manque de moyens de locomotion oblige les policiers-marins à composer avec les artisans-pêcheurs. Ils empruntent, du moins louent, régulièrement leurs pirogues pour effectuer des patrouilles en mer. Un paradoxe dans la mesure où ces derniers font partie des opérateurs à surveiller dans le cadre de la mission de surveillance des eaux lagunaires et maritimes. De fait, plusieurs marins avouent que cette alliance est contre-nature en ce qu’elle rend inefficace la protection des façades maritimes. Mais contre mauvaise fortune, ils se disent condamnés à faire bon cœur. Sur le quai du port de pêche, un peu excentré par rapport au port à conteneurs, sont alignées les embarcations de fortune en question.
“Etat, fais quelque chose !”
Ce sont des dizaines de pirogues sur lesquelles flottent des drapeaux de tous genres. Aucune réglementation administrative sauf des numéros informels badigeonnés sur le flanc des bateaux traditionnels qui ne disposent ni de grille de protection, ni de commodité, ni d’éclairage adéquat, pas plus que les fonctionnalités nécessaires à la sécurité de la navigation maritime. C’est de ce quai long de 300 mètres environ qu’est partie la pirogue que les agents ont utilisée pour tenter d’arraisonner les navires asiatiques venus pêcher illégalement sur les côtes ivoiriennes qui ont commis le crime. La petite embarcation fabriquée à partir de bois de faible résistance et mise à disposition dans le cadre de l’expédition, était pilotée par John Etrou. Même si Bosco, l’un des propriétaires avance que ces pirogues peuvent aller jusqu’en Sierra-Leone et même en Mauritanie, il est pratiquement inimaginable que ces « trucs » puissent tenir lieu d’engins de répression et de contrôle. Devant le Directeur général des Affaires maritimes et portuaires (Dgamp) le lieutenant-colonel Bertin Tano Brou, John Etrou fait remarquer que les agents en mission n’avaient pas la capacité de réaction suffisante pour faire face à l’arsenal déployé par l’équipage des chalutiers. Le lieutenant Mamadou Fofana, un des trois rescapés confirme que son équipe n’avait en tout et pour tout que deux pistolets et deux Kalachnikov. «Comment peut-on prendre des pirogues de fortune pour freiner des mastodontes ?», s’interroge amer le lieutenant Mamadou Traoré. Mis en forme par les syndicats, plusieurs mémorandums circulent actuellement dans les milieux des affaires maritimes et portuaires pour sonner la charge. Ils expriment un profond mécontentement vis-à-vis des décideurs publics. En effet, la police maritime dans son ensemble est démunie. Elle disposait de deux vedettes qui sont aujourd’hui hors d’usage. Et le gouvernement, s’abritant derrière les difficultés de trésorerie, montre peu d’empressement à en acquérir. La situation est d’autant dramatique que des opérateurs ont offert une vedette qui n’attend qu’à être réparée. Là aussi, les autorités n’ont pas répondu aux attentes. L’affaire des marins disparus devrait relancer les discussions. Le projet défendu par les agents nécessitera sans doute quelques moyens mais il est plus que de saison. Et, si les propositions des syndicats ne sont pas examinées suffisamment, le gouvernement aura raté un rendez-vous de plus avec son histoire maritime. Ce sera d’autant plus inexcusable qu’il ne pourra cette fois-ci invoquer les problèmes de trésorerie comme il l’a toujours fait. Car au niveau géopolitique et économique, la Côte d’Ivoire a besoin d’une marine efficace. A ce sujet, l’adresse du patron de l’arrondissement de San Pedro au ministre des Transports, Toikeusse Mabri, est beaucoup plus qu’un plaidoyer. « Nous avons besoin de 2 zodiacs, 2 vedettes et de 2 patrouilleurs», dit le commandant Lerou. Et tous les policiers marins reprennent en chœur: “Etat fais quelque chose”.
Lanciné Bakayoko, envoyé spécial
L’impuissance de l’Etat
«50% des bateaux qui pêchent dans nos eaux sont des bateaux pirates. N’ayant aucune autorisation, ils profitent du fait que notre pays ne dispose pas de système de surveillance efficace pour mener toutes formes de pêche.» Ces révélations ont été faites en 2008 à la télévision nationale par Alphonse Douati. Pour le ministre de la Production animale et des Ressources halieutiques, ce phénomène est dû à la crise que traverse la Côte d’Ivoire. Selon lui, Il n’est pas possible à la marine nationale de disposer d’armement adéquat, même d’acquérir des pièces de rechange pour remettre en état des bateaux patrouilleurs. «L’an dernier, on a trouvé un financement pour l’équiper. Mais l’essentiel a été impossible, le minimum a pu être fait à Abidjan à la Carena. Sachant que la Côte d’Ivoire est sous embargo, les bateaux pirates viennent pêcher dans nos eaux sans être inquiétés. Car la marine n’a aucune possibilité de les traquer», a lâché Alphonse Douati visiblement dépassé par cette situation. Aujourd’hui, le résultat de l’impuissance de l’Etat est là. Quatre gardes-côtes sont portés disparus depuis le 11 mars au large de des côtes de Sassandra. Alors qu’ils étaient allés arraisonner sans équipements conventionnels, des navires pirates lourdement armés et ayant à leur bord des Chinois. Les opérateurs de la filière au cours des deux dernières années avaient attiré l’attention de la tutelle et des pouvoirs publics sur la dangerosité de ce phénomène des bateaux clandestins qui a pris des proportions inquiétantes dans les eaux territoriales ivoiriennes. A côté de cela, les armateurs et les marins-pêcheurs ont fustigé l’octroi abusif des licences de pêche aux opérateurs chinois qui ne respectent pas toujours les techniques recommandées pour la pêche. Toute chose qui a fortement mis en danger la flore aquatique dans la mesure où la pêche se pratiquait dans les zones interdites. La reproduction des animaux était gravement menacée. Devant la gravité du problème, le ministre avait procédé à la suspension d’un mois de deux navires chinois (Far west I et Far west II) qui pratiquaient le «chalut-bœuf», une méthode de pêche interdite.
Cissé Cheick Ely